Canon 227 : « Les fidèles laïcs ont le droit de se voir reconnaître

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Canon 227 : « Les fidèles laïcs ont le droit de se voir reconnaître dans le domaine de la cité terrestre la liberté qui appartient à tous les citoyens ; mais dans l’exercice de cette liberté, ils auront soin d’imprégner leur action d’esprit évangélique et ils seront attentifs à la doctrine proposée par le magistère de l’Église, en veillant cependant à ne pas présenter dans des questions de libre opinion leur propre point de vue comme doctrine de l’Église. »
Sources : LG, n° 37 ; AA, n° 24 ; PO, n° 9 ; GS, n° 43.
1. Une clé de voûte, le droit à la liberté religieuse
Les sources de la norme. « Dans toute chose temporelle, ils (les fidèles) doivent se guider d'après la conscience chrétienne : car aucune activité humaine, même dans les choses temporelles, ne peut être soustraite à l'autorité de Dieu.1 » Par l'enseignements des principes moraux et le rappel de la doctrine du Christ, par des orientations pratiques, la hiérarchie aide les laïcs à œuvrer en ce sens. Mais elle n'apporte pas de solution technique aux problèmes de la société humaine : tel n'est pas son rôle2. C'est aux laïcs que revient la tache de « l'animation chrétienne du monde »3.
Le rôle du laïc ne se limite pas à la famille. Le canon 227 élargit à juste titre le rôle des laïcs au­delà de la sphère proprement familiale. Les laïcs ont capacité à intervenir pour le bien de la communauté ecclésiale aussi aux plans « culturel, économique et social, politique (tant au niveau national qu'international) »4.
Un droit inné. Le droit à la liberté religieuse5 ainsi codifié est un droit originaire, inné, qui ne provient pas d'une concession de la loi pour des motifs contingents ou d'opportunité. C'est pourquoi le bien qu'il protège doit être reconnu, agnoscatur dit le texte.
Un droit face à l'Église. De prime abord, ce texte semble revendiquer la liberté de l'Église face à la société civile6 alors qu'il porte en réalité sur « le droit des fidèles laïcs à ce que l'Église leur reconnaisse, dans le domaine de son ordre juridique et dans les affaires temporelles, la même liberté que possèdent tous les autres citoyens »7.
1 Concile Vatican II, const. dogm. Lumen gentium, n° 36/f.
2 « L'Église n'a pas de solutions techniques à offrir » (Paul VI, enc. Populorum progressio, 26 mai 1967, nos 18, 81). Mais elle est « experte en humanité » (Ibid., n° 13). « L'Église accomplit sa mission d'évangélisation », car elle apporte « sa première contribution » quand « elle proclame la vérité sur le Christ, sur elle­même et sur l'homme, en l'appliquant à une situation concrète » (Jean Paul II, enc. Sollicitudi rei socialis, 30 décembre 1987, n° 41).
3 Concile Vatican II, const. past. Gaudium et spes, n° 43/d.
4 Concile Vatican II, const. past. Gaudium et spes, n° 44/c. La Congr. pour la Doctrine de la foi a énuméré dans l'instr. Libertatis conscientia sur la liberté chrétienne et la libération, 22 mars 1986, nombre des tâches attribuables à des laïcs (cf. DC 83 (1986), p. 393­411). Elle précise que « quant aux applications concrètes, il revient aux Églises particulières, en communion entre elles et avec le Siège de Pierre, d'y pourvoir directement » (n° 2).
5 On verra un exposé historique exhaustif sur le sujet dans Fr. Basile o.s.b., La liberté religieuse et la Tradition catholique. Un cas de développement homogène dans le magistère authentique, préface du cardinal Alfons Maria Stickler s.d.b., Abbaye Sainte­Madeleine du Barroux, 2e éd. revue et augmentée, 6 vol., 1998.
6 Ce que le saint­siège ne manque évidemment pas de faire : cf. Dominique Mamberti, « La protezione del diritto di libertà religiosa nell'azione attuale della Santa Sede », IE 20 (2008), p. 55­64.
7 José María Díaz Moreno, « Los laicos en el nuevo Código de Derecho Canónico. Temática actual », REDC 46 (1989), p. 51.
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Un droit fondamental. C'est une conséquence logique et nécessaire de ce qui vient d'être dit. Même si la norme ne parle pas de « fondamental », elle ne peut ôter au droit sa nature constitutionnelle8. Les fidèles des divers rites non latin possèdent les mêmes devoirs et les mêmes droits que les fidèles de rite latin. Il serait absurde de soutenir qu'ils ne les ont eus qu'à partir du moment où une loi canonique, taillée sur mesure, les leur aurait attribués9.
Un droit clef de voûte. Le canon 227 codifie les principes conciliaires que nous avons rappelés, et se présente ainsi comme « la clef de voûte pour bien comprendre la condition juridique faite au laïc dans l'Église d'après le Concile. En vertu de cette norme, en effet, l'exercice (pourvu qu'il soit « juste ») du droit de liberté civile par le laïc passe d'une sphère purement privée du simple fidèle à la sphère publique d'une fonction importante du laïc dans et pour l'Église »10.
La participation des laïcs à la vie publique. Le droit fondamental des laïcs à la liberté en matière temporelle suppose l'absence d'ingérence de la part de l'Église institutionnelle. Il comporte également le devoir moral de participer à la vie publique, y compris politique11. D'un point de vue chrétien, la politique est, en effet, « une manière exigente de vivre l'engagement chrétien au service des autres »12.
Des obligations de l'ordre juridique étatique. La législation des États ne doit pas entraver le juste exercice de leurs droits par ses citoyens qui professent une foi religieuse, la catholique entre autres13. Le droit à la liberté religieuse, au respect de la vie14 et de la liberté de conscience15, ainsi qu'à l'objection de conscience16 ont notamment fait l'objet de dispositions normatives, y compris de façon bilatérale par la voie des concordats et autres accords internationaux, sans compter celles qui émanent des instances supranationales.
2. Les sujets de la norme
Le fondement de cette liberté. Le fondement de cette liberté est double : d'une part, l'autonomie légitime voulue par Dieu des affaires terrestres à l'égard de la société ecclésiastique17 et, d'autre part, la 8 Cf. Fr. Basile, o.s.b., La liberté religieuse..., o.c., Le Barroux, Abbaye Sainte­Madeleine, 2e éd. révisée et augmentée, 3 t., 6 vol., 1998 ; Pasquale Colella, La libertà religiosa nell'ordinamento canonico, 3e éd. révisée et mise à jour, Naples, Jovene Editore, 1999.
9 Cf. José Tomás Martín de Agar, « El derecho de los laicos a la libertad en lo temporal », IC 26 (1986), p. 531­562 ; « Il diritto alla libertà nell'ambito temporale », FI 1 (1991), p. 124­164.
10 Salvatore Berlingo, « I laici nel diritto postconciliare », I laici nel Diritto della Chiesa, Cité du Vatican, Libreria Editrice Vaticana, 1987, p. 81.
11 Cf. Carulli, Il governo, p. 134­135.
12 Paul VI, lettre ap. Octogesima adveniens, 14 mai 1971.
13 Pour un bref status quæstionis en Europe, cf. Juan Fornés, « La libertà religiosa in Europa », IE 17 (2005), p. 29­54.
14 Cf. Ana M. Vera Gutiérrez, « El derecho a la vida o el retroceso en la civilización. Crónica del Simposio Evangelium vitæ e Diritto », IC 36 (1996), p. 715­743.
15 Cf. « La liberté de conscience », RDC 52 (2002), p. 3­152.
16 Cf. María José Ciáurriz, « Objección de consciencia y Estado democrático » Anuario de Derecho Eclesiástico del Estado 12 (1996), p. 43­75. Pour le cas de l'Espagne, cf. Agustín Motilla, « Consideraciones en torno a la objeción de conciencia en el Derecho español », IC 33 (1993), p. 141­150.
17 Cf. Eduardo Molano, La autonomía privada en el ordenamiento canónico. Criterio para su determinación material y formal, Pampelune, Eunsa, 1974. Il est à remarquer que l'administration des choses temporelles « ne correspond pas en tant que telle, de façon directe ou immédiate, à la fin pour laquelle l'Église a été fondée » (cf. Juan Fornés, « La condición jurídica del laico en la Iglesia », IC 26 (1986), p. 47). 2
sécularité qui caractérise les laïcs et donc leur droit à la liberté face à la société civile. Nous pouvons donc dire que « leur condition de citoyens est le fondement et comme la matière de leur mode particulier de vivre la vocation commune de chrétiens »18.
Une liberté de tous les citoyens. Le Code affirme d'ailleurs que les laïcs doivent se voir reconnaître la même liberté que les autres citoyens, quæ omnibus civibus competit. Cette clause manifeste d'abord que la liberté a pour titulaire la personne, le cives, qu'elle soit fidèle ou non, et ensuite que ce droit de la personne ne disparaît pas du fait de devenir fidèle, membre de l'Église. Mais les laïcs doivent exercer leur liberté en conformité avec l'esprit évangélique, non de façon arbitraire.
Responsabilité et liberté personnelles. Les normes du Code sont rédigées, pour ce qui regarde l'action temporelle, de telle sorte que « soient affirmées la responsabilité personnelle et la liberté des laïcs dans la gestion des affaires temporelles ­ prenant garde à ce que la conscience soit correctement formée selon la doctrine pour la foi et les mœurs proposée par la hiérarchie de l'Église ­ ainsi que la nécessité de servir l'autorité légitime de cet ordre temporel (GS 36). Selon l'avertissement de Vatican II, il est nécessaire que les laïcs distinguent entre droits et devoirs qui leur incombent en tant qu'ils sont intégrés à l'Église, et ceux qui leur reviennent comme membres de la société humaine : dans l'exercice de l'action temporelle, les laïcs, emplis de l'esprit chrétien, sont donc astreints non pas aux normes canoniques mais aux lois civiles, comme les autres citoyens (GS 48/b) »19.
Un conflit avec le c. 225 ? La confrontation du libellé du canon 227 avec celui du canon 225 § 2 pourrait laisser croire qu'ils se contredisent. En fait, pour comprendre que tel n'est pas le cas, il convient de distinguer le fait d'être présent dans les negotia sæcularia et la liberté pour s'adonner à ces negotia sæcularia. Le canon 227 envisage la première situation, celle des fidèles qui sont déjà présents dans les affaires temporelles. La deuxième situation permet de distinguer laïcs, clercs et religieux, les clercs et les religieux pouvant être amenés, en raison de leur charge, à intervenir dans les affaires temporelles, et même le devant parfois. Ils jouissent alors de la liberté du canon 225 § 2.
Un traitement discriminatoire. Dans ce canon 227, le législateur reconnaît aux laïcs la liberté en matière temporelle. C'est, comme avec le canon 206, un cas manifeste de traitement inégal, étant donné que le canon ne parle que des laïcs alors qu'il s'agit d'un droit de tous les fidèles, quels qu'ils soient. Nous serions donc en présence d'un traitement discriminatoire. L'Église elle­même a un droit à la liberté religieuse face à la communauté politique, laquelle jouit aussi de liberté en matière temporelle face à l'Église20.
Réellement un droit des laïcs. Pourtant, on a fait remarquer que ce droit représente bien le ministère constitutif des laïcs dans l'Église, leur fonction ecclésiale spécifique.21
18 José Tomás Martín de Agar, « Il diritto alla libertà... », a.c., p. 137.
19 Communicationes 2 (1970), p. 94.
20 Cf. Javier Hervada, Pensamientos, p. 135­136 ; cf. Luis Navarro, « Il principio costituzionale di uguaglianza », FI 2 (1992), p. 159 : « La formalisation du droit à la liberté temporelle est déficiente puisque le c. 227 attribue la titularité de ce droit aux fidèles laïcs, alors qu'il constitue un droit propre de tous les fidèles. »
21 Salvatore Berlingo, « I laici nel diritto... », a.c., p. 82­83, qui donne pour preuves « le choix de la sedes materiæ, la connexion avec le canon relatif au ministère conjugal, les origines significatives et directes des pas préalables du Concile oriental en ce sens, le déroulement des travaux de la Commission de révision du Code, les normes des c. 275 § 2 et 579 § 2 qui obligent, à leur tour, les clercs à reconnaître (agnoscant aussi ici) et à promouvoir « la mission » que les laïcs doivent exercer dans l'Église et en même temps dans le monde comme leur étant propre, renforcent la conviction qu'avec ce canon l'on a voulu attribuer une importance particulière au service que les laïcs 3
Un droit des autres fidèles ? Il peut arriver que des clercs et des religieux s'engagent en leur nom propre et sous leur propre responsabilité dans les affaires séculières, avec la permission de leur autorité compétente. Ils doivent se voir alors reconnaître la même autonomie que les laïcs. Mais cette autonomie n'appartient pas à leur statut canonique, appelés à qu'ils sont se tenir à l'écart des negotia sæcularia22. La Commission condificatrice affirme qu'il s'agit bien d'un droit de tous les fidèles23, ce qui est logique s'agissant, comme nous l'avons dit, et comme la doctrine le reconnaît, d'un droit de la personne24.
3. L'autonomie des laïcs
Autonomie et hiérarchie. La mission de la hiérarchie ne comporte aucune compétence juridique pour diriger et coordonner l'action des fidèles laïcs25. Autrement dit, l'Église reconnaît une large autonomie à ses fidèles : « Si, par autonomie des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les sociétés elles­mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l'homme doit peu à peu apprendre à connaître, à utiliser et à organiser, une telle exigence d'autonomie est pleinement légitime : non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la volonté du Créateur. C'est en vertu de la création même que toutes choses sont établies selon leur consistance, leur vérité et leur excellence propres, avec leur ordonnance et leurs lois spécifiques.26 »
Une véritable autonomie. De même que seule « la vérité vous rendra libres » (Jn 8, 32), l'autonomie n'a de sens que par référence à Dieu. C'est en ce sens qu'il faut comprendre « les lois et les valeurs propres » mentionnées par ce texte. « La distinction entre l'ordre surnaturel du salut et l'ordre temporel de la vie humaine doit être vue de l'intérieur de l'unique dessein de Dieu de récapituler toutes choses dans le Christ.27 »
Les sujets passifs du droit. 1. La hiérarchie. S'agissant d'un droit fondamental, il s'exerce erga omnes. Ceux qui ne le détiennent pas sont tenus de le respecter. Cela entraîne pour ceux qui exercent des fonctions publiques dans l'Église, la hiérarchie, et pour les laïcs qui agissent en vertu d'un mandat hiérarchique, « des devoirs négatifs, d'omission, (...) de ne pas inclure dans l'exercice de leur mission de gouverner ou d'enseigner aux fidèles des questions de nature temporelle ; c'est­à­dire des décisions politiques, sociales, économiques ou techniques ou des opinions ou des conclusions qui sont le résultat de savoirs ou de l'application de méthode devant être considérés comme profanes »28. Toutefois la hiérarchie a le droit d'intervenir dans les débats publics pour porter un jugement moral, sans qu'elle ait pour autant à présenter ou à défendre un programme ou un projet propre29.
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rendent, en tant que tels, à la paix et à la justice au milieu du monde, voulant signifier par là que cela représente aussi leur ministère constitutif dans l'Église. »
Cf. José Tomás Martín de Agar, « Il diritto alla libertà... », a.c., p. 139.
Cf. Communicationes 17 (1985), p. 176.
Cf., par exemple, Javier Hervada, « Diálogo en torno a las relaciones Iglesia­Estado en clave moderna », Nova et Vetera, vol. II, p. 1145­1164.
Cf. José Tomás Martín de Agar, « Il diritto alla libertà... », a.c., p. 128.
Concile Vatican II, const. past. Gaudium et spes, n° 36/b.
Congr. pour la Doctrine de la foi a énuméré dans l'instr. Libertatis conscientia sur la liberté chrétienne et la libération, 22 mars 1986, n° 80 (cf. DC 83 (1986), p. 383­411).
Pedro Lombardía, « Los laicos en el Derecho de la Iglesia », Escritos, vol. II, Pampelune, 1973, p. 167­168.
Cf. Amadeo de Fuenmayor, La libertad religiosa, Pampelune, Eunsa, 1974.
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Les obligations positives de la hiérarchie. La hiérarchie a aussi des obligations positives, qui se résument à promouvoir et garantir la liberté temporelle des fidèles dans la société ecclésiale comme dans les rapports institutionnels de l'Église avec la communauté civile, par le biais des concordats30 et autres accords diplomatiques passés avec les instances étatiques31.
Les obligations négatives des États. Cela entraîne, pour les États, l'obligation de ne pas mettre d'entraves à l'exercice de ce droit, c'est­à­dire l'interdiction des privilegia odiosa qui restreindraient les droits de liberté des citoyens catholiques en tant que tels. C'est un aspect de ce que l'on appelle le Droit public ecclésiastique auquel fait pendant le Droit ecclésiastique de l'État32.
Les sujets passifs du droit. 2. Les autres fidèles. Les autres fidèles sont, eux aussi, tenus par le devoir de respecter la liberté temporelle des laïcs. Le concile s'exprime en ces termes à ce propos : « Fréquemment, c'est leur vision chrétienne des choses qui les inclinera à telle ou telle solution, selon les circonstances. Mais d'autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement (...). On se souviendra en pareil cas que nul n'a le droit de revendiquer d'une manière exclusive pour son opinion l'autorité de l'Église »33, ni d'utiliser d'ailleurs le label « catholique » sans que l'autorité compétente l'y ait autorisé34, ni non plus d'attribuer à l'Église ses propres opinions35.
Le contenu de ce droit. Globalement, ce droit des autres fidèles est double : en premier, le droit à avoir dans les affaires temporelles toute opinion non contraire à la foi ou à la morale chrétiennes, à la faire connaître, à la répandre, à agir en conséquence et à en changer selon sa conscience, sans que du point de vue canonique personne ne puisse imposer à autrui une prise de position ou un modèle quelconque ; en second lieu, le droit d'initiative, c'est­à­dire la faculté de s'unir à d'autres citoyens (donc catholiques ou non) pour mettre en œuvre sa conception de la société, y compris en créant à cet effet des institutions ou des associations civiles. Cela implique que l'on ne puisse pas interdire ou limiter le fidèle dans l'exercice de ses droits de citoyen, ni le faire entrer dans des groupes déterminés de fidèles ou des institutions confessionnelles à l'encontre de sa volonté36.
Un large domaine d'autonomie. Ceci étant, le devoir d'animer l'ordre temporel (c. 225) et la libertas in rebus civitatis terrenæ (c. 227) supposent un large domaine d'autonomie par rapport à la hiérarchie 30 Cf. Jean­Paul II, message L'Église catholique, aux hautes Autorités des pays signataires de l'Acte final de Helsinki du 1er août 1975, sur la liberté de conscience et de religion, 1er septembre 1980, n° 4 : l'Église catholique revendique, pour elle­même comme pour les autres confessions religieuses, « la liberté d'annoncer et de communiquer l'enseignement de la foi, par la parole et l'écrit, y compris en dehors de lieux de culte ». 31 Cf. Dominique Le Tourneau, « La politique concordataire du Saint­Siège », Revue Générale de Droit 30 (1999/2000), p. 719­728. L'on sait que le concordat napoléonien s'applique encore de nos jours partiellement dans les « départements concordataires » d'Alsace­Moselle. C'est le concordat le plus ancien en vigueur, déjà plus que bi­
centenaire : cf. Bernard Adura­Gérard Cholvy­cardinal Billé, Le Concordat entre Pie VII et Bonaparte, 15 juillet 1801, Paris, Cerf, 2001 ; Le Bicentenaire du Concordat. Colloque 10 et 11 septembre 2001 sous la dir. de Mgr Joseph Doré et de Mgr Pierre Raffin, Strasbourg, Éditions du Signe, 2001.
32 Cf. B. Jeuffroy et F. Tricard, Liberté religieuse et régimes des cultes en droit français Textes, pratique administrative, jurisprudence, Paris, Cerf, nouvelle éd., 2005, xviii + 1853 p. ; Patrick Valdrini, Jean­Paul Durand, Olivier Échappé, Jacques Vernay, Droit canonique, Paris, Dalloz, coll. « Précis », 2e éd., 1999, 3e partie, « Droit public ecclésiastique 33
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et droit civil ecclésiastique français », nos 736­990.
Concile Vatican II, const. past. Gaudium et spes, n° 43/c.
Cf. c. 216, 300, 803, 808 CIC 83 ; c. 19, 632, 642 § 1 CCEO.
Cf. Comm. 2 (1970), p. 94.
Cf. José Tomás Martín de Agar, « Il diritto alla libertà... », a.c., p. 145­146.
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ecclesiastique. En réalité, à bien y regarder, la mission des laïcs est subordonnée dans l'ordre temporel à celle de la hiérarchie pour ce qui est d'« enseigner et interpréter de façon authentique les principes moraux à suivre dans les affaires temporelles »37. Quelles limites séparent les droits des fidèles et les pouvoirs de la hiérarchie ? Notre canon indique d'être attentif ad doctrinam ab Ecclesiæ magisterio propositam. Le doute naît de savoir si l'animation de l'ordre temporel par les laïcs ne proviendrait pas en définitive d'un mandat hiérarchique, la disposition du canon 212 § 1 sur le devoir d'obéissance des fidèles envers la hiérarchie lui étant alors applicable38.
Ad doctrinam attendant. Dans l'exercice de ce droit, les fidèles laïcs, en réalité tous les fidèles, comme nous l'avons dit, « seront attentifs à la doctrine proposée par le magistère de l'Église ». C'est­à­
dire qu'ils doivent prendre soin d'agir, sous leur propre responsabilité, en tant que catholiques, et non comme simples citoyens. Mais il ne leur pas demandé ici le debito obsequio du canon 218 à propos de ceux qui s'adonnent aux disciplines sacrées. Il va de soi, en revanche, que la christiana obœdentia du canon 212 § 1 s'applique en l'espèce, car c'est une norme à caractère général.
4. L'exercice du devoir­droit
L'application de ce droit. La reconnaissance de la liberté légitime dans le domaine temporel va de pair avec les autres droits et devoirs des laïcs. Ce droit ne peut être exercé que conjointement aux autres contenus du statut canonique des fidèles laïcs, notamment le devoir­droit de tous les fidèles à l'assistance spirituelle du canon 213 et à une éducation chrétienne appropriée du canon 21739. Le tout étant replacé dans l'optique de la vocation à la sainteté dans et à partir des réalités terrestres. Ce droit comporte aussi la liberté de créer des centres d'enseignement de tous ordres, comme cela a été dit à propos du canon 216.
Liberté et vérité. La norme précise que « dans l’exercice de cette liberté, ils (les laïcs) auront soin d’imprégner leur action d’esprit évangélique et ils seront attentifs à la doctrine proposée par le magistère de l’Église ». Autrement dit, la liberté dont il est question est fondée sur la vérité, l'Église étant « colonne et fondement de la vérité » (1 Tm 3, 5).
Diffusion de la vérité. Les laïcs sont invités à prendre des initiatives pour « développer une presse authentiquement catholique », et à recourir aux « moyens de communication sociale pour concourir à la formation et à la diffusion de saines opinions publiques »40.
L'unité de vie. Le laïc ne peut pas établir de compartiments étanches entre sa vie spirituelle et sa vie familiale, professionnelle, sociale, etc41. « L'unité de vie des fidèles est d'une importance extrême : ils doivent, en effet, se sanctifier dans la vie ordinaire, professionnelle et sociale. Afin qu'ils puissent répondre à leur vocation, les fidèles laïcs doivent donc considérer leur vie quotidienne comme une 37 Cf. Mario Condorelli, « I fedeli nel nuovo Codex iuris canonici », Nouveau Code, p. 334­335.
38 Cf. Salvatore Berlingó, « Lo status di fedele ed il ministero del laico nell'ordinamento giuridico della Chiesa », ME 106 (1981), p. 441­445.
39 Cf. José Tomás Martín de Agar, « Il diritto alla libertà... », a.c., p. 157.
40 Concile Vatican II, décr. Inter mirifica, nos 14/a et 8. Cf. Benoît XVI, Message pour la 43e Journée mondiale des Communications sociales, Nouvelles technologies, nouvelles relations. Promouvoir une culture de respect, de dialogue, d'amitié, 24 janvier 2009.
41 Cf. Dominique Le Tourneau, L'Unité de vie et la sainteté ordinaire d'après le bienheureux Josémaria Escriva, Paris, Cahiers du Laurier nos 187­188, 1999.
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occasion d'union à Dieu et d'accomplissement de sa volonté, comme aussi de service envers les autres hommes, en les portant jusqu'à la communion avec Dieu dans le Christ »42.
Le lien avec le devoir de faire de l'apostolat. Le devoir de faire de l'apostolat, étroitement uni à l'appel universel à la sainteté, contribue à l'unité de vie, le laïc devenant témoin du Christ dans les réalités temporelles.
Une application personnelle et collective. Les laïcs peuvent faire appel à la liberté que le canon 227 leur reconnaît aussi bien individuellement que réunis avec d'autres, quand ils veulent apporter des solutions ou remédier à des problèmes de la société civile d'ordre professionnel, familial, économique, culturel, politique, etc. afin de le faire dans un esprit chrétien43. Insistons encore ici sur le fait que nul ne peur présenter ses propres options temporelles comme étant des solutions catholiques44.
5. Les limites au devoir­droit
Le danger du cléricalisme. Ceci dit, l'esprit de la norme doit être respecté par tous. Or, quand ce droit à la liberté en matière temporelle ne l'est pas, apparaissent les différentes formes de cléricalisme45, c'est­à­dire de l'intervention des clercs dans les affaires temporelles, en assumant des tâches de direction qui ne leur reviennent pas. « Le cléricalisme, voilà l'ennemi », déclarait Gambetta. Il est une atteinte à la liberté des laïcs et un abus des fonctions cléricales, les clercs devant s'en tenir 42 Jean­Paul II, exhort. ap. post­syn. Christifideles laici, 30 décembre 1988, n° 17.
43 Cf. Concile Vatican II, const. past. Gaudium et spes, n° 43/b. Cf. aussi Benoît XVI, enc. Deus Caritas est, n° 29 : « Le devoir immédiat d’agir pour un ordre juste dans la société est au contraire le propre des fidèles laïcs. En tant que citoyens de l’État, ils sont appelés à participer personnellement à la vie publique. Ils ne peuvent donc renoncer « à l’action multiforme, économique, sociale, législative, administrative, culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions, le bien commun » (Jean­Paul II, exhort. ap. CFL, n° 42). Une des missions des fidèles est donc de configurer de manière droite la vie sociale, en en respectant la légitime autonomie et en coopérant avec les autres citoyens, selon les compétences de chacun et sous leur propre responsabilité (cf. Congr. pour la Doctrine de la foi, Note doctrinale sur certaines questions relatives à l'engagement et à la conduite des catholiques dans la vie publique, 24 novembre 2003, n° 1). »
44 Cf. Concile Vatican II, const. past. Gaudium et spes, n° 42/b ; aussi Entretiens avec Monseigneur Escriva, Paris, 3e éd., Le Laurier, 1987, n° 117 : « Toutefois, il n’arrive jamais à ce chrétien de croire ou de dire qu’il descend du temple vers le monde pour y représenter l’Église, ni que les solutions qu’il donne à des problèmes sont les solutions catholiques. Non, mes enfants, cela ne se peut pas ! Ce serait du cléricalisme, du catholicisme officiel, ou comme vous voudrez l’appeler. En tout cas, ce serait faire violence à la nature des choses. »
45 Cf. Entretiens..., o.c., n° 12 : « Cette sphère d'autonomie nécessaire, dont le fidèle catholique a besoin pour ne pas être en situation d'infériorité vis­à­vis des autres laïcs, et pour pouvoir réaliser efficacement sa tâche apostolique particulière au milieu des réalités temporelles, cette autonomie, dis­je, doit toujours être respectée par tous ceux qui exercent, dans l'Église, le sacerdoce ministériel. S'il n'en était pas ainsi — s’il s'agissait d'instrumentaliser le laïc à des fins qui dépassent les buts du ministère hiérarchique —, on verserait dans un anachronique et lamentable cléricalisme. On limiterait énormément les possibilités apostoliques du laïcat — le condamnant ainsi à une perpétuelle immaturité —, mais surtout on mettrait en péril — plus spécialement de nos jours — le concept même d'autorité et d'unité dans l'Église. Nous ne pouvons oublier que l'existence, parmi les catholiques eux­mêmes, d'un authentique pluralisme de jugement et d'opinion dans les domaines que Dieu laisse à la libre discussion des hommes, ne s'oppose pas à l'ordonnance hiérarchique et à l'unité nécessaire du Peuple de Dieu, mais bien au contraire les fortifie et les défend contre les impuretés éventuelles. » Cf. Julián Herranz, « Lo stato giuridico del laici : l'apporto dei testi conciliari e del Codice di Diritto canonico », Studi in onore di Mario Condorelli, Milan, Giuffrè Editore, 1988, vol. II, tome 1, p. 780­781.
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aux negotia ecclesiastica »46 et, rappelons­le, exercer leur ministère dans un esprit de diakonia, non de pouvoir ou de lucre.
Les barrages au cléricalisme. Nous pouvons considérer les dispositions des canons 275 § 2 et 278 § 347 comme « des barrages juridiques qui permettent de contenir le cléricalisme »48. La première intime aux clercs de reconnaître et d'encourager la mission des laïcs dans l'Église et dans le monde. La seconde leur interdit d'appartenir à des associations dont la finalité ou les agissements sont incompatibles avec l'état clérical49.
Le « parti unique ». La liberté dans les matières temporelles s'oppose à toute tentative d'unifier les forces catholiques dans une même organisation et de les enrôler sous une même bannière. La mentalité de « parti unique » est tout ce qu'il y a de plus contraire à ce droit fondamental. Même pour des raisons de soi­disante efficacité pastorale, comme avec certains essais de « pastorale d'ensemble ». La liberté entraîne nécessairement le pluralisme qui, en soi, est une richesse.
Les limites du droit à la liberté temporelle. Nous avons parlé du rôle des « sujets passifs » de ce droit. Sa limite essentielle est le respect de l'ordre public ecclésial, tout comme l'ordre public civil est la limite à la liberté religieuse. Cet ordre public comporte le respect de la communion en matière de foi et de morale, de sacrements et de discipline. Cela suppose aussi et avant tout l'obéissance au magistère de l'Église dans ce qui a trait à l'ordre social50. Il ne s'agit pas d'une limite arbitraire, mais d'un élément de coordination des principes fondamentaux d'un ordre juridique, comme la doctrine et l'Église elle­même le reconnaissent51.
La libre opinion. Dans tout ce qui n'a pas été défini par l'autorité magistérielle, les laïcs « doivent être conscients de leur liberté et de leur responsabilité personnelle », s'inspirer des valeurs évangéliques, ne pas présenter leurs opinions comme les seules possibles pour un chrétien, et ne pas oublier que « le respect des opinions et des choix légitimes différents des siens est une exigence de la charité »52.
Le rôle du canon 227. La norme du canon 227 joue un rôle instrumental par rapport à d'autres normes plus substantielles, comme peuvent l'être celles des canons 225 et 226. Cependant, elle sert de critère pour réaliser ceux­ci correctement53.
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Javier Hervada, « Commentaire au c. 227 », Code Bleu, p. 209.
Cf. c. 381 § 3 CCEO, l'autre c. latin n'ayant pas de correspondant dans le CCEO.
Ernest Caparros, « La rechristianisation de la société », FI 3 (1993), p. 53.
Cf. Dominique Le Tourneau, « Réflexions sur la partie « De Christifidelibus » du Code », AC 28 (1984), p. 173­189.
Cf. c. 212 et 747 § 2 CIC 83 ; c. 15 et 595 § 2 CCEO. Cf. Javier Hervada, « Magisterio social de la Iglesia y libertad del fiel en materias temporales », Studi in onore di Mario Condorelli, Milan, Giuffrè Editore, 1988, vol. I, t. 2, p. 793­825 ; Vetera et Nova, vol. II, p. 1297­1337.
51 Cf. Concile Vatican II, décl. Dignitatis humanæ, n° 7.
52 Jean­Paul II, Audience générale, 13 avril 1994.
53 Cf. José Tomás Martín de Agar, « Il diritto alla libertà... », o.c., p. 135.
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