Mémoires e du XX siècle Richard Seiler CHARLES MANGOLD CHEF DE L’ARMÉE SECRÈTE EN PÉRIGORD Vie et mort d’un grand résistant alsacien Préface de Michel Moyrand S Série Seconde Guerre mondiale Charles Mangold chef de l'armée secrète en Périgord Vie et mort d'un grand résistant alsacien Mémoires du XXe siècle Déjà parus Henri FROMENT-MEURICE, Journal d’Egypte, 1963-1965, 2014. Joseph-Albert di FUSCO, Fusillé à Caen en 1941, Lettres d’un otage à sa famille, 2014. Tahîa GAMÂL ABDEL NASSER, Nasser ma vie avec lui, Mémoires d’une femme de président, 2014. Fernand FOURNIER, Paroles d’appelés. Leur version de la guerre d’Algérie, 2014. Marguerite CADIER-REUSS, Lettres à mon mari disparu (1915-1917), 2014. Nadine NAJMAN, 1914-1918 dans la Marne, les Ardennes et la Belgique occupées, 2014. Marcel DUHAMEL, Ça jamais, mon lieutenant !, Guerre 19141918, 2014. Xavier Jean R. AYRAL, HÉROÏSME - Jean Ayral, Compagnon de la Libération, Histoire et Carnets de guerre de Jean Ayral (18 juin 1940 – 22 août 1944), 2013. Sabine CHÉRON, Les coquelicots de l’espérance, 2013. Pierre BOUCHET de FAREINS, Madagascar, terre ensanglantée, 2013. Jacques SOYER, Sable chaud. Souvenirs d’un officier méhariste (1946-1959), 2013. Edith MAYER CORD, L’éducation d’un enfant caché, 2013. Michelle SALOMON-DURAND, De Verdun à Auschwitz, L’histoire de mon père André Raben Salomon (1898-1944), 2013. Robert du Bourg de BOZAS, Lettres de voyage. Avant-propos et notes de Claude Guillemot, 2013. Marion BÉNECH, Un médecin hygiéniste déporté à Mauthausen. Portrait de Jean Bénech, 2013. Larissa CAIN, Helena retrouvée. Récits polonais, 2013. Lucien MURAT, Carnets de guerre et correspondances 1914 – 1918. Documents présentés et annotés par Françoise FIGUS, 2012. Richard SEILER CHARLES MANGOLD CHEF DE L'ARMEE SECRETE EN PERIGORD Vie et mort d'un grand résistant alsacien Préface de Michel Moyrand L’Harmattan OUVRAGES DU MEME AUTEUR La tragédie du réseau Prosper, avril-août 1943 Pygmalion / Flammarion 2003 Je reste en Alsace, carnets de bord entre Vosges et Rhin, 1963-2003 Jérôme Do Bentzinger 2007 Le 4e front d'Adolf Hitler 1933-1944 Jérôme Do Bentzinger 2009 Objectif Strasbourg Les bombardements américains de 1943 et 1944 La Nuée Bleue 2013 PREFACE Le devoir de mémoire ne consiste ni à ressasser le passé, ni à faire perdurer les haines. Mais il permet de comprendre et d’apprendre modestement des souffrances de nos prédécesseurs. Illustrant parfaitement les propos de l’historien Jacques Le Goff, selon lequel la mémoire « ne cherche à sauver le passé que pour servir au présent et à l’avenir ». L’histoire étant un éternel recommencement, les ambassadeurs du devoir de mémoire garantissent les jeunes générations contre l’oubli et leur font prendre conscience des drames que nous avons évités. Cet ouvrage n’est pas un livre de plus sur une sombre période, ni un simple retour vers le passé. Il fait tout simplement vivre l’esprit civique qu’il importe de transmettre aux plus jeunes de nos concitoyens. Tant sa lecture est un témoignage de reconnaissance dédié à tous ceux, et celui plus particulièrement ici, qui ont été cueillis dans la fleur de l’âge par un destin impitoyable. Célébrant l’abnégation, et les sacrifices consentis par ces derniers, en ces temps obscurs qui exigeaient des forces mentales puissantes étayées par de solides vertus morales, alliées à une volonté inébranlable de ne pas se soumettre au gré de l’agresseur. Cet ouvrage est plus qu’un hommage à une personnalité, un héros de guerre méconnu par beaucoup. C’est un guide, un exemple de l’engagement d’un homme pour sa liberté et celle de notre pays. Un homme qui contribua aux liens indéfectibles qui unissent la ville de Périgueux à celle de Strasbourg. Un homme dont nous mesurons pleinement ce que lui doit la Dordogne, ce que lui doit sa ville d’adoption. Charles Mangold, homme courageux, brillant organisateur, fervent animateur des réseaux de la Résistance, n’eut pourtant jamais la satisfaction de voir Périgueux libéré le 19 août 1944, une semaine seulement après son exécution. 7 Mais il incarne par ses actes, son courage, sa force de conviction une certaine idée de la France. Et démontre la nécessité de conserver son libre arbitre, sa capacité à raisonner, s’opposer, et s’indigner. Car la liberté, joyau inestimable de toute démocratie, sans que l’on y prenne garde, peut vite ternir si elle n’est pas entretenue. Les conflits d’hier ne sont jamais si lointains. Pour toutes ces raisons, Charles Mangold, héros funeste valait bien un livre. Michel Moyrand Maire de Périgueux (2008-2014) Vice-président du Conseil régional d’Aquitaine 8 INTRODUCTION Ce livre, qui paraît peut-être bien tardivement, se fixe comme objectif de réparer un oubli historique, comme il en existe encore tant de nos jours par rapport au destin personnel de nombreux Alsaciens au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit ici de faire connaître l'exceptionnel et tragique engagement de Charles Mangold dans la Résistance. La vie de cet homme remarquable est incontestablement marquée par quatre spécificités bien précises : il est alsacien, il est un militant socialiste, il est un patriote au service de son pays, la France, et il est de surcroit un héros. Dans le contexte qui est celui des années les plus sombres que notre pays a jamais connu, celui de la période de la Seconde Guerre mondiale qui voit la France subir en juin 1940 la catastrophe la plus inouïe de son histoire, la question la plus fondamentale est de savoir qui est Charles Mangold et ce qu'il a fait. Si la réponse à cette question est immédiate en Dordogne, à Périgueux en particulier, elle est beaucoup plus difficile à exprimer en Alsace, pourtant son pays natal. Il est tout simplement un grand résistant qui a tout donné, même sa vie, pour tout dire surtout sa vie, pour la défense des valeurs de la République, de la démocratie, en prenant à son compte les notions les plus marquantes de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celles de liberté, d'égalité et de fraternité. Charles Mangold fait partie en droite ligne des lointains enfants spirituels d'Erasme de Rotterdam, fondateur en Europe au 16e siècle de l'humanisme, qui connaissait bien, pour y avoir séjourné à plusieurs reprises, l'Alsace et Strasbourg. L'humanisme, philosophie révolutionnaire en son temps puisqu'elle prônait, en plein conflit religieux, et alors que la terrible guerre de Trente ans (1618-1648) allait éclater sur une grande partie de l'Europe centrale, la tolérance et le respect de l'autre. En 1940, vis-à-vis du dogme national-socialiste, fondé, affirmé et imposé par la force brute, qui proclame entre autres l'inégalité des hommes, c'est-à-dire d'un côté les hommes dits supérieurs, de l'autre les sous-hommes, issus de races dégénérées, Charles Mangold, l'humaniste alsacien, le socialiste patriote, le résistant implacable, va lutter de toutes ses forces contre ce système, contre les horreurs fondées sur l'extermination des races dites inférieures 11 et se heurtera dans ce combat inégal aux nazis en Dordogne. Assassiné avec sauvagerie le 12 août 1944 à Périgueux, la mémoire de Charles Mangold est régulièrement honorée en Dordogne. Des plaques de rue portant son nom sont visibles dans ce département du sud-ouest et y rappellent son souvenir. En Alsace, il en va un peu différemment. La municipalité d'Ostwald, petite ville située à quelques kilomètres de Strasbourg, en reconnaissance du sacrifice suprême de l'un de ses fils les plus éminents, a bien pris la décision dès la fin de l'année 1946 d'apposer une plaque portant son nom sur l'une de ses plus grandes places. En 1954, soit dix ans après son assassinat à Périgueux, son cercueil est transféré, selon les volontés de sa femme, à Strasbourg et enterré au cimetière Saint-Urbain. Aujourd'hui en Alsace, à Strasbourg, qui sait qu'un tel responsable de l'Armée secrète, qu'un tel représentant de l'honneur de la résistance alsacienne, dont le nom s'ajoute à la liste de ses chefs et de ses camarades de combat en Dordogne, martyrisés et assassinés comme lui, dont les noms suivront d'ailleurs dans cet ouvrage, repose tout simplement et de manière presque anonyme à quelques centaines de mètres du centre ville de Strasbourg ? Personne ou presque....De plus, jamais, dans les livres ou les revues évoquant les grandes figures de la Résistance ou qui mettent en lumière l'héroïsme et l'esprit de sacrifice de ceux et celles qui sont morts pour la liberté, le nom de Charles Mangold n'apparait. Cette injustice commise au nom du devoir de mémoire laisse une incontestable amertume au fond de la gorge. Malheureusement de nombreux exemples d'omission, de désintérêt, probablement surtout de méconnaissance, pourraient être donnés à ce titre. Le présent ouvrage se propose de réparer cet oubli, tout en précisant qu'il est évidemment nécessaire d'accorder des circonstances atténuantes aux historiens alsaciens de la période de l'après-guerre. Ces derniers étaient, à juste titre, très accaparés par d'autres champs d'exploration historique, comme ceux par exemple de l'incontournable drame de l'incorporation de force des jeunes Alsaciens-Mosellans dans la Wehrmacht, de la Résistance 12 en Alsace même, des combats de la Libération, de la tragédie d'Oradour-sur-Glane ou du procès de Bordeaux. Il s'agira en conséquence, afin de bien mettre en relief le rôle de Charles Mangold au sein de la Résistance, de reconstituer dans cet ouvrage biographique sa vie, depuis sa naissance le 21 août 1891 en Alsace, à Ostwald (Bas-Rhin) jusqu'à ses ultimes et tragiques instants en Dordogne le 12 août 1944, à Périgueux. Charles Mangold meurt ce jour-là pour la France, à l'âge de 53 ans, sous les balles d'assassins nazis. Les pages qui suivent mettent donc en lumière les années de jeunesse de Charles Mangold en Alsace, à cette époque une terre de l'Empire allemand (Reichsland), puis son engagement dangereux et risqué pendant la Première Guerre mondiale au sein de la Légion étrangère. Il se distingue ensuite par son militantisme politique à Strasbourg pendant les années de l'entre-deux-guerres au parti socialiste -la SFIO- dans le sillage de Marcel-Edmond Naegelen, important responsable politique au plan local. Il participe avec passion aux luttes des courants internes du parti au sujet des risques de guerre en Europe et vit la dramatique période de l'évacuation en 1939 en Dordogne. Mais c'est son choix d'entrer dans la Résistance enfin, sa prise de responsabilité au sein de l'Armée secrète jusqu'à sa fin tragique en août 1944 à Périgueux qui font de lui un grand résistant. Charles Mangold était donc un membre très actif du parti socialiste SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière) à Strasbourg, un fonctionnaire efficace et rigoureux au ministère des Affaires étrangères, enfin un parfait connaisseur de l'Allemagne national-socialiste. Ce livre a pour objectif d'honorer sa mémoire héroïque. Celleci est honorée depuis 1944 en Dordogne, à Périgueux en particulier. Elle se doit de l'être également en Alsace, à Strasbourg. Elle se doit de l'être enfin, à travers son engagement total dans la Résistance, au sein du mouvement socialiste français dont il faisait partie. C'est en fin de compte l'histoire de Charles Mangold, ennemi tenace et persévérant de l'expansion impérialiste germanique en général et du national-socialisme en particulier...il savait de quoi il parlait.... 13 CHARLES MANGOLD De la prime enfance à la fin de la Première Guerre mondiale 1891-1918 Charles Mangold est né le 21 août 1891 en Alsace, à Ostwald, petite commune à proximité immédiate de Strasbourg. Rappelons que 20 ans plus tôt, après les dramatiques combats de 1870, la guerre franco-allemande est gagnée par le chancelier prussien Otto von Bismarck (1815-1895), que l'unité allemande (la Prusse avec les États de l'Allemagne du Sud) devient alors une réalité à travers la proclamation de l'Empire (IIe Reich) dans la galerie des glaces du château de Versailles le 18 janvier 1871, et que le traité de paix de Francfort signé le 10 mai 1871 prévoit, entre autres, la cession à l'Allemagne de l'Alsace (moins Belfort) et du nord-est du plateau lorrain (la Moselle). Le traité de Francfort fait donc de l'Alsace une terre d'empire (Reichsland), c'est-à-dire un espace territorial considéré comme la propriété de l'Empire allemand et non comme un État, membre de ce dernier, qui venait de se créer. Certes, en annexant l'Alsace et une partie de la Lorraine, Bismarck répondait aux souhaits et aux arguments de ses militaires, mais il ne pensait sincèrement pas qu'il se heurterait par la suite à ce sujet à un sentiment national si fort chez les Français. Pour lui, l'Alsace et la Lorraine n'étaient finalement que des régions allemandes avec un « vernis français » qui disparaîtrait bientôt. Aussi, lorsqu'il s'avère que tous les députés issus de ces deux provinces sont de tendance violemment « protestataire », tant aux élections de 1871 à l'Assemblée nationale française (avant le 10 mai de cette année), qu'à celles de 1874 au Reichstag et encore de 1887, Bismarck est-il irrité de constater que ladite annexion suscite toujours un vaste courant d'indignation et de critiques acerbes non seulement en France et en Alsace-Lorraine, mais même à travers l'Europe entière. C'est donc dans ce contexte de profonde défiance, pour ne pas parler de haine, vis-à-vis de « l'occupant » germanique en AlsaceMoselle, de la part de beaucoup d'Alsaciens et de Mosellans, que naît Charles Mangold. Cette ambiance environnante est véhiculée dans les familles au sein desquelles le patriotisme français ne s'était jamais vraiment éteint et qui attendaient le retour de la France 17 dans ses « provinces perdues ». Le jeune Charles, élevé dans une famille honorablement connue à Ostwald, le père est un petit commerçant-artisan du cuir, va connaître, de la fin des années 1890 jusqu'au tournant des années 1910, une vie normale d'écolier et de collégien. Il fréquente ainsi pendant la plus grande partie de sa scolarité dans l'enseignement secondaire, mais sous régime allemand, le collège Saint-Joseph de Matzenheim, situé à quelques 20 kilomètres au sud de Strasbourg, établissement dirigé par la Congrégation des Frères de la Doctrine chrétienne. Il y apprendra le latin et le grec, y fera ses humanités. Ses études le mènent ainsi jusqu'en 1914. Cette même année, le 1er août, l'Allemagne et la France décrètent la mobilisation générale, et le surlendemain, le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France. Deux jours plus tard encore, le 5 août, la 1re armée allemande commandée par le général Aleksander von Klück envahit la Belgique. Au même moment les 1re et 2e armées françaises commencent la bataille dite des Frontières en passant à l'offensive et attaquent en Lorraine, en Alsace et plus au nord, dans les Ardennes. En Alsace même, c'est la 7e armée allemande commandée par le général von Heeringen, composée de six divisions d'infanterie et de plusieurs brigades de la Landwehr, auxiliaires des troupes régulières, qui assure la couverture militaire de tout l'espace alsacien, c'est-à-dire la défense des Vosges du Nord, de Strasbourg et de la plaine le long du Rhin jusqu'à Neuf-Brisach. Cette armée, qui recevra par la suite des renforts, sera chargée de faire face et de résister aux attaques françaises. Dans le sud de l'Alsace d'abord, au cours des batailles de Mulhouse en août 1914, puis tout au long de l'année 1915 dans les Hautes-Vosges, au cours des terribles batailles de l'Hartmanswillerkopf (le Vieil-Armand ou Hartmann, ou encore HWK selon la dénomination allemande) et du Linge les pertes en vies humaines seront énormes pour un enjeu dérisoire : 17 000 morts au Linge dont 10 000 soldats français (80 % des effectifs de 17 bataillons de chasseurs alpins y mourront dans d'atroces conditions dans la boue, le feu et le sang), 27 000 morts (beaucoup dans le froid, la neige), dont 14 500 côté français au Hartmann... 18 Vers la fin de l'année 1915, le Grand Quartier Général français à la tête duquel se trouvait le généralissime Joffre constatant l'impossibilité d'entrer en Alsace « par les hauts », c'est-à-dire par le fond des vallées vosgiennes, du fait de l'inexpugnable ligne de défense fortifiée allemande, et de la proximité de la gigantesque bataille qui allait bientôt commencer en 1916 à Verdun, avalise d'un trait de plume le statut de « points de friction classés » du Linge et du Hartmann. Entre temps en effet, il était devenu assez rapidement clair que l'enjeu de ces combats s'était révélé nul, car il n'y avait aucun intérêt véritable à conquérir ces « hauteurs »...C'est précisément à cause de la vacuité de cet enjeu, avec comme conséquence dramatique la mort pour rien de dizaines de milliers de jeunes hommes, que la réputation de Joffre reste aujourd'hui encore très controversée. Après quinze mois d'horreur en Alsace, l'inexorable et sanglante faucille de la Grande-Guerre va poursuivre son œuvre de mort à Verdun. Et Charles Mangold ? En août 1914, au moment du déclenchement du stupéfiant affrontement armé en Europe, qui prendra pour nom « La Première Guerre mondiale », Charles Mangold est âgé de 23 ans. Il ne répond pas à l'ordre de mobilisation générale émanant des autorités militaires impériales allemandes de Strasbourg et déserte séance tenante. Il se rend en France, à Nancy, et se porte volontaire dans les rangs de l'armée française. Sa démarche n'est cependant pas recevable car l'armée française ne peut intégrer dans ses rangs des sujets allemands ! Profondément patriote, vouant une grande admiration aux valeurs défendues par la France, patrie des droits de l'homme, il est extrêmement déçu de cette fin de non recevoir qu'il considère comme purement administrative. Il ne se décourage cependant pas et s'engage alors sous un nom d'emprunt, Brossard, à la Légion étrangère. Charles Mangold va ainsi faire partie dès août 1914 de ces milliers d'étrangers (alors qu'il est un Alsacien !), présents en métropole ou dans les colonies, qui rejoignent les rangs de la 19