N° 386
Octobre 2011
Les premiers « réfugiés climatiques»
du Vanuatu sont toujours menacés
Scientific news Actualidad cientifica
Actualité scientifique
Décembre 2005 : le monde entier a les yeux rivés
sur le village de Lataw sur les îles Torrès, au Nord
de l’archipel du Vanuatu, au beau milieu du Paci-
fique Sud. Les Nations unies viennent de déclarer
ses habitants comme les tout premiers « réfugiés
climatiques » de la planète. Inondation des planta-
tions de cocotiers, habitations menacées… Leur
village, avec le soutien du gouvernement du Vanuatu
et de l’aide canadienne, a été déplacé de plusieurs
centaines de mètres entre 2002 et 2004, afin
d’échapper à la montée des eaux. D’après les
instances internationales, celle-ci est due au
réchauffement global, qui fait fondre les glaces et
dilate les eaux de surfaces. Mais à la hausse du
niveau mondial des océans se superpose un autre
phénomène : l’enfoncement des îles.
L’archipel s’affaisse
d’un centimètre par an
Des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires1
viennent de montrer, dans un article paru récem-
ment dans la revue The Proceedings of the
National Academy of Sciences, que cette subsi-
dence2 multiplie quasiment par deux l’élévation
apparente du niveau de la mer aux îles Torrès.
Les chercheurs ont effectué leurs premières
mesures sur ce petit bout du monde, difficile
d’accès, en 1997, initialement pour évaluer les
répercussions d’un important tremblement de
terre survenu cette année-là. Puis ils sont revenus
en 2009, peu de temps avant un nouvel événe-
ment de magnitude supérieure à 7. Ils ont ainsi
pu évaluer l’évolution, entre deux séismes, du
niveau effectif de la mer d’une part – relevé par
altimétrie satellitaire – et de l’affaissement des
îles d’autre part – mesuré par relevé GPS (Global
Positioning System). En douze ans, alors que le
niveau des eaux s’est élevé d’environ 15 centi-
mètres, les îles Torres se sont enfoncées de près
de 12 centimètres. Au total, la mer est montée de
27 centimètres environ sur la côte des Torrès
entre les deux secousses.
La montée des eaux sur les îles Torrès a notamment inondé les plantations de cocotiers.
Le village de Lataw, sur les
îles Torrès au Vanuatu,
prend l’eau. En 2004, cette
petite localité au beau
milieu du Pacifique Sud a
dû reculer de plusieurs
centaines de mètres, ses
70 habitants devenant
ainsi les premiers
«réfugiés climatiques» de
l’Histoire d’après les
Nations unies. Innocentes
victimes du réchauffement
global ? Pas seulement.
Des chercheurs de l’IRD et
leurs partenaires1 viennent
de montrer, dans la revue
PNAS, que l’archipel
s’enfonce dans l’océan
avec une vitesse de l’ordre
d’un centimètre par an. Le
Vanuatu se situe à la
frontière de la plaque
tectonique du Pacifique,
sous laquelle plonge la
plaque indo-australienne,
entraînant la base de la
plaque chevauchante et
les îles situées dessus.
De ce fait, la montée
apparente de la mer est
deux fois plus rapide que
prévue. Lataw n’a pas été
déménagé au bon endroit.
À l’instar de leurs
ancêtres, les habitants des
Torrès, comme d’autres
îles du Vanuatu, devraient
retourner sur les hauteurs.
Ces travaux aideront les
autorités locales à prendre
à l’avenir les meilleures
décisions pour leur futur.
© IRD / V. Ballu
La tectonique des plaques
en cause
Cette chaîne de petites îles, atteignant une altitude de
300 mètres, s’étend sur une quarantaine de kilo-
mètres, au sein de la « ceinture de feu » du Pacifique
– ensemble d’arcs volcaniques s’étirant de la
Nouvelle-Zélande à la Terre de Feu, à l’extrême sud
du continent américain. Autrement dit les Torrès se
trouvent à la bordure de la plaque tectonique dite du
Pacifique, toutes proches de la fosse océanique des
Nouvelles Hébrides, profonde de 8000 mètres. À cet
endroit, la plaque indo-australienne plonge sous la
plaque océanique avec une vitesse de convergence
de l’ordre de 7 centimètres par an. Dans sa subduc-
tion3, la plaque continentale entraîne la base de la
plaque Pacifique qui la chevauche, produisant la
subsidence des îles situées au-dessus, qui s’en-
foncent alors dans l’océan.
Les séismes redistribuent le jeu
Le cycle sismique modifie le niveau de la mer relatif sur
l’archipel. Les tremblements de terre provoquent de
soudains mouvements verticaux de la croûte terrestre :
ces mouvements dits co-sismiques récupèrent en
partie la déformation accumulée en sens opposé entre
deux événements. Parfois, les îles s’abaissent. Ce fut
notamment le cas en 1997, où elles se sont brutale-
ment affaissées d’un mètre. Mais le plus souvent,
quand la lithosphère4 se rompt sous le choc de la
secousse, elles remontent de quelques dizaines de
centimètres dans un effet rebond. Après l’événement
de 2009 par exemple, elles se sont rehaussées de
20cm. Si entre ces deux séismes les îles se sont
enfoncées – comme l’ont montré les mesures géodé-
siques –, à l’échelle des temps géologiques, les îles se
soulèvent, comme l’attestent les terrasses coralliennes
aujourd’hui émergées.
Les anciens
vivaient sur les hauteurs
S’il contribue à l’élévation du niveau apparent de
la mer aux Torrès, le réchauffement climatique
n’a donc pas le rôle dominant qui lui a été attribué.
Le niveau de l’eau monte beaucoup plus vite que
ce que les autorités locales avaient prévu en
tenant compte de la simple hausse mondiale de
niveau des océans. Une erreur d’interprétation
qui a conduit les autorités locales à déménager
Lataw à un endroit qui n’est pas optimal: bien
que le village ait été reculé de plusieurs centaines
de mètres, l’altitude du nouveau site d’implanta-
tion n’a pas suffisamment augmenté pour mettre
à l’abri ses habitants sur le long terme.
Aujourd’hui, la majorité de la population des
Torrès, mais aussi d’autres îles du Vanuatu, vit
sur l’étroite plaine côtière. A l’instar des anciens,
qui résidaient il y a encore un siècle sur les
hauteurs de ces petites îles escarpées, les habi-
tants devraient quitter les zones du littoral les
plus exposées aux variations du niveau de
l’océan. Ces travaux permettent aux autorités
locales de mieux comprendre les changements
de leur environnement et pourront les aider à
l’avenir à prendre les meilleures décisions pour
leur futur.
Rédaction DIC — Gaëlle Courcoux
Le nouveau site du village (à gauche et au milieu) demeure toujours trop près de la côte. Face aux risques naturels dans la région du Vanuatu (à droite, mesures
volcaniques), les habitants de ces petites îles devraient prendre exemple sur leurs ancêtres qui vivaient sur les hauteurs.
Contacts
Valérie BALLU,
chercheure au CNRS en accueil à
l’IRD pour ces travaux
Tél. : +33 (0)1 57 27 84 78
Adresse
Institut de Physique du Globe de Paris
Case 89, Tour 26-16, 3ème étage
4 Place Jussieu
75252 Paris cedex 05
Bernard PELLETIER,
directeur de recherche à l’IRD
Tél. : (687) 26 07 72
UMR 82 Géoazur (IRD / Université de
Nice Sophia Antipolis / CNRS /
Observatoire de la Côte d’Azur)
Adresse
IRD Nouméa
BP A5
98848 Nouméa cedex
Nouvelle-Calédonie
Références
Ballu Valérie, bouin m. n., siméonip.,
Crawford Wayne, Calmant Sphane,
Bo Jean-Michel, kanas t.,
PelletierBernard. Comparing the role of
absolute sea-level rise and vertical tectonic
motions in coastal flooding, Torres Islands
(Vanuatu).
PNAS
, 2011, 108 (32), p.13019-
13022. doi:10.1073/pnas.1102842108
Becker M., Meyssignac B., LetetreL c., LLoveL
W., cazenave a., delcroix thierry. Sea
Level Variations at Tropical Pacific Islands
since 1950,
Global and Planetary Change
,
2011. doi:10.1016/j.gloplacha.2011.09.004
Mots clés
Réfugiés climatiques, niveau de la mer,
Vanuatu
Coordination
Gaëlle COURCOUX
Direction de l’information
et de la culture scientifiques pour le Sud
Tél. : +33 (0)4 91 99 94 90
Fax : +33 (0)4 91 99 92 28
Relations avec les médias
Cristelle DUOS
+33 (0)4 91 99 94 87
Indigo,
photothèque de l’IRD
Daina RECHNER
+33 (0)4 91 99 94 81
Retrouvez les photos de l’IRD concernant cette
fiche, libres de droit pour la presse, sur :
www.indigo.ird.fr
1. Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec des scientifiques de l’Institut de Physique du Globe de Paris, du Centre National
de Recherches Météorologiques à Brest, du bureau d’études Géo-consulte et du Land Survey Department au Vanuatu.
2. Lent affaissement de l’écorce terrestre.
3. La subduction est le processus de glissement d’une plaque tectonique sous une autre plaque.
4. Littéralement « sphère de pierre », la lithosphère est l’enveloppe rigide de la Terre.
POUR EN SAVOIR PLUS
44 boulevard de Dunkerque,
CS 90009
13572 Marseille Cedex 02
France
© IRD/DIC, octobre 2011 - Conception et réalisation graphique : L. CORSINI
© IRD / M. Lardy
© IRD / V. Ballu
© IRD - Géo-consulte / P. Simeoni
1 / 2 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !