Mise en scène de
Pierre Blaise
Par le Théâtre Sans Toit
et lEnsemble La Rêveuse
Suite baroque pour
instruments de musique
& marionnettes
D’après Voltaire
2
Le roi d’un grand palais désert.
Des escaliers vides, des corridors nus, des fenêtres sans vitraux…
Qui a emporté les meubles ? les tentures ? les portraits ? les bibelots ?
Voici un roi dans le plus simple appareil.
Un roi sans costume, sans maquillage.
Dont la couronne même n’est qu’une brillante idée.
Autour de lui, du matin au soir, les serviteurs se plient en quatre, s’affairent,
s’offrent.
Des cuisiniers cuisinent, des ministres administrent, des musiciens
conduisent…
Le protocole se déroule, le soleil, la lune, immuables.
Vastes gestes des chambellans dans les courants d’air du vent.
Le roi a une corpulence minuscule.
Il ne bouge que par délégation.
Le roi a un fil de voix minuscule.
Il ne dit mot que par délégation.
Mais,
Aujourd’hui est différent, le roi s’insurge, le roi tempête.
Tous ces trésors disparus ?
Enfin ! Comment trouver un trésorier qui soit honnête, Zadig ?
3
« Zadig », veut dire « Musique » dans l’idiome de ce royaume. Et la musique
seule est inspirée. A elle seule un monarque peut réellement s’adresser.
Car la musique est étrange, mesurée et démesurée.
Un grand bal. Convoquer la population.
Traverser un couloir de trésors.
Danser.
Peuple de planches, peuple de bois, pour jouer au roi comme il se doit.
Grands vizirs qui disposez du peuple, disposez le peuple !
Peuple d’ombres dans mon palais des glaces,
Peuple envahissant, peuple enfant, parmi vous y aura-t-il seulement un
financier franc ?
Que tous les ors de mon virtuel trésor fondent des écrans
J’entends les rivières d’écus, les cascades de diamants
Et la lumière du soleil n’est pas plus solide que ce son sonnant,
Quant à la réalité des ducats trébuchants.
Dans les milliards de pixels des cotations et leurs indices et leurs
vertigineux graphiques qui ne sera pas tenté ? Celui-là sera l’honnête
financier.
Zadig, septembre 2014
4
Annotations
scéniques
« La Danse de Zadig » est un spectacle
de une marionnette. Et musiciens,
acteurs, mimes, danseurs, sont à l’ab-
solu service de une marionnette. Que
représente cette marionnette ? Le roi,
oui. Mais que représente le roi ? Moi.
Toi. Tous. Le public. Le public roi. Celui
qui aime. Celui qui n’aime pas. Celui qui
doute. Celui qui sourit. Celui pour lequel
nous programmons cela. Ou pour lequel
nous ne le programmons pas. Car « cela »
n’est pas pour « mon public ». Car on
sait ce qui est bon pour mon public.
On sait ce qu’il peut voir. On connaît
ses limites. A mon public on fait dire
n’importe quoi. Mon public s’exprime
par délégation. Et la délégation c’est
moi. Et moi je sais ce qui est bon pour
lui. Je suis expert. Je suis à son service.
Il paye.
C’est le geste qui crée la musique.
La musique crée les meilleures condi-
tions pour la danse. La danse est une
suite de politesses gestuelles qu’or-
ganise la musique. Qu’est-ce que la
danse empêchée ? C’est la privation de
la liberté par l’or empoché.
Voltaire écrit Zadig. Les marionnettistes,
s’ils voulaient traduire sur scène ce ro-
man, auraient fort à faire. Des quantités
de marionnettes, des costumes somp-
tueux, un exotisme extravagant, des
décors changeant. Peut-être que c’est
ce que l’on attend. Que le marion-
nettiste ressemble au marionnettiste
d’antan. Malheureusement, comme le
peintre et le cinéaste, comme le sculp-
teur et le chorégraphe, le marionnet-
tiste vit avec son temps. Fragilement,
comme tout le monde.
Une musique pour le lever, une musique
pour le souper, une musique pour le
coucher. L’art du temps règle le temps.
Les raffinés sont sensibles. Les brutes
sont épaisses. Au salon de musique,
comme au théâtre, il faut reconnaître
l’inconnu. C’est demander l’impossible.
Le chantourné est un théâtre. Au XVIIIe
siècle, on découpait des silhouettes à
taille humaine dans des planchettes. On
les maquillait en trompe l’œil. Pendant
la représentation, on les disposait sur
le théâtre, au côté des acteurs de chair
qui proféraient pliques et répliques.
Ces effigies, ces substituts, jouaient par
délégation, dans les castels de pro-
vince. Le chant tournait.
On va voir ce qu’on va voir. La meilleure
façon de ne rien voir.
Le spectacle n’est-ce pas différent du
théâtre ?
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