RBC Gestion mondiale d’actifs Repères économiques Vue d’ensemble pour les investisseurs NUMÉRO 8 • aoÛt 2011 Le fardeau de la dette des états-unis : bleu, blanc et à l’encre rouge POINTS SAILLANTS Eric Lascelles Économiste en chef RBC Gestion mondiale d’actifs Inc. › La crise liée au plafond de la dette du gouvernement américain et la réduction de la cote de solvabilité des États-Unis ont souligné la nécessité de recourir à des mesures d’austérité budgétaire. › Les décideurs politiques doivent trouver des moyens de réaliser des économies d’au moins 5 billions de dollars durant la prochaine décennie, un défi de taille exigeant à la fois des réductions de dépenses et des hausses d’impôts, de même que des modifications des programmes de dépenses discrétionnaires et d’admissibilité aux prestations. › Pour le moment, la classe politique est peu désireuse d’agir en ce sens, mais les pressions des agences de notation et un changement dans l’opinion publique pourraient contribuer à faire avancer les choses. › Les mesures d’austérité budgétaire devraient réduire la croissance économique de 1 % en 2012 et mettre en péril une reprise déjà fragile. Les années 1990 ont été une décennie d’effervescence. Grâce à l’essor économique mondial et à une certaine prudence budgétaire, le gouvernement fédéral des ÉtatsUnis a réussi à rétablir l’équilibre budgétaire, son fait d’armes ayant été quatre glorieuses années d’excédents de 1998 à 2001. En l’an 2000, la course à la présidence avait donné lieu à des disputes quant à ce que chacun ferait du torrent de liquidités qui allait se déverser dans le Trésor. Le marché obligataire s’inquiétait de son destin une fois payé le dernier créancier des États-Unis. obligataires, les conséquences semblent s’annoncer assez négligeables. Les conséquences de l’abaissement de la cote Le riche investisseur Warren Buffet a affirmé qu’il donnerait aux États-Unis un « quadruple A » s’il le pouvait. Hélas, il n’a pas l’autorité voulue. Mais il est intéressant de souligner que les trois agences de notation continuent d’accorder la plus haute note aux titres d’emprunt à court terme des États-Unis. Et même deux des trois titres d’emprunt à long terme des États-Unis ont conservé un triple A. Parmi ces agences, Fitch persiste à juger neutres les perspectives pour les États-Unis, signalant ainsi l’absence d’un risque particulier de dégradation ultérieure. Cependant, Moody’s perçoit un risque d’abaissement, mais l’évalue à 1 sur 3 au cours des deux prochaines années. Par contre, avant d’abaisser la note du pays, Standard and Poor’s (S&P) avait évalué à 50 % le risque d’un autre abaissement dans les trois mois suivants. Essentiellement, aucune autre révision à la baisse ne semble imminente, du moins jusqu’au rapport du groupe bipartite à l’automne. Bien des investisseurs – même parmi ceux qui sont liés aux termes de mandats spécifiant une note minimale – considèrent toujours les titres de créance américains comme étant un investissement de niveau triple A. Un abaissement de la cote de solvabilité de la dette souveraine des États-Unis, qu’est-ce que cela signifie ? Mis à part une réaction instinctive du marché se traduisant par une chute des cours boursiers et une réduction des taux On a constaté dans le passé que, mathématiquement, le passage d’une note AAA à une note AA s’accompagne normalement d’une hausse de 25 points de base du coût de financement à 10 ans. Aux États-Unis, l’effet Telles étaient les difficultés en ces temps plus faciles. Il va sans dire que la dernière décennie a été beaucoup plus cruelle. Après une bulle des titres technologiques, deux guerres et une crise du crédit, les excédents réalisés par le gouvernement américain ont depuis longtemps été remplacés par des déficits, qui ont engendré un alourdissement du fardeau de la dette, lequel a maintenant contribué à l’abaissement de la cote de solvabilité. Au début du mois d’août, la cote de solvabilité des États-Unis, qui s’était longtemps maintenue à AAA, a été ramenée au niveau modeste de AA+. RBC Gestion mondiale d’actifs Sur le marché obligataire, aucun des points chauds habituels que sont le marché monétaire, le marché des mises en pension, le marché de financement des banques et celui des titres d’organismes gouvernementaux n’a un tant soit peu manifesté de signe de détresse. Essentiellement, l’abaissement de la cote de la dette devrait avoir peu de conséquences négatives persistantes. Les raisons de la dégradation Nous estimons que trois facteurs ont provoqué cette révision à la baisse. Premièrement, le climat économique s’est quelque peu assombri : les récentes révisions ont révélé que la récession avait été plus grave que ce qui avait auparavant été constaté ; la reprise économique semble hésitante ; et les perspectives se sont détériorées. Deuxièmement, les États-Unis sont aux prises avec un très grave dysfonctionnement politique. Troisièmement, les niveaux d’endettement de l’État montent rapidement. Le dysfonctionnement politique Selon S&P, l’agence de notation qui a pris l’initiative d’abaisser la cote de solvabilité des États-Unis : «...les tergiversations politiques des récents mois soulignent que la gouvernance et l’établissement des politiques aux États-Unis deviennent moins stables, moins efficaces et moins prévisibles que nous le pensions auparavant. » Si les choix appropriés ont finalement été faits lors de l’adoption tardive de la loi qui a permis de relever le plafond de la dette et d’éviter la défaillance technique, l’attitude imprévoyante des politiciens représente certainement le risque le plus grand qui pourrait empêcher un retour de la situation financière et budgétaire des États-Unis sur la 2 | Repères économiques Figure 1 : Les États-Unis dominent toujours Les trois principales économies mondiales Pays Cote de la dette (S&P) É.-U. AA+ Chine AA- Japon AA- Les trois principaux marchés obligataires mondiaux Pays Cote de la dette (S&P) É.-U. AA+ Japon AA- Italie A+ Sources : Bloomberg, RBC GMA Figure 2 : La décote des É.-U. s’explique par un dysfonctionnement politique et non par l’endettement du pays 100 80 Ratio dette/PIB (%) de cette rétrogradation devrait être encore moindre, et cela pour deux raisons. D’abord, la note a été abaissée à AA+ et non à AA, et par une seule agence de notation. Ensuite, le dollar US jouit d’un statut particulier, car il est la monnaie de réserve mondiale. Cela confère aux États-Unis de nombreux avantages, dont la capacité d’accumuler une dette anormalement élevée (ou de subir une révision à la baisse de la qualité de sa dette) sans trop de conséquences. Il est encourageant de constater que la dette des États-Unis a toujours la cote la plus élevée des trois plus importantes économies mondiales. Il en va de même pour le statut de son marché obligataire, qui compte toujours parmi les trois premiers dans le monde (figure 1). L’Amérique reste le leader mondial. 92 % 69 % 70 % É.-U. France 60 40 20 0 R.-U. Nota : L’endettement correspond à la dette brute du gouvernement central (selon l’OCDE), qui équivaut à la dette publique du CBO. Sources : CBO, OCDE, FMI, RBC GMA voie de la viabilité. Pour illustrer à quel point les enjeux politiques se situent au cœur du problème, signalons que le Royaume-Uni et la France ont réussi à conserver leur note triple A malgré une dette plus lourde (figure 2) et des perspectives de croissance économique aussi ternes.1 Les freins et les contrepoids si essentiels au système politique américain ont bien servi le pays tout au long de son illustre histoire. Le système bicaméral et ses particularités américaines sont de nature à empêcher régulièrement l’adoption de lois, mais cela est souvent bénéfique, car les lois bâclées sont ainsi évitées. Il est difficile de contester le succès 1 Le Royaume-Uni a déjà mis en œuvre des mesures d’austérité budgétaire ; la France a été moins prompte et elle risque aussi de subir un léger abaissement de sa note, à moins qu’elle ne remédie à la situation. RBC Gestion mondiale d’actifs Toutefois, la dernière volute de fumée nocive projetée par le Congrès n’a pas été bénéfique. Elle a grandement terni la réputation de l’Amérique et la confiance du public dans l’économie. Le dysfonctionnement politique semble avoir empiré ces dernières années. Le relèvement du plafond de la dette, qui se faisait couramment tous les ans ou tous les deux ans – réalisé 38 fois depuis 1980 généralement sans difficulté (figure 3) – a récemment dégénéré en bataille partisane épique. En toute franchise, ce phénomène de dysfonctionnement n’est pas une particularité des États-Unis. Les politiciens européens n’ont pas fait beaucoup mieux ces dernières années avec leurs disputes au sujet des renflouements. À leur décharge, ils sont coincés dans une union monétaire imparfaite, et on leur demande de venir en aide non pas à leurs compatriotes mais à des partenaires internationaux. Qui plus est, ils le font, quoique mal. Alors, quel facteur fait en sorte qu’il est si difficile pour leurs cousins américains d’exécuter une opération – le relèvement du plafond de la dette – techniquement si simple ? Les divisions au sein du Congrès ne facilitent pas les choses : les républicains ont la main haute sur la Chambre des représentants tandis que les démocrates dominent le Sénat et la Maison-Blanche. Pour compliquer le tout, les républicains sont eux-mêmes divisés, car ils ont à composer avec une aile radicale qui demande un allègement de l’État et un maintien des impôts à leurs niveaux actuels, et elle semble disposée à mettre en péril l’économie pour arriver à ses fins. On pourrait arguer que le découpage tendancieux de la carte électorale a favorisé les candidats les plus radicaux et provoqué une raréfaction des politiciens modérés disposés à faire des compromis. Mais fondamentalement, le court cycle électoral de deux ans auquel est assujettie la chambre basse de même que les lois laxistes sur le financement des campagnes électorales empêchent de voir les problèmes à long terme et créent une dépendance à l’égard du financement des groupes d’intérêts particuliers, qui accroissent ainsi leur influence électorale. Les politiciens ont donc réussi à relever le plafond de la dette le 2 août, mais ils y sont arrivés en ayant recours au dénominateur commun le plus bas, de sorte que peu de choses ont été faites pour stabiliser la dynamique Figure 3 : Le plafond de la dette est relevé fréquemment Titres du Trésor américain en circulation (en billions de dollars) des États-Unis, qui restent sans conteste le moteur de l’innovation économique de la planète. 16 14 12 10 8 6 4 2 0 80 82 84 87 89 92 94 96 99 01 04 06 09 11 Chaque point représente une autorisation législative visant à relever le plafond de la dette des États-Unis. Sources : Trésor américain, RBC GMA Figure 4 : Les États-Unis sont davantage tributaires du marché des titres de créance que la plupart des autres pays Japon É.-U. Grèce Italie Portugal France Irlande Espagne Canada R.-U. Allemagne 29 56 24 23 22 20 20 19 19 16 11 0 10 20 30 40 50 Besoins de financement bruts en % du PIB pour 2011 60 Nota : On désigne les besoins en financement bruts comme la valeur des obligations à émettre, et ils dépendent à la fois de la taille du déficit et de l’échéance moyenne du stock de titres de créance. Sources : Bloomberg, FMI de l’endettement, et la confiance dans la capacité des politiciens de le faire s’en est trouvée diminuée. La hausse de la dette Le troisième facteur qui a mené à un abaissement de la cote de solvabilité des États-Unis est la tendance des finances du gouvernement américain. Pour une troisième année consécutive, les États-Unis s’enfoncent dans un déficit avoisinant les 10 % du PIB. Pour placer les choses en perspective, ce déficit est deux fois plus important que le pire de la difficile période des années 1980 sur le plan financier, et de loin le plus gros depuis la Seconde Guerre mondiale. Par rapport à ceux de pays comparables, ce déficit est énorme ; il surpasse celui du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la France Repères économiques | 3 RBC Gestion mondiale d’actifs et même celui du quatuor de nations en difficulté que forment la Grèce, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Seuls ceux du Japon et de l’Irlande s’en approchent. Figure 5 : Le déficit fédéral aux États-Unis demeure important en l’absence de mesures d’austérité Heureusement, le fardeau de la dette du gouvernement américain n’était pas exagérément lourd lorsque ce sombre épisode a commencé – et c’est la principale raison pour laquelle les États-Unis sont beaucoup moins en péril que la plupart des pays périphériques d’Europe.2 Mais la taille de la dette du gouvernement américain a pris de l’expansion depuis et sa dimension est évaluée par de nombreuses organisations et méthodologies. Ici, nous nous intéressons uniquement à la dette fédérale et n’examinons que la dette détenue par le public (à l’exclusion de celle que le gouvernement a contracté envers lui-même sous la forme notamment des titres du Trésor détenus par le Social Security Trust Fund). Le ratio dette/PIB qui en résulte s’établit à 69 %. Au départ, ce ratio semblait peu inquiétant. Mais il a doublé en l’espace de quatre ans – une vitesse insoutenable. Les États-Unis sont aussi capables d’enregistrer une croissance économique plus vigoureuse, et le fait qu’ils ont une économie souterraine relativement restreinte devrait accroître l’efficacité des mesures d’austérité gouvernementale annoncées. 0 -3 PRÉVISION -6 -9 -12 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 2011 2014 2017 2020 Dernier relevé en 2021 Sources : Autre scénario budgétaire du Congressional Budget Office (CBO) – politique actuelle, RBC GMA Figure 6 : Le ratio dette/PIB des États-Unis gonfle en l’absence de mesures d’austérité 100 80 Ratio dette/PIB (%) Aux États-Unis, contrairement au Japon, les ménages et les entreprises sont incapables de financer complètement les emprunts de leur gouvernement. Les investisseurs étrangers possèdent donc un peu plus de la moitié des titres du Trésor américain détenus par le public – un talon d’Achille frustrant pour un pays autrement si puissant. Le fait que la Chine – un pays alternativement perçu comme un ami et un adversaire étant donné les liens économiques approfondis et les ambitions géopolitiques potentiellement incompatibles – en détienne plus que tout autre pays étranger (environ 12 % au total) est loin d’être l’idéal. Solde budgétaire (% du PIB) 3 Comparativement à d’autres pays, les États-Unis ont aussi des besoins de financement anormalement élevés (figure 4). Ils doivent donc émettre plus d’obligations que tout autre pays à l’exception du Japon, compte tenu de la dimension de leur économie. Cela s’explique par l’importance du déficit et l’échéance de la dette, qui est plus courte que la moyenne. Ces facteurs rendent les ÉtatsUnis plus susceptibles de subir une période temporaire de mécontentement du marché. L’échéance moyenne des bons du Trésor y est de 5,3 ans, alors qu’elle est de 7,3 ans en France et d’une durée enviable de 13,8 ans au R.-U. 60 40 PRÉVISION 20 0 1990 1993 1996 1999 2002 2005 2008 2011 2014 2017 2020 Dernier relevé en 2021 Sources : OCDE, autre scénario budgétaire du CBO (politique actuelle), RBC GMA L’avenir s’annonce encore pire. Certes, le déficit devrait naturellement diminuer de moitié au cours des prochaines années étant donné l’expiration des programmes de relance, la croissance économique et l’ajustement des stabilisateurs automatiques. Mais sans efforts plus intenses, le déficit ne sera jamais entièrement résorbé : de fait, il recommencera à augmenter (figure 5) pour combler le trou apparemment sans fond creusé par les dépenses au titre de l’admissibilité aux prestations. Toute inaction se traduira par un gonflement du ratio dette/ PIB à 92 %3 en l’espace d’une décennie (figure 6). À l’heure actuelle, cela peut très bien s’avérer raisonnable, 2 4 | Repères économiques 3 Compte tenu du maintien des politique fiscales actuelles, de la fin des activités militaires outre-mer et d’une stabilité des coûts du programme Medicare. RBC Gestion mondiale d’actifs mais c’est une pente savonneuse, car la dette continue d’augmenter à un rythme de plus en plus rapide. La viabilité de la dette À l’heure actuelle, le Trésor consacre un petit pourcentage du total de ses dépenses au service de la dette : seulement 1,4 % du PIB, un creux jamais vu en 39 ans. La faiblesse sans précédent des taux d’intérêt rend le fardeau croissant de la dette supportable, une situation peu susceptible de changer beaucoup au cours des prochaines années. Ce qui changera la donne cependant, c’est l’augmentation de la dette et la probabilité d’une hausse des taux d’intérêt à moyen terme. Étant donné la tendance actuelle de la dette, le Trésor pourrait devoir dépenser deux fois plus (proportionnellement au PIB) au titre du service de la dette dans une décennie. Les pays ayant les dettes gouvernementales les plus lourdes ont tendance à souffrir d’une croissance économique plus lente.4 Un ratio dette/PIB à 90 % pourrait être, en quelque sorte, un seuil au-dessus duquel un pays risque de glisser dans une situation économique gênante. D’après certaines définitions de la dette plus alarmistes, les États-Unis ont déjà franchi les portes de l’enfer. Heureusement, notre mesure de prédilection (une mesure plus adéquate à cette fin) – à savoir la dette fédérale détenue par le public – donne à entendre que les États-Unis en sont encore à une certaine distance. Mais les projections de base indiquent clairement qu’ils s’acheminent dans cette direction. En réalité, il n’existe probablement pas de seuil magique d’endettement. L’énorme dette du gouvernement japonais le prouve. Contrairement aux États-Unis, le Japon a peu de dettes envers les investisseurs étrangers et il détient des avoirs importants hors du pays, tandis qu’un peu plus de la moitié de la dette publique des États-Unis est détenue par des investisseurs étrangers, et de façon disproportionnée par des banques centrales étrangères. Cela indique que les obligations américaines ont toujours fait l’objet d’une forte demande, mais il y a aussi un risque. Qu’arriverait-il si les investisseurs étrangers cessaient de les acheter – ou pire – s’ils commençaient à les Les mécanismes de transmission et le lien de causalité font encore l’objet de questionnements importants, et il y a aussi un certain degré d’incertitude quant à savoir si le rythme plus lent de la croissance est une simple conséquence temporaire de la mise en œuvre de mesures d’austérité budgétaire visant à réduire la dette de ces pays. Mais le message fondamental est clair : un lourd fardeau de la dette ne crée pas des conditions propices à la croissance. 4 vendre ? En fait, nous avons déjà constaté que cela se produit un peu. La Chine semble avoir réduit son taux d’accumulation et, ces dernières années, plusieurs pays se sont tournés vers des pays moins endettés comme l’Australie et le Canada pour y faire une partie de leurs achats. Mais l’ampleur de ce changement devrait être limitée et ses conséquences, assez négligeables. D’abord, nous savons que les banques centrales ont tendance à être moins inconstantes dans leurs investissements que la plupart des autres investisseurs. La Chine et le Japon sont, et de loin, les plus importants porteurs de titres d’emprunt étrangers et ils détiennent des titres du Trésor américain pour des raisons tout à fait pragmatiques. Leurs achats empêchent leur monnaie de s’apprécier et fournissent à leurs économies marchandes des conditions d’accès avantageuses aux acheteurs américains. Pour ce qui est des solutions de rechange, on ne voit pas comment la Chine pourrait investir les centaines de milliards de dollars de ses réserves ailleurs sans perturber le marché. Aucun des autres importants marchés obligataires du monde n’est en bien meilleure forme. Ensuite, nous savons que le marché des titres du Trésor américain fait l’objet d’une demande très élastique. En conséquence, la disparition d’un important acheteur n’exigerait qu’une légère hausse de taux pour attirer une demande de substitution. Cela a été parfaitement démontré lorsque la Réserve fédérale américaine a cessé ses gigantesques achats en juin sans que le marché obligataire en soit sensiblement touché. Néanmoins, malgré l’absence d’un seuil absolu de viabilité bien défini, le simple fait que le ratio d’endettement des États-Unis entre dans un territoire inexploré depuis la période d’après-guerre des années 1943 à 1950 est une raison suffisante pour faire preuve de prudence et, espérons-le, pour remédier à la situation. Un catalyseur utile La débâcle provoquée par la question du plafond de la dette et la tentative peu convaincante de procéder à une réforme budgétaire qui a suivi ont donné lieu essentiellement à de mauvaises nouvelles. Mais cela pourrait receler quelques bonnes nouvelles. Parfois, un événement perturbateur – dans ce cas-ci, un abaissement de la cote de solvabilité – peut être le plus efficace des incitatifs pour régler un problème de longue date. Repères économiques | 5 RBC Gestion mondiale d’actifs La deuxième mesure nécessaire veut que naisse la volonté de régler le problème. Des progrès ont été accomplis à cet égard. Les attitudes ont déjà beaucoup changé depuis 2002, année où l’on estimait que les « déficits n’ont pas d’importance ». À présent, chacun a une proposition à faire. Pendant les campagnes présidentielles précédentes, personne n’osait discuter de la dangereuse « troisième voie », à savoir une réforme des programmes d’admissibilité aux prestations. À l’heure actuelle, ce sujet fait l’objet de nombreux débats. Il en va de même pour le financement des activités militaires. Certes, l’esprit de parti limite la capacité de trouver une solution, mais certains compromis se sont avéré possibles. Il y a moins d’un an, une commission bipartite nommée par la Maison-Blanche a fait des recommandations radicales qui ramèneraient le budget des États-Unis dans une trajectoire viable. Il est possible d’en arriver à un compromis. Les décideurs politiques réfractaires aux compromis pourraient changer d’avis à la lumière de sondages récents. Près de 80 % des répondants à un récent sondage ont affirmé que le débat sur le plafond de la dette a amoindri leur confiance envers les politiciens (figure 7), qui ont maintenant une image plus négative et d’autant plus défavorable s’ils ont adopté la ligne dure dans les négociations. Dans l’ensemble, seuls 17 % des Américains affirment vouloir réélire leur représentant au Congrès. Comme les prochaines élections auront lieu dans à peine plus d’un an, cette attitude devrait inciter les politiciens actuels comme les nouveaux à plus de compromis. La troisième mesure à prendre consiste à régler efficacement le problème. Il reste beaucoup de travail à faire à cet égard. Mais pour reprendre une citation célèbre de Winston Churchill : « On peut toujours compter sur les Américains pour faire les bons choix... après qu’ils ont épuisé toutes les autres possibilités. » Il y a donc encore de l’espoir. Les solutions budgétaires Ce gâchis budgétaire peut-il être réparé ? Oui, il peut l’être. La dette peut encore être gérée ; l’économie 6 | Repères économiques Figure 7 : Le dysfonctionnement politique ne sera pas sanctionné par les électeurs. 100 % 77 % 80 % 60 % 40 % 25 % 20 % 0% 1) % qui déclarent avoir moins confiance dans les politiciens après le débat sur le plafond de la dette Républicains 2) 19 % Tea Party 9% 6% Démocrates Le président Barack Obama % net de répondants qui affirment avoir une plus mauvaise opinion des personnes ou partis ci-dessus après le débat sur le plafond de la dette 1) Source : Sondage Marist, du 2 au 4 août 2011 2) Source : Ipsos, du 4 au 8 août 2011 Figure 8 : Au cœur du problème Croissance réelle annualisée des dépenses publiques de 1970 à 2010 (%) La première mesure à prendre pour trouver une solution au problème budgétaire consiste à reconnaître l’existence de ce problème. C’est ce qui s’est produit grâce au tollé qu’ont suscité les questions du plafond de la dette et de l’abaissement de la cote de solvabilité. 6% 5% 5% 4% 3% 2% 1% 1% 0% Dépenses discrétionnaires Admissibilité aux prestations Sources : Kleiner Perkins Caufield & Byers (KPCB), Haver Analytics, RBC GMA américaine est plus en mesure de croître que celle de la plupart des pays comparables au cours de la prochaine décennie ; et plusieurs comités ont déjà fait des recommandations sérieuses qui permettraient d’y arriver. Mais il n’existe pas de solution facile. Ainsi, la plupart des mesures d’austérité proposées visent exclusivement des compressions dans la catégorie des dépenses discrétionnaires non liées à la défense. Cette catégorie est un fourre-tout englobant n’importe quoi sauf les programmes d’admissibilité aux prestations (sécurité sociale, Medicare/ Medicaid, assurance emploi, etc.) et les dépenses liées à la défense. Mais les Américains auront beau réduire de toutes les façons inimaginables les dépenses discrétionnaires non liées à la défense, ils ne règleront pas ainsi le problème du déficit budgétaire, parce que cette catégorie comprend d’importants programmes tels que l’éducation, la justice RBC Gestion mondiale d’actifs Pour donner une idée de l’envergure des ajustements requis, même une solution radicale qui éliminerait complètement un programme comme la sécurité sociale, Medicare/Medicaid ou la défense ne suffirait pas à résorber entièrement le déficit actuel (figure 10). Un effort plus gros et plus étendu est nécessaire. Une hausse des impôts qui toucherait uniquement les gens fortunés serait elle aussi insuffisante. Il faudrait que les deux tranches d’imposition les plus élevées (appliquées aux contribuables ayant un revenu de 174 400 $ ou plus), qui sont de 33 % et 35 %, grimpent à environ 85 % et 90 %. Cela nuirait à l’économie et constituerait une recette infaillible pour envoyer les entreprises et l’élite culturelle dans les paradis fiscaux. De fait, il est assez évident que toute combinaison des compressions possibles dans les dépenses ne permettra pas, à elle seule, de réaliser les économies nécessaires et que les hausses d’impôts seront, elles aussi, insuffisantes à elles seules. Une combinaison des deux sera nécessaire, l’accent devant être mis sur les réductions des dépenses. C’est sans doute ceci qu’il faudrait faire : le budget de 2010 indique que les dépenses dépassent de 2,7 points de pourcentage leur norme historique, tandis que les recettes sont de 3,1 points de pourcentage en deçà de la leur (figure 11). Une normalisation des dépenses et des recettes s’impose. Historiquement, c’est aussi ce qui a assuré l’efficacité des mesures d’austérité. La croissance économique est absolument essentielle à la gestion d’un lourd fardeau de la dette ; or, l’économie américaine est en meilleure position que celle de la plupart des autres pays pour réaliser cela étant donné sa situation démographique favorable et sa culture d’entreprise axée sur l’innovation. L’essentiel, c’est la croissance, car Figure 9 : Ventilation des dépenses publiques aux États-Unis en 2010 Programmes Medicare et Medicaid Défense 19 % 22 % Remboursement des intérêts 6% Sécurité sociale 19 % 18 % Autres dépenses discrétionnaires 17 % Chômage et autres prestations Sources : CBO, RBC GMA Figure 10 : Financement des dépenses publiques – 2010 Revenu du gouvernement 33 % 67 % Emprunts Sources : Trésor américain, RBC GMA Figure 11 : Déséquilibre des finances publiques aux États-Unis : il faut agir sur deux plans 27 Le gouvernement dépense trop Recettes fédérales Dépenses fédérales 24 % du PIB et les transports, mais aussi parce qu’elle a déjà fait l’objet de compressions de sorte qu’elle n’a représenté que 1 % de la croissance annuelle réelle des dépenses au cours des quatre dernières décennies, par rapport à 5 % de la croissance réelle annualisée pour les programmes d’admissibilité aux prestations (figure 8). Cela s’explique également par le fait que les dépenses discrétionnaires non liées à la défense ne représentent que 18 % du total des dépenses de l’État (figure 9). Leur élimination totale ne permettrait donc pas d’équilibrer le budget. Une réforme de la défense et des programmes d’admissibilité aux prestations devra faire partie de la solution. 21 Moy. historique des dépenses de1980 à 2010 : 21% La solution se trouve entre les deux 18 15 Les recettes gouvernementales sont insuffisantes 12 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Sources : Office of Management and Budget, RBC GMA Repères économiques | 7 RBC Gestion mondiale d’actifs Figure 12 : De nouvelles mesures d’austérité budgétaire sont nécessaires Réduction du déficit de 2012 à 2021 (en billions de dollars) chaque 1/10 de point de pourcentage supplémentaire de croissance économique annualisée retrancherait presque 300 milliards de dollars au déficit cumulatif au cours de la prochaine décennie. Par contre, il est impossible d’affranchir l’économie des difficultés budgétaires sans adopter des mesures d’austérité. Il faudrait que le taux annuel de croissance réel du PIB soit supérieur à 4,5 % pendant une décennie – ce qui est nettement impossible. Alors, de toute évidence, pour être efficace, la solution budgétaire devra avoir les caractéristiques suivantes : 1. Faire durement sentir ses effets dans de larges segments de la société américaine ; 2. Toucher à la fois les programmes de dépenses discrétionnaires et d’admissibilité aux prestations ; 8 7,5 B$ 6 5 B$ 4 2,4 B$ 2 0 Accord sur le plafond de la dette Fonds nécessaires pour stabiliser le ratio dette/PIB à 70 % d'ici 10 ans Fonds nécessaires pour ramener le ratio dette/PIB à 60 % d'ici 10 ans Sources : CBO, RBC GMA 3. Prévoir à la fois des réductions de dépenses et des hausses d’impôts. Les mathématiques budgétaires Aux termes de l’accord sur le relèvement du plafond de la dette, un groupe de 12 membres du Congrès a été désigné pour former la commission spéciale bipartite du Congrès sur la réduction du déficit. Le mandat de cette commission est de réaliser une réduction du déficit d’au moins 1,5 billion de dollars au cours des dix prochaines années en plus des 917 milliards déjà prévus. Sa date butoir est le 23 novembre 2011. D’un point de vue politique, ce sera difficile. Six républicains et six démocrates, dont certains sont assez radicaux, siègent à ce comité. Heureusement, quelques idéologues puristes ne peuvent pas, à eux seuls, invalider l’entente conclue : les recommandations du comité ne doivent recevoir l’appui que de sept voix sur douze. Il faudra des concessions et du courage pour que les membres du comité trouvent une solution acceptable pour tous. La question de la hausse des impôts peut plus particulièrement faire obstacle : 85 % des républicains siégeant au Sénat et 97 % des républicains siégeant à la Chambre se sont engagés à ne pas hausser les impôts. Heureusement, ils seront fortement incités à trouver une solution : un échec activerait un mécanisme de réduction générale des dépenses d’un montant total de 1,2 billion de dollars.5 Les États-Unis ont absolument besoin de réduire leur déficit d’au moins 5 billions de dollars au cours de la prochaine décennie simplement pour stabiliser le ratio de la dette et d’environ 7,5 billions pour ramener le ratio dette/PIB à un niveau plus sain de 60 % (figure 12). Dans le meilleur des cas, les ajustements budgétaires proposés par le comité ne permettront d’atteindre qu’un peu moins de la moitié de l’objectif le moins ambitieux. D’autres mesures d’austérité budgétaire seront nécessaires, mais l’on peut difficilement envisager qu’elles puissent être adoptées avant les élections de 2012, à moins que les agences de notation fassent pression sur les décideurs politiques. Il faudra encore des années avant qu’une solution complète ne soit appliquée. Les conséquences économiques Comment se comportera l’économie ? Les mesures d’austérité budgétaire entravent toujours la croissance économique. Puisque nous prévoyons que le déficit sera ramené de près de 10 % du PIB à environ 4 à 6 % du PIB au cours des prochaines années, cette compression budgétaire diminuera sans doute la croissance économique (figure 13) d’au moins un point de pourcentage en 2012 et d’un peu moins en 2013. Cela ralentira sensiblement le rythme de croissance économique envisageable et laisse présager que le PIB réel pourra difficilement augmenter de plus Malheureusement, il semble que les politiciens pourront invalider cette disposition si les négociations achoppent (bien que S&P ait menacé d’abaisser encore la cote de solvabilité – vraisemblablement à AA – le cas échéant). 5 8 | Repères économiques RBC Gestion mondiale d’actifs Il y a à peine quelques mois, on pouvait croire que les ÉtatsUnis pourraient lancer un autre important programme de relance budgétaire. À présent, cela semble plus improbable, car les agences de notation ont apparemment rendu ce choix impossible, ce qui assombrit les perspectives. Figure 13 : Les effets de la politique budgétaire deviendront négatifs en 2012 Incitatifs budgétaires (% du PIB) de 2 à 3 % au cours des prochaines années – malgré les stimulants monétaires, une baisse des prix des produits de base et un billet vert relativement faible. En outre, les perspectives de reprise s’en trouvent amoindries. Un pareil taux de croissance ne permet pas de faire beaucoup plus que maintenir le taux de chômage et l’utilisation de la capacité à leurs niveaux actuels. Ils ne vont pas se détériorer, mais ils ne vont pas beaucoup progresser. 8 PRÉVISION Polit. stimulante 6 La fin des mesures de stimulation budgétaire nuira à la croissance du PIB 4 2 0 -2 -4 Polit. restrictive 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Sources : Autre scénario budgétaire du CBO (politique actuelle), RBC GMA Les politiciens essaieront encore de reporter autant que possible les mesures d’austérité, à la fois pour servir leurs intérêts politiques à court terme et pour ménager la fragile reprise économique. Mais, même sans l’application active de nouvelles mesures d’austérité au cours des prochaines années, le simple dénouement des programmes de relance antérieurs et l’ajustement des stabilisateurs automatiques suffiront à entraver largement la croissance au cours des prochaines années. En guise de consolation, il faut comprendre que si l’omission de relever ces défis budgétaires se traduit temporairement par une croissance économique plus rapide parce que non freinée par des mesures d’austérité, une telle stratégie aurait presque certainement un coût énorme, qu’il faudra payer plus tard. C’est triste à dire, mais le choix de la croissance maximale a peut-être déjà été fait. Conclusion L’abaissement de la cote de solvabilité des États-Unis attire l’attention sur le principal défi qu’aura à relever ce pays au cours des prochaines années : la nécessité pour le gouvernement fédéral de revenir à l’équilibre budgétaire. Mathématiquement, cela peut sans aucun doute se faire dans la mesure où est adoptée une approche pragmatique combinant d’importantes réductions des dépenses et de légères hausses d’impôts, ainsi qu’une diminution des dépenses discrétionnaires et une réforme des programmes d’admissibilité aux prestations. Diverses approches prometteuses sont décrites en annexe. Il s’agit avant tout de savoir s’il y a une volonté politique de prendre des mesures si radicales. Le dysfonctionnement récent incite fortement à en douter. Nous croyons que le coup de fouet qu’ont donné les agences de notation en abaissant la cote de crédit et le changement d’attitude du public pourraient suffire à pousser les politiciens à adopter d’abord la solution partielle envisagée cet automne et, après les élections de 2012, une solution plus complète qui comprendrait les compressions de 5 à 7,5 billions de dollars nécessaires. Mais il est encore très incertain que cela se fera, et si les politiciens constatent qu’une cote de solvabilité de AA+ n’a pas de conséquences négatives – ce qui est assez probable étant donné le rôle unique des ÉtatsUnis à titre de fournisseur de la devise des réserves mondiales –, ils pourraient être tentés de relâcher les freins budgétaires, surtout si la reprise économique reste hésitante. Il est peu probable qu’il en résulterait quoi que ce soit qui puisse ressembler à un défaut de paiement, mais cela en augmenterait la probabilité. Entre-temps, les premiers programmes de relance budgétaire arriveront à terme en 2012 et en 2013, et l’économie américaine aura de la difficulté à enregistrer une croissance robuste tant que durera cette transition. Les perspectives du marché s’en trouveront aussi assombries, ce qui donne à entendre que les rendements boursiers seront plus maigres et les taux de rendement des obligations à long terme, plus faibles. Repères économiques | 9 RBC Gestion mondiale d’actifs ANNEXE : Les choix politiques C’est une tâche titanesque, mais il existe différentes façons de stabiliser et même de renverser la dynamique de l’endettement aux États-Unis. Plusieurs groupes ont cherché ardemment des solutions et expliqué dans des centaines de pages de texte les multiples mesures à prendre pour en arriver à une situation budgétaire viable sans provoquer de perturbations excessives. Mentionnons notamment la commission nationale bipartite pour la responsabilité et la réforme budgétaires de la Maison-Blanche, le document « Restoring America’s Future » du Bipartisan Policy Center et même d’excellents ouvrages réalisés par le secteur privé tels que « USA Inc. » de Kleiner Perkins Caufield & Byers’s. Des propositions moins exhaustives mais aussi intéressantes ont été formulées par la Maison-Blanche et par divers sénateurs et représentants à l’approche de la date butoir pour le relèvement du plafond de la dette. Au delà de ces efforts, il y a certains principes fondamentaux à respecter. Premièrement, il faut éviter d’entraver la reprise économique. Concrètement, cela signifie alléger les mesures d’austérité. C’est là un choix dangereux, admettons-le, étant donné le risque que la volonté politique ne soit plus au rendez-vous lorsqu’un nouveau groupe de politiciens se trouvera aux prises avec des mesures d’austérité douloureuses adoptées par leurs prédécesseurs. Deuxièmement, il faut, autant que possible, adopter des politiques favorisant la croissance économique et la compétitivité. Troisièmement, il faut protéger les démunis – ne pas abolir les programmes qui combattent la pauvreté ou la maladie. Quatrièmement, il faut réduire impitoyablement les dépenses dans tous les autres domaines. Dans les paragraphes qui suivent, nous avons mentionné quelques-unes des options les plus importantes et les plus prometteuses. Les recettes Personne n’aime les hausses d’impôts. Toutefois, d’après les normes – internationales ou historiques – les Américains ne paient pas trop d’impôts. Il sera difficile de combler les besoins budgétaires à long terme sans hausser les impôts, mais il ne faut le faire que modérément. Des sondages récents indiquent que les Américains sont beaucoup plus disposés à accepter des hausses d’impôts que les politiciens semblent le réaliser. Par exemple, 68 % des Américains sont en faveur d’une hausse du taux 10 | Repères économiques Figure 14 : Les Américains sont favorables à des hausses d’impôt 80 % 70 % 60 % 50 % 40 % 30 % 20 % 10 % 0% 1) 68 % 68 % 19 % % de répondants favorables à des hausses d'impôt pour les contribuables dont le revenu est supérieur à 250 000 $ % des répondants qui sont d'avis que les hausses d'impôt font partie de la solution % des répondants qui n'appuient que la rationalisation des programmes de dépenses 2) 1) Source : Sondage Marist, du 2 au 4 août 2011 2) Source : Ipsos, 25 juillet 2011 d’imposition des personnes ayant un revenu annuel supérieur à 250 000 $ (figure 14). Il ne semble pas qu’ils veulent simplement refiler les hausses d’impôts à d’autres (aux gens fortunés), car un autre sondage indique que seuls 19 % des Américains veulent à tout prix que le gouvernement se contente de réduire les dépenses et qu’ils estiment dans une proportion de 68 % que les hausses d’impôts font partie de la solution. Différentes mesures peuvent être prises. La plus simple consiste à laisser expirer le dernier programme de réduction des impôts (adopté initialement par Bush, puis prolongé par Obama l’automne dernier) à la date prévue, soit à la fin de 2012. L’énorme économie ainsi réalisée au cours de la prochaine décennie se chiffrerait à 4 billions de dollars. Sans cela, il est difficile de stabiliser la dynamique de l’endettement. L’impôt sur le revenu des particuliers peut aussi être ajusté de façon plus subtile par un ralentissement du rythme d’indexation des tranches d’imposition, lesquelles seraient fixées d’après une mesure plus faible (et techniquement plus précise) de l’inflation telle que l’IPC en chaîne. L’assujettissement des gains en capital et des dividendes à l’impôt au même taux que le revenu des particuliers est une manière intéressante d’augmenter les recettes. Ainsi seraient abolies certaines distorsions du système telles que le niveau extraordinairement bas d’imposition des gestionnaires de fonds spéculatifs et le fait que Warren Buffet affirme payer moins d’impôts que sa secrétaire. RBC Gestion mondiale d’actifs L’application progressive d’une taxe de vente de 10 % sur une décennie générerait plus de 5 billions de dollars de recettes supplémentaires et approcherait beaucoup le gouvernement d’une gestion viable. Les économistes estiment que les taxes de vente sont les formes d’imposition les plus efficaces – elles encouragent les investissements qui stimulent la productivité et elles entravent moins la croissance économique. Les États-Unis sont vraiment l’un des rares pays à ne pas avoir de taxe de vente fédérale ; une telle taxe permettrait vraisemblablement de baisser les autres taux d’imposition – ceux des particuliers et des entreprises. Les politiciens pourraient faire d’une pierre deux coups en réglant des problèmes liés à l’écologie et à la santé tout en haussant les recettes de l’État par des taxes supplémentaires sur le carbone, l’essence, l’alcool, le tabac et même les aliments malsains. Le taux d’imposition des sociétés pourrait être abaissé, et contre toute attente, cela engendrerait possiblement des gains. Les États-Unis appliquent aux sociétés le taux d’imposition le plus élevé des pays développés, mais en tirent des recettes inférieures à la moyenne internationale, et ce n’est pas parce que les entreprises sont moribondes. Au contraire, les entreprises américaines restent des moteurs mondiaux. Pour éviter le fisc américain, les sociétés choisissent plutôt de réaliser leurs profits outremer. Une diminution du taux d’imposition des sociétés pourrait, de fait, augmenter les recettes de l’État. Peu de ces choix sont susceptibles d’être populaires. Toutefois, les hausses d’impôts semblent nécessaires. Le fait de retarder ces décisions difficiles les rendra encore plus radicales et impératives plus tard. Les crédits d’impôt L’élimination d’un grand nombre des crédits d’impôt dont est criblé le code des impôts des États-Unis représente une énorme possibilité de réaliser des économies. Le plus important de ces crédits, la déductibilité des intérêts sur les créances hypothécaires, coûte au gouvernement plus de 100 milliards de dollars par année (1 billion de dollars pour la prochaine décennie) ; il est en partie responsable des excès commis sur le marché de l’habitation dans les années 2000 et il dissuade les Américains de rembourser leur hypothèque. Ce programme devrait certainement être peu à peu retiré, et cela d’autant plus que le marché de l’habitation est actuellement morose. Il devrait, au moins, être progressivement supprimé pour les résidences secondaires et les créances hypothécaires d’un montant supérieur à un certain seuil. Les dépenses discrétionnaires autres que la défense Les politiciens se sont déjà penchés sur les dépenses discrétionnaires, bien que cette catégorie ait enregistré une croissance beaucoup moins rapide que les dépenses consacrées aux prestations au cours des 40 dernières années. On a déjà pris l’engagement de retrancher 917 milliards de dollars de cette catégorie au cours des dix prochaines années. C’est sans doute insuffisant. Les plafonds des dépenses discrétionnaires doivent être abaissés plus énergiquement. Il ne suffit pas d’en limiter la croissance au taux d’inflation ou même de les laisser à leur niveau actuel. Les dépenses discrétionnaires devront probablement être réduites en valeur absolue. Dans cette catégorie plus que dans toute autre, il est difficile de généraliser. Il existe divers types de programmes dont certains sont essentiels, d’autres, moins. Heureusement, le besoin de subventions à l’agriculture s’est fait moins pressant à mesure qu’ont augmenté les prix des aliments. Les subventions pour l’éthanol devraient aussi être abolies, car elles reflètent une politique néfaste pour l’environnement et le budget, et elles constituent une taxe sur les aliments puisqu’elles engendrent une hausse du prix du maïs. La fonction publique devra subir des ponctions, idéalement par attrition. Il est sans doute préférable d’attendre au moins jusqu’en 2013 pour le faire afin de permettre à la faible reprise actuelle de se raffermir. La défense On prévoit déjà une diminution des coûts de la défense puisque les guerres en Irak et en Afghanistan tirent à leur fin. Les dépenses liées à la défense représentent plus de la moitié de l’ensemble des dépenses discrétionnaires et 19 % du budget total ; elles ne peuvent pas échapper aux compressions. Les chefs militaires se sont étonnamment montrés ouverts. Le chef d’état-major des armées, l’amiral Michael Mullen, a affirmé ceci : « La plus grande menace pour notre sécurité nationale, c’est notre dette. » Repères économiques | 11 RBC Gestion mondiale d’actifs La sécurité sociale La sécurité sociale est dans une catégorie particulière. Ce programme essentiel pour de nombreuses personnes âgées ne peut pas être radicalement réduit. À l’heure actuelle, il s’autofinance grâce aux ajustements faits au début des années 1980 et ne sera déficitaire que dans environ cinq ans. Mais, d’un point de vue opérationnel, il ne sera pas autosuffisant, loin s’en faut, pour les 75 prochaines années – ce qui est la norme de viabilité. Si aucun changement n’y est apporté, le Congressional Budget Office (CBO) prévoit qu’il faudra réduire les prestations de sécurité sociale d’un cinquième à compter de 2037. Le problème fondamental tient au fait que le programme de sécurité sociale a été adopté en 1935, une époque où la durée de vie moyenne des Américains était de 64 ans, et qu’il prévoyait le début du service des prestations à 65 ans. À présent, le service des prestations commence à 67 ans, mais la durée de vie moyenne des Américains s’est allongée de plus d’une décennie. Divers ajustements peuvent être apportés à ce régime. À l’heure actuelle, les particuliers ne versent pas de cotisations au régime de sécurité sociale sur leur tranche de revenu excédant 106 000 $. Un calcul des cotisations sur le revenu personnel total, quel qu’en soit le montant, règlerait le problème de la sécurité sociale d’un seul coup. Par ailleurs, la sécurité sociale pourrait être en partie liée aux ressources. Un relèvement de l’âge de la retraite serait une autre option. L’âge de la retraite pourrait être ajusté périodiquement en fonction de l’augmentation de l’espérance de vie et donner lieu, possiblement, à un relèvement de deux ans vers 2075. Ou bien, si les premières prestations versées aux futurs rentiers étaient indexées en fonction de l’inflation plutôt qu’en fonction du taux d’augmentation des salaires, 12 | Repères économiques les problèmes du régime de sécurité sociale seraient instantanément réglés. Enfin, si l’indexation des prestations déjà versées était arrimée non pas à l’IPC traditionnel mais à l’IPC en chaîne, qui est plus bas (et plus précis), le tiers du déficit du régime de sécurité sociale s’en trouverait éliminé. Medicare et Medicaid Une explication détaillée des stratégies d’épargne dans le domaine des soins de santé sort du cadre du présent rapport et représente en quelque sorte un Saint-Graal pour les politiciens du monde entier. Les coûts croissants des soins de santé représentent, plus que tous les autres, un grand défi budgétaire. Toutefois, les États-Unis sont sans doute mieux placés que bien d’autres pays pour réduire les coûts des soins de santé. Bien que les dépenses par habitant des États-Unis en soins de santé soient trois fois plus élevées que celles de la moyenne des pays de l’OCDE et deux fois plus élevées que cette moyenne compte tenu du PIB, les Américains sont généralement en moins bonne santé et vivent moins longtemps que la population de nombreux autres pays développés. Il en ressort clairement que le système des soins de santé des États-Unis est inefficace. Il y a sûrement de grandes économies à réaliser dans le mode de prestation des soins, dans la création de mesures d’incitation et dans une réforme de la responsabilité. Le Congressional Budget Office a fait 38 recommandations dans le domaine des soins de santé, y compris une légère hausse de l’âge de l’admissibilité à Medicare et l’obligation pour les sociétés de payer pour l’assurance fournie par l’État lorsqu’elles ne fournissent pas elles-même d’assurance à leurs employés. Une autre possibilité serait de lier Medicare aux besoins, à l’instar de Medicaid. RBC Gestion mondiale d’actifs Le présent rapport a été préparé par RBC Gestion mondiale d’actifs Inc. (RBC GMA) à titre d’information seulement et ne doit pas être reproduit, distribué ou publié sans le consentement écrit préalable de RBC GMA. Les renseignements y figurant ne constituent pas des conseils juridiques, comptables, fiscaux, financiers, ni des conseils de placement ou autres, et ne devraient pas être considérés comme tels. RBC GMA prend des mesures raisonnables pour fournir des renseignements à jour, exacts et fiables, et croit qu’ils le sont au moment de leur impression. En raison de la possibilité que survienne une erreur humaine ou mécanique ainsi que d’autres facteurs, notamment des inexactitudes techniques et des erreurs ou omissions typographiques, RBC GMA décline toute responsabilité à l’égard des erreurs ou des omissions que pourrait contenir le présent document. 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Ces facteurs comprennent notamment les facteurs généraux d’ordre économique et politique ou liés au marché du Canada, des États-Unis et du monde entier, les taux d’intérêt et les taux de change, les marchés mondiaux des actions et des capitaux, la concurrence, les évolutions technologiques, les changements législatifs et réglementaires, les décisions judiciaires et administratives, les actions en justice et les catastrophes. La liste de facteurs essentiels ci-dessus, qui peut avoir une incidence sur les résultats futurs, n’est pas exhaustive. Avant de prendre une décision de placement, nous vous invitons à prendre en compte attentivement ces facteurs et les autres facteurs pertinents. Toutes les opinions contenues dans les déclarations prospectives sont sujettes à changement sans préavis et sont fournies de bonne foi mais sans responsabilité légale. ® Marque déposée de la Banque Royale du Canada. RBC Gestion mondiale d’actifs est une marque déposée de la Banque Royale du Canada. 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