Internaliser le prix du carbone dans
les portefeuilles d’hydrocarbures
Risques et opportunités du changement climatique pour les actifs
amont des compagnies pétrolières et gazières
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Etude de durabilité du secteur de l’énergie
Sommaire
Synthèse
1. La décarbonisation nécessaire de l’économie
1.1 Des tendances énergétiques et en matière d’émissions insoutenables à terme
1.2 Une transition nécessaire vers un avenir à faible teneur en carbone
2. Les énergies fossiles : des profils de carbone différenciés
2.1 Quelles sont les intensités en CO2e des énergies fossiles pendant leur cycle de vie complet ?
2.1.1 Des émissions en amont supérieures pour les projets plus complexes
2.1.2 Des émissions totales similaires dans le secteur médian et en aval
2.1.3 Des émissions liées à la combustion finale moins importantes pour le gaz naturel
2.2 Résultats des émissions de GES pendant le cycle de vie complet
3. Des réglementations en matière de CO2 de plus en plus strictes pour les compagnies pétrolières et gazières
3.1 Tendances en matière de réglementation du CO2 au niveau régional et mondial
3.2 Outils de réglementation spécifiques relatifs au climat visant les entreprises du secteur de l’énergie
3.2.1 Régimes de plafonnement et d’échange de droits d’émission de GES (et autres taxes sur le carbone…)
3.2.2 Normes sur les carburants à faible teneur en carbone (et autres normes en matière d’énergie…)
4. Dans quelle mesure le changement climatique modifie-t-il le panorama des investissements pour les actifs en amont ?
4.1 Un effet limité mais croissant sur la demande des énergies fossiles
4.2 Les prix des marchandises intègrent-ils l’intensité en GES de celles-ci ?
4.3 Déterminer le prix pour le carbone modifiera l’économie des projets en amont
4.3.1 L’économie en amont devrait intégrer le coût du carbone
4.3.2 Quel coût pour le carbone ?
4.3.3 L’impact du carbone sur l’économie de projets en amont
5. Déterminer le prix pour le carbone dans plusieurs portefeuilles européens en amont
5.1 Cadre d’analyse d’un portefeuille en amont
5.1.1 Approche en amont : la source d’approvisionnement d’origine des énergies fossiles
5.1.2 L’intensité en GES de plusieurs portefeuilles européens en amont
5.2 Une prime de valorisation pour les portefeuilles en amont moins intenses en carbone
5.3 Quels sont les éléments de passif GES des 230 portefeuilles ?
5.3.1 Elaboration d’un modèle et hypothèses
5.3.2 Importants éléments de passif liés aux GES associés à la production 2020e
5.3.3 Conclusion : transition vers des modèles d’activité moins intensifs en carbone
Sources
Back to Sustainable Value Creation: Towards a Low-Carbon Future
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Synthèse
Une décarbonisation nécessaire de l’économie – Des tendances d’émissions de gaz à effet de serre (GES)
insoutenables à terme font de la décarbonisation de l’économie une condition sine qua non pour éviter le changement
climatique. Alors qu’il reste moins de huit mois pour parvenir à un accord post-Kyoto à Copenhague, d’importantes
négociations internationales relatives au climat sont en cours. Au même moment, l’économie mondiale est confrontée à
la récession économique la plus grave qu’elle ait vécue depuis plusieurs décennies.
Des énergies fossiles moins intensives en GES ? – La présente étude traite de la période de transition pendant
laquelle les énergies fossiles vont combler l’écart qui nous sépare d’un avenir à faible teneur en dioxyde de carbone.
Tous les hydrocarbures ont un fort contenu en carbone et vont faire face à des défis de plus en plus importants.
Néanmoins, les entreprises du secteur de l’énergie peuvent positionner leur portefeuille amont sur des énergies fossiles
produisant plus ou moins de GES. D’après nos estimations, les émissions de GES du cycle de vie du gaz naturel sont les
plus faibles (23 % de moins que le pétrole et 48 % de moins que le charbon). Les émissions de GES du cycle de vie du
pétrole brut lourd sont supérieures de 18 % à celles du pétrole brut léger/moyen et de 53 % à celle du gaz naturel.
Des réglementations carbone plus strictes pour les compagnies pétrolières et gazières
Alors qu’on ne connaît toujours pas avec certitude la part exacte de la chaîne de valeur des entreprises du secteur de
l’énergie qui devrait être la plus touchée par les réglementations carbone, des régles plus strictes devraient peser sur la
plupart des compagnies pétrolières et gazières. Etant donné l’intégration croissante d’un prix associé aux émissions de
GES à travers le monde, la demande pour les énergies faibles en carbone devrait s’accroître et celles-ci devraient
bénéficier d’une prime à long terme.
La rentabilité des projets amont confrontée au coût du CO2 – La rentabilité économique des projets amont
sera de plus en plus confrontée aux coûts liés aux émissions de CO2. Des prix du carbone plus élevés dans le futur vont
modifier l’attractivité relative des énergies à fort ou faible contenu en carbone, ce qui devrait accroître l’attrait des projets
en gaz naturel par rapport aux projets de pétrole lourd, par exemple. Compte tenu des incertitudes quant à la possibilité
de mettre en œuvre le captage et le stockage du dioxyde de carbone (CSC) et son coût réel, les investissements dans le
pétrole lourd impliquent d’importants éléments de passif potentiels en termes de carbone, ce qui pourrait constituer une
nouvelle classe d’« actifs subprime » dans un avenir à faible teneur en carbone.
Evaluation de l’intensité en émissions de GES des portefeuilles amont de quelques entreprises
européennes – Partant de l’analyse des 230 principaux projets de croissance amont, la présente étude mesure
l’intensité en GES sur l’ensemble du cycle de vie des portefeuilles amont de sociétés européennes. Le marché commence
tout juste à incorporer dans les valorisations des actions les risques et les éléments de passif liés au carbone associés aux
investissements dans les hydrocarbures. Les sociétés du secteur de l’énergie avec des portefeuilles amont moins intensifs
en émissions de GES au cours de leur cycle de vie, telles que BG Group, semblent bénéficier de valorisations supérieures
même si déterminer la contribution exacte du carbone à cette prime reste une tâche difficile.
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
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Des engagements en termes de GES en hausse – Dans l’éventualité où les entreprises du secteur de l’énergie
étaient tenues de payer une taxe sur le carbone pour une partie ou la totalité des émissions de GES liées aux
hydrocarbures produits dans le cadre des 230 projets à horizon 2020e, elles seraient confrontées à des éléments de passif
en termes de GES représentant entre 1 % et 68 % de leur résultat opérationnel 2008, en fonction de leur intensité en
GES et de différents scénarii de coût carbone. Les estimations actuelles concernant les engagements en termes de GES sur
le cycle de vie associés à la production 2020e se situent dans une fourchette comprise entre 13 et 23 milliards d’euros par
entreprise, dans un scénario de prix du carbone de 93 /tCO2e en 2020 (équivalent à l’hypothèse de l’Agence Interna-
tionale de l’Energie de 180 $/tCO2e en 2030, anticipée dans son scénario le plus ambitieux de « 450 ppm »).
Des entreprises différemment exposées – BP, StatoilHydro et ENI présentent des engagements en termes de
GES de précombustion (amont, secteur médian et aval) inférieurs en pourcentage de leur résultat opérationnel 2008,
tandis que TOTAL et RDShell comptent des éléments de passif GES de précombustion supérieurs. Ces éléments de
passif GES ne sont pas suffisamment élevés pour représenter un risque financier majeur pour les compagnies pétrolières
et gazières à court terme. Cependant, des réglementations plus strictes en matière de carbone auront un impact
considérable sur le secteur énergétique aussi bien en termes d’exposition directe aux coûts carbone que de prévisions
de croissance et de fixation des prix de leurs hydrocarbures.
Les investisseurs de long terme devraient prendre en compte le carbone dans leurs investisse-
ments dans le secteur de l’énergie – En dépit de la récession économique actuelle touchant les prix du pétrole et
la demande énergétique, nous pensons que les investisseurs avec un horizon à long terme devraient prendre en compte
la contrainte carbone dans leurs décisions d’investissement dans le secteur de l’énergie. Les entreprises de ce secteur
doivent fournir aux investisseurs des informations sur les engagements en termes de GES inhérents à leurs portefeuilles
amont. Les énergies sans carbone et les économies d’énergie présenteront un avantage concurrentiel durable pas encore
suffisamment reflété actuellement.
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
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La consommation d’énergie s’est multipliée pratiquement par dix au cours du XXème siècle. Chaque
génération consomme près de trois fois plus d’énergie que la génération précédente. La consommation
d’énergie est fortement corrélée à la croissance économique. Malgré la tendance actuelle à la diversifi-
cation du mix énergétique, le monde continue à dépendre fortement des énergies fossiles pour couvrir
plus de 80 % de ses besoins. Le pétrole est la première source d’énergie dans le monde, avec 35 % de
la consommation d’énergie primaire, suivie du charbon (25 %) et du gaz naturel (20 %)2. Le transport
dépend essentiellement du pétrole (94 % de l’énergie primaire consommée), tandis que les deux tiers
de la génération d’électricité proviennent du charbon et du gaz et que le tiers restant se répartit entre
le nucléaire, les ressources hydrauliques et les autres sources d’énergie renouvelable. La consommation
d’énergie du secteur industriel se répartit davantage entre les différentes énergies fossiles. Le secteur du
bâtiment utilise davantage le gaz et le pétrole3.
Alors que le carbone était auparavant stocké dans le sous-sol sous la forme d’hydrocarbures, la
combustion croissante des énergies fossiles provoque une hausse des émissions de gaz à effet de serre
(GES), se traduisant par un changement climatique qui pourrait s’avérer catastrophique. Les émissions
de GES liées à l’énergie représentent 70 % des émissions totales de GES4. Le secteur pétrolier et gazier
est directement impliqué dans cette tendance insoutenable ; les émissions de CO2 provenant de ses
opérations se montent à près de 5 % des émissions mondiales de GES, et c’est surtout l’utilisation de
ses produits qui pèse sur le total (29 %). En termes d’émissions de CO2 liées à l’énergie, la génération
d’électricité contribue à 41 % du total, tandis que les transports représentent 24 % et l’industrie et le
bâtiment, 35 %5. D’ici à 2030, l’augmentation de 45 % des émissions de CO2 liées à la combustion
d’énergie estimée par l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans son scénario de référence (sans
modification des politiques publiques) est manifestement insoutenable.
La décarbonisation nécessaire
de l’économie
Pour citer le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), « le monde n’est
pas sur la voie d’un avenir énergétique durable »1. Une transition majeure vers une économie à faible
teneur en carbone est nécessaire, tout en garantissant la sécurité d’approvisionnement énergétique.
Les efforts visant à réduire la consommation d’énergie et à accroître la part des sources d’énergie « sans
carbone » auront un impact considérable sur les compagnies pétrolières et gazières, même si l’offre
énergétique devrait continuer à dépendre, pendant plusieurs décennies encore, des énergies fossiles.
Le monde continue à dépendre
fortement des énergies fossiles
pour couvrir plus de 80% de ses
besoins
D’ici à 2030, une augmentation
de 45% des émissions de CO2 liées
à l’énergie conduira à des niveaux
dangereux de concentrations de
GES
Des tendances énergétiques et en
matière d’émissions insoutenables à terme
Figure 1.: Emissions de CO2 liées à la combustion d’énergie dans le scénario de référence de l’AIE
1 GIEC, Quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2007
2 GIEC, Quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2007
3 Le secteur du bâtiment inclut principalement les utilisations des branches suivantes : résidentiel, commercial et services publics.
4 Les émissions de CO2 non liées à l’énergie proviennent essentiellement d’un changement dans l’utilisation des sols (forêts) et dans l’agriculture ; GIEC,
Quatrième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2007 ; AIE, Perspectives énergétiques mondiales, 2008.
5 AIE, Perspectives énergétiques mondiales, 2008
1.
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Gigatones
International marine bunkers and aviation
Non-OECD-gas
Non-OECD-oil
Non-OECD-coal
OECD-gas
OECD-oil
OECD-coal
Source: IEA World Energy Outlook (2008)
1990 2000 2010 2020
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
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Figure 1.: Emissions de CO2 liées à la combustion d’énergie dans le scénario de référence de l’AIE
Dans ce scénario, l’essentiel de la hausse projetée des émissions de CO2 liées à la combustion d’énergie
provient de pays hors OCDE, dont les trois quarts en Chine, en Inde et au Moyen-Orient, et en majorité
de la combustion de charbon. D’ici à 2050, un scénario « business-as-usual » entraînerait une multi-
plication par deux des émissions de CO2 liées à l’énergie et des niveaux dangereux de concentration
de GES au niveau mondial, malgré les appels lancés depuis plusieurs années pour stabiliser ces niveaux
dans l’atmosphère.
D’ici à 2050, le GIEC nous indique que les émissions de CO2 doivent être réduites d’au moins 50 %
(80 % pour les pays développés) depuis leurs niveaux de 1990 pour éviter un changement climatique
« brusque et irréversible »6. Cet impératif requiert de développer rapidement un monde à faible teneur
en carbone. L’équation de Kaya est une bonne méthode pour comprendre comment y parvenir7.
Elle décompose le niveau des émissions de CO2 liées à l’énergie en quatre facteurs :
Emissions de CO2 liées à la combustion d’énergie = Population * PIB/tête * Intensité énergétique
(Energie primaire /PIB) * Intensité carbone (émissions CO2/énergie primaire).
En partant du principe que la population et la richesse mondiale devraient continuer à s’accroître,
il existe globalement deux manières de réduire les émissions de CO2 liées à l’énergie : diminuer
l’intensité énergétique de notre économie et réduire la teneur en carbone de notre énergie. Une étude
réalisée par la société de conseil McKinsey montre les avantages de la première solution. En investissant
dans l’efficacité énergétique dans le bâtiment, les transports et les processus industriels, la croissance
de la demande énergétique mondiale pourrait être réduite de moitié (c’est-à-dire de 64 millions de
barils de pétrole par jour). Tandis que l’investissement supplémentaire requis s’élèverait à 170 milliards
de dollars par an pendant les 13 prochaines années, cet investissement générerait un taux de retour sur
investissement moyen annuel de 17%, simplement par le biais d’une utilisation énergétique moindre8.
L’AIE estime que l’utilisation de pétrole pourrait être réduite de 16 millions de barils par jour (19 % de la
consommation actuelle de pétrole), uniquement grâce à l’emploi de meilleurs moteurs et pneus sur les
nouveaux véhicules. Une réduction de la demande d’énergies fossiles aura un impact direct sur le
secteur de l’énergie. Outre les améliorations en termes d’efficacité énergétique, une décarbonisation
majeure du système énergétique mondial est le second levier pour parvenir à une réduction des
émissions de CO2 liées à la combustion d’énergie. Le secteur de l’énergie sera, une nouvelle fois,
directement visé. Cependant, il n’existe pas une arme fatale pour réduire l’intensité de carbone de
l’offre énergétique, mais un éventail de solutions : efficacité accrue de l’offre énergétique, arbitrage du
charbon en faveur du gaz, énergies renouvelables (hydraulique, éolien, biomasse, etc.), captage
et stockage du CO2 (CSC) et nucléaire.
D’ici à 2020, les pays développés
doivent réduire leurs émissions
de CO2 de 25 % à 40 % par rapport
aux niveaux de 1990
Une transition nécessaire vers
un avenir à faible teneur en carbone
Il y a deux manières d’y parvenir :
réduire l’intensité énergétique de
l’économie et réduire la teneur en
carbone de l’énergie
1.2
6 Cela se traduit par des réductions de 25 % à 40 % d’ici à 2020 par rapport aux niveaux de 1990 enregistrés dans les pays développés..
7 Du nom de l’économiste de l’énergie japonais, Yoichi Kaya, in GIEC, 2007.
8 Eric D. Beinhocker et Jeremy Oppenheim, « Building a postcarbon economy »,
http://whatmatters.mckinseydigital.com/climate_change/building-a-postcarbon-economy, 22 février 2009
Internaliser le prix du
carbone dans les portefeuilles
d’hydrocarbures
Internaliser le prix du
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