Proposition)Ecole)d’été)2012)RICHIE) 6/09)–)11/09)2012)
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Doctorant)à)Cergy‐Pontoise)‐)Sous)la)direction)de)Gérard)Bossuat,)Chaire)Jean)Monnet,)Professeur)émérite))
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L’européanisation par le droit?
Le cas de la Commission européenne du bas - Danube 1856 – 1871
En termes stratégiques, la guerre de Crimée avait montré la volonté des pays d'Europe
occidentale à intervenir au nom des Ottomans et de s'assurer qu'aucune puissance unique,
surtout pas les Russes, puisse tirer indûment profit de la faiblesse de l'Empire.1
Cependant, au-delà du seul équilibre stratégique, la plus grande conséquence de la Guerre de
Crimée pour la mer Noire fut l’établissement d’un nouveau corpus de droit international,
les Etats d’Europe occidentale se trouvaient garant du statut de la mer. A partir de 1856,
l’embouchure du Danube et les Détroits vont peu à peu passer un peu plus dans les champs
d’application du Droit publique international européen. Entre 1856 et 1871, le statut du
Danube et des Détroits devient une question de droit international, et non pas simplement un
produit dérivé de l'équilibre du pouvoir entre deux empires qui s'affrontaient. En 1856 le
contrôle de la bouche du Danube a été formellement retourné aux Ottomans, mais une
Commission européenne du bas-Danube (CED) a été créée pour garantir la liberté de
navigation. Ce sera la première expérience d’institutionnalisation d’une coopération
internationale dans la région.
Cette expérience dans une région bordant ce que les Lumière du XVIIème siècle considéraient
comme « une grande mer asiatique »2 pose la question de l’ « européanisation » de territoires
comme les régions danubiennes et de l’appartenance de ces dernières à l’espace européen. Si
l’ « européanisation » est « un processus graduel de convergence politique, économique et
culturelle menant à un développement de plus en plus semblable des sociétés européennes »3,
alors il nous faut comprendre la mission de la Commission et étudier minutieusement son
activité. L’objectif est de comprendre si l’impact du travail de la CED relève de cette
définition ou si, simple institution technique, son rôle fut de se contenter de construire des
digues et des phares.
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1 La guerre russo-turque qui débuta en octobre 1853, fut interprétée par Karl Marx comme « le début d’une
nouvelle poussée d’expansion russe conduisant à la mainmise totale de la Russie sur la Turquie, l’occupation de
Constantinople et des Détroits et la transformation de la mer Noire en un « lac russe » » dans MARX Karl,
Œuvres politiques, tome III, p. 23
2 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, La mer Noire ou mer Majeure,
page 366, 10ième Tome, 1770, Paris
3 J. Grossman, J. Niesser, T. Schneider, Synthesis of the Summer School: Towards a European Society?
Convergence and Divergence in 20th Century
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Les divergences d’intérêts entre les puissances européennes ont rendu difficile la définition
d’un statut du Danube bien que celui-ci ait été proclamé fleuve international par le traité de
Vienne (1815). L’Autriche-Hongrie cherche à contrôler le commerce des céréales roumaines
sur le Danube et en mer Noire et s’est assurée la liberté de navigation en amont par le traité
signé en 1851 avec la Bavière et le Wurtemberg. Les Habsbourg sont favorables à une
internationalisation du fleuve en territoire ottoman mais refusent toute intervention étrangère
sur leur territoire. La Grande-Bretagne est surtout attachée au libre accès des embouchures. La
Russie qui subit la concurrence des céréales danubiennes sur sa production ukrainienne
s’intéresse plutôt au commerce direct avec l’occident.
Les commissions fluviales du XIX siècle peuvent être considérées comme la première
expression du multilatéralisme institutionnalisé mis en place par le Congrès de Vienne. Le
Congrès de Paris créa quatre commissions du Danube, une internationale ou Commission des
riverains qui devait décider de la police et des règles de navigation sur le fleuve. Convoquée à
la fin de 1856 à Vienne, la Commission des représentants des Etats riverains du Danube s’est
séparée en novembre 1857, le règlement de navigation qu’elle était chargée de rédiger fut
soumis aux puissances qui ne le ratifièrent pas et resta donc lettre morte. La seconde sur la
propriété des couvents grecs et une autre sur l’administration interne des pays roumains qui
devait aider à la réforme de ces provinces ottomanes. Ces Commissions s’inscrivaient dans la
tradition des commissions internationales inaugurées par le Congrès de Vienne.
Cependant la quatrième commission devait se singulariser, c’était la Commission des
Bouches du Danube.
1. LA COMMISSION EUROPÉENNE DU DANUBE, « UN CENTRE DENTENTE » ?
A partir du printemps 1856, les Puissances alliées et notamment la Grande-Bretagne se posent
la question de la localisation du futur Port Libre la Commission européenne du Bas-
Danube doit siéger. Londres pèse le pour et le contre entre différentes options, sachant que la
Moldavie pourrait se montrer hésitante à abandonner un port de ses territoires et que pour la
Turquie « (it) would be difficult to get (them) to understand what a free port is, and to have it
respected ».4 Galatz est de loin préféré par les Anglais car elle est l’aboutissement des routes
du blé polonaises et roumaines avec l’avantage de ne pas passer par le territoire russe. Surtout
que la question presse, ainsi le 16 juillet 1856, un officier turc se présente à Soulina, port sur
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4 AMAE, 297QO/169, Extract from a dispatch from Vice Consul Cunningham to Lord Clarendon, Galatz, April
2, 1856
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la mer Noire et ordonne à l’officier autrichien commandant la place de lui en remettre le
commandement. Or cette ville, au terme de l’article 21 du Traité de Paris doit être annexée à
la principauté de Moldavie. Pour l’officier autrichien demandant instructions, il semble que
c’est aux autorités moldaves plutôt qu’à celles de la Sublime Porte que Soulina devrait être
remise. Cet incident démontre pour le Comte de Buol, le ministre des affaires étrangères
autrichien « Combien il serait urgent de réunir la Commission européenne du Danube et
d’établir un centre d’entente pour discuter toutes les questions se rattachant à l’exécution des
stipulations du Traité de Paris ».5 Pour Vienne, la mise en place de la CED est vue comme
une opportunité de voir la navigation libre sur tout le long du fleuve. Ainsi, la mise en place
de la Commission européenne était surtout une garantie de ne pas voir la seule puissance
ottomane garder les embouchures. L’Autriche, ce faisant, utilise le Droit issu du Congrès de
Vienne et de Paris à son avantage.
2. LA COMMISSION EUROPÉENNE, OUTIL DE LIMPLANTATION DU DROIT INTERNATIONAL
EUROPÉEN ?
Dans leur correspondance, les gouvernements se réfèrent au Congrès de Vienne et aux articles
sur le Rhin. Le Traité de Paris stipule que les principes établis par l’acte du Congrès de
Vienne et destinés à régler la navigation sur le Rhin sont désormais appliqués au Danube.
C’est un transfert de ce qui se fait en matière juridique d’une région de l’Europe à une autre.
En quelque sorte, les puissances occidentales implantent ou imposent le droit qui régit leur
rapport à d’autres acteurs dans une autre région, plaçant un nouvel espace géographique sous
la juridiction du droit international.
Or cette disposition ne peut être suivie d’effet sans la mise en œuvre de travaux dans le Delta
pour aménager le fleuve et le rendre navigable. Dans cette optique, les gouvernements des
puissances alliées, plus la Russie, détachent des techniciens, ingénieurs auprès de la future
Commission européenne. Celle-ci fut donc pensée avant tout comme un maitre d’œuvre,
capable de repérer et mener les travaux nécessaires. Dans sa lettre de nomination le futur
délégué français trouve une nette démarcation et attribution des rôles entre la Commission
européenne et la Commission riveraine. Les pouvoirs de cette dernière sont d’élaborer les
règlements de navigation et de police sur tout le parcours du fleuve. Monsieur Engelhardt
« (se bornera) et en accord avec ses collègues de la Commission européenne à rechercher (…)
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5 AMAE, 297QO/169, Dépéche du Comte de Buol au Baron Ottenfels, Vienne 18 juillet 1856
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en quoi consistent les obstacles obstruant les embouchures du fleuve, ensuite à les faire
disparaitre et de pouvoir mettre cette partie du fleuve (…) en parfait état de navigabilité ».6
La Commission européenne a aussi tout pouvoir pour arrêter des droits de péages devant
couvrir le montant des travaux. Enfin dans l’esprit du gouvernement français, la CED doit
achever sa mission « avant même l’expiration du délai de deux ans. »7
La Commission se réunit le 4 novembre 1856 et élit à l’unanimité (moins le Commissaire
anglais) Omer Pacha comme son Président. De tous les délégués, seul Engelhardt et le
Commissaire Stocks (Grande-Bretagne) n’ont pu produire de pleins pouvoirs, n’ayant que des
lettres de service à produire ce qui ne parait pas suffisant aux autres commissaires. « La
Commission européenne aura à établir des règlements qui devront faire la loi de toutes les
nations. (…) Ces règlements constitueront une véritable convention internationale. » De l’avis
des Commissaires, la Commission doit donc être composée de plénipotentiaires au même titre
que celle du Rhin ou que la Commission des riverains. Pour la majorité du Collège, il s’agit
non seulement de mettre en place des « établissements » nécessaires à la navigabilité, mais
aussi à établir des règlements de pilotage, de hallage et des phares. « Ils attachent toutes ces
attributions aux termes « d’établissement ayant pour but d’assurer et de faciliter la navigation
du Danube. »8
Pour Engelhardt, il ne fait pas de doute que si les inspirations autrichiennes et russes pour une
telle extension des pouvoirs de la Commission sont à rattacher à la volonté de ces deux
cabinets de garder un œil sur le Delta, l’Angleterre et la France pourraient aussi tirer profit
d’une Commission aux attributions plus étendues. L’intervention des délégués européens dans
la législation fluviale et maritime du Danube doit offrir plus de garantie que celle de la
Commission riveraine aux puissances non-riveraines. « Ces puissances n’ont qu’à gagner à ce
que les règlements auxquels leurs pavillons doivent être soumis dans ces parages soient
inspirés et dictés par l’intérêt européen. »9 Le gouvernement français si il ne souhaite pas non-
plus donner trop d’extension aux pouvoirs de la Commission, lui reconnait un mandat large.
Dans sa réponse, le Comte Walensky reconnait aussi que indépendamment des travaux, la
CED peut tout à fait, dans la partie du Danube en aval de Istacha exercer les attributions de la
Commission riveraine pendant le délai de deux ans.10 D’ailleurs, dès le 28 novembre, la
Commission arrête plusieurs règlements empiétant largement sur les compétences de la
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6 AMAE, 297QO/169, 14 août 1856, Paris, Lettre de nomination de M. Engelhardt, probablement du Comte
Walenski
7 Ibid.
8 AMAE, 297QO/169, Galatz, 7 novembre 1856, Engelhardt au Comte Walenski
9 Ibid.
10 AMAE, 297QO/169, Du Comte Walenski à Engelhardt, 1er Octobre 1856
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Commission riveraine mais « comme il s’agissait que des mesures purement provisoires,
destinées pour la plupart à faciliter l’exécution des travaux de la Commission riveraine. »11
Toujours dans l’optique d’assurer la navigabilité, la Commission fut obligée « d’organiser une
véritable police de navigation » afin d’obliger les navires à trop fort tirant d’eau de ne pas
s’engager dans les chenaux. »12 Pour assurer cette police, seule l’Autriche dispose de
canonnières dans le Delta. Or n’est-ce pas paradoxale de confier à une seule puissance la
garde des intérêts européens ? Le Traité de Paris ne stipule pas que les Puissances
européennes peuvent faire tenir deux navires de guerre dans le Delta ? Un à un les délégués
font des demandes auprès de leur gouvernement pour disposer eux aussi d’un bâtiment de
guerre qui est alors mis à « la disposition de la Commission ».13
3. LA QUESTION DE LA DÉLIMITATION DES COMPÉTENCES DE LA COMMISSION
Le 4 février 1857, la Commission se doit d’aller plus loin face à la menace des ouvriers,
pilotes et haleurs de faire échouer tout navire refusant de leur donner plus que les taxes
minimes imposées par la Commission. Ainsi face à la faiblesse de l’administration ottomane
et alors que plusieurs navires de guerre convergent vers Soulina (dont le péage est aussi passé
sous contrôle de la CED), elle propose d’établir sa propre administration sur toutes les affaires
regardant la navigation dans le Bas-Danube.
Notamment la justice, et pour cela il faut que le pouvoir des agents consulaires des puissances
voit leurs pouvoirs limités. La Commission argue que mieux vaut une seule juridiction que 16
ou 17. En effet, dans ses travaux sur le fleuve elle va devoir recourir à une main d’œuvre
regroupant des dizaines de nationalités, qu’adviendrait-il si des difficultés surgissent ? La
Commission doit comparaitre devant un Consul ? De plus, le Capitaine du Port de Soulina
devrait être sous l’autorité de la Commission, tandis que le commandement militaire de ce
port doit être un rôle tournant entre les officiers des navires présents sur place et assurer
l’exécution des règlements de la Commission.14
L’Autriche, car elle ne souhaite pas que la Commission riveraine prenne exemple, la Turquie
car il s’agit d’une partie de son territoire, refusent de telles solutions. De son côté la Grande-
Bretagne est bien disposée, dans une dépêche du 20 février 1857, elle enjoint l’officier à la
tête des deux navires stationnés à l’embouchure du Danube de « soutenir l’autorité de la
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11 AMAE, 297QO/169, 4 décembre 1856, Galatz, Engelhardt à Walenski
12 AMAE, 297QO/169, 3 janvier 1857, Engelhardt au Ministre
13 Ibid.
14 297QO/169, Engelhardt au Comte de Walenski, 8 février 1857 et Commission européenne du bas-Danube,
Projet d’arrangement destiné à fixer les rapports de la Commission européenne du Bas-Danube avec l’Autorité
territoriale, 4 février 1857
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