«Chaque œuvre nouvelle doit être une découverte», aime à rappeler
George Benjamin quand il rencontre des étudiants. Et grande est
sa satisfaction quand il a l’impression d’avoir écrit quelque chose
qu’il n’avait encore jamais réussi à écrire. De ce point de vue, il
ne fait aucun doute que Duet a comblé ses attentes. Mais en se
maintenant à la lisière du genre concertant, cette œuvre pour
piano et orchestre rappelle aussi que toute découverte dépend de
la capacité du compositeur à tracer sa propre route, en s’isolant
tout en s’imprégnant régulièrement de ce qui l’entoure. Parmi les
compositeurs qui ont nourri son propre cheminement: Beethoven,
compositeur «aimé à l’âge de huit-neuf ans– j’ai senti chez lui l’expres-
sion d’une vérité», et son compatriote Britten, chez qui il a admiré
«l’homme de théâtre, le sens du temps dramatique,l’écriture vocale, la
clarté formelle, surtout dans Peter Grimes et Billy Budd».
BenjAmin Britten
«Quatre Interludes marins» extraits de
Peter Grimes, op. 33a
Composition: 1941-1945.
Création: 13 juin 1945, Festival de Cheltenham, sous la direction
du compositeur.
«Parmi les grandes impasses», constatait George Benjamin il y a
une dizaine d’années,«il faut surtout citer l’opéra: comment écrire
un opéra dans un idiome post-tonal, intégrer la voix dans un envi-
ronnement harmonique post-tonal ? Ce sont des questions qui restent
irrésolues à ce jour. Bien entendu, les grands opéras de Britten fonc-
tionnent, mais ils sont écrits de manière traditionnelle.» Depuis lors,
le public de l’Opéra-Bastille a assisté à la création d’une première
œuvre scénique de Benjamin avec Into the Little Hill. Mais nous
ne bouderons pas pour autant le plaisir de réentendre ce Peter
Grimes qu’il disait traditionnel… Exilé aux États-Unis, Britten en
avait trouvé le sujet dans un recueil du poète George Crabbe. Parce
qu’il n’avait pu achever l’œuvre comme prévu pour l’été 1944, il
avait alors proposé à son commanditaire, le chef Serge Kousse-
vitzky, une sorte de suite symphonique. Est-ce là l’origine de ces
Quatre Interludes, finalement créés en Angleterre six jours après
l’opéra, lui-même entendu à Londres sous la direction de Reginald
Goodall ? Regroupant quatre des six interludes de Peter Grimes,
cette sélection ne respecte pas l’ordre original et fait de la tempête
du premier acte l’issue naturelle d’un long crescendo dramatique.
La mer et ses couleurs changeantes, un petit village côtier et la vie
quotidienne de ses habitants en disent long sur l’évolution et les
troubles psychologiques du personnage principal. La personnalité
du pêcheur imprégnant ces marines successives, les contradictions
de Grimes transparaissent à travers l’agitation des cordes et les
brèves accalmies. Et parce que la conclusion préfère les hurle-
ments du vent à une mer tranquillisée, mer dans laquelle Grimes
rejoindra ces enfants dont on ne sait de qui ils ont été les victimes,
le dernier interlude est encore plein de la colère, de la révolte naïve
du marin, pion inadapté et pitoyable perdu sur l’échiquier d’une
société aux certitudes inébranlables.
ludwig vAn Beethoven
Concerto pour piano n° 2,
en si bémol majeur, op. 19
Composition: 1794-1795, 1798-1801.
Création: vraisemblablement le 29 mars 1795, au Burgtheater
de Vienne, dans le cadre de la Tonkünstler-Societät, avec l’auteur
au piano.
Deuxième dans l’ordre de publication mais premier à avoir été
composé, le Concerto pour piano en si bémol majeur n’était pas
tenu par Beethoven en haute estime ; le compositeur le céda à
ses éditeurs pour une petite dizaine de ducats, précisant qu’il ne
le donnait pas «pour un de [ses] meilleurs ouvrages». Sans doute joué
dès mars 1795 à Vienne, il aurait été achevé dans l’urgence, puis
présenté au public sans que la partie du soliste fût couchée sur le
papier, dès lors improvisée ou plus sûrement guidée par le discours
de l’orchestre. Certes, ce n’était pas la première fois que Beethoven
s’essayait au genre. Dès 1784, il avait proposé à la Cour un petit
concerto en mi bémol, puis il avait cherché dans un autre ouvrage
comment insérer une partie lente dans un finale, suivant l’exemple
offert par le Vingt-deuxième Concerto de Mozart. Le Deuxième
Concerto renoue avec des modèles moins étranges, sinon dans la
conclusion éthérée de son Adagio, ou dans sa façon de réinventer
les équilibres habituels de la double exposition thématique dans la
forme sonate. Repris semble-t-il à Prague en 1798, et soumis à de
nouvelles modifications, il trouve une forme définitive en 1801, si
l’on excepte l’adjonction plus tardive d’une cadence. Si le compo-
siteur a compris l’intérêt de se réserver de telles œuvres, il est enfin
venu le temps de penser à une publication. Beethoven prévient ses
éditeurs: «La partie de piano, selon mon habitude, n’était pas écrite
dans la partition, je viens seulement de l’écrire; aussi, en raison de cette
hâte, la recevez-vous de ma propre écriture qui n’est pas trop belle.»
george BenjAmin
Duet, pour piano et orchestre
Composition: 2008.
Création: 30 août 2008, Festival de Lucerne, par Pierre-Laurent
Aimard et l’Orchestre de Cleveland sous la direction de Franz
Welser-Möst.
Commande: «Roche for Lucerne Festival».
Dédicace: à Pierre-Laurent Aimard.
Ancien élève du Conservatoire de Paris et du Collège royal de
Cambridge, désormais professeur à l’École royale de musique de
Londres, Benjamin a étudié le piano avec Peter Gelhorn et Yvonne
Loriod, la composition avec Olivier Messiaen et Alexander Goehr.
Et c’est d’ailleurs à Paris qu’il a rencontré le pianiste Pierre-Laurent
Aimard, avec lequel il a entamé une collaboration particulière-
ment fertile. En insistant sur la rencontre de deux personnages,
Duet flirte avec le genre concertant tout en réfléchissant sur de
nouveaux rapports entre le soliste et l’ensemble. Craignant autant
la virtuosité que «la disparité inhérente aux qualités sonores du piano
et des instruments de l’orchestre», George Benjamin leur cherche des
caractères acoustiques communs, délaisse les violons au profit des
cuivres et des autres cordes, privilégie les modes de jeu les moins
éloignés des couleurs du piano. Ainsi les contrebasses pizzicato,
plus proches du timbre percussif et résonant du piano dans les
graves, ou les combinaisons instrumentales enrichies des temple-
blocks; jouant avec les tessitures pour créer des effets de reflet,
Benjamin guide alors son instrument principal dans les méandres
du «paysage orchestral», le laissant tantôt s’y fondre, tantôt s’en
extraire pour l’inviter à suivre son propre chemin.
AlBert roussel
Bacchus et Ariane, op. 43, suite n° 2
Composition: 1930-1933.
Création: 22 mai 1931 à l’Opéra de Paris sous la direction de
Philippe Gaubert (ballet), 2 février 1934 à Paris sous la direction
de Pierre Monteux (suite n° 2).
Après l’Allemand Beethoven et l’Anglais Britten, voici le Français
Roussel, peut-être parce que George Benjamin a poursuivi ses
études à Paris après avoir été nourri de musique britannique, a
eu «Berlioz pour deuxième amour musical de sa vie après Beethoven»,
et n’a jamais cessé d’aimer cette musique française incarnée par