AUDREY PECHEU IUP de Sociologie Université de Toulouse - Le Mirail DOSSIER SOCIOLOGIQUE Identité professionnelle et pratiques de l’Infirmière Libérale CHAPITRE I- Le contexte d’étude I- La demande initiale Fondé en avril 1973 par la volonté des infirmiers libéraux de terrain, le SNIIL regroupe des sections départementales sources et pierres d’assises de l’action syndicale nationale, réparties sur l’ensemble du territoire français. Le SNIIL se donne pour objectifs de participer à l’élaboration d’une politique de santé à long terme, et d’oeuvrer à l’élévation de la qualité des soins prodigués aux usagers de la santé par : - la défense de la profession d’infirmière dans son ensemble, et de l’exercice libéral en particulier, - la lutte contre l’exercice illégal de la profession et contre tout fait pouvant porter un préjudice quelconque aux intérêts collectifs de la profession, - l’apport à ses adhérents de documents abordant toutes les questions techniques, économiques, sociales et législatives les concernant, grâce à des publications, à l’organisation de congrès et de conférences, de sessions de formation continue. Son objet se résume donc à défendre la profession d’infirmière et le secteur médicosocial ; d’assurer la promotion des libertés, des usagers professionnels en assurant un rôle de partenaire socioprofessionnel en matière de santé ; et de répondre aux besoins des usagers par des soins de qualité. Parallèlement, le SNIIL a pour but de réunir les membres de la profession qui veulent oeuvrer à la réalisation des objectifs essentiels moraux et matériels des infirmiers libéraux. Mon étude consiste à observer la profession d’infirmière libérale et la gestion de son exercice de travailleur indépendant. L’histoire des infirmières libérales évolue au rythme des besoins et de la demande sociale. Le contexte actuel révèle un certains nombres de problématiques, à l’issue d’une réforme gouvernementale intitulée le Plan de Soin Infirmier, qui vient bouleverser le fonctionnement et les pratiques de la profession. Le PSI signé par ses deux initiateurs la C.N.A.M. et le syndicat majoritaire de la profession la FNI, a été présenté au ministère le 24 Octobre 2000. Il prévoit globalement que les soins d’hygiènes relevant du rôle propre de l’infirmière soient réalisés par des personnes non qualifiées, dont la responsabilité incomberait à l’infirmière. Suite aux manifestations de Juin et Novembre 2000, son application a été différé par E. Guigou le 8 Décembre 2000. Le PSI a engendré de nombreuses contestations : Pour certains, ce dispositif conventionnel ne permet pas d’assurer une prise en charge de qualité des soins apportés à la population, il engendre une grande confusion des attributions professionnelles, et des répercussions sur la définition des statuts, des fonctions, et des compétences de la profession. D’autre part, la profession des infirmiers libéraux semble caractérisé par d’importantes différences de point de vue (débats contradictoires autour du PSI, relevés sur les sites internet des différents syndicats tels que le SNIIL, l’ONSIL, la FNI... ), de pratiques et d’expériences (les controverses soulevées autour des actes de nursing/soins d’hygiènes) selon les professionnels qu’il convient d’étudier. C’est dans ce contexte d’incertitude que Madame Daydé et Monsieur Bordieu, délégués départementaux du SNIIL occupant les postes respectifs de vice présidente et secrétaire général, ont formulé une demande afin de mieux cerner leur environnement professionnel, connaître les logiques d’actions diversifiées des acteurs de terrain, dans le but de comprendre et de s’impliquer vis à vis des orientations dictées par les pouvoirs publiques, d’envisager l’avenir du métier de l’infirmier libéral, et globalement celui du système de santé. II- L’objet du stage Le choix individuel d’une profession est parfois motivé par les goûts et les aspirations de chacun. Cependant, l’adaptation aux conditions socio-économiques conduit à remettre en cause périodiquement son activité professionnelle, de fait les choix des individus ne peuvent plus être définitifs. Il n’en reste pas moins vrai que les choix initiaux guident les études, les réseaux de relations amicales ou autres, et à ce titre structurent fortement l’identité des acteurs sociaux. Le métier repose sur un ensemble de pratiques définies qui supposent une expertise. Il induit une identité par le partage de techniques, de contraintes, d’histoire, qui se traduit par l’appartenance à un corps de métier. Nous verrons que la profession d’infirmier libéral est étroitement liée à l’évolution de la société : vieillissement de la population, demandes de soins spécifique et exigence qualité, attentes relationnelles, nouvelles directives des structures hospitalières et l’émergence d’une volonté politique orientée vers le maintien à domicile. Ainsi il en découle une modification des pratiques et des prises en charge, qui semble aujourd’hui remise en cause par une logique économique de la santé. Dans un contexte forcément mouvant, les infirmiers libéraux manifestent un malaise identitaire, une perte de repères, voient mal leur devenir, et se plaignent de n’être pas reconnu. Ce présent conflictuel est chargé d’un lourd passé caractérisé par une lutte d’enjeux, d’ancrage et de reconnaissance statutaire et professionnelle. Par ailleurs, il semble qu’au fil du temps la demande évolue et s’oriente actuellement vers des soins de hautes technicité, avec un besoin réel de relations humaines. Nous verrons qu’une dichotomie s’opère entre la pensée et la pratique. Ce stage a pour objet d’apporter un regard extérieur afin de tenter d’objectiver le fonctionnement d’un groupe professionnel - en l’occurrence les infirmiers libéraux quant à leur représentations, leur organisation formelle et informelle, leur mobilisation, leurs attentes et leurs stratégies. Mon étude s’intéresse directement à : ã la perception qu’ont les infirmières libérales de leur métier, au travers de leurs trajectoires professionnelles et de l’évolution de leurs pratiques, ã la représentation de leur exercice par rapport à l’offre, la demande, l’environnement institutionnel et technologique : en clair, leur positionnement dans le système de soin, ã leurs revendications au regard de nouvelles réformes qui entravent -pour certainesleur statut, leur rôle et leur autonomie. Il s’agit de définir les différents acteurs en jeu, leurs tâches effectives et théoriques, et de distinguer les diverses relations qu’ils entretiennent. Les représentations et les questionnements soulevés autour du champs étudié, permettront de caractériser l’activité professionnelle et les attentes, et de spécifier la qualité des soins apportée à la population. III- La mise en perspective 1) la problématique Cette recherche a pour finalité d’objectiver autant que faire se peut les conditions réelles de travail des infirmiers libéraux dans un système de santé évolutif, dans un contexte de changements notoires en dépit duquel il convient de s’adapter pour perdurer. Globalement il s’agit de comprendre : ã comment les infirmiers travaillent, quels sont leurs pratiques, sur quelles représentations ? ã avec qui sont ils en interaction et comment gérer ces échanges ? ã Comment faire pour améliorer la reconnaissance de leur rôle et de leurs fonctions ? Ainsi, il semble utile d’opérer une description détaillée de tout acteur et leurs caractéristiques inhérentes dans le système des infirmiers libéraux, d’appréhender les interactions avec le reste de l’environnement social, économique et institutionnel. Cette description sera ensuite reprise lors d’une analyse qui mettra en évidence leur fonctionnement pratique et souhaité, en effectuant un parallèle entre les savoir-faire et les aspirations réelles ; les interrogations soulevées autour du métier, relatives à l’insertion des infirmiers libéraux dans le créneau des nursing ou encore des maisons de retraite ; les problèmes rencontrés qu’ils soient d’ordre social, familial, économique ou administratif ; ainsi que les stratégies développées pour pallier à ces dysfonctionnements et les attentes réelles. L’objet du stage est de répondre à une demande professionnelle, selon une orientation sociologique. Cela consiste tout d’abord à identifier les catégories d’acteurs inclus dans le système et de définir le type de relation qu’ils entretiennent : n la coopération entre infirmier libéraux, l’organisation pour pallier aux problèmes, n la prise en charge du patient, la place accordée, n les interactions avec le médecin, n le rapport aux syndicats, n la santé comme enjeu de société qui fonde la légitimité de l’action de l’état. Il s’agit de comprendre les représentations des individus qui structurent l’ensemble des interactions entre chaque participant associé au métier de l’infirmière, et qui fondent en partie leur identité professionnelle. Ainsi comment passer de représentations et de pratiques partagées et diversifiées entre membre d’une même communauté, à l’adhésion et à l’engagement sur un projet impliquant des objectifs précis à atteindre, des réalisations à concrétiser et des mises en conformités des comportements de chacun, visant la cohésion, l’autonomie, la responsabilité et la reconnaissance professionnelle d’un groupe ? quelles motivations influencent leur choix d’action et leurs opinions ? quel lien peut-on percevoir entre la cohérence des actes et les représentations des différentes individualités? A première vue, on rencontre chez les infirmières une diversité de pratiques et d’opinions. Dans un contexte libéral, cette diversité irait à l’encontre d’une identité collective et harmonieuse. Existe-t-il une forme d’individualisme au sein du groupe qui défierait leur appartenance commune et leur lutte pour la reconnaissance ? Il semble que la profession ne soit pas homogène, elle fixe des objectifs différents à partir des représentations des divers professionnels, il en résulte ainsi un système à efficacité variable dans la mesure où les finalités des acteurs sont multiples en fonction de leur compétence et de leur convenance personnelle. Dans cette optique, il s’agit de comprendre à travers quelles valeurs et représentations, les infirmiers libéraux exercent leur métier, quelles sont leurs motivations et quelles stratégies ils mettent en place dans un système de soins qui, à les écouter, semble négliger leurs prestations. Dans ce contexte d’incertitude , les infirmiers se mobilisent et s’organisent autour de buts communs. Ainsi sur quelles bases de coopération et de coordination les infirmiers libéraux réalisent-ils leur activité ? Comment opèrent les différents acteurs ? Une première étape consiste à identifier les différentes catégories d’infirmières libérales, selon leur trajectoire personnelle et leur formation, les diverses interactions relatives au système de soins, afin de comprendre leur positionnement et de justifier leurs pratiques. Parallèlement, il convient de prendre en compte l’état d’esprit de la profession quant à la prise en charge du patient et les soins qui lui sont attribués. Dans cette perspective il s’agit de confronter les objectifs des autorités de tutelle à ceux des infirmiers libéraux, et d’analyser les menaces et les incohérences interprétées. Une seconde étape intervient pour comprendre et analyser le « mal être » infirmier, ses caractéristiques, ses singularités et ses manifestations ; les tâches qui incombent aux infirmières, la délimitation de leur prestation, le rôle élargit et leur revendications. Il s’agit de s’interroger sur le problème de reconnaissance et leurs attentes réelles par rapport à l’évolution de la société. Ainsi l’objectif revient à identifier la perception qu’ont les infirmières libérales de leur métier, les tâches qui lui sont propres et celles qui relèvent d’autres champs de compétences (auxiliaire de vie, aide soignante, assistante sociale), afin de comprendre leur mobilisation, leurs aspirations et leur appartenance à leur corps de métier. La finalité est de comprendre un système de soins aujourd’hui chaotique et porteur de revendications, en vue d’une amélioration : en prenant du recul par rapport à ce qui se fait, il devient possible de mieux observer et identifier certains dysfonctionnements, d’apporter un sens à l’activité professionnelle, et par conséquent améliorer la réalisation de l’exercice libéral. 2) Les hypothèses Il s’agit d’éclairer les infirmières ilbérales sur leur activité professionnelle et leur environnement social et institutionnel. Ces réflexions sont à associer aux poids de la profession dans le système de soins actuel, aux attentes réelles des sujets et à l’identité qu’ils revendiquent. La profession d’infirmière libérale renvoie à des valeurs, des concepts porteurs de représentations antagonistes telles que l’aspiration à développer le côté social opposée à la technicité suggérée, qui font à la fois la force et la faiblesse de leur image et de leurs revendications. Ces dimensions sont à étudier afin de mettre en évidence la diversité de leur identité qui se structure en fonction de la réalité sociale. L’évolution historique des infirmières libérales peut apporter des sources de compréhension, pour définir relativement leur identité et leurs aspirations. Leur lourd héritage du passé religieux et médical altère leur possibilité de forger une identité par rapport à la prestation, la tardive indépendance nécessaire pour administrer les soins est un construit historique et social qui repose aujourd’hui sur un savoir-faire infirmier. Seule la formation acquise pour devenir infirmière va donner la qualification et se porter garante d’une identité d’appartenance à un corps professionnel définit par un titre reconnu, et l’acquisition d’un statut juridique. Or la formation professe ce que d’autres ont décidé ce que soient ces savoirs, et déterminent ce qu’elles doivent faire, en assignant leur rôle. Ainsi, ce n’est pas une fonction qui a été déterminée mais un rôle. On a donc figé les infirmières en prescrivant une pratique, en dictant des règles de conduite, en façonnant leurs comportements, en exigeant d’elles soumission et obéissance, qui durant des décennies ont empêché toute expression de groupe, toute prise de conscience de classe. Guislaine Trabacchi² a montré que la formation de l’infirmière n’est pas prioritairement centrée sur les soins mais sur le façonnement de l’élève en infirmière. Ainsi le manque de considération aujourd’hui ressenti semble être lié à leur passé historique, aux encrages encore existants et à la nature et aux caractéristiques de leur prestation. ² Dossier sur l’identité professionnelle, coordonné par Guislaine Trabacchi D’autre part, les évolutions sociales, institutionnelles et économiques modifient la prise en charge et les pratiques quotidiennes des infirmiers libéraux. Les soins sont porteurs de connaissance par rapport aux façons de vivre, aux façons de faire, aux croyances... L’explicitation de la nature des soins à partir de ce qu’elles proposent d’atteindre, constitue la base d’une élucidation des « soins de qualité » étroitement lié au contexte social et sanitaire. La réalisation des soins à des patients implique que des personnes de différents services, travaillent ensemble, avec pour chaque service son domaine d’action. Il s’agit donc d’une action collective. Il est donc nécessaire que les acteurs soient complémentaires. On peut donc faire l’hypothèse qu’une meilleure coopération et coordination entre les acteurs soient un facteur de performance et de motivation. Or la profession libérale renvoie à une multiplicité de pratiques qui convergent selon ses convenances personnelles. Les représentations de la relation patient/infirmier permettra de clarifier la pratique, les rôles et les fonctions de l’infirmière. Ainsi nous pouvons nous demander si l’individualité des pratiques ne fausserait pas l’identité collective de la profession, en laissant place à des excès et des abus qui rendent confus l’exercice libéral et pervertissent la crédibilité des prestations vis à vis des instances de contrôle. Le corps médical est engagé depuis longtemps dans une démarche qui dépasse largement la dimension curative des soins. Ainsi, la prévention par exemple fait partie intégrante de son champs de compétences et d’intervention, même si elle reste encore tributaire des choix et des décisions budgétaires en terme de santé publique. Les autorités de tutelle partent d’un constat, celui de l’évolution des dépenses de santé au niveau de l’ambulatoire qu’il convient donc de limiter. Les pouvoirs publiques et les caisses nationales cherchent à encadrer les coûts et « reprochent » l’augmentation de l’activité des infirmières libérales et de ses soins (source : G. Trabacchi, l’identité professionnelle). Parallèlement, celles-ci aspirent à se responsabiliser : n’y a-t’il pas une contradiction à l’exercice libéral lorsque les autorités réglemente la profession ? Certaines directives altèrent l’autonomie et la marge de manœuvre de l’infirmière puisqu’elle ne peut travailler selon ses propres logiques et ses stratégies. Dans un contexte social exigent qui demande du temps et de l’investissement, nous pouvons émettre l’idée que les infirmiers se trouvent tiraillées entre un besoin social et sanitaire croissant, et une logique économique qui suggère la délimitation de leur prestation pour contrainte budgétaire. La nouvelle réforme intitulée le Plan de soin infirmier (PSI) modifie la répartition entre les actes relevant du rôle délégué et ceux relevant du rôle propre des infirmiers (au profit des aides soignantes). Cette réforme vient bouleverser la profession dans son ensemble et suggère une action de changement par la découverte et l’acquisition de nouvelles capacités collectives et individuelles, de nouvelles façons de raisonner et de pratiquer. Il pose le manque de clarté inhérent à la profession et la question de la structuration du métier. Ce dernier est révélateur d’une évaluation et d’une détermination des conditions d’exercice, et il résulte d’une attente d’une valorisation du métier d’infirmier libéral. En d’autre terme, notre hypothèse est que le PSI a provoqué une prise de conscience des conditions d’exercice en libéral et un changement notoire de la profession, dans la mesure où cet avenant conventionnel va modifier la pratique de l’infirmière et qu’il s’agit d’anticiper ce phénomène pour pouvoir perdurer. Il semble parallèlement qu’avec l’essor des technologies médicales, favorisant les soins curatifs et de réparation plus que les soins de base, l’image de l’infirmier « technicien » et hyperspécialisé se trouve valorisé. Il y a un paradoxe dans lequel les métiers de la santé s’inscrivent aujourd’hui : on attend de ces professionnels de la santé qu’ils soient attentifs à la singularité de la personne soignée, tout en étant extrêmement performants sur le plan des connaissances biomédicales et des habiletés techniques. Ces réponses seront un support à la compréhension du sens de la profession, étroitement liée à des systèmes de valeurs, à des représentations ou des identités collectives. IV- La méthodologie 1) Les concepts sociologiques L’étude des représentations des infirmiers libéraux quant à leur profession, mobilise différents concepts tels que l’identité et le système de valeur, puis la notion de changement social, de coopération et de marge de liberté. L’identité peut être définie comme système de représentations de soi, étroitement lié à des systèmes de valeurs et à des représentations collectives. D’autres part les valeurs s’organisent en un « idéal » que la société propose à ses membres et qui est autre chose qu’un simple futur vers lequel on aspire. Cet idéal oriente les pensées et les actes. Le système de valeur cherche ce qui justifie et motive les moeurs pratiqués et les opinions exprimés par un groupe. Il doit être congruent avec la morale pratique, l’organisation et le fonctionnement de la vie sociale et économique. Selon C. Dubar dans son ouvrage intitulé La socialisation, il s’agit de s’interroger sur la manière dont les acteurs s’identifient les uns aux autres. Cette question est inséparable de la définition du contexte d’action, qui est aussi contexte de définition de soi et des autres. En tant qu’acteur chacun possède une certaine définition de la situation dans laquelle il est plongé. Elle prend la forme d’argument qui implique des intérêts et des valeurs, des positions et des prises de positions. D’autre part, ces auto-définitions, dans un contexte donné, ne sont pas strictement déterminées par le contexte lui-même. Chacun des acteurs a une histoire, un passé qui pèse sur ses identités d’acteur. Il ne se définit pas seulement en fonction de ses partenaires actuels, de ses interactions face à face, dans un champs déterminé de pratiques, il se définit en fonction de sa trajectoire aussi bien personnelle que sociale. Cette trajectoire subjective « résulte à la fois d’une lecture interprétative du passé et d’une projection anticipatrice de l’avenir ». La notion d’identité aide à penser les relations entre les catégories sociales légitimes (statuts sociaux et professionnels) et les représentations subjectives que ce font les individus de leur position sociale. Celle ci est liée au concept de socialisation, processus d’identification, de construction d’identité, c’est à dire d’appartenance et de relations. C. Dubar écrit « se socialiser c’est assumer son appartenance à un groupe ». Le signe décisif d’appartenance à un groupe c’est l’acquisition d’un savoir intuitif. Ce savoir implique la prise en charge plus ou moins partielle du passé, du présent et du projet de groupe « tels qu’ils s’expriment dans le code symbolique commun qui fonde la relation entre ses membres ». A travers L’acteur et le système, Erhard friedberg nous explique que les comportements des acteurs relèvent de leur histoires personnelles et des processus d’apprentissage traversés, lesquels conditionnent leur perception de la situation à laquelle ils sont confrontés, comme leur capacité à s’y ajuster. La question qui se pose alors est celle du poids de ces représentations culturellement transmises dans le jeu et les stratégies menées par les acteurs. Les attitudes et les valeurs - reçues et intériorisées par les individus en entrant dans cet univers - déterminent ensuite leur perception de la réalité, voire leur réaction affectives face à elle, et guide ainsi le choix des objectifs et des moyens de l’action. En somme la recherche s’intéressera alors à ces différents aspects des relations, aux caractéristiques des acteurs en terme de stratégie, puis à l’identité collective construite et le système de valeur véhiculé par le groupe, à travers les ouvrages de R. Sainsaulieu, l’identité au travail et C. Dubar La socialisation. Crozier et Friedberg suggère que toute action de changement passe par la découverte et l’acquisition de nouvelles capacités collectives, de nouvelles façons de raisonner, de nouvelles façons d’être ensemble. Le changement est donc apprentissage, apprentissage à coopérer autrement c’est à dire à inventer et à fixer de nouveaux modèles de jeux. Cependant cette conception du changement se heurte à des obstacles. Certains résident dans la structuration antérieure des systèmes d’actions concrets². Les acteurs ont développé des capacités et des compétences liées à cette structuration. Celle-ci permet de résoudre certains problèmes mais constitue un obstacle à l’apprentissage collectif dans la mesure ou elle structure l’expérience des participants, leur mode de raisonnement, leur façon d’agir et par conséquent, conditionne leur capacité à inventer de nouvelles règles du jeu. Crozier et Frieberg se questionnent « tous les groupes sont-ils propices à un processus collectif de changement ? ». D’autre part il est rare que le changement résulte d’une évolution graduelle harmonieuse ; celui-ci implique toujours des crises et débouche sur la transformation des systèmes d’actions. A partir de là il en résulte une prise de conscience et un ² Le système d’action concret se définit comme un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants, par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est à dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux. engagement dans un processus collectif où les individus deviennent acteurs du changement. Sainsaulieu apportera des éléments de réponse par rapport aux situations analysées : les jeux stratégiques ordinaires et les ajustements culturels auxquels ils donnent lieu peuvent ainsi receler une dynamique d’apprentissage et être porteur de créativité et d’innovation. Par suite l’étude s’intéressera aux stratégies des différents acteurs, sur le pouvoir qui leur est confié. L’individu dispose de certaines marges de liberté dans son travail, il élabore ses propres stratégies. L’acteur agit sans avoir des objectifs clairs et des projets nécessairement cohérents. Il n’est pas pour autant irrationnel. Sa rationalité s’exerce dans la saisie d’opportunités définies par un contexte donné et dans la prise en compte du comportement des autres acteurs et du jeu qui s’établit entre eux. En effet le système est composé d’individus qui agissent en fonction de leurs propres buts, qui sont parfois contradictoires avec l’organisation elle-même. Les règles officielles ne permettent pas d’expliquer toutes les conduites des membres, il faut y ajouter les relations que les acteurs entretiennent entre eux. En référence aux études de M. Crozier et Fridberg, l’acteur et le système, dans un contexte macrosociologique, les acteurs de l’environnement sont amenés à coopérer afin d’atteindre des objectifs communs. Cependant ces acteurs ont chacun des orientations personnelles qui peuvent diverger et compromettre la concrétisation d’une action collective, en l’occurrence l’harmonisation du système de soins. La définition des concepts permet une meilleurs compréhension de l’objet de base, premier acheminement pour ensuite développer la problématique. 2) Une approche qualitative La méthodologie employée est une approche qualitative. En terme de méthode n’est plus ici compris dans le sens large de dispositif global d’élucidation du réel, mais bien dans un sens plus restreint, celui du dispositif spécifique de recueil ou d’analyse des informations, destiné à tester des hypothèses de recherche. La méthode d’entretien se distingue par la mise en œuvre des processus fondamentaux de communication et d’interaction humaine. Ainsi s’instaure en principe un véritable échange au cours duquel l’interlocuteur du chercheur exprime ses perceptions d’un événement ou d’une situation, ses interprétations ou ses expériences. Trois objectifs sont corollaires à la méthode de l’entretien : ã L’analyse du sens que donne les acteurs à leurs pratiques et aux événements auxquels ils sont confrontés. Leur système de valeur, leurs repères normatifs, leurs interprétations de situations conflictuelles, leur lecture de leurs propres expériences. ã L’analyse d’un problème précis : ses données, ses enjeux, le système de relation, le fonctionnement du système de soins. ã La reconstitution du processus d’actions, d’expériences ou d’événements du passé. ã Leurs attentes et leurs revendications L’intérêt de ces entretiens est de partir des représentations des acteurs pour définir leur métier, les tâches qu’ils exercent. De plus l’interrogation portera sur leur trajectoire socioprofessionnelle, sur le côté relationnel que les acteurs entretiennent entre eux, sur la représentation qu’ils se font du travail des autres, afin peut-être de déceler d’éventuels dysfonctionnements. Il s’agit d’une restitution partielle d’une vie dans un contexte social donné. Le récit de vie est un outil permettant d’atteindre une signification subjective des faits sociaux, une technique permettant de recueillir des témoignages sur une pratique sociale. A travers cette subjectivité on peut saisir certains aspects de la réalité sociale. Par suite, les entretiens feront l’objet d’une analyse thématique, en respectant la grille précédemment élaborée. L’avantage de cette méthode est le degré de profondeur des éléments d’analyse recueillis, puis la souplesse et la faible directivité du dispositif qui permet de récolter les interprétations des interlocuteurs en respectant leurs propres cadre de références : leur langage et leur catégorie mentale. 3) L’échantillon Selon la D.R.A.S.S., 1583 infirmiers libéraux exercent en Haute Garonne. Mon étude s’est limitée à 33 entretiens dont 27 auprès des infirmiers libéraux, 4 auprès de patients et 2 auprès de médecins. Les entretiens réalisés auprès de patients et de médecins garantissent un regard extérieur, démontrent des besoins différents selon le positionnement et permettent une meilleur approche et connaissance du champs des infirmiers libéraux qui leur est lié. Par précision, suite à un travail d’observation, j’ai tout d’abord réalisé des entretiens exploratoires pour clarifier le cadre de mon étude : 8 entretiens auprès des infirmiers libéraux et ceux effectués auprès des médecins et des patients. Ces entretiens doivent aider à constituer la problématique de recherche, à découvrir les aspects à prendre en considération et élargissent ou rectifient le champs d’investigation des lectures. Ainsi les entretiens exploratoires ont donc pour fonction principale de mettre en lumière des aspects du phénomène étudié auxquels le chercheur n’aurait pu penser simultanément lui-même, et à compléter ainsi les pistes de travail que ses lectures auront mis en évidence. Concernant les agents intéressés par l’étude, il s’agit de diversifier la population afin d’être représentatif et d’avoir un éventail de réponses plus ou moins exhaustif. Je ne disposais pas d’un recueil d’information précis concernant les infirmier libéraux, qui aurait pu décliner leur CSP, l’adhésion au syndicat, ou encore leur âge et leurs formations. Il n’est pas toujours possible de rassembler des informations sur chaque agent de la population qui la compose. Mon répertoire fut l’annuaire des pages jaunes, ainsi que l’aiguillage et les conseils de mes commanditaires à l’égard de quelques personnes. Dans un premier temps, j’ai procédé par un découpage par villes du département telles que Toulouse, Portet Sur Garonne, Blagnac, Colomiers, Cornebarieu, Cugnaux, Lezate sur Lèse etc..., puis j’ai construit mon échantillon de manière aléatoire, en piochant parmi tous les numéros répertoriés pour ensuite négocier un rendez-vous. Il s’agissait de diversifier les points de vue, les âges, l’adhésion à différents syndicats. Globalement malgré le tirage aléatoire de mon échantillon, j’ai rencontré de jeunes infirmières nouvellement rentrées dans la profession, des anciennes, certaines ayant longtemps pratiquées en structures et d’autre peu voir pas du tout, des infirmiers aux diverses formations et adhérant à différents syndicats, impliqués dans diverses actions... En ce sens l’échantillon semble suffisamment diversifié pour l’obtention d’un panel de réponses vaste et pertinent. Par suite les premiers contacts se sont établis par téléphone, où je me suis présentée à découvert, en expliquant mon statut d’étudiante en sociologie, la durée de mon stage, mes missions et mes objectifs. Malgré quelques refus pour cause de désintéressement ou de manque de temps, je n’ai pas rencontré de difficultés particulières pour joindre les infirmiers libéraux et m’entretenir avec eux, qui m’ont souvent reçu avec beaucoup de gentillesse et d’intérêts.