Actualité scientifique Scientific news Octobre 2011 Le village de Lataw, sur les îles Torrès au Vanuatu, prend l’eau. En 2004, cette petite localité au beau milieu du Pacifique Sud a dû reculer de plusieurs centaines de mètres, ses 70 habitants devenant ainsi les premiers « réfugiés climatiques » de l’Histoire d’après les Nations unies. Innocentes victimes du réchauffement global ? Pas seulement. Des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires1 viennent de montrer, dans la revue PNAS, que l’archipel s’enfonce dans l’océan avec une vitesse de l’ordre d’un centimètre par an. Le Vanuatu se situe à la frontière de la plaque tectonique du Pacifique, sous laquelle plonge la plaque indo-australienne, entraînant la base de la plaque chevauchante et les îles situées dessus. De ce fait, la montée apparente de la mer est deux fois plus rapide que prévue. Lataw n’a pas été déménagé au bon endroit. À l’instar de leurs ancêtres, les habitants des Torrès, comme d’autres îles du Vanuatu, devraient retourner sur les hauteurs. Ces travaux aideront les autorités locales à prendre à l’avenir les meilleures décisions pour leur futur. Les premiers « réfugiés climatiques » du Vanuatu sont toujours menacés © IRD / V. Ballu N° 386 Actualidad cientifica La montée des eaux sur les îles Torrès a notamment inondé les plantations de cocotiers. Décembre 2005 : le monde entier a les yeux rivés sur le village de Lataw sur les îles Torrès, au Nord de l’archipel du Vanuatu, au beau milieu du Pacifique Sud. Les Nations unies viennent de déclarer ses habitants comme les tout premiers « réfugiés climatiques » de la planète. Inondation des plantations de cocotiers, habitations menacées… Leur village, avec le soutien du gouvernement du Vanuatu et de l’aide canadienne, a été déplacé de plusieurs centaines de mètres entre 2002 et 2004, afin d’échapper à la montée des eaux. D’après les instances internationales, celle-ci est due au réchauffement global, qui fait fondre les glaces et dilate les eaux de surfaces. Mais à la hausse du niveau mondial des océans se superpose un autre phénomène : l’enfoncement des îles. L’archipel s’affaisse d’un centimètre par an Des chercheurs de l’IRD et leurs partenaires 1 viennent de montrer, dans un article paru récem- ment dans la revue The Proceedings of the National Academy of Sciences, que cette subsidence 2 multiplie quasiment par deux l’élévation apparente du niveau de la mer aux îles Torrès. Les chercheurs ont effectué leurs premières mesures sur ce petit bout du monde, difficile d’accès, en 1997, initialement pour évaluer les répercussions d’un important tremblement de terre survenu cette année-là. Puis ils sont revenus en 2009, peu de temps avant un nouvel événement de magnitude supérieure à 7. Ils ont ainsi pu évaluer l’évolution, entre deux séismes, du niveau effectif de la mer d’une part – relevé par altimétrie satellitaire – et de l’affaissement des îles d’autre part – mesuré par relevé GPS (Global Positioning System). En douze ans, alors que le niveau des eaux s’est élevé d’environ 15 centimètres, les îles Torres se sont enfoncées de près de 12 centimètres. Au total, la mer est montée de 27 centimètres environ sur la côte des Torrès entre les deux secousses. Pour en savoir plus La tectonique des plaques en cause Cette chaîne de petites îles, atteignant une altitude de 300 mètres, s’étend sur une quarantaine de kilomètres, au sein de la « ceinture de feu » du Pacifique – ensemble d’arcs volcaniques s’étirant de la Nouvelle-Zélande à la Terre de Feu, à l’extrême sud du continent américain. Autrement dit les Torrès se trouvent à la bordure de la plaque tectonique dite du Pacifique, toutes proches de la fosse océanique des Nouvelles Hébrides, profonde de 8 000 mètres. À cet endroit, la plaque indo-australienne plonge sous la plaque océanique avec une vitesse de convergence de l’ordre de 7 centimètres par an. Dans sa subduction3, la plaque continentale entraîne la base de la plaque Pacifique qui la chevauche, produisant la subsidence des îles situées au-dessus, qui s’enfoncent alors dans l’océan. siques –, à l’échelle des temps géologiques, les îles se soulèvent, comme l’attestent les terrasses coralliennes aujourd’hui émergées. Contacts Valérie Ballu, chercheure au CNRS en accueil à l’IRD pour ces travaux Les anciens vivaient sur les hauteurs Tél. : +33 (0)1 57 27 84 78 [email protected] Adresse Institut de Physique du Globe de Paris Case 89, Tour 26-16, 3ème étage 4 Place Jussieu 75252 Paris cedex 05 S’il contribue à l’élévation du niveau apparent de la mer aux Torrès, le réchauffement climatique n’a donc pas le rôle dominant qui lui a été attribué. Le niveau de l’eau monte beaucoup plus vite que ce que les autorités locales avaient prévu en tenant compte de la simple hausse mondiale de niveau des océans. Une erreur d’interprétation qui a conduit les autorités locales à déménager Lataw à un endroit qui n’est pas optimal : bien que le village ait été reculé de plusieurs centaines de mètres, l’altitude du nouveau site d’implantation n’a pas suffisamment augmenté pour mettre à l’abri ses habitants sur le long terme. Bernard Pelletier, directeur de recherche à l’IRD Tél. : (687) 26 07 72 [email protected] UMR 82 Géoazur (IRD / Université de Nice Sophia Antipolis / CNRS / Observatoire de la Côte d’Azur) Adresse IRD Nouméa BP A5 98848 Nouméa cedex Nouvelle-Calédonie Les séismes redistribuent le jeu Le cycle sismique modifie le niveau de la mer relatif sur l’archipel. Les tremblements de terre provoquent de soudains mouvements verticaux de la croûte terrestre : ces mouvements dits co-sismiques récupèrent en partie la déformation accumulée en sens opposé entre deux événements. Parfois, les îles s’abaissent. Ce fut notamment le cas en 1997, où elles se sont brutalement affaissées d’un mètre. Mais le plus souvent, quand la lithosphère4 se rompt sous le choc de la secousse, elles remontent de quelques dizaines de centimètres dans un effet rebond. Après l’événement de 2009 par exemple, elles se sont rehaussées de 20 cm. Si entre ces deux séismes les îles se sont enfoncées – comme l’ont montré les mesures géodé- Aujourd’hui, la majorité de la population des Torrès, mais aussi d’autres îles du Vanuatu, vit sur l’étroite plaine côtière. A l’instar des anciens, qui résidaient il y a encore un siècle sur les hauteurs de ces petites îles escarpées, les habitants devraient quitter les zones du littoral les plus exposées aux variations du niveau de l’océan. Ces travaux permettent aux autorités locales de mieux comprendre les changements de leur environnement et pourront les aider à l’avenir à prendre les meilleures décisions pour leur futur. Références ballu valérie, bouin m. n., siméoni p., crawford wayne, calmant stéphane, boré jean-michel, kanas t., pelletier bernard. Comparing the role of absolute sea-level rise and vertical tectonic motions in coastal flooding, Torres Islands (Vanuatu). PNAS, 2011, 108 (32), p.1301913022. doi:10.1073/pnas.1102842108 Becker M., Meyssignac B., Letetrel C., Llovel W., Cazenave A., Delcroix Thierry. Sea Level Variations at Tropical Pacific Islands since 1950, Global and Planetary Change, 2011. doi:10.1016/j.gloplacha.2011.09.004 Rédaction DIC — Gaëlle Courcoux Mots clés Réfugiés climatiques, niveau de la mer, Vanuatu 1. Ces travaux ont été réalisés en partenariat avec des scientifiques de l’Institut de Physique du Globe de Paris, du Centre National de Recherches Météorologiques à Brest, du bureau d’études Géo-consulte et du Land Survey Department au Vanuatu. 2. Lent affaissement de l’écorce terrestre. Coordination Gaëlle Courcoux Direction de l’information et de la culture scientifiques pour le Sud Tél. : +33 (0)4 91 99 94 90 Fax : +33 (0)4 91 99 92 28 [email protected] 3. La subduction est le processus de glissement d’une plaque tectonique sous une autre plaque. 4. Littéralement « sphère de pierre », la lithosphère est l’enveloppe rigide de la Terre. 44 boulevard de Dunkerque, CS 90009 13572 Marseille Cedex 02 France © IRD/DIC, octobre 2011 - Conception et réalisation graphique : L. CORSINI Le nouveau site du village (à gauche et au milieu) demeure toujours trop près de la côte. Face aux risques naturels dans la région du Vanuatu (à droite, mesures volcaniques), les habitants de ces petites îles devraient prendre exemple sur leurs ancêtres qui vivaient sur les hauteurs. Indigo, photothèque de l’IRD Daina Rechner +33 (0)4 91 99 94 81 [email protected] Retrouvez les photos de l’IRD concernant cette fiche, libres de droit pour la presse, sur : www.indigo.ird.fr © IRD / M. Lardy © IRD - Géo-consulte / P. Simeoni © IRD / V. Ballu Relations avec les médias Cristelle DUOS +33 (0)4 91 99 94 87 [email protected]