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Lettre d’inf ormation et d’analyse sur l’actualité bioéthiq u e
n°155 : Mai 2013
Le droit au suicide assisté, un droit fondamental ?
Le 14 mai 2013, la deuxième section de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu un arrêt (Alda Gross c/ Suisse) participant à édifier un droit individuel au suicide assisté qui découlerait du droit à la vie privée (article 8 de la Convention européenne
des droits de l’homme). Grégor Puppinck, directeur du centre européen pour la loi et la justice (ECLJ), tierce partie dans l’affaire, livre
son analyse à Gènéthique.
G : Quelle est la décision de la Cour dans
l’arrêt Gross c/Suisse ?
G. P. : Cette affaire concerne une octogénaire qui, lassée de vivre et ne voulant
pas assister au déclin de ses facultés
physiques et mentales, s’est adressée
à plusieurs médecins afin que lui soit
prescrite une dose mortelle.
N’ayant obtenu que des refus du fait de
son bon état de santé, elle saisit la CEDH
en se plaignant d’une violation de son
droit à la vie privée.
Précisons qu’en Suisse le législateur n’a
pas adopté de régime légal précisant les
modalités de la pratique du suicide assisté. Seules les règles de déontologies
médicales s’appliquent : un médecin
peut prescrire une substance létale à un
patient malade en fin de vie, consentant.
C’est sur ce point que la Cour censure
la Suisse : les normes déontologiques
n’ont pas la qualité formelle de loi et
ne concernent que les patients en fin
de vie. Selon la majorité des juges de
la Section (4 contre 3), ce régime ferait
peser une incertitude sur les médecins
et les candidats au suicide quant aux
conditions d’exercice du droit au suicide
assisté et violerait l’article 8 (§ 67).
La Cour demande donc à la Suisse
d’adopter un cadre légal du suicide assisté indépendamment de l’état de santé des personnes.
G : Vous dites que l’arrêt Gross c/ Suisse
« complète » l’édification d’un droit individuel au suicide assisté »?
G.P. : Oui, car cette décision fait suite à
différents arrêts1 par lesquels la Cour a
progressivement élaboré « le droit d’un
individu de décider de quelle manière et
à quel moment sa vie doit prendre fin2».
Elle avait ensuite condamné l’interdiction de principe de l’euthanasie en estimant que la jurisprudence devait pouvoir juger au cas par cas les demandes
individuelles.
Cette fois, la Cour condamne en substance, le fait que l’exercice effectif du
droit au suicide assisté soit conditionné
par des normes médicales qui excluent
le suicide assisté des personnes en
bonne santé. Par tous ces arrêts, la Cour
en est venue à neutraliser l’interdiction
de l’euthanasie par la voie des obligations procédurales.
G : Qu’entendez-vous par « obligations
procédurales » ?
G. P. : Les obligations procédurales garantissent, non pas le droit (substantiel)
au suicide assisté (pour parler de l’arrêt
Gross), mais le droit (procédural) de savoir
si on a le droit d’en bénéficier.
Concrètement dans l’arrêt Gross, la Cour ne
dit pas que c’est l’impossibilité d’être euthanasié qui constitue la violation du droit
à la vie privée, mais l’état d’incertitude
dans lesquels le candidat à l’euthanasie se
trouve en l’absence de cadre légal.
En imposant ces obligations procédurales à un Etat, la Cour se défend de vouloir prendre position sur la substance du
droit. Cependant, pour les imposer, elle
doit confirmer l’existence d’un droit interne conforme à la Convention. Ici, elle
confirme donc que le suicide assisté
entre dans le champ de la vie privée.
G : Pourtant n’y a-t-il pas une contradiction flagrante entre le « droit au suicide
assisté » et le droit à la vie (art. 2) ?
G.P. : En effet, la création d’un droit au
suicide assisté se heurte à l’article 2 qui
dispose de l’interdiction stricte de tuer.
Mais la Cour ignore de plus en plus cet
article notamment pour l’euthanasie ou
l’avortement (affaire A.K. c. Lettonie4) au
profit du droit à la vie privée.
Cela entraîne de graves incohérences
dans la jurisprudence de la Cour et fragilise son autorité.
Notons par exemple que le même jour,
la Cour condamne la France pour ne
pas avoir empêché un détenu de se
suicider5 (violation du droit à la vie) et
l’Allemagne pour ne pas avoir aidé une
femme à se suicider6 (violation de la vie
privée).
G : Y a-t-il un moyen d’agir pour que le
droit au suicide assisté ne soit pas érigé
au rang de droit fondamental ?
G. P. : Oui, notamment dans cette affaire, car l’arrêt Gross n’est pas encore
définitif. Cela signifie que le gouvernement Suisse a encore trois mois pour
demander son renvoi devant la Grande
Chambre.
Il est tout à fait possible qu’il soit entendu étant donné le consensus européen
opposé au suicide assisté (seuls 4 pays
en Europe l’ont adopté) et la division
de la Cour sur ces sujets de société. Il
est donc nécessaire que la Suisse introduise ce recours, pour qu’au-delà du cas
d’espèce, le sens authentique des droits
de l’homme soit réaffirmé.
1. Pretty contre le Royaume-Uni (n° 2346/02 du 29 avril 2002), Haas contre la Suisse (n° 31322/07 du 20 janvier 2011) et Koch contre l’Allemagne (no 497/09 du 19 juillet 2012)
2. Affaire Haas c.Suisse § 51
3. Affaire Koch c. Allemagne 2012
4. Affaire A.K. c. Lettonie, lettre mensuelle Gènéthique avril 2012 – initiative www.stopeugenicsnow.org
5. Arrêt Ketreb c. France 13 juillet 2012, req. 38447/09
6. Arrêt. Koch c. Allemagne.
Recherche sur l’embryon, la saga continue
Selon le conseil des ministres du 7 mai dernier : la proposition de loi levant l’interdiction de la recherche sur l’embryon reviendra au Parlement avant l’été. Bien que rien ne soit encore inscrit dans le calendrier, il faut donc veiller. Parallèlement, comme pour s’y habituer, les
effets d’annonce sur l’embryon continuent et pourraient faire l’objet d’une récupération politique en France. Ce contexte est l’occasion de
mentionner la mobilisation européenne Un de nous qui permet de sortir de l’anesthésie des promoteurs de la recherche sur l’embryon.
Interview d’Albert Barrois, blogueur scientifique7.
G : La revue Cell8 a publié la « découverte »
de scientifiques américains affirmant avoir
réussi à créer des cellules souches embryonnaires par clonage thérapeutique. Pouvezvous nous éclairer sur cette annonce, d’un
point de vue scientifique et éthique ?
A.B. : Ces chercheurs ont fait chez l’homme
ce qui avait été fait avec la brebis Dolly : introduire un noyau déjà formé dans un ovule
dont on avait enlevé le patrimoine génétique. Il s’agit d’un clonage, c’est-à-dire
de la création d’un vrai jumeau, mais à des
années d’écart. Se reposent donc toutes les
questions et les problèmes soulevés pendant la décennie précédente. Ces embryons
seront créés dans l’unique but d’être détruits
pour en extraire les cellules souches après
10 ou 15 jours de développement in vitro.
Le fantasme ultime de ces manipulations
est connu : on espère créer des clones pour
générer des « pièces de rechange » parfaitement compatibles 1.
Il faut aussi évoquer les femmes qui vont être
conduites à donner ou vendre des ovules. La
procédure est dangereuse, douloureuse et
peut entraîner une stérilité : elle exige un
traitement hormonal lourd puis l’introduction d’une aiguille à travers la paroi vaginale
pour récupérer les ovules. Que des hommes
en blouses blanches puissent proposer cela
à des femmes reste un mystère… Comme le
fait justement remarquer une collègue blogueuse américaine, si les hommes devaient donner leurs spermatozoïdes dans les
mêmes conditions ces recherches seraient
encore de la science-fiction ! On ne peut
d’ailleurs que s’étonner du lobbying actuel
en faveur de la vitrification ovocytaire qui
suggère que certains profiteront de l’aubaine pour obtenir des ovules à peu de frais
: on vous en stocke quelques uns et on garde
le reste pour la recherche…
G : Deux jours plus tard, c’est la société
américaine ACT qui a annoncé la « guérison » d’un patient par le biais des cellules
souches embryonnaires humaines. Qu’en
pensez-vous ?
A.B. : Cette « guérison » a été annoncée par
Robert Lanza, le patron d’ACT, profitant de
la caisse de résonance de l’annonce du premier clonage humain. Mais on ne sait même
pas de quelle maladie ce patient souffrait, ni
si les deux yeux étaient atteints, et surtout
aucune preuve n’a été apportée. Si c’est
confirmé c’est évidemment un événement
majeur car il serait le premier patient guéri
par une thérapie cellulaire à base de cellules souches embryonnaires humaines. On
peut cependant remarquer qu’il n’y aurait à
ce stade qu’une guérison sur plus de vingt
patients traités : on est loin d’un succès probant et rien ne prouve que ce traitement n’induit pas de complications, ce qui est l’objectif de la première phase d’un essai clinique.
G : Ces deux annonces sont donc à prendre
avec prudence, comme souvent pour les
découvertes sur l’embryon. Cependant les
publications sur les cellules souches ne
concernent pas que l’embryon, avez-vous
connaissance d’annonces dans le domaine
de la thérapie cellulaire non embryonnaire,
ou des cellules iPS ?
A.B. : Les cellules souches adultes guérissent des milliers de malades chaque
année, surtout les cellules souches hématopoïétiques qui se trouvent dans la mœlle
osseuse ou dans le sang de cordon. On
commence aussi à savoir utiliser d’autres
cellules comme les cellules souches mésenchymateuses. Et plusieurs patients ont
reçu une trachée reconstituée à partir de
cellules souches adultes. Mais il y a surtout
l’immense espoir que représentent les cel-
lules iPS de Yamanaka qui permettent de
modéliser de très nombreuses maladies
et ne provoqueraient aucun rejet dans un
cadre thérapeutique. Impossible de citer
ici tous les travaux de modélisation, mais
les résultats les plus récents touchent la
sclérose latérale amyotrophique (aussi
connue comme la maladie de Charcot ou
maladie de Lou Gherig) ou la trisomie 212.
Pour ce qui est des essais cliniques les
japonais sont les plus en avance et lanceront dans les mois qui viennent le premier
essai clinique à base des cellules iPS pour
guérir la même maladie que l’essai initié
par ACT à partir de cellules souches embryonnaires. Cet essai sera supervisé par
Masayo Takahashi du Centre de Biologie
du Développement de Kobé au Japon.
G : Pensez-vous que la « découverte » sur
le clonage dit thérapeutique et celle de la
société ACT auront un impact sur la scène
politique ?
A.B. : C’est bien sûr possible mais le clonage humain reste techniquement très
complexe et il faudra beaucoup d’ovules
pour faire ces expériences. Quant à la «
guérison » évoquée elle n’est pas confirmée à ce jour et tout chercheur ou politique un tant soit peu sérieux restera
très prudent face à cette annonce pour le
moment. Si elle devait être exploitée cela
manifesterait une fébrilité certaine et une
absence confondante d’argument sérieux.
En tout état de cause cela ne changerait
rien à l’objection fondamentale qu’un embryon n’est pas un matériau de laboratoire
et qu’il ne devrait jamais être sacrifié sous
prétexte de progrès scientifique.
1- « Le clonage thérapeutique est encore plus grave [que le clonage reproductif]
au plan éthique ». Dignitas Personæ, §30. La question du clonage reprodutif,
pas encore d’actualité, n’est pas abordée ici.
2- voir le blog pour plus de détails.
7. http://albertbarrois.blogspot.fr/
8. Publication 15 mai 2013 “Human Embryonic Stem Cells Derived by Somatic Cell Nuclear Transfer” http://www.cell.com/fulltext/S0092-8674(13)00571-0
Mobilisation Un de nous pour protéger l’embryon
En Europe, les citoyens se mobilisent pour signer l’Initiative Citoyenne Européenne UN DE NOUS. L’enjeu : stopper le financement par l’Union européenne des programmes conduisant à la destruction d’embryons humains. En réunissant 1 million de signatures, la Commission européenne
aura l’obligation de reconsidérer le financement de la recherche sur l’embryon et de tout programme menaçant l’être humain dès sa conception.
Cette initiative portée en France par Alliance VITA, la Fondation Jérôme Lejeune, les Associations Familiales Catholiques et le Comité Protestant
évangélique pour la Dignité Humaine doit réunir 60 000 signatures d’ici cet été. Pour signer la pétition : www.undenous.fr
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
Contact : [email protected] - Tél. : 01 44 49 73 39 - Site : www.genethique.org - Siège social : 31 rue Galande 75005 Paris
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Lucie Pacherie - Imprimerie : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498
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