Musée départemental ethnologique de Haute-Provence CONSEIL GÉNÉRAL DES ALPES DE HAUTE-PROVENCE MISSION A L’ETHNOLOGIE (MINISTÈRE DE LA CULTURE) L’IMAGINAIRE CONTEMPORAIN DU VEGETAL 7ème Séminaire d’ethnobotanique du domaine européen Rapport final Avril 2009 Les plantes invasives. Les plantes dans la vie quotidienne au début du XXIe siècle Les changements socio-économiques (globalisation des échanges, migrations des hommes et des biens, etc.) et leur impact environnemental ont des conséquences de plus en plus manifestes sur tous les aspects de la vie des sociétés pris en compte par l’ethnologie, de l’espace rural ou forestier au monde urbain, du paysage à l’appartement. Le végétal y tient un rôle d’acteur central, même si, comme il est habituel en ce qui concerne les plantes, ce rôle est sous-évalué, quand il n’est pas tout simplement passé sous silence. L’extension de certaines cultures industrielles bouleverse la fonction et l’aspect paysagers de régions entières ; fruits et légumes d’importation influent de plus en plus sur les pratiques alimentaires ; les plantes médicinales des climats tropicaux réintroduisent la panacée dans les thérapeutiques, “alternatives” en particulier ; la diversification et l’extension extraordinaires du végétal d’ornement dans nos cultures transforment l’espace quotidien, etc. : la participation des plantes aux changements des sociétés en ce début du IIIe millénaire n’a d’autre équivalent dans l’Histoire que les apports du Nouveau Monde au XVIe siècle. Parallèlement, et le plus souvent de façon occulte, favorisées par la multiplication des échanges et les atteintes aux milieux (urbanisation, transformations des pratiques agricoles, etc.), beaucoup de plantes non européennes entreprennent des migrations. Lorsqu’elles trouvent des conditions de croissance favorables, elles se multiplient sous nos climats, s’étendant parfois jusqu’à l’envahissement. Ces bouleversements sont loin d’être sans conséquences sur les modes de perception du végétal. Qu’en est-il, par exemple, de l’avis des urbains sur la pléthore de “fleurissement” des villes et villages ? sur les champs de maïs parfaitement nettoyés de toute “mauvaise herbe” et arrosés sans mesure ? Le remède végétal exotique est-il en train de retrouver l’aura de toute-puissance dont il bénéficiait au Moyen-Âge ? et pourquoi ? Quelle place symbolique accorde-t-on à la plante d’appartement désormais omniprésente ? etc. Ces aspects de la rencontre contemporaine avec la flore n’ont été que très peu questionnés. À travers eux, pourtant, s’exprime une part du ressenti moderne de la nature. Il était justifié de leur consacrer une réflexion approfondie. Les deux journées du séminaires se sont articulées autour des deux grands thèmes évoqués ici, plantes dites “invasives” et nouvelles relations au végétal dans nos sociétés. • Les plantes “invasives”. Les “plantes métèques”, dont parlait le botaniste et historien des plantes cultivées Cl.-Ch. Mathon, vont-elles polluer la nature nationale et faire l'objet de reconduite à la frontière ? On sait comme certaines d’entre-elles ont fait l’objet, ces dernières années, d’une véritable “chasse à la clandestine” ; ainsi de la guerre menée par des municipalités contre l’ambroisie, Ambrosia artemisiifolia, au pollen allergisant. L’appel à contribution concernait les origines, modalités et territoires d'extension de ces plantes, leurs usages éventuels, les discours et représentations à propos de l'envahissement chez le « scientifique » comme chez le citoyen ordinaire. Le premier volet du séminaire, entièrement consacré à cette thématique, a bien répondu à l’attente des organisateurs en regroupant à la fois des interventions d’ordre général et des analyses monographiques. Sur la problématique elle-même, Sergio Dalla Bernardina a traité des ” sciences humaines face aux invasions biologiques : prolifération des espèces, foisonnement des regards” ; Jean-Yves Durand des “néophytes ou fléaux verts : ‘invasion’ et ‘diffusion’ dans les perceptions de l’expansion spatiale des espèces végétales”. Une partie de la conférence généraliste de P. Lieutaghi sur “les relations flore-sociétés au début du XXIe siècle”, abordait le même domaine. Les communications relatives à une seule espèce végétale ont examiné les cas de la jussie, Ludwigia grandiflora (Marie-Josée Menozzi : “La jussie, une espèce envahissante des paysages, des modalités de catégorisation”), du cerisier tardif, Prunus serotina, en forêt de Compiègne (Aurélie Javelle, qui s’interroge sur “les nouveau référentiels du ‘bien-voir’ notre environnement”), et de l’algue Caulerpa taxifolia, nantie d’une réputation particulièrement sulfureuse à la fin du XXe siècle, avec une riche prolifération sémantique associée (Sylvie Friedmann). Il va de soi que ce domaine d’investigation est appelé à s’étendre. Beaucoup d’invasives issues d’introductions involontaires ou “échappées de culture” (buddléia, “herbe des pampas”, séneçon du Cap, etc.), ou bien arbres de reboisements devenus nocifs pour les milieux sauvages, comme le pin noir d’Autriche, requièrent l’attention de l’ethnologue, tant ces plantes, outre leur impact écologique, finissent par s’imposer aux regards comme aux paysages. Les plantes dans la vie quotidienne au début du XXIe siècle D’abord centré sur l’imaginaire moderne du végétal dans nos cultures, cette thématique s’est élargie à plusieurs aspects de la relation aux plantes dans les usages, l’ornement, l’ordre symbolique. Plusieurs des thèmes évoqués dans l’appel aux intervenants ont donné lieu à communication. Il en va ainsi de ce qui concerne le végétarisme. Il était proposé de traiter les questions suivantes : qu'en est-il du végétarisme aujourd'hui ? comment a évolué le discours qui s’y associe depuis le XIXes. au regard des progrès de la biologie et des questions environnementales ? Le “développement personnel” avec recours au végétal est-il un nouvel avatar de la vérité naturelle ? Laurence Ossipow a fourni des informations utiles au débat (“Les plantes dans l’imaginaire et les pratiques d’un réseau de personnes végétariennes”). L’histoire de la plante d’intérieur, représentante de la nature à domicile, substitut éventuel de l’animal familier, confidente, présence bénéfique (parfois maléfique ?), être sensible à nos états d'âme, etc., a été retracée par Laurent Domec. Tandis que Marc Rumelhart évoquait l’évolution des pratiques de taille topiaire, qu’on aurait grand tort de croire circonscrites au Grand Siècle — ce qui n’était pas sans liens avec notre demande touchant aux “espaces verts”, enfants du jardin public. Par contre, ce qui a trait aux friches (végétales) urbaines, aux plantes sauvages dans la ville, aux représentations de la flore (ordonnée ou désordonnée) dans le monde urbain, sont des thèmes de questionnement restés en suspens, même si les séminaires de Salagon les ont déjà considérés sous d’autres aspects. Il en va de même avec la plante médicinale, où l’on souhaitait un état des pratiques de soins par les plantes entre légalisme réducteur et recherche d'autonomie. Les incidences du discours environnementaliste sur le recours aux remèdes végétaux, le paradoxe qui voit ce recours croître parallèlement à la chute de la biodiversité et à la dégradation des milieux, sont aussi des interrogations qui vaudraient d’être approchées. Toutefois, Amélia Frazao-Moreira, en allant “du savoir-faire à la connaissance des plantes, pratiques ancestrales et savoirs modernes au sein du monde rural portugais”, a permis à ce domaine important du rapport au végétal de figurer parmi les communications — et son exposé appelle une nouvelle fois la comparaison entre enquêtes dans le contexte européen. Les bouquets funéraires, dits “bornes de mémoire”, du bord des routes, nouvel usage de la fleur cérémonielle entre excès de vitesse et promptitude de l'oubli, ont vu leur typologie et leur signification précisées par Laetitia Nicolas (“Les bouquets funéraires du bord des routes, ou l’émergence d’une autre culture des défunts”). Dans un tout autre registre, Charles Ronzani a montré que la référence à la fleur comme modèle esthétique, et plus généralement au végétal, n’était pas le propre de l’Art Nouveau, qu’elle opère tout aussi bien de nos jours (“Le ‘retour’ du motif végétal dans la publicité, le design et le design urbain comme signe supposé du progrès”). Le séminaire s’est terminé avec des commentaires sur le statut de deux plantes particulièrement emblématiques des “merveilles de la flore montagnarde”. En parlant des “représentations de l’edelweiss” dans le contexte pyrénéen, Marlène Albert-Llorca a montré que des “contaminations” récentes entre “folklore des plantes” sont possibles, puisque les pratiques festives très codées associées à cette fleur dans les Pyrénées occidentales relèvent probablement d’influences alpines. Raphaëlle Garreta a clos les interventions “sur les pas du sabot de Vénus”, en commentant de façon savoureuse les superbes photographies de l’orchidée européenne la plus célèbre, dont la découverte récente en Aragon suscite un engouement analogue à celui d’une apparition sainte. Bien cohérent, le séminaire d’octobre 2008 a validé une nouvelle fois l’intérêt d’une ethnologie tournée vers l’actuel en ce qui concerne la relation au végétal. À travers l’attention aux plantes s’exprime très clairement l’attitude plus générale de nos sociétés au regard des “grands” changements socio-environnementaux. S’y référer aiderait à mieux ajuster les politiques où la “nature” représente non seulement un enjeu culturel, mais, de plus en plus, un repère nécessaire à la validité des choix économiques. Le séminaire d’ethnobotanique de Salagon d’octobre 2008 a été organisé en partenariat avec le CRIA portugais : Centro en Rede de Investigação em Antropologia (centre en réseau de recherche en anthropologie). Pierre Lieutaghi, mars 2009 Les plantes invasives Les sciences humaines face aux invasions biologiques. Prolifération des espèces, foisonnement des regards. Sergio Dalla Bernardina, professeur d'ethnologie à l'Université de Bretagne Occidentale (Brest). Résumé Pour des raisons à la fois scientifiques et utilitaires (le décrochement de contrats de recherche permettant d’alimenter les laboratoires), le phénomène des invasions biologiques occupe de plus en plus les sciences humaines et sociales. C’est ainsi que, parallèlement à la prolifération de certaines espèces allochtones et au pullulement de quelques espèces indigènes particulièrement gâtées, nous assistons à la multiplication des modèles (propres aux différentes écoles et traditions disciplinaires) censés rendre compte de cette réalité. Nous passerons en revue les approches les plus représentatives (ou les plus courantes), en cherchant à mettre en lumière leurs contributions et leurs inévitables limites (le rêve d’un paradigme transversal, permettant de tout expliquer à partir d’une seule discipline, ayant été abandonné depuis quelques temps). Néophytes ou fléaux verts : « invasion » et « diffusion » dans les perceptions de l’expansion spatiale d’espèces végétales. Jean-Yves Durand, maître de conférences, Institut de Sciences Sociales de l’Université du Minho, Braga, Portugal, IDEMEC, Aix-en-Provence. Résumé Pourquoi la métaphore de l’invasion et ses dérivés aux connotations territoriales, identitaires et militaires sont-ils si prégnants dans l’imaginaire partagé contemporain au sujet des phénomènes d’expansion spatiale (parfois appelées aussi « colonisation ») d’espèces végétales ? Les mêmes images sont très fortes par exemple en matière d’identités linguistiques et aussi de conceptions du corps et de son fonctionnement (comme dans le domaine de l’immunologie). Pourquoi parle-t-on considérablement moins d’« animaux invasifs » ? Le végétal serait-il perçu comme plus menaçant ? Par ailleurs, toutes les expansions végétales ne sont pas identifiées comme des « invasions » et certaines semblent même rester invisibles. La notion de « diffusion » a quant à elle longtemps tenu un rôle central en anthropologie avant d’être abandonnée en réaction à des excès théoriques. Paraissant plus objective, serait-elle ici préférable ? Le traitement des phénomènes de diffusion par les sciences sociales peut-il éclairer les perceptions et les interprétations collectives des situations de diffusion végétale ? La jussie, une espèce envahissante, des paysages, des modalités de catégorisation – Marie-Jo MENOZZI, Anthropologue Introduction Pour les uns, la jussie constitue une terrible menace pendant que d'autres ne la voient même pas, ou que certains l'introduisent dans leur plan d'eau pour ses qualités esthétiques. S'agit-il d'une espèce envahissante, d'une invasion biologique, d'une mauvaise herbe, ou bien plante ornementale? Mais qu'est donc Ludwigia sp ? La participation à un travail pluri-disciplinaire sur la jussie 1 nous a amenée à nous questionner sur la définition, les modalités de perception de classification et de catégorisation de la plante et des espèces dites invasives, par les acteurs locaux, usagers et riverains des sites colonisés. Dans un premier temps, nous observons de quelle manière les acteurs locaux ont été amenés à prendre en compte la jussie, au fur et à mesure qu’elle se rend de plus en plus présente dans le paysage. Comment estelle alors décrite par les uns et par les autres ? Dans un second temps, les représentations dont cette plante est l’objet sont confrontées aux modalités de catégorisation mises en œuvre. Enfin, pour clore cette approche de la jussie, l’attitude à son égard est mise en perspective avec les modalités de représentation de la nature. La jussie a été observée dans les marais de Vilaine. Dans une perspective comparative, des investigations ont aussi été effectuées dans les Landes, dans les Barthes de l'Adour et les étangs landais. La jussie dans les paysages : UN ENNEMI INVISIBLE Tout d’abord, personne n’avait rien vu. « Un ennemi invisible » titre un jour un journal des Landes. « On ne s’était pas rendu compte !», disent les gens des marais de Vilaine. Puis la jussie a commencé à devenir très présente dans les paysages de ces zones humides. Elle s’est développée de manière silencieuse, discrète, sans que personne n’y prenne garde. C’est quand elle modifie par trop le paysage et qu’elle perturbe les usages qu’elle commence à devenir inquiétante. C’est à ce moment là que la plupart des acteurs sociaux vont commencer à s’interroger sur l’identité de cette plante aux fleurs jaunes. « J’ai été dans la situation de ne rien voir » constate un riverain des marais de Vilaine, président d’une association de pêche; jusqu'au jour où 1 Les données présentées ici sont issues de l'étude menée sur la jussie (2003-2006) dans le cadre du programme Invabio mis en place et financé par le ministère en charge de l'écologie et du développement durable. la rivière fût recouverte et qu'un canoë pouvait à peine passer, que la frontière entre la terre et l'eau était brouillée, que les pêcheurs voyaient leur coin de pêche envahi et ne pouvaient plus lancer leurs lignes, que les canards ne venaient plus se poser sur les étangs recouverts, ce qui devenait préjudiciable à l’activité de chasse, que l’écoulement de l’eau pouvait devenir problématique du fait de la présence de grands herbiers... que plus rien d'autre que la jussie ne devenait visible aux yeux des usagers. « On ne connaissait pas toutes ces herbes envahissantes. La jussie, à partir des années 70, on ne savait pas ce que c’était, on n’y touchait pas, on voyait des fleurs jaunes, c’était joli, c’est tout. On n’en pensait pas grand-chose, on ne savait pas ce que c’était. On s’est dit tiens c’est une nouvelle herbe. Et quand c’est devenu vraiment envahissant, on ne pouvait plus passer avec nos barques pour aller à la pêche, on s’est dit ça commence à bien faire ! » nous explique M. Loubier, pêcheur dans un lac des Landes. En quelques années, la jussie sera passée de belle plante ornementale à « saloperie » à éradiquer. Il existe plusieurs espèces de jussie. Deux sont particulièrement présentes en France, et problématiques du fait de leur caractère envahissant, Ludwigia peploides subsp. Montevidensis et Ludwigia grandiflora subsp. Hexapetala 2. Cette plante, une onagracée, est originaire d’Amérique du sud. Elle est apparue au XIXe siècle en France, d’abord à Montpellier (Dandelot, 2004). Elle aurait été introduite pour l’ornementation des aquariums ou des étangs et, jusqu’en 2007, était toujours vendue comme espèce ornementale dans les jardineries. Elle était signalée dans une flore éditée en 1893 à proximité de Bayonne, mais les résultats de l’expansion de la plante ne sont vraiment visibles que depuis les années 80 en Aquitaine (Dutartre, 2004). Puis elle a progressivement remonté la façade atlantique. En Bretagne, les nuisances qu'elle cause sont constatée à partir des années 90 . 2 Bien que l'on ait affaire à deux plantes, par commodité d'écriture, nous utiliserons le singulier et parlerons de la jussie. La jussie n’aime pas le sel et ne se plait que dans les eaux douces. Elle recherche le soleil plutôt que les endroits à l’ombre. Elle apprécie tout particulièrement les eaux stagnantes, à faible courant et d’une profondeur inférieure à deux mètres. Dès que toutes ces conditions sont réunies, elle peut alors se développer très rapidement du fait de ses vigoureuses facultés de reproduction végétatives (en outre, les recherches menées ont montré qu'elle pouvait aussi se reproduire par graine dans les endroits qu'elle colonise). Fleurs de jussie DEVENIR VISIBLE PAR LA FERMETURE DE PAYSAGES « Toute perception d’un objet ne prend du sens qu’à partir du moment où nous lui donnons une place dans un système de référence, c'est-à-dire que nous le classons » (Friedberg, 1968). La jussie est appréhendée par les acteurs locaux à partir de l'histoire des territoires qu'elle colonise et du rôle qu'elle y joue. Pour nombre de riverains des sites colonisés, parler de la jussie constitue une manière de parler des évolutions qui se sont pro duites ces dernières décennies dans les zones humides. La manifestation la plus flagrante qui est mise en exergue porte sur le processus de fermeture des paysages auquel elle participe. La jussie se retrouve en de nombreux endroits des marais de Redon et de Vilaine en Bretagne, qui constituent de vastes zones humides, situées pour partie dans le bassin versant de la Vilaine sur une surface d’environ 10 000 ha. La plante prolifère dans les parties de marais, mais aussi des affluents de la Vilaine, dans les biotopes qui présentent les critères propices à son installation et son développement. Sa prolifération est mise en relation par les acteurs locaux avec les différentes évolutions dont ces marais et zones humides sont l’objet : la mise en culture intensive des zones humides drainées, ou bien la déshérence dont une partie d'entre elle est l’objet, l’absence d'entretien qui conduit à l’envasement des marais et des rivières, la construction du barrage d’Arzal qui a fortement modifié les territoires adjacents. Le discours sur la jussie devient alors un discours tenu sur l’évolution des marais et de la société des hommes. Elle s’inscrit dans l’histoire de ces milieux, qui ont subi de profondes évolutions depuis les années 60. Avant la création du barrage d’Arzal au début des années 70, les marais de Vilaine et ses affluents regroupaient des terres qui étaient périodiquement soumises à submersion d’eau douce pendant les crues hivernales sur l’ensemble des marais, d’eau saumâtre pendant les fortes marées (Rouxel et al.). La réalisation du barrage a fortement modifié le régime des eaux dans les marais, et fait partie des facteurs ayant grandement contribué aux transformations dont ces marais ont été l’objet. L’agriculture pratiquée avant la création du barrage était constituée d’exploitations familiales, de petite taille, avec une production essentiellement orientée vers l’élevage laitier, et où la prairie permanente tenait une place importante. La mise en œuvre des grands travaux dans les marais de l’ouest à partir de l'après-guerre ont conduit à l’assèchement d’une partie de ces espaces, qui pouvait ainsi être mis en culture, et à une modification de la structure des exploitations : disparition d’agriculteurs pendant la décennie 70, modernisation et agrandissement des exploitations. Une partie des marais a été plus ou moins abandonnée du fait d’un déficit de rentabilité, d’autres ont été drainées et utilisées par l’agriculture intensive. Certains marais sont encore utilisés pour le pâturage et la production de foin. Cependant, le rôle joué par les agriculteurs dans la gestion de ces espaces s’est beaucoup transformé, dans le sens d'une moindre implication, participant à un phénomène d’abandon de ces marais. Parallèlement à ce déclin de l’agriculture, au cours de la seconde moitié du XXè siècle sont aussi apparus d’autres usages du marais, notamment avec le développement du tourisme, et des pratiques de loisir (canoë-kayak, pêche, chasse, promenade le long des berges, croisières en bateau). Ces milieux sont aussi l’objet depuis les années 70 d’un intérêt environnemental. Une partie de ces marais sont des sites Natura 2000. La jussie permet d’énoncer un discours sur les changements dans les modes d’entretien de ces zones dus aux changements des usages et des pratiques, comme la diminution du nombre d’agriculteurs, les modification des pratiques agricoles et des modes d’entretien des territoires par ces acteurs locaux…. Sa prolifération permet de questionner les modes de gestion dont ces zones sont l’objet. Elle s’intègre dans des problématiques générales liées aux marais qu’on peut résumer comme suit : la culture intensive du maïs, l’abandon du marais, mais aussi la valorisation environnementale de ces espaces, notamment à travers Natura 2000, du fait de la menace qu'on lui soupçonne de faire peser sur la biodiversité. Jussie dans les marais de Vilaine Pour les acteurs locaux, la jussie n’est qu’un symptôme de plus de la disparition des zones humides et de leur abandon par les hommes. Les roseaux prolifèrent, ainsi que les saules, ce qui tend à fermer le paysage. Et voilà que la jussie vient renforcer ce processus. Elle prolifère dans des espaces qui ne sont plus soumis à un entretien régulier, ou en tout cas à une pression anthropique permettant de conserver au territoire son caractère de marais, tel qu’il est implicitement défini : un espace ouvert. Comme le constatait M. René, élu dans les marais de Vilaine, auparavant, chaque agriculteur se chargeait d’entretenir les espaces autour des prairies, couper les saules etc. Actuellement, il constate que plus personne ne se charge de ce type d’entretien, laissant le marais à lui-même. C’est dans ce contexte que la jussie en vient à proliférer, et contribuer à ce processus de fermeture du milieu ouvert. Si auparavant la gestion des marais et des zones humides était le fait des populations qui vivaient là, et qui tiraient une partie de leurs ressources des zones de marais, ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’un côté, on observe alors un relatif abandon d'une partie de ces zones de marais, qui ne sont plus guère l’objet de l’attention et de l’entretien des populations locales et des usagers, de l’autre, une prise en charge d'une partie de ces territoires par des organismes administratifs et par certaines institutions. Les actions entreprises par celles-ci ont cependant parfois leurs limites, comme on peut l’observer par exemple dans le mortier de Glénac. M. René se désolait en nous montrant une parcelle acquise par le Conseil général depuis plusieurs années, et qui depuis tout ce temps est restée à l’abandon. Cela a conduit à un envahissement pas les saules et les roseaux, et ce site est actuellement inaccessible à l’homme. Entre l'entretien des marais par les populations qui étaient installées ici et leur prise en charge par les institutions dorénavant responsables, des défauts de gestion se font jour, dans les interstices desquels, selon les personnes rencontrées, les saules, les roseaux, mais aussi la jussie prennent place et où les paysages se ferment. La jussie se présente alors comme étant un révélateur des pratiques actuelles ayant cours dans ces territoires, de l’intérêt ou du désintérêt dont ces territoires sont l’objet. Cela engage de manière forte la question de la désignation des acteurs de la gestion de ces zones, et de leur légitimité, et partant, de la gestion de la jussie. La question de sa prolifération entre en résonance avec certains usages agricoles. Dans plusieurs sites, sa gestion est mise en débat avec la question d’une exploitation intensive des zones humides, notamment par la culture du maïs nécessitant un usage important d'intrants. Pour certains, discuter du choix de la méthode chimique ou non pour traiter la jussie3 renvoie à celui lié à la culture ou non du maïs dans les zones humides. Choisir de traiter la jussie par des produits désherbants serait une manière de légitimer la présence de cultures susceptibles de polluer les eaux. Les mêmes types de processus ont été observés dans les Barthes de l'Adour. Les Barthes désignent des plaines alluviales inondables situées de part et d'autre de l'Adour et de deux de ses affluents. Elles s’étendent de l’agglomération de Bayonne en aval jusqu’à l’embouchure de la Midouze 3 En Bretagne, dans le cadre du SAGE Vilaine, la décision a été prise de ne pas utiliser de produits désherbant pour traiter la jussie, décision qui a cependant alimenté un certain nombre de questionnements parmi les riverains concernés. en amont (Conseil général des Landes). A l’origine, ces milieux initialement marécageux, régulièrement inondables, ont été partiellement protégés des inondations et aménagés dès le XVIIème siècle pour être utilisés à des fins agricoles ou sylvicoles. Les Barthes sont vouées traditionnellement à l'élevage extensif des bovins et équins ou à la production des chênes pédonculés. Jusqu’à une époque récente, elles ont constitué un élément important dans la dynamique des structures agraires limitrophes, notamment, elles étaient utilisées comme vastes zones de pâturage collectif. Dès la fin de la première guerre mondiale, ces zones ont été soumises à un abandon progressif (Ifen, 2001). De 1987 à 1993, la superficie des prairies humides permanentes a régressé de 7%. En effet, un réseau d'assainissement important a permis l'utilisation intensive (malsiculture et populiculture) de certaines parties du site. (Ifen). En outre, ces zones sont soumises à un exode rural important et à une diminution de l’activité agricole. Cela induit une évolution des prairies en taillis spontanés dans les zones où l'agriculture traditionnelle (élevage extensif) aurait tendance à disparaître. C'est dans ce contexte que s'y est effectué la prolifération de la jussie, qui est contemporaine d’un processus de fermeture des milieux du fait de l’abandon de l’activité agricole. Là aussi, elle fait partie d'une histoire qui tend à transformer les paysages que les anciens ont connus. LES BARTHES, PAYSAGES OUVERTS Pour M. Beaudot, élu des Barthes, la présence de jussie manifeste avant tout un état d'abandon de ces territoires : « si on avait les Barthes envahies de jussie, c’est toute l’économie de la Barthe qui était en péril. Il y a quatre actifs, ce n’est pas ça qui va bouleverser le paysage économique, mais ça signifiait l’abandon du territoire. C’est un territoire, s’il n’y a pas une présence d’animaux entretenant naturellement ce territoire là, rapidement d’un paysage ouvert on évolue vers un paysage fermé, avec des pousses d’aulnaies, de ronciers dans certaines parties, avec une modification complète du paysage, donc un site beaucoup moins intéressant, en tout cas pour la population actuelle ». Des Barthes ouvertes ? « Oui, disons, c’est la construction de nos ancêtres. On a des Barthes fermée un peu plus loin, qui ont été abandonnées.». Morcenx, éleveur des Barthes : « Maintenant il n’y a plus d’entretien. Toutes les berges de l’Adour, maintenant c’est des broussailles. Même celui qui met des oies, il est venu faucher, avec un gars de la DDE, et il lui dit, oh mais si on ne faisait rien dans toutes les Barthes, ce serait sauvage. Le tracteur du Conseil général passe trois fois par an, pour les chemins de randonnée, il n’y a plus que ça, et pour le reste… des fois je vais faire tomber du bois, j’en profite pour tout nettoyer, parce que faut quand même entretenir, sinon on va être vite envahi ». La jussie dans les Barthes Ces espaces des Barthes sont érigés en patrimoine par certains acteurs locaux, inscrit dans la mémoire des sociétés locales encore présentes. Du fait qu'elle porte atteinte à ce patrimoine, la jussie y est perçue de manière extrêmement négative et de nombreux efforts sont fournis afin de l'en faire disparaître. De la description à la classification : décrire A partir du moment où la présence de la plante est signalée, les acteurs locaux vont mettre en œuvre des modalités cognitives pour la connaître, la reconnaître, la nommer. Les techniciens, les gestionnaires, les scientifiques interviennent dans ce processus du fait des connaissances qu'ils peuvent diffuser par des plaquettes, des articles de presse ou des rencontres avec les acteurs locaux. Les descriptions que les acteurs font de la jussie sont souvent similaires, et commencent de la même manière : « c’est une belle fleur jaune, dommage qu’elle soit envahissante ». Mais pour nombre d’entre eux, la connaissance qu’ils ont de la plante ne passe pas par l’élaboration d’une description, il leur est même difficile d’élaborer un discours sur la plante : « je sais la reconnaître… » nous fut-il souvent dit, comme mode de description de la plante. « Je la connais bien, je la vois souvent » ; « je la connais bien puisqu’on la voit tous les jours en grande quantité ». La connaissance de la plante, pour la plupart des acteurs interrogés, passe par le fait qu’on l’a vu et qu’on sait la reconnaître visuellement. Les descriptions opérées peuvent être le fait d’observations effectuées dans les sites colonisées, ainsi que des informations diffusées par les différents canaux existants, à partir des descriptions données par les biologistes, traduites et vulgarisées dans les ouvrages et plaquettes d’information existantes. Pour la plupart des personnes interrogées, il semblait d'ailleurs plus facile de parler de la jussie à partir des effets qu’elle produit sur les espaces que de décrire la plante en elle-même. Tous les acteurs sociaux n’ont pas les mêmes compétences ni le même régime de connaissance pour identifier la plante et la reconnaître. On peut distinguer celui possédé par les techniciens et les scientifiques, les naturalistes, canaux par où passe les connaissances scientifiques et botaniques sur la plante; celui possédé par les acteurs locaux autochtones, possédant une bonne connaissance du milieu par un contact proche et inscrit dans la durée avec lui, comme les pêcheurs professionnels, les agriculteurs, les chasseurs ; les acteurs « citadins », entretenant une relation plus superficielle avec le milieu, et en ayant une connaissance en terme de paysage notamment. Les descriptions données vont des descriptions très techniques, proches des descriptions botaniques à des descriptions basées sur quelques caractères, selon le régime de compétence mobilisé. La plante est appréhendée à partir de certains de ses caractères, perçus comme remarquables par les acteurs sociaux: des caractères morphologiques, comme la couleur de la fleur, la longueur des tiges et leur aspect inextricable; des caractères physiologiques, comme sa vitesse de croissance ou bien ses grandes capacités de bouturage ou encore à partir de ses caractères esthétiques. Les acteurs issus du monde agricole la comparent volontiers à des espèces au comportement jugé similaire, notamment par le caractère perçu envahissant, comme cet agriculteur : « par la façon dont elle pousse, elle me fait penser au liseron, mais ça n’y ressemble pas du tout. Au liseron ou chardon qui ont les mêmes façons de proliférer dans les champs ». Tel propriétaire cadre supérieur décrit les feuilles comme pouvant être un motif de décoration architectural, comme référence cultivée à l'utilisation esthétique de motifs végétaux. Par ses fleurs jaunes, elle est rapprochée du nénuphar, du bouton d'or. « ça fait un gros nénuphar sur la rivière » (agriculteur). Par son caractère aquatique, elle est assimilée à une algue, d'autant plus mystérieuse qu'on ne sait pas exactement ce qu'il se cache dessous. Par delà cet univers végétal, elle était le plus souvent envisagée à travers des modalités complexes de catégorisation, combinant des critères biologiques, les conséquences de son développement, ses usages , ses caractéristiques esthétiques, sa provenance ou encore son caractère utilitaire. DES CLASSIFICATIONS FLUCTUANTES La jussie, comme nous avons pu le constater, s’inscrit dans une histoire, qui est à la fois sociale, culturelle et biologique. Elle est aussi l’objet de représentations sociales, qu'on peut définir comme « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1989). Ces représentations s’organisent à travers des modalités de classification à l’œuvre, formant des catégories complexes, telles que les définit Friedberg (1992) « faisant appel pour leur définition à des critères empruntés à des domaines différents. Cette complexité est en quelque sorte imposée par l’aspect opératoire de ces catégories impliquant qu’elles rendent compte de la totalité de la situation à laquelle les acteurs font face. Ces catégories prennent en compte, outre les caractéristiques propres au végétal, des critères liés à son rôle dans la vie économique et socioculturelles ». Les discours sur la jussie, les représentations dont elle est l’objet s’organisent autour de quelques systèmes d’opposition : sauvage / domestique, naturel / artificiel, utile / pas utile, locale / étrangère, ordinaire / exceptionnel, belle / pas belle. Ces catégories s’agencent de manière complexe, et s’articulent de manière dynamique. Cela permet la production d’un discours ouvert sur la plante, Ces modalités d’articulation des catégories entre elles laissent la place à la possibilité de redéfinir le sens qui lui est donné en fonction des évènements, des éléments nouveaux d’information à disposition et d’ajuster à chaque fois les représentations et discours sur elle, en fonction aussi des acteurs sociaux. Il ressort des discours des acteurs sociaux que la jussie n’est pas une fois pour toute définie comme étant belle, ou inutile, ou bien encore dangereuse et étrangère. Plus une question d'équilibre que d'origine ? La définition d’une espèce comme étant « invasive » ou « envahissante » est liée à une combinaison de critères, biologiques, écologiques, géographiques, énoncés par les scientifiques, mais aussi sociaux et culturels, notamment de la part des acteurs locaux. Le terme de « plante invasive », ou d’invasion biologique est surtout le fait des scientifiques, des experts, des techniciens et est peu connu du « grand public ». C’est un néologisme, dérivé du terme anglais, souvent employé la place du terme « envahissant », et qui selon C. Gourié (2004) pourrait servir à distinguer le processus de prolifération d’une espèce exotique de celui d’une espèce locale. (Néanmoins, le débat persiste, notamment chez les linguistes selon lesquels « invasive » est un anglicisme qu’il convient d’éviter). De la part des acteurs locaux, non scientifiques, ce terme n’est guère connu et ils utilisent plutôt le terme d’ « envahissante ». Dans nombre de communications, c’est la définition donnée par Cronk et Füller (1996) aux espèces invasives qui est reprise. Il s’agit d’espèces qui s’étendent naturellement, et qui répondent aux caractéristiques suivantes : « sont considérées comme invasives dans ce territoire celles qui, par leur prolifération dans des milieux naturels ou semi-naturels y produisent des changements significatifs, de composition de structure et / ou de fonctionnement des écosystèmes ». Breton et Al (1997) précisent que la définition de l’invasion biologique est seulement géographique : il s’agit d’une espèce exotique introduite et naturalisée. Ce phénomène, par cette définition, exclut donc toute similitude avec un phénomène de prolifération d’une plante locale. Cette définition des invasions biologiques est essentiellement géographique et écologique. Elle n'est cependant pas stabilisée dans la communauté scientifique, certains chercheurs remettant en cause la distinction entre plante indigène et exotique. Ces mêmes critères sont-ils utilisés et / ou discutés par les acteurs locaux ? L’un des critères utilisé par ces derniers pour définir une plante comme envahissante est l’impact induit sur les usages. Au final, des critères humains, un « point de vue humain » pour reprendre l’expression de Harlan (1987) à propos des « mauvaises herbes », interviennent pour que les acteurs locaux qualifient une plante d’invasive (envahissante) ou non. M. Loubier : « On ne connaissait pas toutes ces herbes envahissantes. La jussie, à partir des années 70, on ne savait pas ce que c’était, on n’y touchait pas, on voyait des fleurs jaunes, c’était joli, c’est tout. On n’en pensait pas grand-chose, on ne savait pas ce que c’était. On s’est dit tiens c’est une nouvelle herbe. Et quand c’est devenu vraiment envahissant, on ne pouvait plus passer avec nos barques pour aller à la pêche, on s’est dit ça commence à bien faire ! ». La perception de la qualité d’étrangère de la jussie est ambiguë. D'un côté, elle est perçue et pensée comme étant une « invasion », notamment quant elle gêne les usages. D'un autre côté, son origine exotique n'est peut-être pas le plus important pour les acteurs locaux. L’une des réactions à propos de la jussie, plante exotique envahissante, est de percevoir cette plante comme une invasion, une colonisation, où est mis en avant son caractère d’étrangère. Les discours prennent alors des connotations guerrières et militaires, et l’objectif affiché est de débarrasser les territoires envahis de cette plante, jusqu’à « l’éradiquer ». On trouve ce type de discours notamment dans les articles de la presse locale et nationale, ou bien de la part de certains acteurs locaux, qui réagissent de manière émotionnellement forte face aux transformations du paysage qu’ils observent. C’est dans la presse qu’on retrouve les manières les plus spectaculaires de présenter la jussie, sous ses traits les plus marquants : envahisseuse, colonisatrice, espèce à abattre. Dans les articles de journaux, la jussie est souvent présentée comme une « colonisation », une « invasion », et nombre d’articles parlent d’« alerte ». La plante, ainsi que d’autres organismes proliférants, sont présentés comme « des envahisseurs », donnant lieu à des titres dramatiques. Par exemple, le journal Libération du 5-06-2001 titre l’article sur la jussie : « alerte aux envahisseurs venus de la biosphère ». Le Sud-Ouest, le 24-06-2000 : « gare aux envahisseurs exotiques ». Mais si la jussie n’était pas envahissante, les acteurs locaux se préoccuperaient-ils de son origine étrangère ? Rien n’est moins sûr et pour nombre d’entre eux, ce caractère d’étrangère n’est pas le trait le plus marquant. Peu importe l’origine du moment que la plante n’est pas envahissante ! La caractéristique d’étrangère de la plante n’est souvent invoquée qu’à partir du moment où elle pose problème. Dans le cas contraire, ce caractère n’est pas forcément plus discriminant qu’un autre. C’est aussi ce que constate S Dalla Bernardina (2002), quand il met en parallèle la perception populaire dont la caulerpe (Caulerpa taxifolia), algue exotique envahissant la Méditerranée et les algues vertes (Ulva sp.), locales, qui prolifèrent dans les eaux bretonnes. Pour M. Lebot, pêcheur, la distinction entre espèce exotique, la jussie, et une espèce locale proliférante, les algues vertes, n’est pas pertinente. C’est à partir de la similitude du phénomène, la prolifération, que la comparaison est effectuée : « [des plantes], il n’y en a pas beaucoup qui soient aussi mauvaises que la jussie. Je n’en connais même pas d’ailleurs. Comme en ce moment là sur la mer, les algues vertes et compagnie. C’est une comparaison, l’eau douce par rapport à l’eau de mer ». Pour lui d’ailleurs, la jussie aussi est une plante locale, puisqu’elle pousse là. « Les algues vertes sont locales, mais la jussie aussi est locale puisqu’elle est sur le Don, la Chère, un peu dans la Vilaine. Donc c’est local puisqu’elle s’y met toute seule ». Elle ne prête pas plus que cela le flanc à des discours xénophobes. « Encore un truc qui nous vient d’Amérique », peut on parfois entendre dans les marais, mais guère plus. Ce n’est pas parce quelle est exotique que la plante est gênante, mais parce qu’elle est envahissante, et surtout, parce qu’une fois qu’elle s’est installée quelque part, elle prend TOUTE LA PLACE. Si elle était restée discrète, « à sa place », on lui aurait probablement trouvé un intérêt. Si la provenance géographique est discutée par les scientifiques pour définir une espèce invasive cela l’est aussi pour les « profanes », pour qui toute espèce, finalement, qu’elle soit locale ou exotique, est perçue comme envahissante et gênante à partir du moment où elle prend plus de place que celle attendue. Le trait « exotique » ou étrangère peut cependant être activé lorsque la plante commence à envahir et à brouiller les paysages. Quand son origine exotique est incriminée, c’est surtout parce qu’elle fait disparaître un paysage local dans lequel s’inscrit une histoire du site, une histoire sociale, collective, mais aussi une histoire personnelle, individuelle. Un deuxième trait des espèces invasives est constitué par les modifications qu’elles induisent dans les écosystèmes. La notion d’équilibre, souvent relevée dans les discours, (équilibre entre les différents éléments du milieu, ou bien déséquilibre par le développement important d’un élément au détriment de l’autre), semble plus pertinente comme modalité d’appréhension de la jussie que son caractère d’étrangère proprement dit. Cette plante est remarquable, plus par ses modalités de développement et ses effets sur l’équilibre des différents éléments que par ses qualités d’exotique. Dans les descriptions de l’espèce et de son intégration dans l’histoire du milieu colonisé, la jussie, en tant que facteur de fermeture du milieu, ne diffère pas forcément des autres espèces, indigènes celles-ci. A partir du moment où une espèce ne prend pas le pas au détriment d’autres espèces, sa qualité d’exotique ou de locale n’importe guère. La jussie, au même titre que des espèces locales, les saules, les roseaux, les ronces, est incriminée dans le processus de fermeture des marais, et à la disparition de ces paysages issus de l’interaction entre la nature et le travail de l’homme. Si pour l’employé du conseil général la jussie est moins naturelle que les autres espèces parce qu’elle vient d’ailleurs, « qu’elle ne fait pas partie du cadre », ce trait exotique n’est activé que par le caractère envahissant de la plante. En effet, probablement qu’il changerait son point de vue sur la jussie si on lui trouvait une utilité, comme ce fût le cas pour le sandre, comme il le constate lui-même : « Au début, quand il y a eu du sandre, personne n’aimait. Maintenant, tout le monde en veut parce qu’on trouve ça bon. Si la jussie était comestible… ». Une plante ambivalente C’est pour ses caractéristiques esthétiques et pour des raisons ornementales que la jussie aurait été introduite en France, notamment comme ornementation des aquariums ou des étangs d’eau douce… et qu’elle a continué d’être vendue en jardinerie jusqu'en 2007. De ce fait, elle appartient donc à la catégorie des plantes ornementales. Cette caractéristique présente un revers, son caractère envahissant. Du fait des impacts sur les milieux où elle se développe et des nuisances occasionnées, la jussie appartient aussi à la catégorie des espèces jugées nuisibles. Dans les discours recueillis, sa dimension à la fois esthétique et « nuisible » participe à la constitution de l'ambivalence de la plante. Dans les publications, qu’il s’agisse d’articles de presse ou bien de la diffusion de plaquettes d’informations, cette ambivalence, beauté et dangerosité, ne manque pas d’être exploitée et utilisée. La jussie fait partie des éléments qui « trompent » le monde, sous ses apparences de jolie plante inoffensive… « Alerte à la jussie dans le lit du Don. Pourtant, on la trouverait presque jolie, la jussie, avec ses petites fleurs jaunes. Derrière cet aspect inoffensif, cette plante exotique est en fait une fossoyeuse du milieu aquatique local »., peut-on lire dans le Ouest France du 30 août 2001. Dans cet extrait d’article se trouve en condensé la difficulté à penser une telle plante combinant attrait esthétique et rôle mortifère… « Non, la jussie n’est pas un alien, mais c’est quand même un monstre capable en un rien de temps de se multiplier à l’infini » nous explique le même quotidien le 10 mars 2005. Cet aspect ambivalent est aussi particulièrement exploité dans les plaquettes de sensibilisation. « Souvent belle, mais parfois dangereuse », explique celle réalisée par la Diren des Pays de Loire. « Attention, cette plante cache bien son jeu !", nous prévient celle de l'Institut Interdépartementale de la Sèvre Niortaise : A force d’être envahissante, les gens n’osent plus dire qu’elle est belle, comme s’il était difficile de prêter à un même élément des caractères esthétiques et nuisants : . « Elle est jolie, mais maintenant, quand on voit les dégâts qu’elle peut faire, on n’a plus envie de la trouver jolie » constate la responsable d’un office du tourisme dans les marais de Vilaine. Mais cet élu des Landes n’hésite pas à s’affranchir de ce discours ambiant, tout en reconnaissant que ce n’est guère correct : « elle embellit. Peutêtre que c’est pas bien de le dire, mais elle embellit les ruisseaux quand ils sont à sec ». Les jugements portés sur elle nous renvoient à la manière dont on traitait les animaux nuisibles auparavant dans les livres d’école. Ceux-ci étaient classés en utiles et nuisibles, reprenant les modes de classification en vigueur dans la société, et un animal jugé nuisible était nécessairement laid (Lambert, 1999). Si ces modes de classification ont évolué dans les manuels scolaires depuis la seconde guerre mondiale, témoignant d’une évolution dans les modalités de perception de la nature, plus envisagée en terme d’écologie et de biologie, ce cas de la jussie permet de voir que ce mode de catégorisation est encore en vigueur. Dans les discours, la catégorie « belle » fonctionne comme si elles était antinomique de la catégorie « nuisible ». C’est toujours avec des précautions oratoires, quelques rires ou des demandes mi-sérieuses mihumoristiques qu’on nous demandait de ne pas enregistrer ces remarques émises sur l’esthétique de la plante. Le point de vue porté sur la jussie changerait fort probablement si on lui trouvait une utilité. « Si encore elle était utile », « si on pouvait la manger, ça irait encore », peut-on entendre. On ne peut pas en faire de la litière pour les animaux, qui ne la mangent pas (certains disent même qu’elle est toxique, mais cela est loin d’être sûr), elle n’est guère consommable pour l’homme. Pour l’instant, les seuls caractères utiles observés concernent ses qualités mellifères, mais de là à en faire une production, il y a encore du chemin à parcourir. Cependant, certains lui cherchent des débouchés : comme engrais, pour faire des médicaments, et pourquoi ne pas essayer de l’utiliser pour épurer les sites et les dépolluer ? Si on pouvait lui trouver des usages, probablement que l’on verrait confirmés les propos de G.Clément (2002) : « le vagabondage devient envahissement sous prétexte que l’espèce se développe avec un certain bonheur. Si on lui trouve une utilité (engrais, cosmétique, fourrage etc.), elle disparaît des chroniques. On ne parle plus de pestes végétales mais de plantes utiles ». plaquette de sensibilisation UNE ESPÈCE MARONNE QUI QUESTIONNE NOTRE RELATION À LA NATURE Plante initialement domestique, la jussie est devenue une plante sauvage, d’un sauvage peu naturel tant elle est considérée comme extraordinaire, comme une « une merveille de la nature »… un sauvage contre lequel lutter, à abattre, parce qu’elle échappe à la volonté de maîtrise et de domination de la nature de la part de l’homme ? En effet, elle met à mal une « nature » travaillée par l'homme et modifiée par lui depuis des siècles. Se développant librement dans les espaces « naturels », la jussie revêt maintenant les caractéristiques d’une espèce sauvage, tel que V. Pelosse et A. Micoud (1993) définissent les anciennes cultures du sauvage (ils utilisent cette définition uniquement envers la faune mais certains traits peuvent aussi être utilisés pour définir les relations que les hommes entretiennent avec la jussie : « Est domestique ce que dans le monde naturel l’homme contrôle, maîtrise, alors que tout ce qui échappe à son entreprise de domination ou vient le perturber ressortit au sauvage. ». Les actions à entreprendre contre elle sont envisagées en terme de lutte, d'éradication, à partir de l'usage d'un langage guerrier, largement repris là encore par la presse écrite : on peut lire dans le Ouest-France, en juillet 2001 : « pêcheurs et conseil général : un combat commun contre la jussie » ; « un plan de bataille contre la jussie » titre celui du 02/07/2002. Dans Les Infos De Redon n° 1390 du 18-09 au 27-09 2002, les membres du réseau d’observation sont rebaptisés « casques verts » et l’enjeu en est « d’identifier l’ennemi avant de lui déclarer la guerre ». Ne retrouvons–nous pas là l’une des manières les plus fréquentes d’envisager les relations entre l’homme et la nature en Occident, nature qu’il faut maîtriser, domestiquer, mettre sous contrôle ? La jussie, au départ plante ornementale domestiquée, est devenue comme un élément sauvage dans ces zones de marais connues et entretenues par l’homme depuis longtemps. Elles est d'ailleurs souvent décrite avec des termes qui évoquent plutôt des traits animaux que végétaux. Est-ce vraiment une plante ? On pourrait en effet en douter, à entendre certaines descriptions où lui sont prêtées les qualités qu’on attribue généralement aux prédateurs : « parce qu’elle est tapie, c’est vraiment prédateur quelque part, elle est tapie et elle attend qu’un truc, c’est qu’il y ait tout ce qu’il faut pour pouvoir s’éclater » nous explique cet animateur nature des Barthes. Son caractère « prédateur » s'exprime aussi par le fait que la plante « mange » tout ce qu’il y a dans sa proximité. « Elle mange les autres plantes », « elle mange l’oxygène ». Et dans les Landes, ils n’ont pas réussi à la « dompter ». La jussie se présente alors comme un élément de nature, d’une nature qui se présente perçue comme menaçante. A travers la volonté de maîtrise de la jussie, est-ce que c’est la volonté de domination de l’homme qui s’exprime ? On peut se demander dans quelle mesure cette peur de la jussie cristallise certaines « peurs » relatives à la nature, comme la peur de l’envahissement, la peur du débordement du sauvage dans la sphère « humanisée », domestique. Cette caractéristiques est loin de concerner la seule jussie, si l'on se réfère aux observations réalisées par Sergio Dalla Bernardina sur la caulerpe. Cette algue se présente en effet comme étant une plante à l’origine cultivée, « domestiquée », mais devenue sauvage du fait de son caractère invasif et des perturbations introduites dans l’écosystème connu et maîtrisé de la Méditerranée : « une des principales caractéristiques de Caulerpa taxifolia (…) est de remettre en cause la frontière qui, traditionnellement, sépare le monde domestique du sauvage. D’un côté, en fait, elle incarne l’image de la sauvagerie qui frappe aux portes de ce mare conclusum, parfaitement connu et anthropisé, qu’est le bassin méditerranéen ; du sauvage, elle a le comportement imprévisible, la force adaptative typique des « peuples de nature » moins raffinés mais plus frais, résistants et prolifiques. Mais d’un autre côté, sortie des aquariums où elle a été sélectionnée, la caulerpe qui envahit la Méditerranée pourrait être définie comme un végétal semidomestique qui colonise des espaces sauvages, un transfuge qui, à l’instar des bandes de chiens errants qui infestent la périphérie des grandes villes et sévissent dans la campagne environnante, a quitté le domicile de ses maîtres pour s’adonner au marronnage »(Dalla Bernardina, 2004). Conclusion Au final, pour les populations locales, une plante comme la jussie est moins remarquable par le fait qu'elle appartiendrait à la catégorie des espèces exotiques dites envahissantes que parce qu'elle bouleverse les équilibres ayant existé dans les zones qu'elle colonise. Elle constitue alors un témoin important de l’histoire des hommes et de la nature dans les zones humides. Sa prolifération massive manifeste certains désordres, non pas de la nature, mais des relations entre l’humain et la nature. Elle devient alors un symptôme de l’histoire des zones humides entre le XXe et le XXIe siècles et de leurs dysfonctionnement. Sources citées Breton François, Cheylan Marc, Lonsdale Mak, Maillet Jacques, Pascal Michel, Vernon Philippe, 1997, « Les invasions biologiques ». In le courrier de l’environnement de l'Inra, n° 3. Conseil général des Landes, 2001. Prolifération des plantes exotiques aquatiques dans les Landes; présentation, situation, gestion. Clément Gilles, 2002. Eloge des vagabondes. Herbes, arbres et fleurs à la conquête du monde. NiL editions199p. Cronk et Füller, 1996, Plants invaders. Chapman § Hall, Londres, 241 p, cité par Müller Serge (coord), 2004, Plantes invasives en France. Etat des connaissances et propositions d’actions. Publications scientifiques du Museum, 167p. Dalla Bernardina Sergio, 2002. « Algues tueuses et autres fléaux. Pour una anthropologie de l'imaginaire écologique en milieu marin. Le cas de Caulerpa taxifolia ». In D'Hondt J-L et Lorenz J. (eds), Côtes et estuaires. Milieux naturels. Paris, CTHS. Dalla Bernardina Sergio. , 2004. « Ceci n'est pas un mythe. L'obsolescence médiatique de Caulerpa taxifolia ». In Communications n°76, oct. 2004, p. 181-202. Dandelot Sophie, 2004. Les Ludwigia spp invasives du sud de la France : historique, biosystématique, biologie et écologie. Université Paul Cézanne Aix-Marseille, Faculté des sciences et techniques de St Jérome, thèse de doctorat, 213p. Dutartre Alain, Ancrenaz Karine, 2002. Répartition des jussies en France métropolitaine. Cemagref, unité de recherche qualité des eaux, Etude n° 73, 18p. Dutartre Alain, 2004. Présentation des lacs et des étangs landais, de la dynamique de quelques plantes aquatiques indigènes et exotiques et des modalités de gestion des plantes aquatiques exotiques envahissantes. session de formation des plantes aquatiques Géolandes, juin 2004, rapport Géolandes, 49p. . Friedberg .Claudine, 1968. « Les méthodes d'enquête en ethnobotanique. Comment mettre en évidence les taxinomies indigènes ? ». In Jatba, XV (7-8), 297-324. Friedberg .Claudine, 1992. « Représentation, classification, comment l’homme pense ses rapports au milieu naturel », in Jollivet Marcel (dir), 1992. Sciences de la nature, sciences de la société : Les passeurs de frontières. Paris, CNRS Editions, 589p, 357-371. Gourié Céline, 2004. « Contribution à l’inventaire de sites colonisés par des espèces végétales invasives en Bretagne : les résultats de l’enquête ». In E.R.I.C.A, n° 18, 3-18. Harlan J. R. , 1987. Les plantes cultivées et l’homme. Paris, ed PUF, coll Techniques Vivantes, 1987, 414p. http://www.ifen.fr/zoneshumides/pages/medd_barthes.htm Jodelet Denise, 1989. « Représentations sociales : un domaine en expansion », in D. Jodelet (dir), Les représentations sociales, ed PUF, Paris, 424p, 29-61. Lambert Serge, 1999. « Quand l'écologie et la biologie s'appelaient histoire ou sciences naturelles. Application aux animaux utiles ou nuisibles ». in Le courrier de l'environnement de l'Inra, n° 38, novembre 1999. Pelosse V., Micoud A., 1993. « du domestique au sauvage cultivé ». In Etudes rurales, janvier-juin 1993, 129-130. Rouxel, M.R, Renaudin C., Brunet E., Garchery P; Maufrai Y., non daté. « Aménagement des marais à Redon », Promoca, 3d/84/2. Les nouveaux référentiels du « bien-voir » notre environnement: exemple de Prunus serotina en FD de Compiègne Aurélie Javelle a,b, Bernard Kalaora b, Guillaume Decocq b a SupAgro Florac, 9 rue Celestin Freinet, 48400 Florac France b Unité Dynamiques des Systèmes Anthropisés (JE 2532) - Université de Picardie Jules Verne,1 rue des Louvels, 80037, Amiens cedex, France Comme les paysages ouverts obéissent à des modèles de jardins (Cadiou et Luginbühl, 2001, p. 20) les paysages forestiers, pour être pensés et revendiqués, et donc constitués en cause légitime en vue de leur protection, suivent depuis le XIX° siècle une grammaire constituée et actualisable (Kalaora et Savoye, 1986). Le paysage forestier émerge au travers d’une ample activité sociale de configuration et de construction de motifs centrés sur le regard et la prééminence du « bien-voir », en rapport avec l’activité picturale et littéraire. Cette activité suppose le tri des objets pertinents dans l’espace, le rapprochement des parties constituantes et repérées comme « plaisantes perspectives », l’articulation et l’assemblage des « morceaux de nature » en une unité indissociable qui font paysage. La problématique des invasions biologiques, associée à l’émergence de l’environnement et à la question de la biodiversité, met à mal les schèmes paysagers reposant sur le paysagisme et l’art du pittoresque (Kalaora, 1993 ; Bertho-Lavenir, 1999) et ceux, pratiques, d’organisation matérielle et économique, représentant la forêt comme un peuplement sylvicole destiné tout à la fois à l’exploitation et la conservation. La biodiversité ne constitue pas encore une grammaire pouvant se substituer à la codification paysagère qui, elle, résulte d’un long apprentissage, à la fois discursif, esthétique et pratique. Un nouveau référentiel, que l’on peut qualifier d’environnemental et de biologique, s’ajoute au modèle classique de la forêt productive et paysagère (Theys et Kalaora, 1998). Ce rééquilibrage des fonctions, induit par la nécessité d’intégrer la biodiversité, n’est pas sans conséquence sur la pratique forestière, le rapport à l’espace, mais aussi aux savoirs que les forestiers vont être conduits à mobiliser pour faire face à ces nouveaux enjeux biologiques. Les invasions biologiques, dans cette perspective, constituent un exemple parlant d’un problème dont la définition relève de l’intégration de savoirs plus complexes que le savoir sylvicole et dont la gestion implique la mobilisation d’un public intéressé à la conservation de la forêt au sens large du terme (du vivant) et non seulement des paysages remarquables. La reconnaissance sociale d’un problème environnemental ne relève cependant pas exclusivement d’une science naturaliste ou écologique ; elle suppose des relais et une mise en relation de partenaires avec qui discuter et négocier les nouveaux intérêts à représenter. Dans le cadre du programme INVABIO II, le département de Botanique de l’Université de Picardie Jules Verne a pris comme objet d’étude et de réflexion l’invasion de la forêt domaniale de Compiègne par Prunus serotina, un arbre originaire d’Amérique du Nord. Ce projet interdisciplinaire a regroupé écologues, géographes, mathématiciens, sociologues et gestionnaires pour mieux comprendre la dynamique invasive de cet arbre en système forestier tempéré. L'ethnologie a été sollicitée pour comprendre les conditions sociales du développement effectif de l'arbre allochtone en forêt de Compiègne, mais aussi sa perception, la manière dont les informations sur ce processus invasif ont circulé et se sont diffusées chez le public comme chez les professionnels de la filière forêt. Ce travail a permis de soulever des questions à propos de l'usage social de données des sciences de la nature concernant les invasions biologiques, ainsi que sur la perception d'un tel événement ayant lieu en forêt de Compiègne. Les données écologiques ont été confrontées aux réactions des acteurs locaux, afin d'illustrer les enjeux, les intérêts et les interférences de ceux-ci face à cette situation. L'enquête a été réalisée à partir d'entretiens semi-directifs et d'observations in situ, ainsi que d'analyses de documentation scientifique et de la presse, tous publics confondus. Prunus serotina Une stratégie agressive Prunus serotina Ehrh, aussi appelé American black cherry ou cerisier tardif, est de la famille des Rosaceae, sous-famille des Prunoideae. Il est originaire d’Amérique de Nord, où il s’étend à l’est d’une région qui va des Grands Lacs jusqu’au Golfe du Mexique (Hough et Forbes, 1943). Il aime un climat humide, frais et tempéré, mais s’adapte à de nombreuses situations écologiques. Il fait partie des premières espèces introduites d’Amérique du Nord. Son nom vient du fait que sa floraison est très tardive par rapport aux autres espèces du genre, notamment Prunus padus (le cerisier à grappes), espèce autochtone. En forêt domaniale de Compiègne, Prunus serotina présenterait une double stratégie r-K , qui non seulement lui confère un avantage compétitif sur les espèces indigènes, mais contribue certainement à sa capacité invasive (ClossetKopp et al., 2007). Il combinerait un syndrome d'Oskar (Fig 1) et un comportement d'Alice (Fig 2), sans véritable équivalent chez les espèces forestières européennes, ce qui serait une clef probable de son succès. Il semble avoir toutes les qualités pour être un bon envahisseur biologique (Starfinger, 1997 ; Joly, 2000). C'est ainsi qu'aujourd'hui, il est présent sur près de 80% de la surface de la forêt. Fig 1 d'après Decocq 2007 Figure 1 : le « Syndrome d’Oskar» chez Prunus serotina. (a) Les graines de Prunus serotina, dispersées par les oiseaux et certains mammifères, sont capables d’entrer dans une forêt à canopée fermée ; (b) elles y germent et, en l’absence d’arrivée suffisante de lumière au sol, y établissent une banque de plantules quiescentes très longévives : les Oskars, qui attendent un environnement plus favorable pour reprendre leur croissance. (c) Dès qu’une arrivée de lumière au sol survient, par exemple suite à un chablis, une levée de quiescence s’opère, et les plantules reprennent leur croissance ; on observe une structure en cloche typique. (d) Rapidement, les individus situés au centre de la trouée parviennent à la canopée pour y fructifier abondamment et disperser de nouvelles graines vers le reste de la forêt. Fig 2 D'après Decocq, 2007 Figure 2 : le « Comportement d’Alice » chez Prunus serotina. (a) A la suite d’une arrivée de lumière au sol, une plantule se développe en arbuste mais ne parvient pas à atteindre la canopée avant que la trouée ne se referme, suite à l’extension des houppiers des arbres voisins ; (b) toute la partie aérienne de l’arbuste meure ; (c) mais l’année suivante, Prunus serotina rejette depuis la base de la tige morte et, la même année ou les suivantes, des drageons se forment à partir de l’appareil racinaire. Prunus serotina adapte ainsi la taille de ses individus en fonction de la quantité de ressources disponibles. Une introduction fantomatique On manque d’informations précises sur les origines de l’apparition de Prunus serotina en forêt de Compiègne. Personne ne parle spontanément de lui. Face aux questions des personnes extérieures, la population met en place une assise populaire à l’apparition de cet arbre, qui coïncide avec leur représentation de la forêt, même si la véracité n’en est nullement vérifiée. C'est ainsi que l'on raconte que c’est Napoléon III, fervent chasseur de faisans, qui aurait introduit l’arbre. Néanmoins, la consultation des archives indique des lacunes dans cette version. Des documents précis (Léré, 1819-1834) ne font nulle mention d’un arbre destiné à nourrir ou à héberger les faisans et exploité dans un but cynégétique pour le plaisir de l'Empereur des Français. On découvre également l’existence d’une école d’essais pour la culture des arbres exotiques en forêt, dont la liste des espèces n'indique cependant pas Prunus serotina (Graves, 1983, p. 224) de même qu'il est absent de l'inventaire des plantes du jardin du château, enclavé dans la forêt (Léré, 1827-1839, p. 248). On peut alors opter pour l’hypothèse d’une introduction antérieure à Napoléon III dans un but esthétique pour suivre la mode des jardins à l'anglaise. Les parcs touchant la forêt, Prunus serotina se serait progressivement échappé des premiers pour coloniser la seconde. C’est d'ailleurs dans ce secteur que l’individu le plus âgé (environ 150 ans) a été inventorié lors de prospections, en 2001. On observe le même cas de figure à Fontainebleau où cet arbre, présent dans les jardins de particuliers, s’échappe pour coloniser la forêt… L’histoire se répéterait-elle ? Des conditions favorables à l’apparition de « l'envahisseur » Prunus serotina Un contexte sylvicole favorable à son explosion dans les années 1960-1980 Les méthodes sylvicoles utilisées par l’Office national des forêts (ONF), doté de moyens importants au moment de sa création dans les années 1960, peuvent expliquer le concours de circonstances à l’origine de l’explosion du Prunus serotina à Compiègne. D’une part, lorsque l’ONF plante alors une essence objectif dans une parcelle, le sol subit une préparation importante, très agressive. Les andains de rassemblement des souches peuvent encore se voir aujourd’hui. Or, comme beaucoup de plantes invasives, Prunus serotina aime les sols perturbés qui lui fournissent les conditions idéales à son développement. Ensuite, les coupes à blanc, qui rentrent dans cette pratique sylvicole, favorisent également son développement en fournissant la lumière nécessaire aux plantules « dormantes » disséminées dans la forêt depuis son introduction. Dans le même sens, la dynamisation de la sylviculture du hêtre faisait également partie des objectifs de l’Office. Cela implique une futaie très lumineuse, donc favorable à la croissance de l’arbre invasif. Un autre facteur favorisant a probablement été la récurrence des tempêtes dans la décade 1980-1990. Une relecture de la présence de Prunus serotina La découverte de Prunus serotina en tant qu'envahisseur biologique est progressive et débute par une tentative de régénération de hêtres en 1968 sur une parcelle à proximité du parc du château. C’est un échec à cause de la présence anormalement importante d’un arbre que tous ceux qui l’ont remarqué appellent « cerisier à grappes ». En terminologie botanique, le cerisier à grappes correspond au Prunus padus, présent en forêt de Compiègne à l’état naturel. L’agent forestier concerné constate qu’il s’installe extrêmement rapidement après les coupes de régénération. Il se rend compte que l’espèce s’est établie sur près du tiers de la forêt. Face à la situation, il fait appel, en 1971, à un botaniste de l’université de Lille, afin d’identifier cet inconnu. Le prétendu « cerisier à grappes » se trouve en fait être du Prunus serotina, ou « cerisier tardif ». On remarquera que le botaniste n'ajoutera aucun autre commentaire, encore moins une mise en garde contre une espèce invasive. De la même façon, les informations collectées par cet agent auprès du CTBA (Centre Technique du Bois et de l’Ameublement ) ne mentionnent aucun risque écologique mais bien plutôt la haute valeur du bois exploité dans son aire d'indigénat (Benoît, 1997). On note également que dans les années 19751980, une association s’intéressant au fonctionnement et à la vie des forêts de la région se rend compte de la présence de cet arbre inconnu en très grande quantité. Après information auprès de l’ONF, qui leur apprend les problèmes de régénération, cette association ne prendra aucune mesure contre l’arbre. Les invasions biologiques ne sont toujours pas dans l’air du temps. Chronologie d'une médiatisation des espèces invasives Il faut attendre 1992 pour qu'au niveau international la question des invasions biologiques soit largement diffusée lors de la convention sur la diversité biologique. Ce thème devient très médiatisé et dans les années 1990 apparaissent les premiers textes sur les invasions biologiques, mais dans des revues au public ciblé tel que scientifiques, naturalistes ou forestiers. Progressivement, le sujet des invasions biologiques se démocratise. On assiste à une multiplication à partir des années 2000 d'articles dans la presse. On constate logiquement que le type d'informations diffusées dépend du public ciblé. Plus on s'approche du domaine du grand public, plus l'information est partielle et ciblée sur une question pragmatique liés à des aspects économiques ou sanitaires, que l'on estime plus proches des préoccupations des lecteurs. Les revues d’environnement, d’écologie traitent le sujet. Les risques d’invasion y sont expliqués et les plantes, les plus fréquentes par région, listées. Les programmes INVABIO puis INVABIO II du Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable sont lancés au début des années 2000. Bien que vulgarisée, la définition d'une invasion biologique n'est pas unanime (Pascale et al. 2006). Dans ce travail, nous nous appuyons sur la définition donnée par l'UICN (Union mondiale pour la conservation de la nature) selon laquelle une espèce invasive est une espèce établie dans un nouveau domaine où elle y est agent de perturbation et nuit à la diversité biologique. En outre, nous considérons ici que son origine est anthropique. Un nouveau référentiel environnemental La chronologie de l'apparition de Prunus serotina comme envahisseur biologique illustre la surimposition progressive de nouvelles notions environnementales sur un modèle sylvicole classique. A la complexité des fonctionnements écologiques concernés s'ajoute l'accroissement des domaines et des acteurs impliqués et aboutit à une cacophonie de représentations de plus en plus individualisées qui se chevauchent, s'ignorent ou s'opposent pour venir éclater les cadres conceptuels quotidiens. Une absence de représentations communes D’un point de vue social, Prunus serotina s’est intégré dans la vie des personnes les plus observatrices fréquentant la forêt. C’est entouré de parcelles illustrant l'omniprésence de Prunus serotina dans le paysage, que ce soit dans les parcelles en régénération, en coupe d’ensemencement ou en sous-bois que la plupart des usagers de la forêt de Compiègne a été interrogée lors de l’enquête ethnologique ; une majorité déclare ne pas connaître Prunus serotina, d’autres qu’il n’y en a pas dans les environs…A contrario, pour d’autres Prunus serotina est connu, mais il n’est pas forcément reconnu ! Il est surprenant de constater que nombre de professionnels de la forêt, qui déclarent (bien) connaître Prunus serotina, le confondent avec d’autres espèces, comme Prunus padus (ONF) ou Prunus mahaleb (Inventaire forestier national), voire avec d’autres essences exotiques ne lui ressemblant absolument pas (e.g. avec Betula lutea ou bouleau jaune, appelé « merisier » par les Québécois, Centre Régional de la Propriété Forestière Picardie – Nord Pas-de-Calais). Les exploitants forestiers, quant à eux, savent reconnaître le bois en planche, mais pas l’arbre sur pied. Sans danger pour la santé, plutôt joli, parfois utile, Prunus serotina n’est pas rejeté par la population. Ceux qui l’ont remarqué disent l’avoir toujours vu là. Bien que rapide à l’échelle des écosystèmes forestiers, la dynamique invasive est encore trop lente et progressive pour être perçue par les usagers de la forêt. Prunus serotina s’intègre. A l’instar de Diamond (2005) l’échec de perception est le résultat de la « normalité rampante » ; les repères fondamentaux de la normalité évoluant graduellement et de manière imperceptible. Quel meilleur exemple que ces riverains qui ne connaissent l’arbre ni par son nom, ni par son histoire, ni par ses caractéristiques biologiques, mais qui utilisent malgré tout ses fruits pour en faire des confitures, celles-ci entrant tout aussi progressivement dans les rites familiaux ? Certains en arrivent même à apostropher les agents de l’ONF qu’ils voient en train de couper du Prunus serotina. Des souvenirs se créent, rattachés à cette plante, comme le jour où, par excès de gourmandise, l’oncle est tombé en voulant atteindre les plus belles grappes au sommet de l’arbre… Les différentes dénominations du Prunus selon chaque groupe (merisier à grappes, bois puant, ou par périphrases comme « l’arbre qui est partout » ou « l’arbre qu’on trouve partout ») illustrent la méconnaissances du P. serotina, contrairement aux essences fédératrices que sont le chêne et le hêtre, qui représentent le patrimoine de la forêt de Compiègne (Callais, 1998). La catégorisation des dénominations traduit le peu d'échanges entre les différents groupes d'usagers. L'émergence d'une expertise pro-environnementale Face au constat d'invasion, des rejets de responsabilités ont été mis en évidence : les naturalistes accusent les gestionnaires (notamment forestiers) de ne rien faire ; les gestionnaires rejettent la responsabilité sur les particuliers et les pépiniéristes ; ces derniers s’en rejettent mutuellement la responsabilité, avant de se décharger sur l’Etat qui ne légifère pas. Les élus se réfugient derrière l’absence de procédure existante dans ce genre de situation. « Qui fait quoi ? », résument-ils. Marsal (2002) note déjà la même situation d'une manière plus globale. L’absence de législation, c’est-à-dire de décision politique, est en partie due à l’absence de pression du « grand public » pour qui l’invasion biologique est invisible. Les élus disent attendre de toute façon les résultats de la recherche sur Prunus serotina, avant de réfléchir aux moyens d’agir, de concert avec les associations naturalistes ou autres organismes régionaux professionnels ou grand public. Ces organismes, quant à eux, sont déroutés, notamment par le manque de moyens financiers ou humains à leur disposition, mais également par le manque de coordination dans ce domaine. Il n’y a pas de pensée systémique et globale en mesure de déboucher sur une véritable stratégie d’action. Chaque catégorie de population reste centrée sur ses préoccupations, sans intérêt autre que ceux des enjeux corporatistes. L’absence d’arrièreplan cognitif entraîne un rabattement vers les savoirs usuels et les procédures routinières d’action. Dans cette perspective, seules des initiatives personnelles sont menées, mais, coupées de tout réseau institutionnel et de soutien, elles aboutissent difficilement. Toutes les tentatives ayant eu lieu pour lutter contre des plantes invasives en Picardie sont indépendantes les unes des autres, non concertées et donc hétéroclites. En outre, il n’existe pas de processus étalonné, pas de récit narratif du phénomène, donc pas de prise de relais des quelques essais effectués. Les quelques tentatives de lutte contre l'espèce invasive sont dues à la volonté d'une poignée d’individus «éclairés», sensibilisés à la question par leur parcours professionnel et/ou personnel. Ils tentent, seuls ou en impliquant un organisme avec lequel ils ont un lien, de mettre en place une lutte contre les espèces invasives. Ils se réapproprient les savoirs scientifiques avec lesquels ils sont en contact par leurs activités et les retranscrivent selon leurs convictions personnelles. Face aux acteurs sans lien avec le monde scientifique ou moins sensibilisés aux questions des invasions biologiques, ils se retrouvent en situation d'experts qui relaient une information incertaine et confuse et réussissent à circonscrire les dangers d'une menace diffuse. Ils deviennent alors porteurs d'une mission sociétalement valorisée : aider à conserver la biodiversité. À Compiègne, la catégorie des experts se confond dans les actes avec celle des lanceurs d’alerte (Chateauraynaud & Torny, 1999). Parmi la cohorte d’usagers étudiée, ces derniers étaient au nombre de deux : un écologue travaillant au Conseil régional, qui est à l’origine d’un programme « Alerte et lutte contre les espèces invasives » de la Mission environnement du Conseil régional, et un expert forestier privé membre de Prosilva. Ce combat se fait au nom de la biodiversité, du patrimoine, c’est-à-dire de notions associées à un paysage intellectualisé, distancié, que ne partage pas forcément le grand public. De l'usage hospitalier des données scientifiques Alors que certaines espèces invasives peuvent facilement prêter le flanc à une controverse unanime pour des raisons sanitaires par exemple comme la Berce du Caucase ou encore l'ambroisie en région Rhône-Alpes, Prunus serotina n'existe pas en tant que représentation collective. On peut alors questionner la validité et la légitimité des actions d'éradication tentées selon les prescriptions de quelques individus. Les données scientifiques sont «subjectivées» puisque présentées de manière à rallier un point de vue personnel. Elles sont en outre utilisées dans un discours sociétal proenvironnemental sommes toutes assez peu exigeant, voire arrangeant avec les valeurs consuméristes de la société occidentale comme le montre Maris (2006) dans le cas du développement durable. Enfin, les arguments se fondent sur des données scientifiques qui sont simplifiées afin de répondre aux exigences pragmatiques du terrain. Malgré ces lacunes, de telles démarches restent cautionnées par la valeur intrinsèque des données scientifiques accordée par notre société, placées en haut d'une hiérarchie qui reste peu remise en cause. Face à cela, on ne peut que constater que ces données scientifiques trouvent leurs propres limites par leur incomplétude lorsqu'elles sont confrontées à la complexification des questions environnementales, qui fait alors appel à d'autres savoirs dits «irrationels» (Latour, 2005). Des arguments basés sur une approche sensible de notre environnement ne devraient-ils donc pas autant prévaloir dans les discussions ? Ils ont en outre le mérite d'accepter les incertitudes, voire l'ignorance décrite par Ravetz (1998), dont notre culture scientiste a tellement peur. La vigilance doit donc porter sur les raisons réelles d'une éventuelle volonté d'éradication d'une espèce : anthropocentrisme ou médiatisation moralisante qui cherche à se donner bonne conscience en demandant de protéger la nature au nom des générations futures, de manière à corriger les excès de notre civilisation. Certaines espèces deviennent des boucs émissaires. Il s'agit donc, comme le fait Bruno (1990) d'une manière générale, de réfléchir à l'utilisation des données scientifiques. La situation créée par Prunus serotina en forêt de Compiègne peut faire réfléchir dans des termes similaires à ceux de l'hospitalité. Dans un esprit métaphorique, il est en effet question de la place accordée à l'autre. On a vu les stratégies biologiques utilisées par Prunus serotina qui se différencient de celles des espèces autochtones et qui en font alors une espèce dérangeante. Il peut être accusé de se mettre au ban de la société et de ne pas respecter une des règles fondamentales de l'hospitalité : être amené à repartir chez lui. Du statut d'hôte, il passe alors à celui d'envahisseur. Pour être accepté, il doit s'ajuster, se transformer pour pouvoir être « naturalisé », chose que refuse Prunus serotina qui continue son expansion grâce à ses caractéristiques allochtones. Il n'a, en outre, suivi aucun rite d'accueil, s'immisçant puis apparaissant en masse par surprise. C'est parce qu'il touche l'intime, l'espace domestique d'une forêt domaniale que l'espèce étrangère prend des risques. Dans ce cadre, vouloir éradiquer une espèce pourrait être relié à l'idée de vouloir faire la loi chez soi. On peut s'interroger sur les arguments sociaux opposables aux « vagabondages » des espèces décrits par Clément (2002). Conclusion Les chercheurs produisent la connaissance non plus dans le confinement étroit de leur cercle, mais dans la confrontation avec l’ensemble des acteurs sociaux, usagers comme gestionnaires. Le bouleversement des schèmes paysagers en forêt de Compiègne suite à l'apparition de Prunus serotina pose la question de l'usage des connaissances scientifiques dans une société où d'autres représentations sont moins valorisés parce que totalement fondées sur le sensible. Ce travail montre des usages par des acteurs ni scientifiques ni naturalistes qui font fi de ces considérations et accueillent l'intrus et intègrent ce « cerisier américain » ou « truc américain » dans leur quotidien. Ils se mettent alors « hors-la-loi » des orientations environnementalistes dominantes. La petite histoire présentée ici de Prunus serotina en forêt de Compiègne permet de reconsidérer les règles de l'hospitalité écologique selon des termes biologiques, mais aussi économiques, sociaux ou techniques. Peut-être est-il bon de se souvenir de « l'école d'essai pour les essences exotiques » existant à Compiègne à la moitié du XIX° siècle pour mettre en relief aujourd'hui la volonté d'éradication d'une espèce exotique. Instabilité de statut bien décrite pour Prunus serotina au fil du temps et des représentations par Starfinger et al. (2003). Variabilité de statut également des éléments de la nature entre différentes catégories sociales (Picon, 1996 ; Claeys-Mekdade, 2000). Par sa présence à Compiègne, Prunus serotina nous place face aux capacités de notre société à accueillir celui qui se différencie. Références Bertho-Lavenir, C., 1999. La Roue et le stylo : comment nous sommes devenus touristes, Paris, Odile Jacob. Benoit, Y., 1997. Le Guide des essences de bois, Paris, CTBA/Eyrolles. Bruno, J.-B., 1990. La sacralisation de la science, in Rivière, C., Piate, A., Nouvelles idoles, nouveaux cultes, Paris, L’Harmattan. Cadiou, N., Luginbühl, Y., 2001, Modèles et représentations du paysage en Normandie-Maine, in Voisenant, C., Paysage au pluriel, Paris, Edition de la Maison des sciences de l'homme, 19-34. Callais, F., 1998, À la découverte des forêts de Compiègne, Laigue et Ourscamps Carlepont, Société historique de Compiègne, 3. Chatauraynaud, F., Torny, D., 1999. Les Sombres Précurseurs : une sociologie pragmatique de l’alerte et des risques, Paris, EHESS. Claeys-Mekdade, C., 2000. Les Conflits d’aménagement : rapport à la nature et rapport sociaux. Thèse de doctorat d'État, Université de Provence, Aix-en-Provence. Clément, G., 2002. L’Éloge des vagabondes, Paris, Nil Éditions. Déborah Closset-Kopp, D., Chabrerie, O., Valentin, B., Delachapelle, H., Decocq, G., 2007, When Oskar meets Alice: does a lack of trade-off in r/K-strategies make Prunus serotina a successful invader of European forests?, Forest Ecology and Management, 247, 163, 120-130. Decocq, G., 2007, Dynamique invasive du cerisier tardif Prunus serotina Ehrh., en système forestier tempéré : déterminants, mécanismes, impacts écologiques, économiques et socio-anthropologiques, Rapport final. Diamond, J., 2005, Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Paris, Gallimard. Graves, L., 1983. Précis statistique du canton de Compiègne, arrondissement de Compiègne, Paris, Librairie Guénégaud. Hough, A.F., Forbes, R.D., 1943. The ecology and silvics of forests in the high plateaux of Pennsylvania, Ecological Monographs, 13, 299-320. Joly, P., 2000. Invasions biologiques : état de l’art et perspectives, Revue d’écologie – Terre Vie, suppl. 7, 21-35. Kalaora, B., 1993. Le Musée vert, Paris, L’Harmattan. Kalaora, B., Savoye, A., 1986. La Forêt pacifiée : sylviculture et sociologie au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan. Latour, B., 2005, La science en action, La Découverte, Paris. Léré, J.A.F., 1819-1834. Traité historique de la Faisanderie et de l’éducation artificielle des faisans, Fonds Léré, bibliothèque Saint-Corneille, Compiègne. Léré, J.A.F., 1827-1839. Notes sur la botanique et horticulture à Compiègne, Fonds Léré, bibliothèque Saint-Corneille, Compiègne. Maris, V., 2006, Le développement durable : enfant prodigue ou avorton matriphage de la protection de la nature? Les ateliers de l'éthique, 1, 2, 86-101. Marsal, P., 2002. Les invasions biologiques, Le Courrier de l’environnement de l’INRA, 46, 103-108. Pascal, M., Lorvelec, O., Vigne, J-D, 2006, Invasions biologiques et extinctions, Paris, Belin, Quae. Picon, B, 1996, Du bon usage de la menace : chronique des représentations de la nature en Camargue, Études rurales, 141-142, 143-156. Ravetz, J., 1998, Connaissance utile, ignorance utile? in Theys, J., Kalaora, B., La terre outragée, Paris, Diderot, 89-108. Starfinger, U., 1997. Introduction and naturalization of Prunus serotina in Central Europe, in Brock, J., Wade, P.M., Pysek, P., Green, D. (Eds), Plant Invasions: Studies from North America and Europe, Leiden, Backhuys Publishers, 161-171. Starfinger, U., Kowarik, I., Rode, M., Schepker, H., 2003. From desirable ornamental plant to pest to accepted addition to the flora? The perception of an alien tree species through the centuries, Biological Invasions, 5, 323-335. Theys, J., Kalaora, B., 1998. La Terre outragée, Paris, Latitudes. Nature et langage dans le cadre des invasions biologiques : la couverture médiatique du développement de l'algue Caulerpa taxifolia Sylvie Friedman, Doctorante en ethnologie, Université de Bretagne Occidentale, Brest. En 1984, on découvre au pied du musée de Monaco la Caulerpa taxifolia, une variété tropicale d’algue qui n’était connue en France que des aquariophiles. Rapidement, l’algue s’étend sur une grande partie du littoral méditerranéen et l’on qualifie son expansion d’ invasion biologique. La presse s’empare du sujet. La campagne médiatique va produire, de 1990 à 1999, plus de 600 articles sur l’algue aussi bien au niveau national que local. L’analyse de cette production montre que les journalistes utilisent, pour parler du phénomène, un certain nombre de procédés spécifiques du fait-divers. La question que je me suis posée, c’est de savoir si de l’analyse d’un tel corpus 4, on pouvait retirer quelques enseignements sur d’un côté, la representation de l’algue, de l’autre, le rôle que peut jouer le texte dans une tentative de remise en ordre du monde naturel. Belle comme une fougère et prolifique comme un lapin, l’algue spectaculaire décorait à bon marché.5 Dans ce portrait que fait le Figaro de Caulerpa taxifolia, on trouve un condensé de raccourcis saisissants où on ne peinera pas à reconnaître une écriture habituellement qualifiée de “ journalistique ”. Ses contraintes sont l’épargne et l’effet : raconter en peu de mots et frapper le lecteur. Une situation propice à l’usage des figures de style et tout particulièrement des figures de l’opposition. Dans cette phrase, on rencontre ce que Roland Barthes appelle un trouble de la coïncidence, c’est à dire le rapprochement de deux termes qualitativement distants .6 On ne compare pas habituellement un végétal à un animal et il n’y a pas de rapport évident entre la fougère et le lapin. Deux ans plus tôt, sous le titre L’algue exotique qui colonise la Côte d’Azur,7 le même journal exploitait un autre procédé qui consiste à introduire cette fois-ci un trouble de la causalité, lui aussi caractéristique de l’écriture du fait divers et l’on pourrait même préciser ici, une causalité inversée. L’exotisme est lié, dans l’imaginaire, à la colonisation, mais il est le colonisé et non le colonisateur. Dire que c’est l’exotique qui colonise, c’est retourner les termes du conflit entre nature et culture à 4 5 6 7 “La presse est un terrain d’études privilégié. Elle est plus proche par nécessité de la société à laquelle elle s’adresse, qui y cherche son visage, le reflet de ses soucis et de ses hantises”. Auclair G., p.217 Le Figaro, 10-11.07.93 Barthes R., p.201 Le Figaro, 20.12.91 travers l’idée du sauvage qui colonise le civilisé. Trouble de la coïncidence, trouble de la causalité, ces quelques échantillons vont tous dans le même sens : introduire le doute par la remise en cause du rapport logique entre les mots et à travers eux entre les objets qu’ils représentent. Toutes ces stratégies textuelles servent à véhiculer des représentations dont certaines, récurrentes, vont ensuite être repositionnées de façon dynamique dans le langage et dans la pensée. L’anthropomorphisation : l’algue est une belle exotique Il s’agit d’abord de remettre l’espèce dans le flou de l’anonymat pour pouvoir ensuite conduire avec logique vers la nouvelle identification : Elle est petite , elle est jolie, elle vient des Antilles, elle est verte et elle risque de bouleverser l’écosystème méditerranéen à brève échéance.8 L’usage répété du pronom “ elle ” pose d’emblée une énigme, met en scène un suspense. L’algue est connotée comme une figure féminine, pas plus, à laquelle vont être associés toute une catégorie de propriétés caractéristiques du féminin : Elle a les attributs d’une star : une longue silhouette, élégante et empanachée, un éclat fluorescent et surtout le don un peu sulfureux d’exciter, par sa seule présence , passions et controverses.9 Même procédé dans Var Matin, dont l’article commence ainsi : Elle fait penser à une femme fatale. Comme les héroïnes de Raymond Chandler, elle est très belle, très mystérieuse et très inquiétante.10 Ce pronom, “ elle ” posé comme la pierre de fondation de tout l’édifice descriptif qui, très souvent, introduit les articles sur l’algue, pose à la fois un sujet distant et proche, tout comme il sert de borne à partir de laquelle un rythme va se fissurer . Ce “ elle ” construit la description dans la première partie de la phrase, en accumulant les structures répétitives : “ elle est petite, elle est jolie, etc… ” et dans la seconde partie lézarde tout l’édifice : “ elle risque de bouleverser l’écosystème méditerranéen à brève écheance ”. On passe là encore une fois à une relation de causalité aberrante, en opposant des caractéristiques physiques extrêmement plaisantes à une action extrêmement destructrice. De même, apparaissent comme aberrants les rapports du quantitatif et du qualitatif : un seul individu bouleversant tout un écosystème et qui plus est un individu connoté au féminin, donc culturellement peu investi de prouesses physiques. Elle veut dire aussi, cette relation causale perturbée, qu’à petite cause, grands effets.11 Qu’un élément féminin peut avoir une grande force. Que la beauté ne préserve pas de la dangerosité. ”Il n’y a pas de fait divers sans étonnement”. 12 La légende des photos de presse est aussi un lieu privilégié de mise en scène des paradoxes. En dessous d’un cadrage serré de Caulerpa taxifolia, qui envahit toute l’image, on peut lire : L’algue vient des mers du Sud. Mais en 8 9 10 11 12 Le Quotidien de Paris, 18.01.92 Subaqua, mars-avril 1992 Var Matin, 22.10.98 Barthes R. op.cit. p.199 Ibid. p.197 Méditerranée, l’espèce résiste jusqu’à 7°. Une mutante prête à s’attaquer à l’Atlantique ? 13 Si l’on classe l’inexplicable du fait divers en deux catégories de faits : le prodige et le crime, la Caulerpa taxifolia relève sans aucun doute des deux. Tout d’abord, le prodige. Le raisonnement induit est que l’algue n’étant pas d’ “ ici ”, elle ne devrait pas survivre ailleurs que chez elle. Pourtant, elle résiste : L’accusée est très belle. Ondulante, élégante, d’un beau vert fluo, gracieuse comme une fougère des mers du sud […] et résistante comme une vaillante fille des Tropiques émigrée sur les rochers de la Riviera.14 Toujours en évitant de nommer l’espèce “algue”, on s’ancre dans la représentation d’une héroïne au physique attrayant, d’origine étrangère, émigrée. Le franchissement du végétal à l’humain est avéré. Le trait retenu, la féminité, est insistant. On nous le répète : l’algue est une belle “ exotique ”. Sans que le terme soit d’emblée péjoratif, le champ sémantique rattaché à cette origine tropicale évoque des notions qui peuvent permuter du positif au négatif : la chaleur, le batifolage sont aussi producteurs de prolifération, envahissement, invasion… Les premières réflexions sur la façon dont Caulerpa taxifolia est introduite dans le texte nous amènent à penser que pour mettre en scène l’ambiguïté de l’espèce, le jeu sur les instances grammaticales est prépondérant. L’introduction dans le récit de Caulerpa taxifolia se fait en évitant, dans un premier temps, par l’usage du pronom, de l’adjectif, de l’adverbe, donc de tout ce qui n’est pas nom et verbe, c’est à dire les deux instances principales du langage, aussi bien de nommer l’algue que de la classer dans une catégorie bien définie. Par contre, nous allons le voir maintenant, à partir du moment où s’affirme une position pour ou contre, où la phrase a pour but de présenter l’espèce comme indésirable ou en tout cas agressive, une certaine unité se fait autour des termes appartenant pour la plupart, adjectifs, noms, verbes, au champ sémantique de l’animalité. Car le caractère retenu pour évoquer la dangerosité de l’espèce est l’animation, c’est à dire, pour un végétal, un caractère surnaturel. Paradoxalement, le côté “ mouvant ” de la Caulerpa est bien plus souvent évoqué que celui de la Posidonie 15 qui possède pourtant des feuilles beaucoup plus longues. Une proie maligne A partir du moment où le récit aborde la phase de l’implantation de l’algue en Méditerranée, on voit s’opérer un déplacement de l’image de Caulerpa qui passe de la Belle à la Bête, après le prodige donc, le crime, en même temps qu’une introduction de l’idée de la faute et du maléfice : “ Selon toute vraisemblance, Caulerpa taxifolia s’est accidentellement évadée d’un des aquariums de Monaco dans les années 80 ” dit le Télégramme du 13 14 15 Libération, 11-12.09.93 Les Dossiers du Canard, juillet 1992 Plante locale indigene, adaptée à la vie sous-marin, et qui n’est pas une algue. On parle des “herbiers de Posidonie” 12 novembre199216. L’algue est un animal en fuite ou un malfaiteur en cavale “ envahisseur échappé des aquariums du musée […] migrant lesseptien […] transfuge de la Mer Rouge ”17. Dans de nombreux journaux, l’aquarium est alternativement assimilé au lieu - prison ou laboratoire - d’où s’est “évadée” la Caulerpa . Cette connotation ouvre donc la voie aux interprétations criminelles comme à celles issues de la science-fictioon. Le thème de la fuite comme schéma d’une animation négative est là pour soutenir l’animalisation suggérée plus tôt. Surenchérissant sur le danger représenté par Caulerpa taxifolia, la presse ne tarde pas à la faire apparaître sous les traits de la bête immonde : Les feuilles sournoises ressemblent à des mille-pattes entremêlés dans un immonde grouillement. 18 Pour Libération, c’est la bête nuisible19, pour Var Matin, c’est la sale bête. 20 On notera le recours à l’article défini utilisé dans un sens généralisateur. Ce n’est pas “ une ” bête, c’est “ la ” bête, l’archétype de la Bête. C’est à un certain état de nature que l’on fait allusion ici, nature maléfique traduite par des termes qui cette fois, ne sont plus opposés mais au contraire redondants. Le consensus portant sur l’animation, les récits jouent encore à heurter les catégories, à passer d’un ordre à l’autre : La Caulerpa est un tapis de poils verts fluorescents 21, un tapis mouvant.22 En utilisant les termes tapis, moquette, qui évoquent l’intimité, l’objet quotidien, on emprunte là encore un des circuits de dérision du fait-divers. On fait allusion ainsi à une certaine trahison de l’objet et en associant au tapis l’adjectif “ mouvant ”, on est du côté de l’interprétation magique : Sous cette moquette, rien ne résiste : c’est Attila version Saint-Maclou. 23 En juxtaposant l’image de l’envahisseur et du magasin d’ameublement, l’espace envahi est déplacé imaginairement au cœur de l’intime, à l’intérieur même de la maison. Le raccourci final provoque encore une fois ce “trouble de la coincidence”. Traversant toutes les représentations de la Caulerpa , l’ondoiement est tout à fait propice à la polyvalence des suggestions : végétal, animal, féminin, exotique, maritime, il coiffe et endosse deux champs sémantiques à polarité opposée et complémentaire. Au sens propre, l’ondoiement évoque la séduction mais au sens figuré, l’inconstance, la variabilité, la mobilité. L’imaginaire de l’ondulation, de la chevelure amène régulièrement à l’évocation du serpent et de la pieuvre : Pour Nice Matin24 et Spectacle du monde25, Caulerpa taxifolia, c’est l’algue à tentacules. Pour d’autres, c’est le serpent : Elle peut ramper à l’ombre des 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 Le Provençal, 06.12.92, 30.07.92, Calyposo Log avril 92, Ouest France 31.07.92 entre autres. “Echappée vraisemblablement” soulignent plusieurs journaux (!) dont Ouest France du 31 juillet 92 Science et Vie, septembre 1996 Var Matin, 21.01. 92 Libération, 19.02.92 Var Matin, 19.01.93 Ouest France, 16.07.92 Thalassa, mars 1992 Calypso, juin 1994 25.07.92 : “La marque verte (…) projetant inexorablement ses diaboliques tentacules” Juillet 92 posidonies, puis dresser ses frondes pour leur voler le soleil.26 Quelle que soit la métaphore, elle est là pour révéler dans le comportement de l’algue une véritable stratégie animale. Elle est tapie à l’ombre du rocher de Monaco .27 Tout en ayant conservé un usage répété du pronom “elle”, l’adjectif ne semble plus suffisant à qualifier l’espèce et ses comportements. Les formulations se diversifient, utilisant largement le verbe. La Caulerpa est devenue sujet actif, et même intelligent .28 On lui prête une stratégie, des pensées : le journal Cols Bleus parle des tactiques de l’envahisseur .29 Le Méridional dit l’algue maligne .30 Pour les Dossiers du Canard : Elle a gagné les Canaries. Elle est en train de les encercler. Nul ne connaît ses intentions .31 Le Figaro32 parle des pensées de l’algue exotique. Autour d’un animal poursuivi et poursuivant, se met en place tout un vocabulaire cynégétique. La Caulerpa elle-même est décrite comme un prédateur actif : Chaque jour, la taxifolia colonise ainsi de nouvelles zones, chassant la flore locale, tuant une partie de la faune 33 Elle chasse les autres espèces d’algues.34 L’algue toxique attaque aux Lecques.35 Le même mois, de nombreux journaux avaient repris la citation du Professeur Boudouresque : Une espèce aussi forte et surarmée, c’est le loup dans la bergerie. 36 Etayant l’idée de l’animal pensant, calculant, la Caulerpa rabat ,37 se camoufle38 . Il faut la traquer,39 la piéger , la débusquer : Il s’agira de débusquer Caulerpa taxifolia là où elle a élu domicile , dit Nice Matin le 12 avril 1992. Science et Vie Junior, dans un dossier d’avril 1995, parle d’un rabattage effectué par la Caulerpa . La Recherche affirme : Caulerpa taxifolia déjoue tous les pièges. En Méditerranée, elle s’installe peu sur les hauts fonds, préférant se camoufler au sein des herbiers de posidonie. 40 En résumé, voilà donc une construction qui est doublement en rupture. On nous brosse le portrait d’un animal prédateur alors qu’il s’agit d’une algue On est passé de la belle exotique à la bête maléfique. 41 L’algue est ainsi 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 Var Matin, 12.02.97. Il est à noter que l’idée de “ramper” est déjà contenue dans l’appellation scientifique de l’algue. “Caulerpa” signifie “qui rampe” Sciences et Vie Junior, avril 95. le terme “tapie” est également utilize par Le Télégramme du 20 janv 1994 “Il convient de distinguer deux termes – bête et animal- qui semblent pourtant interchangeables (…) On parle d’animaux domestiques et de bêtes sauvages. Précisément parce qu’elles sont à nos yeux pleinement des bêtes, les secondes ne sont pas bêtes”. Pouillon J., Le cru et le su, p.124 20.01.96 Le Méridional, 15.04.92 Les dossiers du Canard, juillet 1992 24.10.95. Le journal met le terme entre guillemets. Vsd, 09.01.92 Le Quotidien de Paris, 18.01.92 Le Provençal, 21.01.92 Entre autres, Sciences et Avenir, mars 92 Sciences et Vie Junior, avril 95 La Recherche, novembre 1999 Nice Matin, 19 juillet 93 La Recherche, novembre 1999 Le fait en lui-même n’est pas si étonnant puisqu’on sait bien que les appellations vernaculaires sont souvent des métaphores et qu’il arrive qu’on passe parfois du végétal à l’animal Par exemple, le buis est aussi appelé rejetée hors catégorie. La bête, ce n’est déjà plus de la nature, c’est de la sur-nature. On ne s’attache pas à détailler le proche, comme c’est le cas des operations taxinomiques, mais on classe à grands traits le lointain. Interrogeons-nous pour savoir en quoi le fait de présenter la Caulerpa taxifolia comme l’archétype du prédateur est nécessaire. Ces passages précédant dans le texte le moment où on va parler de l’éradication de la Caulerpa , on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit de justifier à l’avance le traitement que l’on va faire subir à l’algue. Par un renversement de la relation prédateur-proie, l’homme légitimise imaginairement la prédation qu’il exerce sur l’algue, tout comme il doit justifier symboliquement le passage à l’acte dans n’importe quel prélèvement sur la nature. Dans le monde occidental, c’est sur le mode du discours que s’opèrent ces opérations inconscientes qui chez les peuples primitifs et dans le monde ancien, étaient mises en scène par un rituel. Le langage lui aussi est performatif. Dire, c’est faire.42 Comme si le passage à l’animalité n’était pas satisfaisant, les années 1991-1992 voient une déferlante d’articles qui surexploitent le thème de l’animalité, le poussent jusqu’à ses limites, franchissent encore une fois les catégories. De l’animalité à la monstruosité Dernier degré franchi dans les étapes de la diabolisation de Caulerpa taxifolia, une fantasmagorie de science-fiction qui fait assimiler l’algue à un alien du monde sous marin. Caulerpa taxifolia n’est même plus appelée par son nom scientifique. Elle est devenue un sujet entièrement fabriqué, on l’a symboliquement et textuellement “ clonée ” non sous la lumière intense des aquariums mais sous les projecteurs non moins intenses de la médiatisation. Ce qui est désigné comme monstrueux dans la Caulerpa , c’est alien, donc en traduction littérale, l’étranger. Etrangère, elle l’est doublement. D’abord parce qu’elle est d’ailleurs, ensuite parce qu’elle est “ extra ” terrestre, puisqu’elle vient de la mer. 43 Enfin parce qu’elle bénéficie conjointement d’une nature obscure et invisible, le milieu sousmarin, et d’une nature supra-visible, sur-éclairée qui est celle de la médiatisation télévisuelle et journalistique. Sa couleur est d’ailleurs qualifiée de vert “fluo”, un vert “vif”que les medias mettent du côté de la modernité inquiétante. Quand on arrive à cette acmé de la représentation, le vocabulaire devient répétitif, comme si, d’une certaine façon, l’imagination était arrivée à quelque chose d’indicible, au bout de toutes les possibilités du langage. 42 43 “daim des femmes” et le muflier “gueule de loup” “Le discours du chasseur – car c’est dans le discours beaucoup plus que dans la praxis que l’échange a lieu – est un dispositif de légitimation comparable au don des prémices et aux rites de restitution qui caractérisent les sociétés primitives”. Dalla Bernardina Sergio, L’utopie de la nature, p.111 L’idée que la mer est le lieu des anomalies corrobore celle que la mer, et la Médirreannée partuclièrement, est le lieu de l’étranger. “Des corps étrangers, la Méditerrannée en a pourtant souvent accueillis” Libération, septembre 1993. “La Méditerrannée est une eau d’accueil pour les espèces étrangères” dit Science et Vie, décembre 1997 On assiste simplement à la redondance des termes : monstre,44 véritable monstre végétal 45, alien végétal ou mutant alien 46, monstre alien47, alien de la Méditerranée48, mutant polyploïde49, monstre ravageur50, mutant de l’aquarium51, peste verte52. L’idée du monstre est récurrente. Mais en même temps que la figure du monstre s’élabore, elle se fractionne. A nouveau, le soupçon pèse sur la possible intégrité d’une telle figure : Serait-elle un seul et monstrueux individu fragmenté en milliards de clones ? se demande le magazine53 qui affirmait quelques paragraphes auparavant, que la Caulerpa n’était qu’une immense cellule. La figure du gigantisme s’inverse. Il y avait déjà une dialectique de la totalité et du fractionnement, due à la capacité de bouturage de la Caulerpa . On pouvait lire dans L’Evènement du Jeudi54 que des pièces détachées prennent racine. Ainsi s’achève la figure de la menace : elle tient beaucoup du prodige, un peu du crime. Mais pour être efficace, l’action prédatrice doit être caractérisée davantage. Ce travail est effectué par la contamination de la monstruosité à la sphère comportementale alimentaire et sexuelle. On arrive ainsi à la figure qui va contenir à la fois l’expression de l’excès et sa résolution. La dévoreuse dévorée Surenchérir sur l’animalisation, c’est taxer la Caulerpa de gloutonnerie. C’est une algue qui dévore la Méditerranée titre le Quotidien de Paris55, parlant de la gloutonnerie de la Caulerpa Le Monde de la mer dit56 : Toute trace de vie a ici disparu , comme digérée par la marée verte . Le Figaro titre57 sur L’incroyable boulimie de l’algue tueuse et s’attendrit sur les algues indigènes, éliminées sans miséricorde par la gloutonne dévoreuse. Au-delà d’une simple charge supplémentaire d’animalisation, le thème de la dévoration est tellement développé qu’on peut penser qu’il exprime une réalité plus sociale que physiologique : par son appétit, l’algue est encore une fois désignée comme un grand prédateur, à la fois d’espace et d’espèces. Pour marquer la réprobation qui entoure cet acte de gloutonnerie, on insiste sur le fait qu’elle mange, mais ne peut être 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 Le Nouvel observateur, 26.12.91 Océano News, avril 1992 Nice Matin, 12.04.92 Méditerrannée, septembre 1992 Science et Vie Junior, avril 1995 Géo, juillet 1997 Science et Vie, décembre 1997 Ouest-France, 03.08.99 L’Humanité, 03.06.97 Ibid. On peut lire également dans Science et Vie de décembre 1997 : “L’algue se comporte (…) comme une plante supérieure (arbre, buisson) alors qu’elle n’est faite que d’une seule cellule pouvant atteindre 2 m de long.” 13 au 19 mars 1997 18.01.92 Mars 1992 21.10.92 mangée : Les oursins de la région, pourtant grand dévoreurs d’algues, préfèrent mourir de faim plutôt que de goûter à ce plat trop exotique.58 Des oursins ont préféré se laisser mourir plutôt que de consommer l’algue et se laisser empoisonner.59 Les oursins testés préféraient encore manger leurs excréments ou même ronger les jauges en plastique des aquariums plutôt que de consommer cette algue. 60 L’algue étant à la fois d’un appétit féroce et immangeable, on a là deux marques d’un statut toujours situé aux extrêmes de la représentation. Or c’est par le choix de ce que l’on mange que l’on détermine le monde auquel on appartient. La condamnation morale implicite porte sur le choix de la nourriture. Les journaux semblent apprécier le comportement alimentaire de l’oursin. Il n’en sera pas de même pour la limace de mer, seule espèce à se nourrir soi-disant exclusivement de Caulerpa taxifolia. A partir du moment où l’on va, dès 1995, parler des solutions trouvées pour lutter contre la présence de l’algue, solutions qui mettent en jeu d’autres espèces du monde naturel, la dynamique classificatoire va s’exercer en repensant l’algue par rapport à l’espèce qu’on lui oppose, particulièrement quand il s’agit de la limace ou lièvre de mer, scientifiquement nommée Elysia subornata et Oxyma azurorpunctata. Le procédé est à nouveau l’opposition. Il consiste à introduire encore une fois un trouble de la quantité, une perturbation de la logique. La limace est qualifiée de petite, minuscule bestiole61, c’est une petite limace qui peut sauver la Méditerrannée62 du “ monstre ” qu’est la Caulerpa. Ensuite, la mise en rapport des deux espèces va s’effectuer dans un jeu de parallélisme. Comme pour la Caulerpa , on avait d’abord classé l’espèce, en l’occurrence la limace, en termes identitaires, en opérant une distinction entre l’espèce d’ici et l’espèce d’ailleurs. La discussion tourne autour des limaces indigènes, des méditerranéeennes comme Oxynoe olivace que Geo63 qualifie de brouteuse bien de chez nous et la limace tropicale, dont l’efficacité semble plus grande car elle se nourrit exclusivement de Caulerpa. L’efficacité biologique est donc doublée d’une efficacité symbolique. La limace et la Caulerpa ont en commun l’origine tropicale, le fait d’être des étrangères. Tout comme la Caulerpa , la limace est décrite comme un prédateur. Malgré sa lenteur et sa petitesse, elle est bien investie des qualités de la sauvagerie : Comme de minuscules vampires, les limaces percent les siphons de l’algue avec leurs radules, des dents primitives, pour aspirer le cytoplasme.64 La limace dévore , elle perce, elle aspire. Libération tente 58 59 60 61 62 63 64 Le Quotidien de Paris, janvier 1992 Le Soir, 20.01.92 Libération, 19.02.92. “Généralement, les animaux carnassiers ne sont pas consommés”. Albert-Llorca M., L’ordre des Choses, p.98. Déclarer qu’une espèce est immangeable, c’est l’éloigner. Figaro, 28.04.97 L’Evènement, février 1999 Géo, Juillet 1997 L’Express, février 1999 même un néologisme : les limaces gloutonnent.65 C’est à nouveau cette remarquable capacité de dévoration de la limace capable de dévorer chaque jour l’équivalent de deux grosses laitues. que relève le Méridional66. Les journaux ne manquent pas de relever l’appellation moins scientifique de la limace : le lièvre de mer. Le jour suivant, le journaliste du Monde termine son article en soulignant de ce mollusque herbivore qu’il est très friand de Caulerpa taxifolia. Et particulièrement vorace. Phosphore de janvier 93 le reconnaît : La limace de mer est un mollusque gastéropode nudibranche connu pour sa capacité à “ brouter ” n’importe quoi . De même qu’il fallait un prédateur contre un prédateur , il fallait un glouton contre une gloutonne. Pour la limace, qualifiée des mêmes excès, la péjoration porte également sur la façon dont sera ingérée cette nourriture (la vampirisation, le suçement et l’aspiration et non le masticage). Enfin, les deux espèces ont en commun le dégoût qu’elles inspirent. Toutes les deux, personne ne les mange. On remarquera d’ailleurs que tous les grands prédateurs de cette histoire vont mal finir : autant la Caulerpa , que les limaces qui la mangent, qui sont, elles destinées à mourir, et pas de n’importe quelle mort : de faim puisqu’une fois la Caulerpa consommée, elles ne trouveront plus à se nourrir. C’est également le choix de la faim et de la mort plutôt que la transgression comme faute de goût qui fait élire l’oursin comme l’animal le plus “ sympathique ” de toute l’histoire. Autre caractère commun, la limace se reproduit autant que la Caulerpa , reproduction qualifiée d’“ effrénée ” par de nombreux journaux : Ces limaces sucent à mort le cytoplasme de l’algue sans toucher aux autres espèces et se reproduisent frénétiquement 67. Mais ce qu’elle partage le plus avec la Caulerpa , c’est son ambiguïté. La limace est perçue comme à la fois animal et végétal puisqu’une fois nourrie de Caulerpa, on nous explique qu’elle peut survivre uniquement grâce à la photosynthèse, et elle est aussi décrite par plusieurs journaux comme à la fois mâle et femelle. 68 Le Figaro69 s’interroge : Animal ? Végétal ? la frontière entre les deux règnes n’est pas toujours aussi évidente qu’on pourrait le penser […] Dans le monde animal, il existe un groupe de minuscules limaces de mer, les ascoglosses, qui peuvent se transformer littéralement en… plantes. Le journal cite ainsi plusieurs exemples d’animaux imitant les plantes ou vivant avec elles. Le titre de l’article est évocateur : Quand des limaces marines se prennent pour des algues . Les journalistes s’étonnent de ce comportement d’un animal qui se transforme en plante alors qu’ils pratiquent inconsciemment l’autre 65 66 67 68 69 5 août 1999 10.03.92 Var Matin, 11.03.97 D.Sperber, M.Douglas, M.Albert-Llorca ont relevé que le symbolisme s’exerce particulièrement sur les espèces qui appartiennent à deux classes à la fois. On remarquera que la limace est couramment appelée “lièvre de mer”. Or le lièvre est aussi un animal ambigü puisque selon les croyances, il est hermaphrodite. V. Albert-Llorca, op.cit. p.60 28.04.97 opération : celle de faire passer une plante (la Caulerpa ) pour un animal. Le magazine Géo70 faisait déjà remarquer, à propos de la Caulerpa : Cette chimère tient de la plante et de la bête. […] Car, tel un champignon ou un animal, elle peut manger du “ cadavre. Le cadavre étant les vases putrides du port riches en matières organiques issues d’anciens abattoirs. C’est cette même faculté qui frappe le journaliste de Science et Vie71 expliquant curieusement que la Caulerpa se nourrit comme vous et moi, tel un organisme hétérotrophe 72 ! Cette physiologie mi-animale mivégétale, telle que le journal la qualifie, découle de l’aptitude de la caulerpe à colonizer les zones polluées. Cette accointance de la Caulerpa avec les canalisations, l’égoût, les milieux pollués, la vase, cette capacité à “ manger du cadavre ” permet d’assimiler Caulerpa taxifolia à un animal charognard donc à une créature du diable. Toutes ces oppositions, ces parallélismes, ces correspondances troublantes entre la limace et la Caulerpa viennent renforcer le sentiment de coïncidence, de prédestination qui les lie l’une à l’autre. Cette sorte de circuit d’exclusivité (seule cette limace mange Caulerpa taxifolia qui ne sert elle-même de nourriture à personne d’autre) semble désigner un dessein divin, une détermination répétée du type de celles qu’on trouve également dans le fait divers. La coïncidence peut alors se lire comme un signe. Un Dieu rôde derrière le fait divers 73 La limace est d’ailleurs plusieurs fois qualifiée de bête à bon Dieu 74, ou de divine limace75 par les journaux et même par certains scientifiques. Le terme bestiole, petite bête, bête de Dieu, est aussi à opposer à “ la bête ”, sale bête, bête du Diable, qu’est la Caulerpa.76 La limace est donc symboliquement une envoyée des Dieux, l’instrument de la Providence fourni par la Nature pour opérer le rééquilibrage. La conception de la nature comme milieu équilibré permet de présenter la Caulerpa comme l’étranger perturbateur, qu’il faut éliminer afin de retrouver l’équilibre originel. La limace, une fois les Caulerpa s dévorées, devrait mourir rapidement, de faim. 77 On a donc ici la clôture d’un évènement sur lui-même, qui satisfait à la fois la science et la morale. Car on ne manque pas de le signaler en comparant les différents moyens de lutter contre l’algue, chimiques ou biologiques : la lutte biologique est toujours la plus appropriée 78, la plus naturelle, l’outil rêvé pour une 70 71 72 73 74 75 76 77 78 Juillet 1997 Décembre 1997 hétérotrophe : se dit d’un être vivant qui se nourrit de substances organiques, comme les animaux et la plupart des plantes sans pigment assimilateur (contraire : autotrophe) “La relation de coincidence implique une certaine idée du Destin. Toute coincidence est un signe à la fois indéchiffrable et intelligent.” Barthes R., op.cit. p.203 Libération, 04.08.99. L’Express, 11.02.99. Le scientifique Thomas Belscher lui-même parle de “divine limace” dans l’Evènement du Jeudi 18 au 24 fevrier 1999 M. Albert-Llorca fait remarquer que de nombreux récits d’origine des animaux sont des récits de creation dualiste justifiant les denominations de “bête à bon dieu” et “bête du diable” Var Matin 11.03.97 Télégramme, 02.02.99 éradication en règle de l’algue tueuse.79 En juin 1995, il est clairement écrit sous le titre de chapitre Jeter la Caulerpa en pâture, qu’il s’agirait alors d’une élimination naturelle80. La limace possède donc un dernier atout : elle appartient au même milieu que la Caulerpa . Il est préférable que la nature règle ses comptes elle-même. La multiplication des articles de presse nous renforce donc dans l’idée que la mer est le lieu des anomalies et les mots des véhicules privilégiés d’appréhension des espaces difficiles, et d’une nature possédée par les spécialistes, scientifiques et journalistes. Loin de délivrer une information objective, la presse a été, dans le cas de Caulerpa taxifolia, productrice d’un discours qui “ travaille ” sans cesse le matériau de la langue pour construire et déconstruire autour d’un ordre de la nature. N’étant pas tenue, pour parler de l’invasion algale, à la forme brève habituellement caractéristique du fait divers, elle choisit pourtant de manière répétitive certaines de ses structures linguistiques et de ses invariants anthropologiques, comme la transgression criminelle et sociale, l’exotisme social, les énigmes et les monstres. Si les opérations relevées ici donnent corps à l’invisible Caulerpa à travers des figures du langage, sa production doit être considérée également sous l’angle cumulatif, comme une quantité qui en tant que telle, interroge. Plus de 600 articles de presse en 10 ans, dont 250 pour la seule année 1992. 81 De même que l’écart produit par les relations des mots entre eux dévoile les sens d’une pensée plus “ sauvage ” que rationnelle qui comble les espaces ouverts par l’indétermination et le désordre, l’écart semble appeler une autre forme de comblement, quantitatif celui-là, provoqué par la redondance et l’accumulation de détails qu’on sent jubilatoires, destinés à crédibiliser la mise en scène outrancière de l’algue diabolique. Sur ce que ces opérations révèlent de l’image du prédateur, il semble qu’il doive se situer avant tout comme une figure contradictoire issue de la fascination : à la fois beau et monstrueux, végétal et animal, masculin et féminin , entre l’ailleurs et l’ici, tout à la fois attaquant et fuyard, dévorant et immangeable. Parmi les solutions d’éradication d’un tel adversaire, celles qui semblent les plus satisfaisantes symboliquement réunissent les conditions suivantes : opposer un prédateur à un autre prédateur, un dévoreur à un dévoreur82, un immangeable à un immangeable, un rampeur à un rampeur, un obsédé sexuel à un obsédé sexuel. L’heureuse élue est donc la limace, qui partage avec la Caulerpa tous les caractères stables qui permettent le comparatisme et le caractère instable qui coiffe 79 80 81 82 L’Evènement du Jeudi, 13.03.99 Mer et Littoral, n°8 Borowitch Monique, Bilan national des Recherches menées sur la Caulerpa taxifolia, Université de Bretagne Occidentale, Cente de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 2000 On peut mettre en parallèle, à travers le caractère punitif du retournement qui apparaît dans la dévoreuse dévorée, la fonction du “comble” que R. Barthes a décelée dans le fait divers, et qui consiste au retournement d’une action conte son auteur. tous les autres: le doute identitaire, celui qui fait vaciller les grandes catégories animal-végétal-humain. Ainsi le prédateur est une figure qui réclame à la fois du même et du différent. Pour résoudre ses problèmes, la société choisit elle aussi les ordres du semblable et du dissemblable. En marquant une préférence avouée pour les solution “ naturelles ” au problème de l’algue, comme si, de même que la transgression sociale doit être punie par la société humaine, la transgression naturelle devait l’être par la société “ naturelle ” et ses différents membres, à savoir ici les oursins et les limaces. Certes, la morale du récit n’est pas, comme celle de la fable, explicite. Mais de par sa structure de paradoxes, de par le caractère punitif du retournement (la dévoreuse dévorée), sa morale est transcendante et nous éclaire sur un certain nombre de messages implicites qui sont transmis, et qui concernent aussi bien la société de la nature que la société des hommes. Références bibliographiques Albert-Llorca Marlène, L’ordre des choses, Paris, Editions du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS)1991 Auclair Georges, Le mana quotidien – Structures et fonctions de la chronique des faits divers, Paris, Anthropos, 1970 Barthes Roland - “Introduction à l’analyse structurale du récit” in Communications, n°8, 1966 - “Structure du fait divers” in Essais critiques, Paris, Seuil, 1981 Borowitch Monique, Bilan national des Recherches menées sur la Caulerpa taxifolia, Université de Bretagne Occidentale, Cente de Recherche Bretonne et Celtique, Brest, 2000 Dalla Bernardina Sergio, - L’utopie de la nature – chasseurs, écologistes et touristes, Paris,Imago, 1996 Douglas Mary, De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, La Découverte et Syros, 2001 Friedman Sylvie, Représentations vernaculaires de la prolifération algale Caulerpa taxifolia dans la région d’Hyères (Var), maîtrise d’ethnologie, Université de Brest, 2001 Pouillon Jean, Le cru et le su, Paris, Editions Seuil, 1993 Sperber Dan, “Pourquoi les animaux parfaits, les hybrides et les monstres sont-ils bons à penser symboliquement” in L’Homme,1975 t.XV(2) Quand le spectre des proliférations végétales plane sur le Delta du Rhône. Cécilia Claeys-Mekdade, maître de conférence en sociologie, Université de la Méditerranée, UMR Espace 6012 / Equipes DESMID, Faculté des sciences sociales de Luminy, département des sciences humaines. Résumé Selon la taxinomie naturaliste, le concept d’espèce invasive (ou envahissante) est inféodé à deux catégories qui le précèdent, les espèces autochtones (ou indigènes) et les allochtones (ou exotiques). Leur dualisme intrinsèque partitionne les espèces selon leur « identité territoriale » soulevant inévitablement la question de la difficile définition des seuils spatio-temporels (être d’ici ou d’ailleurs, depuis quand ?) d’une part, et d’autre part celle de l’équivocité des contenus taxinomiques (être quoi et à quel titre ?). Partant de ces débats qui traversent les sciences de la vie et les sciences humaines, cet article propose une approche territorialisée des controverses relatives aux ainsi nommées espèces envahissantes. L’enquête sociologique qualitative part du Delta du Rhône, prenant en compte les espèces considérées comme envahissantes, et plus largement proliférantes, du point de vue des taxinomies savantes, mais aussi vernaculaires. Sur le sol de Camargue - ce symbole international de nature sauvage, non moins issu de plusieurs siècles d’aménagements humains (Picon 1978) - les controverses semblent exacerbées, dans leur radicalité comme leur équivocité, rendant le dualisme anthropocentrisme versus biocentrisme sous-jacent tout à la fois plus frontal et paradoxal. Les plantes dans la vie quotidienne au XXIe siècle La grande aventure des plantes d'intérieur, histoire et symbolisme d'une relation particulière au végétal. Laurent Domec, sociologue, chercheur à l'institut de recherche sociologiques et anthropologiques, Centre de recherche sur l'imaginaire, Université Paul Valéry - Montpellier III. Pourquoi et depuis quand toutes ces plantes dans nos intérieurs, habitations ou lieux publics ? Dans la longue histoire du rapport entre les hommes et le végétal, il y a eu la volonté de faire pousser des plantes dans des pots, sans doute d’abord dans un but utilitaire, puis comme ornement dans les jardins et à proximité des pièces d’habitation. A partir de la fin du XVIIIe siècle, les plantes en pot quittent appuis de fenêtre, balcons et loggias, pour s’installer dans l’espace domestique notamment grâce à l’utilisation de jardinières. L’histoire du végétal d’intérieur tel que nous le connaissons aujourd’hui commence alors. Retracer cette histoire montre que différentes familles de végétaux ont été privilégiées selon les époques. Cela permet aussi de découvrir qu’il y a toujours une intime relation du végétal avec le décor intérieur et l’architecture. Nos plantes, par cette mise en écho, deviennent des objets chargés de sens, elles constituent un vocabulaire nous permettant de nous exprimer. Enfin, à partir d’une typologie des créations passées et présentes, il est possible de repérer des formes transhistoriques. En rapprochant celles-ci des connaissances sur le symbolisme du végétal et de l’habiter, des symboles archétypaux se font jour qui vont nous permettre de proposer une interprétation de ce que l’on peut appeler un art du végétal d’intérieur. Cette interprétation permet d’entrevoir des éléments de réponse à la question du pourquoi de la présence des plantes dans notre intimité. ____________________________ Bachelard Gaston, La poétique de l’espace, Paris, PUF, 1974. Durand Gilbert, Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1984. Eliade Mircea, Le mythe de l’éternel retour : archétypes et répétition, Paris, Gallimard, 1969. Giedion Siegfried, Espace, temps, architecture, Paris, Denoël, 1990. Harrison Robert, Forêts : essai sur l’imaginaire occidental, Paris, Flammarion, 1992. Maffesoli Michel, Au creux des apparences : pour une éthique de l’esthétique, Paris, Plon 1990. Marrey Bernard, Monnet J. P., La grande histoire des serres et des jardins d’hiver, Paris, Picard, 1979. Montenegro R., Styles d’intérieur : les arts décoratifs de la Renaissance à nos jours, Paris, La Martinière, 1997. Praz M., Histoire de la décoration d’intérieur : la philosophie de l’ameublement, Paris, Thames-Hudson, 1994. Thomas Keith, Dans le jardin de la nature, Paris, Gallimard, 1983. Thornton Peter, L’époque et son style, la décoration intérieure 16201920, Paris, Flammarion, 1986, 408 p. Viard Jean, Le tiers espace, Essai sur la nature, Paris, Méridiens Klincksieck, 1990, 152 p. Tailledoux et tailledur sont dans (Topiarius au pays des Mauviettes). le même bateau Marc Rumelart, ingénieur horticole, écologue, professeur titulaire de l'enseignement supérieur agronomique, responsable du département d'écologie de l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. Le « retour » du motif végétal dans la publicité, le design et le design urbain comme signe supposé de progrès. Charles Ronzani, paysagiste et doctorant à l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. De façon un peu similaire à l'Art Nouveau ayant accompagné les bouleversements technologiques, sociaux et de représentations de la fin du XIXe siècle, (la tour Eiffel n'est elle pas une plante ?) aujourd'hui, les formes, le mouvement et la valeur 'plante' ressurgissent après avoir été longtemps confinés à des secteurs tels que les cosmétiques ou l'alimentation. Après une phase de 'transition' dans les années 1990, avec l'essor du 'biodesign' (twingo, Apple...), le phénomène semble se spécialiser dans le végétal, à travers des degrés de ressemblances du plus allusif au plus réaliste... la mode du 'green' est une tendance du design et de la mode vestimentaire avec des secteurs de cible de plus en plus larges, ce qu'on pourrait appeler, en faisant pleins de jeux de mots, le 'vert à tout prix' (voir Patrick Blanc et les murs végétaux, voir je ne sais plus quel modèle de voiture vendue comme écologique alors qu'elle n'est... que verte) Outre les lampadaires, mobilier d'intérieur, appareils électroniques, c'est dans l'architecture contemporaine que l'émergence est la plus frappante : sous des demandes de 'durable', les architectes répondent selon un gradient qui va de plus en plus du symbolique au fonctionnel, en passant par la plante comme paradigme-relais de 'l'utile et de l'agréable en même temps' : simple végétalisation d'abord, formes souples ensuite, formes végétales après, puis, actuellement, revendication explicite du modèle végétal comme principe d'occupation spatiale, de mobilité, d'économie de moyen. La forme et le fond commencent à se retrouver ensemble dans les mêmes projets : architecture 'invasive' et autoréplicante prenant racine sur le substrat des vieux centre-villes..., proposition de lampadaires souples ondulant comme des herbes...). Dans un cadre plus général, il y a je crois une rupture réelle avec l'image de la modernité technique et du style tels qu'ils existaient dans les années 1980... (caricaturalement, le Gris et l'Angle) : pour ceux qui aiment la 'culture pop', c'est une fois de plus les images du futur qui explicitent avec plus d'acuité le changement, c'est à dire la Science-fiction (cette métaphysique illustrée du XXe siècle) : il n'y a qu'à voir comment un objet social tel que la série des films 'Star wars' , 'fond' d'inspiration et 'concrétion' importants de l'imaginaire des formes de l'époque, a vu son design 'muter' complètement d'une inspiration revendiquée des 'formalistes russes' de son jeune réalisateur dans les années 1970, à une inspiration biologique de ses formes... Il y a eu, à ma connaissance, de brèves esquisses théoriques, précoces, sur le plan sociologique et sémiologique du phénomène lorsqu'il était une simple 'niche' parmi d'autres, (ayant toujours plus ou moins survécue en design, comme l'irrégulier a toujours plus ou moins côtoyé le régulier en jardins)... Elles sont dûes à Barthes (indirectement : la Femme dans les typogrammes de Erté), et à Baudrillard directement (le système des objets)... de même, les archis s'appuient parfois, en faisant flèche de tout bois, sur les théories jugées modernes (voir post-modernes) qui s'appuient sur le paradigme végétal (le 'rhizome' de Deleuze, la 'dissémination' de Derrida), et certains philosophes de l'imaginaire déplorent 'l'absence' du végétal comme thème d'analyse des vieux philosophes de l'imagination des formes et des matières : si Bachelard avait ciblé le motif aquatique (l'eau, le feu, la terre, le vent), il avait 'oublié' la plante (Jaques Dumas, Traité de l'arbre). En tout cas, le phénomène ayant une grande ampleur, je sais que les designers dissertent explicitement dessus (sur internet, dans les revues), et ça ne m'étonnerait pas que les socio s'y soient mis... Il serait possible de faire un micro-essai de sémiologie de la publicité et du design, à partir de quelques exemples (problème des droits de reproduction des images !! = à contourner par des croquis, comme les gravures de jadis ?). Peut-être ainsi en tirer quelques données sur la signification de cet imaginaire en germination rapide : compensation d'un 'vrai' durable absent par l'image ? Réaction à l'urbanisation ? 'Préparation' des esprits ? Dommages collatéraux des nouvelles idéologies ? Récupération, phagocytage et mise sous contrôle par le marché d'idées qui lui sont opposées (gratuité, croissance désintéressée, lenteur..) Je n'en sais rien, mais on sait que les représentations sociales précèdent les réalités en cours d'acceptation en en représentant seulement le périphérique, la lettre, plus facile à transmettre bien sûr que l'idée centrale et le sens. Le cadre de la représentation environnementale en cours est bien trop gigantesque à appréhender, mais on peut peut-être cerner quel genre de rôle l'imaginaire végétal des objets y joue... (concrétiser une globalité -celle de la 'Terre', 'berceau fragile des générations futures', cadre du réchauffement, etc par nature irreprésentable ?) en analysant quel genre de sens peut être lu à travers le champs de leurs propriétés de discours visuel et linguistique, à défaut de pouvoir sonder des milliers d'opinions. Les bouquets funéraires des bords de l'émergence d'une autre culture des défunts. route ou Laetitia Nicolas, chercheuse indépendante en anthropologie. Réqumé La pratique de poses de bouquets de fleurs sur les lieux de crimes ou d’accidents mortels connaît un grand essor. Une étude anthropologique réalisée auprès de « poseurs de bouquets » sur ce qui apparaît souvent comme un nouveau rite funéraire, permet de s’interroger sur cette évidence : un bouquet de fleurs posé dans un endroit où sa présence n’a pas lieu d’être renvoie automatiquement à la mort et au souvenir. Outre les nombreuses questions qu’un tel objet d’étude pose en matière de méthodologie (anonymat des bouquets, imprévisibilité des poses, difficulté pour rencontrer des informateurs qui acceptent de témoigner sur un sujet aussi tabou et douloureux), il présente l’intérêt d’ouvrir de nombreuses pistes de réflexion. Parmi celles-ci : la place actuelle de la mauvaise mort dans le corps social, la notion de rite funéraire, de culte au défunt, l’exposition de soi et la relation établie avec les vivants. Cependant, c’est en prenant un angle de vue ethnobotaniste, et à travers l’observation attentive de ces « bornes de mémoire » (nature et symbolique des fleurs, entretien sur la durée, rythme des poses, etc.) que des éléments d’interprétation peuvent apparaître. En effet, ces fleurs de bords de route peuvent-elles aider à cerner le lien contemporain que l’Homme met en place avec le végétal, en particulier dans ces circonstances funéraires et commémoratives ? C’est en longeant des pistes de réflexion orientées sur les notions d’esthétique, de proximité, d’identité et la relation nature/artifice, que sera décryptée la possible spécificité du langage des fleurs utilisé. De même elles aideront à comprendre la nature de ce qui est commémoré à travers la mise en scène de ces végétaux. Du savoir-faire à la connaissance des plantes: pratiques ancestrales et savoirs modernes au sein du monde rural portugais Amélia Frazão-Moreira CRIA (Centro em Rede de Investigação em Antropologia) et FCSH/UNL (Faculdade Ciências Sociais e Humanas da Universidade Nova de Lisboa), Portugal Ana Maria Carvalho IPB/ESA (Instituto Politécnico de Bragança/ Escola Superior Agrária) et CIMO (Centro de Investigação de Montanha) Les “botas” sont des “leitaregas” (porcelles). De la rosette de feuilles il y a un fil qui sort et devient gros au milieu et puis qu’on mangeait. On mangeait tout, les “botas”, les “canastras” (mannes), les “corniçós” (comme des cornes), les “lentilhas” (lentilles). Nous les gosses …on ouvrait les gousses encore vertes des lentilles, on groupait les graines en cercle et on les attrapait avec la langue. On s’amusait ! (témoignage d’un homme, paysan, soixante ans) Dans les villages du nord-est portugais, dans les mémoires d’enfance des hommes, l’imaginaire des plantes est associé aux jeux et travaux de la vie quotidienne d’autrefois. Bien de récits des gens exhortent le plaisir de cueillir les porcelles (“botas”) et les astragales (“canastras” et “corniçós”), de chercher le conopode (“riqueijões”) dans les chênaies et le cytinet (“mimos”) au milieu des cistes, et de monter aux châtaigniers et noyers pour ouvrir les bogues et les noix verts et manger les marrons et noix pas encore mûrs. Ils ont aussi présent à l’esprit comme il était pénible de faucher le foin et le blé, arracher les pommes de terre et ramasser du bois pour l’hiver. Ils ont dans leur mémoire les effets de la sève de chélidoine, “ceruda”, ou de petit houx, “gilbardeira”, appliquée aux coupures ; ils savent encore où trouver la meilleure fougère, “avenca”, et comment on peut préparer la décoction de “alcária”, une cistacée rare et affamée. Les femmes évoquent aussi les histoires de leurs grand-mères, des histoires où les plantes jouent un rôle fondamental aux cérémonies religieuses et festives du village, guérissent et préviennent les maladies et protègent la famille et le foyer. Dans cet imaginaire, les plantes sont perçues comme indispensables à la survie, au loisir et à un rapport étroit avec le milieu naturel et le surnaturel. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes des villages envisagent le monde végétal comme un scénario. Ils y vivent pour un temps limité : à la première occasion favorable ils se rendent à la grande ville, en renonçant au petit village, où, malgré tout, les représentations et l'imaginaire des plantes persistent. En même temps, on trouve dans ces endroits des adultes avides de nouvelles connaissances au sujet des plantes utiles. Ils s’enrichissent de savoirs exogènes sur le monde végétal en s’attachant à une nouvelle vision de la nature. La recherche menée dans le cadre du projet “Ethnobotanique du Nord-Est Portugais, savoirs, plantes et usages” (2005-2008) concerne deux études de cas conduites au sein de deux aires protégées de l’intérieur du Portugal – “Parque Natural de Montesinho et Parque Natural de Douro Internacional”. Ces études visent à apprendre comment procède et s’actualise l’appropriation sociale de l’univers végétal en contextes ruraux soumis à des changements socio-économiques, en recourant à la méthodologie ethnographique, à l’enquête orale et aux entrevues structurées. Tout le territoire de ces parcs naturels, tout comme d’autres régions de l’intérieur portugais, a souffert de profondes transformations depuis les années soixante. Des flux migratoires vers l’extérieur du pays et l’exode rural vers les villes de la région et du littoral portugais ont conduit au dépeuplement et en conséquence à des changements socio-économiques qui provoquent des impacts environnementaux importants. Le village de Quintanilha, l’univers de la première étude de cas, est un bon exemple des transformations économiques, culturelles et du paysage. Quintanilha, au sein du “Parque Natural de Montesinho” est une communauté qui vit entre un passé essentiellement agricole et un avenir qui s’envisage comme un « village-dortoir » (dans le sens de la banlieue dortoir mais de très petite dimension) de Bragança, la ville la plus proche. Pour le moment, uniquement des personnes âgées, en majorité des retraités, dévouent leur temps aux activités agricoles. Les 20 km d’une voie rapide parcourue en 15 minutes rendent possible de travailler ou d’étudier à Bragança. Cette ambiance de périphérie urbaine est bien visible pendant le week-end, quand les familles viennent d’ailleurs et remplissent leur maison d’origine en jouissant de leur repos hebdomadaire. La deuxième étude a été réalisée au village de Póvoa, dans le “Parque Natural do Douro Internacional”. Il s’agit d’un village où l’activité agricole, basée sur l’élevage bovin et ovin, est encore remarquable. Malgré ça, la plupart des jeunes qui y habitent sont employés dans la ville frontière de Miranda do Douro (une ville au bord du fleuve Douro, frontière naturelle entre le Portugal et l’Espagne), bien qu’un nombre significatif de familles garantissent le revenu principal par l’élevage. On trouve un mode de vie rural dans un espace géographique vieilli et dépéri qui se caractérise par des activités agricoles relativement traditionnelles. Les systèmes socio-économiques basés sur l’élevage, la production familiale et l’autoconsommation subissent des transformations. Les activités agricoles s’affaiblissent ou sont en train de disparaître. Les systèmes d’exploitation traditionnels ont changé, surtout ceux qui concernent l’élevage et la production fourragère à Quintanilha, les pâturages et l’oléiculture à Póvoa, et la céréaliculture dans les deux villages. L’élevage et par conséquent la présence humaine dans les forêts est en diminution. Par exemple, on ne coupe plus le bois et les arbrisseaux, le sous-bois n’est pas pâturé, on ne profite plus des ressources forestières parce qu’on ne ramasse pas les plantes sylvestres utiles et on ne fauche plus les prairies de montagne. Au potager il y a aussi des transformations qui amènent à de nouvelles conceptions. Jadis ces espaces étaient conçus pour produire la nourriture du bétail. Citrouilles et potirons, avoine, choux, lentilles, navets et betteraves nourrissaient, tout d’abord, les animaux pendant l’hiver. L’alimentation des hommes dépendait des surplus et de la production obtenue dans quelques parcelles de pommes de terre, oignons, ails, pois chiche et haricots secs. Depuis une trentaine d’années le jardin potager est devenu un espace beaucoup plus diversifié. On observe encore des parcelles résiduelles pour l’élevage, à côté d’autres parcelles cultivées de plusieurs sortes de végétaux, aromates et médicinales (parfois, des espèces que les femmes ont fait passé de la forêt au jardin) et d’une panoplie de plantes ornementales. Tous les changements mentionnés ont introduit des modifications considérables aux agro écosystèmes régionaux, et par la suite, on observe des conséquences au niveau du paysage, des habitats et de la biodiversité animale et végétale. Cette communication se conçoit à partir de trois questions : Est-ce que les changements socio-économiques récents et le rapprochement du rural au quotidien urbain ont modifié l’imaginaire des plantes ? Est-ce qu’on peut parler d’un rural contemporain ? S’agit-il de l’imaginaire contemporain du végétal au monde rural ou de l’imaginaire du végétal dans un monde rural contemporain ? On essaiera de répondre à ces questions en recourant à des exemples d’ usages et perceptions, passées et actuelles, de plusieurs espèces de la culture locale qui se font remarquer sous trois aspects : alimentation, médecine et symbolisme. Brionies et choux de Bruxelles – aliments d’ici et d’ailleurs Les usages infantiles qu’on a décrits ne se perpétuent que dans la mémoire des anciens. Les plus jeunes ne participent plus aux tâches agricoles et ont perdu le contact et les savoirs de la nature et du végétal : ils ne reconnaissent pas les plantes, ni même leur nom. D’autre part, les plantes qu’on mangeait autrefois chaque jour n’ont plus la même importance dans le régime alimentaire des gens, puisque le paysage champêtre est transformé et en conséquence, la disponibilité des herbacées s’est aussi modifiée, en même temps que les habitudes alimentaires ont nécessairement changé. Maintenant on trouve toutes sortes de produits alimentaires, même dans les communautés rurales les plus intérieures, surtout par rapport à ce dont on disposait il y a une trentaine d’années. On se rend compte de ce fait une fois qu’on procède à l’inventaire des plantes potagères et qu’on parle aux informateurs. Ils sont les premiers à faire remarquer la diversité des jardins potagers actuels par rapport à d’autres époques. Quelques paysans sont sûrs que les jardins modernes sont beaucoup plus riches de nos jours parce qu’on a plus de temps pour les faire cultiver et qu’on n’a pas besoin de ces espaces pour la nourriture du bétail. Mais cette diversité est aussi liée aux dernières tendances des consommateurs et aux notions récentes d’une alimentation raisonnée. Le système alimentaire totalement basé sur des pommes de terre et du pain de seigle, auxquels on ajoutait parfois des herbacées, comme la bryone (“norças”) et les bourraches (“borragens”) fut remplacé par des régimes dont la consommation de légumes cultivés au jardin potager a pris de plus en plus d’importance. Les parcelles de terrain à deux pas de la maison, qui servaient fondamentalement à l’élevage, sont devenues des jardins potagers qui cherchent à satisfaire les besoins alimentaires de la famille. Les salades, les nouvelles variétés de choux (chou de Bruxelles, brocoli, chou-fleur et chou rouge accompagnent les traditionnels chou cavalier et chou à grosses côtes), le poireau, l’aubergine, la courgette, les variétés de tomate, piment et poivron sont des espèces qu’on observe souvent dans la plupart des potagers bien soignés. Les épices sont d’autres plantes qui ont récemment été cultivées dans le jardin potager. Du persil (“salsa”), de la coriandre (“coentros”), de la ciboulette (“cebolinho”), du basilic (“mangericão”) et du thym commun (“tomilho”) sont les saveurs de la nouveauté, importés depuis peu de temps. Un pareil phénomène se passe avec les tisanes. Les anciens font toujours allusion à la mélisse (“cidreira”) et à la menthe (“hortelã-pimenta”), les tisanes de toute leur vie. Et pourtant, on trouve dans les jardins la verveine (“limonete”) et la citronnelle (“chá-príncipe”), des aromates bien aimées, introduites et cultivées davantage depuis les années soixante-dix du vingtième siècle. Les savoir-faire des aromates sauvages s’appliquaient à la conservation des produits alimentaires. Le thym sauvage (“cheirosinha”), l’origan (“orégãos”), le laurier (“loureiro”) et l’ail (“alho”) étaient et sont encore des ingrédients indispensables pour assaisonner les saucissons et conserver les olives. La jeunesse ne sait plus préparer de saucissons et pour ça les jeunes ne reconnaissent et n’utilisent pas ces espèces. Simultanément à ces nouvelles introductions, la consommation de quelques herbacées sauvages s’est poursuivie. Ces espèces doivent leur popularité aux mémoires du passé mais surtout aux influences du monde urbain, puisque des campagnes publicitaires utilisant plusieurs médias et la vente de produits sauvages alimentaires dans les grands magasins des villes ennoblissent et favorisent l’usage des aliments sylvestres et des produits du pays. Par exemple, les feuilles d’oseilles (“azedas”) et silènes (“conecos”) se mangent comme salades. Néanmoins, le fait d'être connues et aimées ne rompt pas avec l’association négative généralement établie entre les végétaux sauvages et les périodes de famine et de pauvreté. Ce qu'il y a de remarquable c’est que plusieurs informateurs font couramment une association d’idées entre produits alimentaires sauvages et du pays et alimentation raisonnée au bénéfice de la santé. Plusieurs témoignages ont insisté sur les principes vitaminiques de certains fruits sauvages, comme les cenelles, baies rouges de l’aubépine, les mûres et les baies des ronces ainsi que des potirons cultivés. La prise de conscience de la valeur nutritionnelle des aliments se rapporte à une nouvelle perception des plantes alimentaires. Malgré ça, à cette conscience ne correspond pas une pratique ni une utilisation régulière. Il s’agit plutôt des connaissances savantes dissociées du savoir-faire. En règle générale, on peut dire que l’usage alimentaire des plantes rend plus clair le caractère à la fois persistant et adaptable des perceptions qui concernent le monde du végétal. On trouve de nouvelles espèces introduites pour satisfaire l’adoption de systèmes alimentaires répandus et des espèces d’autrefois qui perdurent dans la gastronomie traditionnelle ou qui s’adaptent à des pratiques qui témoignent de la valorisation moderne des saveurs ancestrales, parfois oubliées. Le Tableau I résume des usages alimentaires passés et présents de quelques plantes sauvages. La mauve – de la guérison à la cosmétique On fait bouillir la plante (la mauve ; “malva”) et on lave les blessures pour qu’elles guérissent plus vite (homme, berger, soixante-douze ans) La mauve est utilisée en tisane et est bonne pour maigrir, mais il faut faire attention, on ne doit pas boire trop parce qu’elle (l’infusion de la plante) mange les globules rouges… (femme, paysanne, soixante ans) La mauve c’est un bon exemple du changement que l’imaginaire du végétal et les représentations des plantes ont subi. C’est une plante-clé d’un groupe de plantes médicinales considérées comme fondamentales. L’enquête a montré qu’on utilisait surtout la décoction des feuilles ayant des propriétés désinfectantes et cicatrisantes pour les affections externes, l’infusion des feuilles sèches étant conseillée pour les maladies des voies génito-urinaires et pour l’excrétion urinaire (diurétique). La plupart des témoins (masculin et féminin) insiste sur l’usage externe de la mauve, celui-ci étant indifféremment pratiqué pour les hommes et les animaux, mais l’usage interne n’a été signalé que par deux informatrices, une pour chaque village. Cependant, le cercle de famille et l’entourage des amies vivant dans les grands centres urbains et l’information écrite et celle diffusée ont déclenché chez les femmes des préoccupations diététiques et esthétiques, ce qui a déterminé une nouvelle application de la mauve. L’infusion des feuilles s’est adaptée pour amincir et maîtriser la cellulite. Finalement, ces femmes ne font que citer et récupérer une indication ancienne, l’infusion diurétique, cachée sur une conception moderne du corps (réduction de la cellulite et perte de poids), qui s’appuie, malgré les apparences, sur des effets thérapeutiques semblables. L’imaginaire des plantes quant aux usages médicinaux est plein d’autres exemples. C’est le cas des plantes qui ont des indications dans le domaine des maladies cardio-vasculaires. Cette indication thérapeutique s’exprime de plusieurs façons selon les informateurs : il y a ceux qui classifient ces plantes comme très bonnes pour le cœur et d’autres qui les recommandent pour le cholestérol, un concept de la médecine conventionnelle, récemment incorporé aux discours régionaux concernent la maladie et la santé. On peut voir au Tableau II des usages médicinaux passés et présents de quelques plantes sauvages. Autrefois l’appropriation sociale de la nature et du végétal se basaient sur une importante utilisation pharmacologique des espèces sylvestres et cultivées, qui donnait une réponse aux situations quotidiennes relatives au travail manuel et à une vie très dure : accidents de travail, affections respiratoires, digestives et de la peau. On trouve beaucoup d’exemples dans la pharmacopée traditionnelle utilisés pour soulager ces affections : les emplâtres de feuilles de bouillonblanc (“cuchapeiro”), noyer (“nogueira”) et bardane (“bardana”); les infusions de fougère (“avenca”) et origan (“oregãos”); les lavages de mauve, “alcária” et graines de lin (“linhaça”); les sirops de cresson (“agrião”) et ciste (“esteva”). Ce type de problèmes qui revenaient chaque jour au cours des travaux agricoles, sont maintenant moins importants. De toute façon la plupart se résolvent rapidement et efficacement en faisant appel aux traitements de la médecine conventionnelle. Ainsi, en ce moment, la pharmacopée traditionnelle n’est plus pratiquée que par des individus plus âgés pour guérir les petits problèmes de santé, indigestion, rhumes ou inflammations des voies urinaires, ou pour prévenir ou réguler les maladies du système nerveux et les maladies métaboliques (diabètes, cholestérol, hypertension). On s’adresse aux connaissances de jadis en même temps qu’aux solutions des agents de la médecine conventionnelle, tout comme c’est le cas dans autres contextes sociaux (Pieroni 2005 ; Pardo de Santayana 2008). Dans les circonstances actuelles et surtout à Quintanilha, le village qui subit le plus de modifications socio-économiques, les témoignages énumèrent des recommandations et des recettes qui utilisent des plantes exotiques (le figuier de l’Inde, “mão-de-rata”, et l’aloès, par exemple) auxquelles on attribue la prévention de certaines maladies. De telles maladies dont on parle clairement aujourd’hui n’étaient pas connues ou extériorisées autrefois. Lors des enquêtes, on a été attentif à l’usage de telles plantes et recettes mais on n’a jamais pu enregistrer leur utilisation ou consommation. C’est pourtant vrai que le figuier de l’Inde, l’aloès et d’autres plantes exotiques se cultivent dans les jardins et les potagers de quelques personnes. Des hommes et des femmes dont l'âge est compris entre cinquante et soixante-quinze ans sont avides d’apprendre, c’est pour ça qu’ils enrichissent leurs connaissances de la flore régionale de toutes sortes d’informations. L’apprentissage des savoirs exogènes se fait au moyen de la lecture (des livres et d’autres publications de vulgarisation), de programmes radiophoniques et de la télévision, ou en échangeant des renseignements parmi les spécialistes de médecine conventionnelle et alternative. Des savoirs érudits ou, parfois, rien que la systématisation de savoirs populaires exogènes, qui sont réunis et transmis par l’écrit et qui se mêlent aux savoirs locaux (Frazão-Moreira, Carvalho et Martins 2007). En un mot, les pratiques et les connaissances actuelles dans le domaine des plantes médicinales expriment encore des changements de perception. Certains usages médicinaux qui semblent continus, dénotent de nouveaux concepts étiologiques, tandis que les nouvelles conceptions du corps et de la maladie conduisent vers la recherche et l’acquisition de savoirs phyto-pharmacologiques exogènes. L’appel aux plantes médicinales n’a plus la même dimension dans la résolution des problèmes survenus dans une vie rurale très dure, mais a gagné un rôle complémentaire ou de substitution à la médecine conventionnelle. Malgré ça, les jeunes trouvent que l’usage de plantes médicinales ne concerne que les plus vieux. Rue, aubépine et pensées – parmi les sorcières, autels et jardins De nombreuses espèces avaient une utilisation protectrice, magique et symbolique. Les réponses efficientes aux désordres naturels, maladies, catastrophes et tous les dangers du domaine surnaturel, qui remplissent l‘imaginaire rural, entraînaient l’évocation de l’efficacité symbolique des plantes. Dans le cadre des croyances et de la dévotion populaire les plantes étaient, avant tout, un moyen d´écarter les effets funestes des éléments déchaînés, d’éloigner tous les maux et le caractère maléfique de certaines entités comme les sorcières, dont la description correspond à des femmes qui possèdent pouvoirs et connaissances surnaturels et magiques et qui pratiquent des actions maléfiques (Lisón-Tolosana 1983; Pina Cabral 1989). Les plantes se révélaient les médiatrices entre la sphère humaine naturelle et surnaturelle. La plupart des usages symboliques des plantes n’ont plus de signification parce que la vision cosmologique s’est modifiée. Par rapport à la majorité des phénomènes naturels menaçants, on a trouvé des justifications technico-scientifiques et plusieurs soucis concernant les activités agricoles (récoltes, moisson, mise à bas des animaux, labourage, par exemple) n’ont plus aucune signification. Néanmoins, on fait appel à des pratiques auxquelles se configurent encore les représentations symboliques des plantes. Les fumigations de lavande (“arçã”) ou romarin (“alecrim”), sont considérées comme une bonne façon de purifier et d’écarter l’envie, le mauvais œil et les sorcières. On ne ramasse plus l'immortelle commune (“erva-da-inveja”) pour la sécher et la maintenir à la maison, tandis qu’on cultive la rue (“arruda”), dans des pots qu’on dispose à l’entrée des maisons. D’autre part, on ne fait plus de fumigation avec la phylaria (“lentisco”) pour protéger de l’orage, mais la joubarbe des toits (“cacto”) est soigneusement conservée sur les toits, ou sur les murs qui entourent les maisons. Le millepertuis (“pericão”) et “sal puro” (une sorte de thym) on les brûle aux feux de la Saint-Jean ce qui est propice à une bonne santé et maintient les sorcières à leur place83. Ce sont des témoignages de l’imaginaire du monde végétal de jadis mais qu’on essaie de garder parce qu’on ne sait jamais, “não vá o Diabo tecê-las” (il ne faudrait pas que le diable s'en mêle)… Les plantes jouent aussi un rôle très important dans le calendrier liturgique catholique et festif. Autrefois, on associait souvent des événements à quelques plantes. Phylaria, laurier et olivier (“oliveira”) et encore d’autres, étaient utilisées pour les rameaux bénis de Pâques ; l’aubépine (“espinheiro”), les genêts blancs (“giesta-branca”) et d’autres sortes de plantes à fleurs blanches paraient les autels de la Vierge au mois de mai. Grâce à ces usages, ces plantes ont acquis un statut symbolique et sacré qui est reconnu par tous, un processus semblable à d’autres qui ont été décrits dans des contextes ruraux européens (Lieuteghi 1998; San Miguel 2007). L’expression de la dévotion par les plantes n’est pas disparue mais l’éventail d’espèces qu’on choisit est tout à fait différent. D’une part la cueillette des plantes sylvestres est sortie des habitudes à cause du vieillissement de la population et parce que beaucoup de personnes travaillent ailleurs, surtout à Quintanilha. Les gens vieillissent et leurs promenades n’arrivent plus jusqu’à la forêt ; ceux qui travaillent dans la ville n’on pas le temps de s’en occuper. D’autre part, l’utilisation de fleurs cultivées au jardin ou de fleuriste est considérée un signe de prestige et de progrès, dans une approximation aux modèles esthétiques et stéréotypés de la grande ville. Dans le rameau de Pâques, la phylaria a laissé sa place au romarin et à l’olivier ; à la maison, des hybrides cultivés remplacent les primevères sylvestres (“páscoas”) ; à l´église et sur les autels l’aubépine cède son tour à la calla (“jarros”) et aux lys (“lírios”). Dans les fêtes religieuses surviennent la gerbera, les œillets et les anthuriums, ainsi que des fleurons ornementés de feuilles d’espèces exotiques, du palmier, par exemple. La valeur magique et religieuse des plantes ne touchent plus plusieurs domaines de la vie quotidienne. Cependant, une telle valeur est évoquée par les plus vieux pendant certains événements cycliques et festifs. Il 83 Pour une approche historique des usages magiques de ces plantes en Europe voir Bilimoff (2003). faudra confirmer si les jeunes d’aujourd’hui, reproduiront à l’avenir ces pratiques symboliques qui utilisent le monde végétal. Une des plus grandes modifications qu’a subi la conception du monde végétal concerne la perception des plantes comme ornementales. Dans le passé, on ramassait couramment des plantes sauvages (bruyères et genêts fleuris) ou cultivées (épis de blé et seigle) pour décorer la maison. Aujourd’hui on constate une très grande diversité d’ornementales cultivées aux jardins, aux balcons et aux fenêtres des maisons. Cette omniprésence correspond à une nouvelle relation entre les gens et le monde végétal. La dimension ornementale des plantes est devenue le but d’une activité. Il ne s’agit plus d’une extension d’autres activités, comme le ramassage en forêt et l’agriculture. Les connaissances et les savoir-faire concernant les plantes ornementales sont un domaine des femmes qui sont fières de leurs fleurs et arbrisseaux et qui rivalisent entre elles par la diversité et la beauté des exemplaires qu’elles cultivent. On a des témoignages de la recherche intense de nouveautés, l’échange de matériel végétal avec les voisines et les amies d’autres villages et l’achat saisonnier d’espèces exotiques, par exemple des plantes carnivores et des espèces tropicales. Dans ces villages comme ailleurs (Carvalho 2005) les femmes insistent sur les valeurs esthétiques des plantes, les couleurs des fleurs, des fruits et des feuilles, leur fragrance caractéristique et la résistance à la rigueur du climat. La notion d’immatérialité du végétal est en train de se perdre et les plantes deviennent “requises pour ellesmêmes”. Les plantes rituelles et ornementales on perdu leur importance comme expression d’une vision cosmologique du monde et comme extension des pratiques de travail. Elles ne sont plus symboles d’un rapport avec le surnaturel, et se sont transformées en symboles de prestige et de proximité à un modèle de vie “aisée” et urbaine, c'est-à-dire, qu’elles concernent les pratiques de loisir et du plaisir. En conclusion, à cause des changements du monde rural et de la disparition d’un système de survie fortement dépendant de ressources naturelles disponibles, les savoirs au sujet des plantes n’appartiennent plus au domaine de l’usage, du travail et du rituel. Il s’agit plutôt de connaissances explicites et cristallisées, souvent, sans aucune liaison avec l’action, puisque ces savoirs ne figurent plus que dans la mémoire. Des souvenirs d’usage ou des savoirs exogènes, érudits et livresques, qu’on n’a pas appris par l’intermédiaire du savoir-faire mais par le savoir-dire. L’imaginaire du végétal dans ce monde rural peut être considéré comme contemporain si on entend par contemporain un imaginaire des plantes qui renferme l’adhésion à une nature idéalisée comme une valeur qu’on doit défendre et protéger. Un imaginaire du végétal qui se configure dans une vision non systémique du monde, balisée par une perspective ontologique naturaliste (Descola 1996, 2005) dans laquelle la sphère humaine se différencie et se sépare des sphères du naturel et du surnaturel. Remerciements Ce travail a été réalisé dans le cadre du Project POCI ANT/59395/2004, «Etnobotânica do Nordeste Português : Saberes Plantas e Usos», financé par la Fondation Portugaise de Science et Technologie, FCT. Nous remercions toux les informateurs porteurs d’un grand savoir qui nous ont reçues chez-eux et qui nos ont facilité toute information et connaissances. Nos remerciements vont aussi à Maria Elisabete Martins, boursière du projet, qui a collaboré aux enquêtes et enregistré l’information. Références bibliographiques Bilimoff, M. 2003. Enquête sur les Plantes Magiques. Rennes : Editions Ouest-France. Carvalho, A. M. 2005. Etnobotánica del Parque Natural de Montesinho. Plantas, tradición y saber popular en un territorio del nordeste de Portugal. Madrid: Universidad Autónoma de Madrid. Descola, P. 1996 “Constructing natures: symbolic ecology and social practice” in P. Descola e G. Pálsson, eds. Nature and Society. Anthropological Perspectives. London: Routledge, 82-102. Descola, P. 2005. Par-delà Nature et Culture. Paris: Gallimard. Frazão-Moreira, Amélia., Ana. M. Carvalho et M. Elisabete Martins 2007. “Conocimientos acerca de plantas en la nueva ruralidad. Cambio social y agro ecología en el Parque Natural de Montesinho (Portugal)”, Perifèria, 7, 15pp. Lieutaghi, P. 1998. La Plante Compagne. Pratiques et imaginaire de la flore sauvage en Europe occidentale, Arles : Actes du Sud. Lisón-Tolosana, C. (1971) 1983. Antropología Social de Galicia. Madrid: Akal. Pardo de Santayana, Manuel 2008. Estudios Etnobotânicos en Campoo (Cantabria). Conocimiento y uso tradicional de plantas, Madrid: CSIC. Pieroni, Andrea, Harald Muenz, Minire Akbulut, Kemal Hüsnü, Can Baser et Cenk Durmuskahya 2005. “Traditional phytotherapy and transcultural pharmacy among Turkish migrants living in Cologne, Germany”, Journal of Ethnopharmacology, 102: 69–88. Pina Cabral, J. 1989. Filhos de Adão, Filhas de Eva. A visão do mundo camponesa do Alto Minho. Lisboa: Don Quixote. San-Miguel, E. 2007. Tengo de subir al árbol. Etnobotánica del Concejo de Piloña (Asturias). Gijón: Red de Museos Etnográficos de Asturias. Tableau I. Usages alimentaires passés et présents de quelques plantes sauvages Les plantes sauvages Usage passé Usage présent Astragalus cymbaecarpos Corniçós (gousses vertes) Astragale Manger les gousses encore vertes et un peu laiteuses Très peu connu et pas du tout usé Astragalus pelecinus Canastras (gousses vertes) Astragale Manger les gousses encore vertes et un peu laiteuses Très peu connu et pas du tout usé Conopodium majus Riqueijões (tubercule) Conopode Arracher les tubercules, éplucher et manger Très peu connu et pas du tout usé Glechoma hederaceae Malvela (feuilles) Lierre terrestre Préparer un bouillon avec les feuilles, origan et une cuillerée de farine de seigle Très peu connu et pas du tout usé Malva sylvestris Fogaças (fruits) Mauve Mâcher les petits fruits Peu connu et peu usé Jeux d’enfants à l’école Rumex spp. Azedas e Azedões Oseilles et patiences Sucer les tiges Manger les feuilles Salades, crudités Usage retrouvé et récupéré Rubus ulmifolius Moras (baies) Ronce Mâcher les bourgeons Manger les fruits mûrs On mange les fruits mûrs et on prépare des confitures Tableau II. Usages médicinaux passés et présents de quelques plantes sauvages Les plantes sauvages Usage passé Usage présent Liqueur médicinale des fleurs féminines vertes Digestif, tonique stomachique On ne le cultive plus Pas connu des jeunes Le fenouil le remplace Infusion des fleurs Affections bronchiques Préviennent grippe et rhume Les fruits étaient mangés pour les vitamines Pas connu des jeunes Récolte difficile surtout pour les plus âgés Le sureau (Sambucus nigra) le remplace Origanum virens Óregão, mangerico do monte Origan Infusion des fleurs Appareil respiratoire Catarrhe, toux Se récolte comme aromate Pas connu des jeunes Remplacé par une sorte de genêt, carqueja,qui ajoute propriétés hypertensives Borago officinalis Borragem Bourrache Décoction et potage des feuilles. Carminatif, dépuratif, stimulant post-partum, emménagogue Des femmes trouvent que c’est un très bon complément alimentaire On prépare un bouillon pour amincir et dépurer Umbilicus ruprestis Baselos, conchelos Nombril-de-Vénus Frire les feuilles à l’huile d’olive et préparer un onguent pour les hémorroïdes et les hématomes Pas connu des jeunes Remplacé par les décoctions de mauve et d’une cistacée, alcária, en lavage ou bains de vapeur Verbascum thapsus Cuchapeiros Bouillon-blanc Application topique des feuilles chauffées au feu de la cheminée. Cicatrisante et vulnéraire. Blessures, morsures et piqûres On ne l’use plus Pas connu des jeunes Olea europaea Oliveira, azeite Olivier, huile d’olive L’huile d’olive s’appliquait pour les maladies de peau et morsures. On l’utilisait aussi pour préparer des onguents et des emplâtres Pas connu des jeunes. On prépare l’infusion des feuilles jeunes car on lui reconnaît des vertus thérapeutiques pour le cholestérol et les diabètes Humulus lupulus Lúpulo Houblon sauvage et cultivé Crataegus monogyna Espinheiro Aubépine Tableau III. Liste de plantes dans le texte Non local Abóbora menina Abóbora porqueira Agriões Alcária, lobas Non en français citrouille Cucurbita maxima Duchesne Cucurbitaceae potiron Cucurbita pepo L. Cucurbitaceae crésson Rorippa nasturtiumaquaticum (L.)Hayek Xolantha tuberaria (L.) Gallego, Muñoz Garm. & C. Navarro Aloe vera (L.) Burm.f. Rubus ulmifolius Schott Brassicaceae Lavandula stoechas L. Ruta chalepensis L. Asplenium billotii F.W. Schultz Asplenium trichomanes L. Rumex acetosa L. et Rumex acetosella L. Arctium minus Bernh. Borago officinalis L. Hypochoeris glabra L. Sempervivum tectorum L. Astragalus pelecinus (L.) Barneby. Chelidonium majus L. Cymbopogon citratus (DC.) Stapf Thymus zigis Lofl Melissa officinalis L. Silene gallica L. Astragalus cymbaecarpos Brot. Brassica oleraceae L.var acephala DC. Brassica oleraceae L.var costata DC. Verbascum thapsus L. Helichrysum stoechas (L.) Moench Crataegus mongyna Jacq. Lamiaceae/Labiatae Rutaceae Aspleniaceae Cistus ladanifer L. Cytisus multiflorus (L'Hér.) Sweet Ruscus aculeatus L. Mentha spicata L. Zantedeschia aethiopica (L.) Cistaceae Fabaceae/leguminosae ervas Aloé Amoras Arçã Arruda Avenca Aloès ronces, (fruits) lavande rue fougère Azedas oseille Bardana Borragem Botas/leitaregas Cacto Canastras bardane bourrache pourcelles jourbarbe astragale Ceruda Chá de príncipe, erva príncipe Cheirosinha Cidreira Conecos Corniçós chélidoine citronelle mûres thym sauvage mélisse silène astragale Couve galega Couve portuguesa Cuchapeiro Erva-da-inveja Esteva Gesta branca ch. grosses côtes bouillon blanc immortelle commune aubépine cenelles (fruits) ciste genêt blanc Gilbardeira Hortelã-pimenta Jarros petit houx menthe calla Espinheiro Non scientifique Famille Botanique Cistaceae Liliaceae Rosaceae Polygonaceae Asteraceae/compositae Boraginaceae Asteraceae/compositae Crassulaceae Fabaceae/leguminosae Papaveraceae Poaceae/gramineae Lamiaceae/Labiatae Lamiaceae/Labiatae Caryophyllaceae Fabaceae/leguminosae Brassicaceae Brassicaceae Scrophulariaceae Asteraceae/compositae Rosaceae Ruscaceae Lamiaceae/Labiatae Araceae Lentilhas Lentisco Limonete Malva Mão-de -rata Norça Pericão Repolho lentilles Phylaria verveine mauve figuier de l’Inde bryone millepertuis chou cavalier Riqueijões conopode Sal puro Tomilho Urze thym commun bruyère Linhaça graines du lin Spreng. Lens culinaris Medik. Phillyrea angustifolia L. Aloysia citriodora Palau Malva sylvestris L. Opuntia sp. Bryonia dioica L. Hypericum perforatum L. Brassica oleraceae L.var capitata L. Conopodium majus (Gouan) Loret Thymus mastichina L. Thymus vulgaris L. Erica australis L. et Erica arborea L. Linum usitatissimum L. Fabaceae/leguminosae Oleaceae Verbenaceae Malvaceae Cactaceae Cucurbitaceae. Guttiferae Brassicaceae Apiaceae Lamiaceae/Labiatae Lamiaceae/Labiatae Ericaceae Linaceae Tableau III. Liste de plantes dans le texte Non local Abóbora menina Abóbora porqueira Agriões Alcária, lobas Non en français citrouille Cucurbita maxima Duchesne Cucurbitaceae potiron Cucurbita pepo L. Cucurbitaceae crésson Rorippa nasturtiumaquaticum (L.)Hayek Xolantha tuberaria (L.) Gallego, Muñoz Garm. & C. Navarro Aloe vera (L.) Burm.f. Rubus ulmifolius Schott Brassicaceae Lavandula stoechas L. Ruta chalepensis L. Asplenium billotii F.W. Schultz Asplenium trichomanes L. Rumex acetosa L. et Rumex acetosella L. Arctium minus Bernh. Borago officinalis L. Hypochoeris glabra L. Sempervivum tectorum L. Astragalus pelecinus (L.) Barneby. Chelidonium majus L. Cymbopogon citratus (DC.) Stapf Thymus zigis Lofl Melissa officinalis L. Silene gallica L. Astragalus cymbaecarpos Brot. Brassica oleraceae L.var acephala DC. Brassica oleraceae L.var costata DC. Verbascum thapsus L. Helichrysum stoechas (L.) Moench Crataegus mongyna Jacq. Lamiaceae/Labiatae Rutaceae Aspleniaceae Cistus ladanifer L. Cytisus multiflorus Sweet Ruscus aculeatus L. Mentha spicata L. Cistaceae Fabaceae/leguminosae ervas Aloé Amoras Arçã Arruda Avenca Aloès ronces, (fruits) lavande rue fougère Azedas oseille Bardana Borragem Botas/leitaregas Cacto Canastras bardane bourrache pourcelles jourbarbe astragale Ceruda Chá de príncipe, erva príncipe Cheirosinha Cidreira Conecos Corniçós chélidoine citronelle mûres thym sauvage mélisse silène astragale Couve galega Couve portuguesa Cuchapeiro Erva-da-inveja Esteva Gesta branca ch. grosses côtes bouillon blanc immortelle commune aubépine cenelles (fruits) ciste genêt blanc Gilbardeira Hortelã-pimenta petit houx menthe Espinheiro Non scientifique (L'Hér.) Famille Botanique Cistaceae Liliaceae Rosaceae Polygonaceae Asteraceae/compositae Boraginaceae Asteraceae/compositae Crassulaceae Fabaceae/leguminosae Papaveraceae Poaceae/gramineae Lamiaceae/Labiatae Lamiaceae/Labiatae Caryophyllaceae Fabaceae/leguminosae Brassicaceae Brassicaceae Scrophulariaceae Asteraceae/compositae Rosaceae Ruscaceae Lamiaceae/Labiatae Jarros calla Lentilhas Lentisco Limonete Malva Mão-de -rata Norça Pericão Repolho lentilles Phylaria verveine mauve figuier de l’Inde bryone millepertuis chou cavalier Riqueijões conopode Sal puro Tomilho Urze thym commun bruyère Linhaça graines du lin Zantedeschia aethiopica (L.) Spreng. Lens culinaris Medik. Phillyrea angustifolia L. Aloysia citriodora Palau Malva sylvestris L. Opuntia sp. Bryonia dioica L. Hypericum perforatum L. Brassica oleraceae L.var capitata L. Conopodium majus (Gouan) Loret Thymus mastichina L. Thymus vulgaris L. Erica australis L. et Erica arborea L. Linum usitatissimum L. Araceae Fabaceae/leguminosae Oleaceae Verbenaceae Malvaceae Cactaceae Cucurbitaceae. Guttiferae Brassicaceae Apiaceae Lamiaceae/Labiatae Lamiaceae/Labiatae Ericaceae Linaceae Les plantes dans l'imaginaire et les pratiques d'un réseau de personnes végétariennes. Laurence Ossipow, ethnologue, professeure à la Haute Ecole de Travail Social à Genève et présidente de la société suisse d'ethnologie 20082011. Résumé Ma communication se propose de montrer quelle place occupe les plantes dans l’imaginaire et les pratiques d’un réseau de personnes végétariennes et végétaliennes étudiées il y a une vingtaine d’années en Suisse. Les données seront actualisées par l’observation de sites végétariens (sites internet, magasins de produits dits biologiques, textes d’associations pour une alimentation dite saine). L’analyse permettra aussi de tisser des liens avec quelques thématiques centrales en anthropologie de l’alimentation (rapport à la nature et à la surnature ; autochtonie et exotisme culinaires en lien avec les phénomènes migratoires et la globalisation des échanges ; définition du « bien manger » ; discours socio-sanitaires). Il s’agira enfin de réfléchir aux discours environnementalistes et aux commissions d’éthique pour la biotechnologie qui proposent de donner des droits aux plantes comme il fut donné – notamment sous la pression des végétariens - des droits aux animaux… L’edelweiss dans les Pyrénées : une fleur pour les autres, une fleur pour soi Marlène Albert-Llorca Université de Toulouse LISST-Centre d’Anthropologie sociale Dans le récit de son voyage à Loèche-les-Bains, une station thermale du Valais où il alla prendre les eaux dans les années 1880 84, Maupassant dit avoir reçu de son guide « quelques edelweiss, les pâles fleurs des glaciers ». Dans l’imaginaire commun, l’edelweiss est en effet une fleur qui croît très haut dans la montagne85, à la limite des glaciers, et sur des rochers escarpés : difficile d’accès, ce serait une plante rare, aujourd’hui menacée d’extinction. Nombre de nos contemporains (dont je faisais partie jusqu’à une date récente) pensent aussi que l’edelweiss est une fleur qui pousse exclusivement dans les Alpes, et plus précisément dans les Alpes suisses, sans doute parce qu’on la trouve, en Suisse, partout évoquée ou représentée86. De fait, cette image d’une plante alpine quasiment inaccessible ne correspond que très partiellement à la réalité. On trouve des edelweiss dans les Alpes, mais aussi dans les Pyrénées, à partir de 1700-1800 m. d’altitude, dans des rocailles mais pas nécessairement dans des endroits très abrupts. Enfin, l’espèce ne fait pas l’objet, du moins dans ce deuxième massif, de mesures de protection 87, et ce parce qu’elle y est 84 85 86 87 Intitulé « Aux eaux », le récit fut publié dans le journal Le Gaulois en 1883. C’est cette image qui est mise en avant sur le site web de la firme Weleda, qui vante les vertus de ses protections solaires à base d’edelweiss : « L’Edelweiss, ou étoile des neiges, est une espèce protégée qui pousse dans les Alpes à haute altitude. Soumise à des écarts climatiques extrêmes et à un rayonnement intense, cette plante développe des substances aux vertus anti-radicalaires, apaisantes, anti-inflammatoires et protectrices. Grâce à un programme de culture biologique [les fleurs utilisées sont en effet cultivées à grande échelle], Weleda a fait de l’edelweiss l’allié idéal des peaux exposées aux rayons solaires ». Soulignons, notamment, que le logo de l’Office national du tourisme suisse est une fleur d’edelweiss au centre de laquelle figure la croix blanche sur fond rouge du drapeau suisse. Comme l’a souligné F. Walter, l’edelweiss, en Suisse, est un des symboles de l’identité d’une nation qui se définit comme montagnarde (2004 : 336). L’idée qu’il s’agit d’une plante protégée existe aussi, néanmoins, dans les Pyrénées. Sur ce point, et les débats qu’il suscite, je me permets de renvoyer à l’article que j’ai publié en 2008 avec Marion Tarery. relativement fréquente. Comment, quand et pourquoi s’est formée cette image ? Les données, sans nul doute incomplètes 88, que j’ai pu réunir, suggèrent qu’elle est vraisemblablement née dans la seconde moitié du XIXe siècle en Suisse, première terre d’élection du tourisme alpin, avant de se diffuser dans les Alpes françaises, puis dans les Pyrénées. C’est sur le devenir de cette image dans ce deuxième massif que je m’arrêterai. Je voudrais montrer, en effet, comment les populations locales, dans la vallée d’Ossau notamment, se sont approprié cette image, forgée à l’extérieur, et ont fait de l’edelweiss un emblème d’une identité qu’ils définissent aujourd’hui en référence au pastoralisme. L’edelweiss dans les Alpes On trouve la première attestation du terme edelweiss (litt. "noble blanc") dans un texte autrichien de la fin du XVIIIe siècle, période où est également attesté l’un des usages de cette plante : dans le massif du Zillertal, on en brûlait dans les étables pour mettre le bétail à l'abri des influences malignes (Hoffman-Krayer & Bächtold-Stäubli II, 1929-30, art. Edelweiss). Est certainement aussi ancienne son utilisation comme antidiarrhéique, en Autriche et dans certaines vallées des Alpes suisses et françaises89 (Niederer 1980 : 52 ; Brüschweiler 1999 : 142). Nettement plus tardives, en revanche, les cueillettes massives destinées à fournir des edelweiss aux touristes en quête de souvenirs de la montagne. Cette pratique bien connue commence certainement en Suisse, dans les années 1860, période où l’introduction du chemin de fer suscite une certaine démocratisation du tourisme alpin, jusque là réservé à une petite élite sociale et intellectuelle (Guichonnet 1980 : 215-232). La Suisse est un des premiers pays de la chaîne alpine à s’équiper pour recevoir les 88 89 Je ne connais pas l’allemand, ce qui limitait évidemment les possibilités d’enquête. Mon hypothèse semble cependant concorder avec les résultats des recherches effectuées par Tobias Scheidegger, assistant à l’Institut de Folklore de Zurich, sur l’histoire des représentations et usages de l’edelweiss en Suisse, Autriche et Allemagne. Je le remercie de m’avoir communiqué la substance de ses travaux. Sabine Brüschweiler cite le val d'Anniviers et de Bagnes en Suisse et les vallées savoyardes d'Entremont et Trient. nouveaux adeptes de la montagne. Le premier refuge de haute montagne est construit dans la partie française du massif en 1874 alors que son homologue suisse existe depuis 1863, année de la création du Club Alpin Suisse90. Cette même année, la société Thomas Cook organise le premier voyage de touristes britanniques en Suisse (Guichonnet op. cit. : 231-32 ; 279). Or, on trouve deux ans avant, en 1861, la première occurrence du terme « edelweiss » dans un texte en français : une nouvelle traduite de l’anglais et publiée dans la Revue des Deux Mondes, où l’auteur compare une des fleurs qu’il évoque à « l'edelweiss des montagnes suisses »91. La formule suggère que l’edelweiss est alors considéré comme une espèce propre à la Suisse. C’est sans doute, en effet, ce pays qui l’a fait connaître , et ce parce qu’il est, comme on vient de le dire, le berceau du tourisme 92 alpestre. Car qui dit tourisme dit aussi acquisition de souvenirs. N’étant pas altéré par la dessiccation, l’edelweiss se prête fort bien à jouer ce rôle. Encore fallait-il, pour qu’il puisse le jouer, en faire l’emblème végétal de la haute montagne et, pour cela, diffuser l’idée qu’il vivait près des hauts sommets. A la fin du XIXe siècle, l’edelweiss a pleinement acquis cette valeur emblématique. En témoigne, tout d’abord, la littérature sur la Suisse. En 1886, Alphonse Daudet évoque ainsi, dans son Tartarin dans les Alpes : « les fillettes plantées au bord du chemin, raides sous leurs chapeaux de paille à grands rubans, dans leurs jupes bigarrées, chantant des choeurs à trois voix en offrant des bouquets de framboises et d'edelweiss » aux randonneurs en route vers la Jungfrau. A la différence du traducteur de la nouvelle publiée en 1861, qui écrit « edelweiss » en italiques, Daudet, comme Maupassant trois ans avant, utilise une graphie normale, signe que le terme allemand est entré dans la langue. Il a même, dès cette époque, supplanté les dénominations françaises – immortelle des Alpes ou des neiges, cotonnière des Alpes, étoile d'argent ou des glaciers, pied-de90 91 92 La première association de ce type est le Club Alpin Autrichien, créé un an avant. Les italiques sont dans le texte. Si la Suisse a fait connaître l’edelweiss, elle n’est pas le seul pays des Alpes à l’avoir valorisé. F. Walter souligne qu’il est également investi d’une valeur identitaire en Autriche (op. cit. : 358-59). lion – et cela est très significatif du rôle joué par la Suisse dans sa « promotion ». L’intégration du terme « edelweiss » au lexique français indique enfin que la réputation de la plante est désormais bien établie. Et, s’il en va ainsi, c’est sans doute aucun parce qu’il est proposé aux touristes dans toute la chaîne alpine : en 1897, le naturaliste Alfred Chabert déplore ainsi qu’il ait presque disparu en Savoie à force d’être cueilli pour leur être vendu. D'abord associé aux Alpes suisses, l'edelweiss est devenu un des emblèmes de l’ensemble du massif. On peut en voir un indice dans la place que les régiments de Chasseurs Alpins, à partir des années 1880, lui donnent sur leur uniforme 93. L’edelweiss dans les Pyrénées Dans les Pyrénées, l’edelweiss est également considéré aujourd’hui comme l’emblème de la montagne et mis en valeur à ce titre. Outre que quantité d’hôtels ou de campings ont pris son nom, il figure sur de nombreux objets ou images destinés aux visiteurs : cartes postales représentant « la flore de montagne », autocollants distribués à Gavarnie, site prestigieux de la chaîne où l’espèce pousse en abondance, bâtons ferrés vendus dans les boutiques des vallées avoisinantes. Cette valorisation touristique s’est certainement faite à l’imitation de ce qui s’était produit dans les Alpes. Attestée, dans ce massif, dès les années 186094, la vente d’edelweiss aux touristes apparaît en effet nettement plus tard dans les Pyrénées. C’est du moins ce qui ressort des ouvrages que j’ai consultés, le premier à y faire référence étant un récit de voyage daté de 1901 : «Devant le petit hôtel de Gèdre 95 où, par centaines, nous étions en halte, des enfants viennent nous offrir, à deux sous le paquet, à trois sous 93 94 95 En 1889, ainsi, le 11ème bataillon de Chasseurs Alpins se donne un insigne associant un cor et un edelweiss. Dans d’autres régiments, un ou des edelweiss figurent, officiellement ou pas, sur le béret du soldat (cf. site http://www.alpins.fr/index.html). Tobias Scheidegger, com. pers. Gèdre est un village situé en aval du cirque de Gavarnie. la touffe avec les racines, des edelweiss96. Un monsieur âgé, maigre, un ruban rouge à la boutonnière de sa redingote, murmure d’un ton navré : - Les petits malheureux ! Ils n’en laisseront pas sur nos montagnes ! L’espèce en disparaîtra. Pourquoi n’en prohibe-t-on pas l’arrachage, comme en Suisse ! Elle est bien connue, cette fleur d’un blanc pâle, à cœur jaune, en forme stellaire et comme ouatée : elle ne croît que dans le voisinage des neiges perpétuelles, sur les rochers les plus âpres ; on l’a appelée la floraison de la pierre (…). Elle est organisée et vêtue pour vivre dans la froidure : c’est la fleur favorite de la tzarine » (Gasté [1901] 1991 : 15) L’auteur de ce texte précise, dans son opuscule, qu’il a visité la Suisse en 1893, quelques années donc avant de venir dans les Pyrénées. Bien des touristes, au XIXe siècle, ont fait le même parcours. Aussi est-on tenté de penser que c’est dans les Alpes qu’ils ont appris à connaître et à apprécier l’edelweiss. On peut même se demander si ce n’est pas l’intérêt que ces visiteurs ont manifesté pour cette plante qui a conduit les habitants des Pyrénées à la remarquer. Telle est la thèse que formulait l’ethnolinguiste Jean Séguy au terme de la minutieuse enquête qu’il effectua dans les années 1940 sur les noms populaires des plantes dans les Pyrénées centrales. Les dénominations relevées dans cette partie de la chaîne, flus de neu (fleur de neige) et flus de kadiro (fleur de Cagire, un sommet du Comminges), ainsi que le béarnais imourtelè (ou imortèla97) sont selon lui des « dénominations récentes » : « ce sont en effet les touristes qui ont attiré l’attention des montagnards sur l’edelweiss, qui auparavant était innommé » (1953 : 360). Mes interlocuteurs pyrénéens savent que leurs parents ramassaient des edelweiss pour les vendre aux touristes ou disent volontiers l’avoir eux-mêmes fait dans leur enfance. Mais ils affirment aussi, d’une part que cette fleur était connue « depuis toujours » dans la région et, d’autre part, 96 97 En italiques dans le texte. Cela, me semble-t-il, n’invalide pas les remarques que j’ai faites sur la graphie du terme dans les ouvrages de Daudet et Maupassant. Selon le dictionnaire de Simin Palay cette deuxième forme est un gallicisme. Elle est cependant très usitée dans la vallée d’Ossau. que les cueillettes n’étaient pas uniquement destinées aux touristes : les fleurs avaient également des usages locaux. Séchées entre les pages d’un livre, elles étaient conservées en souvenir d’une sortie en montagne ; les jeunes gens allaient aussi en cueillir, notamment dans les endroits périlleux, pour les offrir à leur bien-aimée. Sans doute parce que la fleur est de couleur blanche, les dévots en offraient à la Vierge. C’était le cas, du moins, à Héas, un hameau situé à l’entrée du cirque de Troumouse. A Notre-Dame de Héas, on apportait des bouquets d’edelweiss, ici appelé flus de neu, et, au début du XXe siècle, on lui offrit un manteau de couleur bleue brodé de fleurs de cette espèce. Une vieille dame du hameau avec qui je me suis entretenue de ces offrandes m’a également déclaré : « A ma mort, je ne veux pas de fleurs. Seulement des iris, des edelweiss et du rhododendron ». Il n’est pas rare, au demeurant, de voir sur des tombes, sinon de « vrais » edelweiss, du moins des pierres tombales sur lesquelles ils sont représentés. C’est sans doute à Laruns, un bourg de la vallée d’Ossau, en Béarn, que la valorisation symbolique de l’edelweiss est la plus forte. La fleur occupe une place de premier plan dans la fête locale, célébrée le 15 août en l’honneur de la Vierge de l’Assomption. Deux jours avant, les « baladins », les jeunes gens chargés d’assurer son financement et, en particulier, de payer la musique, s’en vont cueillir dans les montagnes avoisinantes des brassées d’edelweiss qu’ils offrent, moyennant quelque argent en retour, aux habitants du bourg et à ses visiteurs. Conservés dans les maisons jusqu’à l’année suivante, les bouquets sont d’abord arborés, tout au long de la journée, par ceux des habitants qui effectuent, dans le costume traditionnel de la vallée, des danses qui se seraient transmises sans variation depuis le XIXe siècle, voire avant 98. Aussi ancienne, selon le Président de l’association Aüssaü Tostem (Ossau toujours), qui organise la fête, la présence de l’edelweiss, ou plutôt de l’imortèla, et la place qui lui est accordée. 98 Pour une description plus précise de la fête et de son histoire, voir M. Albert-Llorca et M. Tarery 2008. Cette idée, cependant, ne trouve pas de confirmation dans la documentation disponible, pourtant très riche sur le XIXe siècle. Possédant deux stations thermales, Eaux-Chaudes et Eaux-Bonnes, la vallée d’Ossau reçut en villégiature, entre les années 1830 et 1870, une bonne part des élites françaises attirées par la renommée de stations que fréquentèrent assidûment Napoléon III et Eugénie de Montijo de 1854 à 1868 (Chadefaud 1987 : 226). Une cure thermale laissant de longues plages de temps vides, les curistes cherchaient à les occuper comme ils le pouvaient : aux promenades dans la montagne, s’ajoutait la fréquentation des fêtes paysannes99. Deux des visiteurs lettrés qui séjournèrent dans la vallée ont ainsi laissé une description de la fête de Laruns. L’une peut être aisément consultée puisqu’elle se trouve dans le Voyage aux eaux des Pyrénées publié en 1855 par Hyppolite Taine. L’autre est plus difficilement accessible, étant incluse dans un récit de voyage resté à l’état de manuscrit ; son auteur, Armand Gustave Houbigant, était un riche héritier de l’Oise qui vint en cure aux Eaux-Bonnes en 1841 et 1842. Ni Taine ni Houbigant ne font la moindre allusion, dans leur description de la fête, à une distribution d’edelweiss. On ne voit jamais, non plus, de fleur de cette sorte représentée dans la multitude de lithographies réalisées à la même époque et représentant les danses ossaloises. Force est d’en conclure que l’introduction de l’imortèla dans les fêtes de la vallée d’Ossau est sans doute postérieure à sa « promotion » touristique et en est un effet. Il reste que l’edelweiss n’est pas, ou plus, une « fleur-pour-touriste », les Ossalois se l’étant appropriée de multiples manières. L’imortèla et l’identité pastorale S’il est bien possible, comme l’avance Jean Séguy, que l’identification de Leontopodium alpinum et la création d’une désignation vernaculaire aient été consécutives au développement du tourisme dans les Pyrénées, il convient de souligner que le fait de lui donner un nom 99 Sur la place du thermalisme dans la découverte des Pyrénées, voir Chadefaud 1987 et Briffaud 1994. gascon ou béarnais, quelle que soit l’ancienneté de cet acte de nomination, est une façon de s’approprier la plante. Ce processus d’appropriation passe aussi par l’insistance, dans le discours local 100, sur le savoir que l’on a des lieux où elle pousse en abondance – chacun dit ainsi avoir « ses coins » - et de la manière dont il convient de la cueillir : « Il faut couper la queue au-dessus de la racine, à la main. Ça se fait avec les ongles. Mais il faut pas les saccager, arracher les racines. Il faut les choisir un par un, bien ouverts mais pas trop, sinon, ils se fanent ». Cueillis avec précaution (à la différence, disent les autochtones, de la façon dont procèdent les visiteurs venus des villes), les edelweiss peuvent même être traités comme des plantes cultivées : « Quand je tombe sur des touffes, j'essaie de tout couper parce que j'ai toujours entendu dire que les tiges mortes, ça pompe de l'énergie, ça ne sert à rien. (…) Chaque année, je vais couper les fleurs mortes, enlever ce qui gêne ». On ne s’étonnera pas que cet interlocuteur, un des « baladins » de Laruns, déclare dans le même entretien : « Nous [les jeunes de Laruns], on a ce coin là, qui s’appelle le jardin des baladins. C’est notre petit coin secret ». Si l’on sait où pousse la plante et comment il faut la soigner, c’est bien, dit-on, parce qu’elle connue de longue date. Est également avancé, pour abonder en ce sens, le fait qu’elle est évoquée dans les chants de la région et plus précisément, comme le suggère cette déclaration du Président de « Aüssaü Tostem », dans les chants de bergers : « L’immortelle, elle est bien ancrée dans le langage typique ossalois, montagnard, des bergers parce que justement on trouve dans pas mal de chansons le mot immortelle ». Or, les bergers, pour notre interlocuteur, ce sont : « nos ancêtres, nos parents, nos grands-parents qui étaient tous bergers, issus d’un monde pastoral (…) nous sommes les héritiers d’une civilisation pastorale ». La tradition de la danse et du chant est née dans cette « civilisation »101 et s’est perpétuée avec elle: « Les chants de la Les citations que j’en donne ci-dessous proviennent des entretiens effectués par Marion Tarery dans le cadre de sa recherche de master (2005). Je la remercie de m’avoir permis de les utiliser. 101 C’est ce lien au pastoralisme que met en avant le nom, « Cuyala d’Aussau », que s’est donné le groupe de danseurs qui anime la fête de Bielle, autre village de la vallée : cuyala est le nom donné en Béarn à l’enclos où les bergers regroupent leurs bêtes. 100 vallée d’Ossau, c’est unique finalement, c’est unique. Ça s’est conservé ici, pourquoi ? Parce que le pastoralisme y a toujours été très très fort ». «L’immortelle » est également liée à cet univers, à la fois parce qu’elle vit sur les terres parcourues par les bergers et qu’elle leur ressemble : « Elle est majestueuse, son aspect laineux, c’est quelque chose, il rappelle d’ailleurs le gilet et la salière du costume masculin ossalois, (…) on dirait de la flanelle finalement ». La place qui lui est accordée dans la culture locale s’éclaire alors : « Elle incarne bien l’esprit de la vie rude et téméraire et belle en même temps du montagnard, que nous sommes tous descendants de montagnards, ici, tous ». Au terme de son intégration à la culture pyrénéenne, l’edelweiss a donc conservé la valeur qui lui avait été conférée, à la fin du XIXe siècle, lorsqu’il est devenu un souvenir vendu aux touristes : être un symbole de la haute montagne. L’imaginaire qui entourait l’espèce – l’idée qu’elle croît dans des endroits éminemment dangereux, notamment – est du reste toujours présent dans les propos des personnes interrogées. Il me semble important de souligner, cependant, que la montagne à laquelle on associe l’edelweiss n’est pas exactement la même lorsqu’elle est une « fleur-pourtouriste » et lorsqu’il est question, à Laruns, de sa place dans la fête. Dans le premier cas, il s’agit de la montagne des alpinistes, celle que recherchent, à partir de la fin du XIXe siècle, des citadins amateurs d’épreuves physiques extrêmes et d’émotions fortes. A Laruns, on pense plutôt, comme en témoignent les propos cités, à la montagne des bergers dont on entend perpétuer la culture en dansant le « branle » le jour du 15 août et en allant cueillir les « immortelles ». L’attachement des locaux à ces cueillettes rituelles tient ainsi à ce qu’elles manifestent leur fidélité à la « civilisation pastorale » dont ils se disent issus. Sans doute celle-ci appartient-elle, dans cette vallée bien plus qu’ailleurs, à un passé révolu : si le pastoralisme tient une place non négligeable dans l’économie d’autres zones des Pyrénées, c’est bien moins le cas dans la vallée d’Ossau, qui vit avant tout du tourisme. Et c’est, pour une part, l’importance du tourisme qui conduit à mettre en avant l’identité pastorale de la vallée, les visiteurs venus des zones urbaines étant, comme on le sait, en quête de produits « traditionnels » de traditions « authentiques ». Cela inclut les « produits de terroir » et il n’est guère étonnant, de ce point de vue, qu’une des manifestations annuelles organisées à Laruns soit une « foire au fromage », qui se tient en septembre. Destinée à mettre en valeur les fromages de brebis du crû, elle est ainsi décrite dans la brochure éditée en 2007 par le Syndicat de développement touristique de la vallée : « Marché à l’ancienne, vieux métiers et exposition artisanale, village paillé et piétonnier, costumes ossalois traditionnels (…). Poule au pot servie dans tous les restaurants du village et vente de fromage au détail. (…) Foire au fromage et concours du meilleur fromage fermier de la vallée d’Ossau ». Il serait cependant erroné, à mon sens, de réduire la valorisation de l’identité pastorale de la vallée et les usages rituels de « l’immortelle », qui en sont une expression, à la nécessité de présenter une image de marque « vendable » aux gens de l’extérieur. Car cette image a également un sens pour la communauté locale. Précisément parce que ses membres ont rompu, de fait, avec leur passé pastoral (une partie d’entre eux ne vit même plus dans la vallée mais dans les villes de la région), ils éprouvent certainement d’autant plus vivement le besoin d’affirmer qu’ils lui restent fidèles. Bibliographie Albert-Llorca Marlène et Tarery Marion 2008. « Une fleur "pour la tradition". L’edelweiss dans la vallée d’Ossau », Terrain, n° 51, pp. 148159. Briffaud Serge 1994. Naissance d'un paysage. La montagne pyrénéenne à la croisée des regards, XVIe-XIXe siècle. Tarbes, Association Guillaume Mauran-Toulouse CIMA-CNRS. Brüschweiler Sabine 1999. Plantes et savoirs des Alpes. L'exemple du val d'Anniviers. Sierre, Eds Monographic. Chabert Alfred 1897. De l’emploi populaire des plantes sauvages en Savoie, Chambéry, Imprimerie Nouvelle. Chadefaud Michel 1987. Aux origines du tourisme dans les pays de l’Adour. Du mythe à l’espace : un essai de géographie historique. Université de Pau et des pays de l’Adour. Gasté Eugène 1991 (1ère éd. 1901). Edelweiss de Gèdre et œillets d'Hendaye. Nîmes, C. Lacour Editeur. Guichonnet Paul 1980. "L'homme devant les Alpes" in Paul Guichonnet (sous la dir. de) : Histoire et civilisations des Alpes. II Destin humain. Toulouse, Privat / Lausanne, Payot. Hoffman-Krayer E. u. Bächtold-Stäubli H., 1927-1942. Handwörterbuch des deutschen Aberglaubens, 10 vol. Berlin – Leipzig. Houbigant Armand Gustave, 1841-1855. Journal d’un voyage de Paris aux Eaux-Bonnes (Basses-Pyrénées) en passant par Orléans, Tours, Poitiers, Bordeaux et Pau ; revenant par Pau, Tarbes, Périgueux, Limoges et Châteauroux, fait en 1841 par M. et Mme Houbigant et mademoiselle Louise Leullier, 2 vol., Pau, Bibliothèque Municipale de Pau, ms 124. Niederer Arnold 1980. "Economie et formes de vie traditionnelles dans les Alpes" in Paul Guichonnet (sous la dir. de) : Histoire et civilisations des Alpes. II Destin humain. Toulouse, Privat / Lausanne, Payot. Palay Simin 1932. Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes. Pau, Marrimpouey. Séguy, Jean 1953. Les noms populaires des plantes dans les Pyrénées centrales. Barcelona, C.S.I.C. Instituto de estudios Pirenaicos. Taine, Hyppolite 1855. Voyage aux eaux des Pyrénées. Paris, Hachette et Cie. Walter, François 2004. Les figures paysagères de la nation. Territoire et paysage en Europe (16°-20° siècle). Paris, Eds de l’EHESS. Sur les pas du Sabot de Vénus Raphaëlle Garreta, chargée de mission à l'ethnologie au Conservatoire botanique national de Midi-Pyrénées, membre associée au LISST – Centre d'Anthropologie Sociale. Le Sabot de Vénus (Cypripedium calceolus L.) est une orchidée présentedans tout l’hémisphère nord. En France, où elle est plutôt rare, elle est en limite occidentale de son aire de répartition européenne. On la trouve entre 300 et 2100 m d’altitude, avec une prédilection pour l’étage montagnard. Elle pousse dans les Alpes, le Jura, les Grands Causses (où l’abbé Coste lui a consacré une page devenue célèbre dans le monde botanique), mais aussi en plaine en Bourgogne, en Champagne et en Lorraine. Espèce à statut102 elle est protégée au niveau national et considérée comme fortement menacée dans la plus grande partie de l’Europe. La Société d’Orchidophilie de France en a fait son emblème. Illustration 1, carte de répartition de la SFO Le Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées enregistre tous les ans une dizaine d’appels téléphoniques concernant cette fleur. Immanquablement, il s’agit de savoir où elle pousse dans les Pyrénées françaises et à quelle époque elle fleurit. Le tout étant d’aller la VOIR. Le personnel du Conservatoire est bien en peine pour répondre à ces demandes qui prennent, la plupart du temps, un caractère passionné, émouvant et parfois, obstiné. En effet, rare et facétieux, le Sabot de Vénus est, dans les Pyrénées, un champion du jeu de cache-cache. Depuis le XVIIIe siècle, il apparaît au fil des publications botaniques puis s’évanouit en de grands silences qui nient jusqu’à son existence dans les Pyrénées. Qui veut suivre sa trace doit alors se frayer un chemin entre 102 Directive « Habitats-Faune-Flore » : annexe II et IV. Convention de Berne : annexe I. Convention de Washington : annexe II. Liste des espèces végétales protégées au niveau national en France : annexe I. réalité de terrain et rumeurs. Et le Sabot en fait courir plus d’un ! Objet de convoitise, il attise la curiosité des botanistes confirmés et nourrit l’imaginaire des amateurs éclairés. Orchidée sauvage, le Sabot de Vénus passe pour une fleur mythique et merveilleuse qu’il « faut avoir vue avant de mourir ». Puisqu’il en est ainsi, partons, nous aussi, à sa recherche. UN TERRAIN ALÉATOIRE « Depuis les années 1950, explique un botaniste du Conservatoire, personne n’a vu le Sabot sur le versant nord de la chaîne, hormis dans les Pyrénées orientales, mais ce n’est pas notre territoire d’action. Pour commencer nos recherches on a ciblé sur des zones où il y avait potentiellement ou historiquement des données de Sabot de Vénus. (…) C’est là qu’intervient le mic-mac entre les gens qui ont vu le Sabot de Vénus, les gens qui ont vu la personne qui a vu le Sabot de Vénus etc. Donc à deux reprises on a organisé des prospections collectives sur le Pibeste103 où, soit disant, un photographe amateur de Lourdes l’aurait vu, photographié, et aurait exposé sa photo dans une pharmacie de Lourdes. On n’a quand même exploré que la partie nord du massif qui nous semblait écologiquement plus propice à la présence du Sabot.» Précisons que le « on » en question regroupe une dizaine de personnes : des conservateurs, des stagiaires et des botanistes du Conservatoire, mais aussi des Gardes du Parc national des Pyrénées. Le Conservatoire botanique et le Parc national étant deux structures particulièrement intéressées et motivées pour trouver cette plante rare, protégée et presque « historique ». « En fait, c’était un énorme malentendu et on n’a jamais trouvé le Sabot de Vénus. Et puis, un jour, au pied du Pibeste, j’ai rencontré un gars qui faisait des photos d’orchidées et je suis allé discuté avec lui. On en est venu à parler du Sabot et j’apprends que c’est lui qui a fait la photo du Sabot de Vénus ! Mais en fait, il n’a JAMAIS vu le Sabot dans le Pibeste. Simplement, il a fait comme tout le monde, il est allé le photographier ailleurs, et en discutant avec un Garde moniteur il a dit qu’il pensait qu’il pourrait y en avoir sur le Pibeste. L’histoire est devenue : il a vu le Sabot de Vénus sur le Pibeste. Ce qui était totalement faux ! » La liste des anecdotes similaires est longue et amène le chercheur à se perdre dans un foisonnement de données invérifiables ou invérifiées. UN SABOT QUI LAISSE DES TRACES… DANS LES LIVRES Pour tenter d’y voir plus clair, reprenons donc les données à la source. Car si le Sabot de Vénus semble être le « grand absent » sur le terrain, les Flores, articles scientifiques et autres documents botaniques traquent pourtant sa trace depuis longtemps. 103 Pic et massif des Hautes-Pyrénées En 1783, Pierre André Pourret le mentionne dans son Chloris Narbonensis, à Venteillole du Laurenti (Ariège). En 1789, Saint-Amans en cite une station à la Piquette « d’Endretlis »104 (Hautes-Pyrénées) dans Le bouquet des Pyrénées ou catalogue des plantes observées dans ces montagnes pendant le mois de juillet et d’août 1788. Puis, en 1792 c’est Ramond de Carbonnières qui, sur les indications sus-citées le cherche sans le trouver 105 . A sa suite, Lapeyrouse106 cite Pourret et Saint-Amans en 1813. Grenier et Godron107, Dulac108, Corbin109 etc. leur emboîtent le pas et reproduisent tous dans leurs œuvres ces mentions que personne ne parvient à vérifier. En 1879, pratiquement cent ans après la première mention du Sabot de Vénus dans les Pyrénées, Jeanbernat et Timbal-Lagrave 110 inversent complètement la vapeur. Non seulement ils mettent fin à une longue série de recopiage des données, mais vont jusqu’à classer Cypripedium calceolus dans « les espèces exclues des Pyrénées ». Après un siècle d’existence bibliographique, le Sabot de Vénus va alors connaître un siècle de remise en question. EN 1901, BUBANI111 MET EN DOUTE QUE CE SOIT UNE PLANTE INDIGÈNE. EN 1919, L’ABBÉ COSTE 112 REVIENT SUR LES DONNÉES ANCIENNES ET ATTESTE QU’IL N’A JAMAIS RENCONTRÉ LE SABOT DANS LES PYRÉNÉES. EN 1931, DURAFOUR ÉTUDIE LA RÉPARTITION DES CYPRIPEDIUM DANS LES RÉGIONS MONTAGNEUSES FRANÇAISES ET ÉCRIT QUE LE SABOT DE VÉNUS « NE SEMBLE PAS EXISTER DANS LES PYRÉNÉES » 113. C’EST DONC CETTE NOUVELLE TENDANCE QUI S’IMPOSE DANS LES PUBLICATIONS (DILLEMAN, GAUSSEN, GUINOCHET ET VILMORIN, LES FRÈRES LARAILLET, MOORE, JACQUET). EN ESPAGNE, SUR LE VERSANT SUD DE LA CHAÎNE PYRÉNÉENNE, L’HISTOIRE EST TOUT À FAIT SIMILAIRE. SURVIENT ALORS, UN NOUVEAU REBONDISSEMENT ! 104 105 106 107 108 109 110 111 112 113 En fait Piquette d’Ereslits (actuellement Soum de la Piquette) Ramond de Carbonnières : Carnets pyrénéens (1792-1795). Lac d’Escoubous. p.5. Picot de Lapeyrouse : Histoire abrégée des plantes des Pyrénées et Itinéraire des botanistes dans ces montagnes.(1813-1818) p. 554. Grenier et Godron : Flore de France (1856) Tome III, p. 267. Dulac : Flore du département des Hautes-Pyrénées : plantes vasculaires spontanées (1867).p. 128 En 1840, Corbin, botaniste tarbais, inscrit en note manuscrite sur le catalogue de son herbier : « Le Cypripedium calceolus n’a pas été trouvé dans le département [Hautes-Pyrénées]. Monsieur de Saint-Amans ne le cite dans son Bouquet des Pyrénées que sur la foi de Monsieur Pagès. » Voilà donc que même une des mentions premières est le fruit d’un on-dit. Cette remarque, exprimée dans un document de diffusion locale et réduite, n’a pas freiner la reprise ultérieure des données de Saint-Amans . Jeanbernat et Timbal-Lagrave : Le massif du Laurenti (1789).p. 361. Bubani : Flora pyreneæ (1901), Tome IV. En 1906, dans sa Flore illustrée de la France, l’abbé Coste cite Pourret et Saint-Amans. En 1919, dans un article du Bulletin de la Société Botanique de France, il écrit : « Dans notre Flore illustrée de la France, nous avons cru devoir, à la suite de Grenier et Godron, citer les Pyrénées. Mais nous croyons aujourd’hui que c’est à tort […]. Le Cypripedium n’a été retrouvé par personne dans ces localités, et nous ne l’avons observé nulle part dans nos innombrables excursions dans la chaîne pyrénéenne. » Durafour : Bulletin de la Société des naturalistes de l’Ain, (1931) n° 45, p. 150. En 1983, deux cents ans exactement après les écrits de Pourret, messieurs Lazare, Miralles et Villar mentionnent la découverte de deux nouvelles stations : l’une en Catalogne et l’autre en Aragon 114. Le Sabot serait-il de retour ? Côté français, le 24 juin 1990, une photo de l’énigmatique fleur paraît dans le journal L’indépendant (Languedoc-Roussillon) à l’occasion des journées de l’Environnement. Aussitôt, grâce à ce cliché, une équipe de botanistes115 remonte la filière. Ils trouvent deux populations dans la haute vallée du Tech et recueillent des témoignages qui en signalent une troisième dans le secteur sans pouvoir la retrouver. Il n’en reste pas moins que la plus grosse orchidée de notre flore existe bel et bien dans les Pyrénées ! Les données actuelles ont relancé les recherches, et chacun aimerait trouver le Sabot de Vénus sur son territoire. Acharnement scientifique ? Gloire botanique ? Goût pour ce qui est rare ? Fascination particulière pour les orchidées et pour celle-ci en particulier ? Sentiment identitaire ? Il doit y avoir un savant mélange de tous ces ingrédients dans ce qui pousse botanistes professionnels et amateurs dans cette quête du Sabot de Vénus. Lui, va et vient au gré des pages et au fil des siècles et sa réputation reste intacte. La fascination qu’il exerce semble même gagner du terrain. Et, puisque nous savons maintenant où le trouver… allons à sa rencontre. REGARDS CROISÉS ET EFFETS SECONDAIRES Des quelques stations pyrénéennes, c’est celle de Sallent de Gallego, en Aragon, qui est sans doute la plus remarquable. Par son étendue et le nombre de pieds représentés, par l’originalité des méthodes de conservation qui y sont mises en œuvre, par le nombre de visiteurs qu’elle accueille tous les ans, par tous les enjeux qu’elle cristallise. L’engouement pour le Sabot de Vénus y a, en effet, largement dépassé le cadre du monde de l’orchidophilie, de la botanique et de la conservation d’espèces rares et menacées. Le Sabot est manifestement devenu le relais de nombreux intérêts, qu’ils soient personnels ou collectifs. C’EST DONC SUR LE VERSANT SUD DE LA CHAÎNE QUE NOUS NOUS RENDONS. Une fleur sous bonne garde « Vous passez la frontière et vous descendez tout droit. Entre Sallent et Formigal, dans un virage. Vous ne pouvez pas le louper. C’est sur le bord de la route, il y a des voitures en stationnement et des gens qui gardent la fleur. » Et en effet, au lieu dit quelques voitures sont garées sur un parking improvisé le long de la départementale. Là, un ou une « garde » (vigilante) vient à votre rencontre. Implicitement, de part et 114 115 Lazare, Miralles et Villar : « Cypripedium calceolus L (Orchidaceae) en el Pireneo. » (1987) in Anales del Jardin Botanico de Madrid 43 (2) : pp 375-382. Juanchich, Lewin et Cauwet-Marc : « Cypripedium calceolus L. (Orchidaceae) dans la partie orientale des Pyrénées françaises » (1991) in Le monde des plantes n°442, pp. 19-20. d’autre, nous savons que nous sommes là pour LA fleur. Celui ou celle qui vous accueille est l’un des membres du Colectivo Forarata. C’est cette entreprise d’éducation à l’environnement qui a été missionnée par le Gouvernement d’Aragon pour assurer la surveillance du site, le recensement des pieds et l’information au public. Pendant toute la période de floraison, le Sabot est en effet sous la protection d’un garde qui veille au bon déroulement de ce que l’on est désormais tenté d’appeler des visites. Loin d’être des policiers de la flore, les gardiens-éducateurs passent la majeure partie de leur temps à informer les visiteurs sur l’écologie en général et sur les menaces en tous genres qui guettent le Sabot en particulier : transformation de son habitat, arrachage intempestif, piétinement excessif, etc. Ils consignent toutes leurs observations dans un rapport remis au Service Environnement du Gouvernement d’Aragon. Parallèlement, des études scientifiques sont menées par différents institutions ou laboratoires, visant à mieux connaître le Sabot de Vénus sous tous ses aspects. Connaissance, information et sensibilisation sont les maîtres mots du système de conservation mis en place. Les données secrètes ou confidentielles ont laissé la place à la diffusion. Par mesure de précaution, seuls les pieds du bord de route et de la lisière du bois sont accessibles au grand public. Le reste de la station, dans la hêtraie, est soumis à autorisation spéciale. Ici, on garde l’or et le pourpre du Sabot de Vénus comme un trésor. En 2008, 1500 personnes sont venues l’admirer ! illustration 2 : badge du garde. L’émotion CE QUI FRAPPE EN PREMIER LIEU LORSQUE L’ON SE JOINT À UN GROUPE DE VISITEURS, C’EST L’ÉMOTION. LES SUPERLATIFS NE MANQUENT PAS. LES CRIS NON PLUS. CERTAINS TOMBENT LITTÉRALEMENT À GENOUX DEVANT LA FLEUR, D’AUTRES SE RECUEILLENT, D’AUTRES ENCORE N’EN FINISSENT PAS DE S’ÉBAHIR. DES LARMES COULENT AUSSI PARFOIS. « C’EST MA PREMIÈRE FOIS ! C’EST MA-GNI-FI-QUE ! INCROYABLE ! JE SUIS TELLEMENT ÉMUE ! » IL FAUT DIRE QUE POUR NOMBRE DE PERSONNES, LA RENCONTRE AVEC LE SABOT DE VÉNUS EST VÉCU COMME L’ABOUTISSEMENT D’UNE QUÊTE, UN FACE À FACE AVEC « LE MYTHE ». DE LEUR CÔTÉ, LES GARDES DU ZAPATITO DE LA DAMA (EN ESPAGNOL !) SONT À MÊME DE RACONTER DE UN FLORILÈGE D’ANECDOTES TOUTES PLUS DRÔLES, TOUCHANTES OU SAISISSANTES LES UNES QUE LES AUTRES. ON ME RELATE L’HISTOIRE DE CE MAÇON AUX MAINS CALLEUSES FONDANT DE TENDRESSE DEVANT L’ORCHIDÉE, DE CETTE JEUNE FILLE QUI, EN GUISE DE CADEAU D’ANNIVERSAIRE VOULAIT GARDER LE CYPRIPEDIUM ET A FINI PAR DEVENIR UNE ASSOCIÉE À PART ENTIÈRE DU COLECTIVO FORATATA, DE CE MÉDECIN ALTERNATIF VENU « ÉNERGÉTISER » DE L’EAU, « UNE BOUTEILLE D’EAU, POSÉE À CÔTÉ DE LA FLEUR ET QU’IL A LAISSÉ LÀ TOUTE LA NUIT. IL DISAIT QUE L’EAU SERAIT CHARGÉE D’ÉNERGIE ET IL L’A EMPORTÉ POUR SOIGNER. » BIEN SÛR, IL EN EST QUI RESTENT INDIFFÉRENTS OU AFFICHENT UNE CERTAINE DÉCEPTION DEVANT CES PIEDS FLEURIS JUSTE SUR LE BORD DE LA ROUTE, MAIS ILS SONT TRÈS MINORITAIRES. Le pèlerinage Depuis 2001, le nombre de visiteurs n’a cessé d’augmenter. Dans les premiers temps de la mise en place de ce système de surveillance et d’information, les Français constituaient plus de la moitié des visiteurs. Représentant un public averti, inscrit dans des associations botaniques, orchidophiles ou naturalistes, ils sont nombreux à refaire, tous les ans, le voyage jusqu’au Sabot. « Cela fait vingt ans que je viens ici voir le Sabot de Vénus, raconte un visiteur. Je connais parfaitement toute la station. Je venais bien avant qu’il y ait les gardes ! C’est un ami naturaliste qui m’en a parlé au tout début. Nous pouvions aller partout et, plus haut, dans la forêt qui est maintenant interdite, les pieds sont plus beaux ! Pour moi c’est rituel. C’est aussi un plaisir, c’est vraiment un plaisir de la revoir tous les ans. Ça me rassure des les voir. C’est tout simplement que je n’ai pas envie que ça disparaisse. C’est une espèce de conservatisme. Et c’est pour ça que cette année je viens avec mes petits enfants, parce que j’aimerais que ça se poursuive. C’est vrai, c’est initiatique. C’est même plus qu’initiatique, c’est répétitif. » « Transmission », « tradition » sont des mots récurrents dans le discours des visiteurs. La visite au Sabot devient un parcours obligé et un repère dans le temps. Chaque année, les « aficionados » reviennent à la station, qui avec ses enfants, qui avec un couple d’amis particulièrement chers… autant de personnes choisies à introduire dans le petit cercle des amateurs du Sabot de Vénus. Le bouche à oreille fonctionne à merveille, grossissant toujours plus le flots des visiteurs. Pour ces inconditionnels, au moins, tout se joue comme s’il fallait s’assurer soi-même de la permanence de la population et comme si cette permanence n’existait pas en elle-même, mais dans le regard que l’on porte à la fleur. Le Sabot prend alors véritablement l’allure d’une apparition que seule l’expérience personnelle peut attester. Parmi ce public particulièrement sensible au Sabot de Vénus, les orchidophiles occupent une place particulière. Volontiers collectionneurs, atteints d’un « virus incurable » comme ils se plaisent à le dire, ils peuvent ici contempler « la plus grosse et la plus belle de toutes nos orchidées ». A titre personnel ou en groupes associatifs, ils semblent collectionner les séjours à Sallent de Gallego à défaut de pouvoir collectionner le Sabot lui-même et le mettre en herbier. Prises de vue Le discours esthétique autour du Sabot est certes très présent mais, si le fait de voir la fleur, d’être un témoin privilégié de son existence, le photographier – le prendre en photo - semble ici revêtir des allures de nécessité. Dans de nombreux cas, on sait que la pratique photographique s’est substituée à la cueillette et constitue une nouvelle forme d’appropriation de la nature. Ici, il faut en plus saisir l’instant exceptionnel de la floraison de la plante rare et pouvoir affirmer « j’y étais, j’en ai la preuve. » D’ailleurs, certains se font une joie de se faire photographier avec la fleur ; on fixe à la fois un moment hors du commun et une relation d’intimité. A cela s’ajoute, bien–sûr, la prolifération des moyens technologiques liés à la photographie. Appareils jetables, appareils numériques, téléphones portables, tous les moyens sont bons pour rapporter un, dix, quinze clichés du Sabot. Mais, aux dires des gardiens, ceux qui sont les plus étonnants sont les réels amateurs de photographie. Ils peuvent passer des heures devant une touffe de Sabot à attendre que la lumière soit idéale. Eux aussi reviennent d’année en année, rapportant leurs albums avec eux. C’est qu’une belle photo du Cypripedium relève du défi personnel : il faut savoir jouer avec les contrastes des couleurs de la fleurs, avec l’ombre et la lumière des milieux dans lesquels elle se plait… Le tout fera, peut-être, une photo primée à un concours. Nous sommes bien loin d’un quelconque souci écologique ou botanique. Bien loin aussi d’une prise en compte de la réalité : adhérant et alimentant le mythe d’une fleur sauvage et inaccessible, les photographes s’évertuent à chercher la prise de vue qui montrera le Sabot dans un cadre idyllique sur fond de pics enneigés. Dans cette saisie partielle du réel, on tourne résolument le dos à la route si proche, aux voitures qui y circulent et aux bâtiments de la station de ski de Formigal qui barrent l’horizon. Une fleur politiquement correcte qui attire les touristes ? La station de ski de Formigal est justement un des moteurs de l’économie locale. D’impressionnants aménagements ont été effectués pour l’édifier. Du point de vue des écologistes, ils ont aussi occasionné d’importants bouleversements sur les milieux naturels. D’une part on construit un complexe touristique, et de l’autre on élabore un plan de sauvegarde pour une plante menacée et l’on finance sa surveillance. Entre économie et souci de l’environnement, les écologistes militants restent dubitatifs. Cependant, pour la grande majorité des visiteurs, « le gouvernement d’Aragon, dans ce cas, peut s’attribuer une médaille » ; les mesures prises en faveur de la fleur sont citées comme exemplaires. Pour les propriétaires et les élus locaux, l’ambiance est plus frileuse : ils voient dans la vente de leurs terrains pour l’expansion de Formigal une manne financière que la présence d’une espèce protégée risque de perturber. Néanmoins, l’idée que le Sabot puisse se transformer en atout touristique se fait peu à peu jour. La perspective même d’établir un orchidarium en milieu naturel sur le territoire communal n’est plus complètement à exclure. A quelques kilomètres de là, les commerçants de la frontière proposent tous des cartes postales du Sabot à la vente. C’est qu’à sa mesure, le Sabot de Vénus attire une certaine clientèle. S’il n’ y a pas encore de « Cypripedium Tour », il y a en revanche « des groupes qui viennent randonner, des Français qui font de la randonnée et qui incluent dans leurs parcours un arrêt pour voir la fleur. » Des associations naturalistes organisent également des circuits dans lesquels le Cypripedium est le point fort de la sortie. Par ailleurs, le public s’est élargi : il devient européen et non plus seulement franco-espagnol et compte également, en plus des amateurs avertis, des familles en vacances, des gens de passage intrigués par les va-et-vient le long de la route, des personnes qui ont entendu parler de cette fleur spéciale et de ses gardiens via Internet, les journaux ou la télévision ... En effet, la portée médiatique du Sabot de Vénus se renouvelle tous les ans, et les équipes télé, les journalistes et autres reporters font du « Cypripedium calceolus, la orquidea reina entre la plantas de Sallent de Gallego 116 » un des marronniers de l’été aragonais. 116 Editorial de la revue la magia de viajar por Aragon, n° 36, juin 2008. Illustrations 6 et/ou 7 : journalistes et première page magazine LA fleur de Sallent Face à toutes ces mesures de protection, à la présence de gardes sur place, au déferlement de touristes, aux actions de sensibilisation et d’information menées dans les écoles de la vallée, aux articles et reportages parus dans les médias, les Aragonais et plus particulièrement les habitants de Sallent de Gallego commencent à s’intéresser à ce Sabot qui attire tant d’admirateurs. D’abord méfiants, puis curieux, ils s’approprient maintenant le Cypripedium jusqu’à en parler comme de leur fleur alors que personne au village ne la connaissait jusqu’alors. Les enfants demandent à leurs parents de les amener voir « la Cypri » dont les éducateurs en environnement ont parlé en cours. Le chauffeur de bus de la ligne locale arrête son véhicule, quitte à créer un embouteillage, et fait descendre les passagers pour leur faire un petit topo sur le Sabot et son écologie. A la nuit tombée, lorsque les gardes ont cessé leur vigilance, il y a toujours quelqu’un pour venir leur signaler si une voiture stationne près des pieds de Sabot. Peu à peu « la flor » prend place dans la vie villageoise. Il serait exagéré de la définir comme symbole identitaire de la Valle de Tena, mais au rythme où vont les choses… PERSPECTIVES Les habitants de Sallent ne craignent plus la belle orchidée aux allures exotiques qui fait la fascination de ces gens particuliers que sont, à leurs yeux, les botanistes et les naturalistes. Paysans et éleveurs des montagnes aragonaises, ils peuvent continuer, malgré sa présence bien gardée, à mener leurs bêtes sur les chemins de transhumance qu’ils ont toujours empruntés. Là où pousse le Sabot de Vénus, il ne leur ai pas même interdit d’aller aux champignons comme ils ont l’habitude de le faire. Qui plus est, ce Zapatito fait parler de leur village, de leurs terres, du patrimoine naturel qu’elles recèlent ; une richesse jusqu’ici inconnue. Un bien rare et précieux que la rumeur, un instant, a transformé en fleur unique au monde ! Ecologistes et naturalistes locaux rêvent d’un orchidarium en plein air et d’un office du tourisme de la nature où les visiteurs pourraient admirer le Sabot ainsi que toutes les autres orchidées sauvages qui poussent également dans ces prés de Sallent . Côté français, on est un peu en reste… Qu’à cela ne tienne, tous le disent : ils sont à Sallent chez eux ; cela fait maintenant un peu plus de vingt ans que botanistes professionnels et amateurs avertis connaissent cette exceptionnelle population de Cypripedium, qu’ils parcourent le secteur et reviennent tous les ans (parfois plusieurs fois pendant la floraison) pour « le plaisir de les revoir ». Ils venaient déjà bien avant que le Gouvernement d’Aragon ne se soucie de protéger la station ! Et puis, sur le versant nord de la chaîne, on continue à chercher cette captivante orchidée… Des mystères, une « apparition », une fleur, un garde, des admirateurs… un mythe moderne qui plonge ses racines peut-être plus loin qu’on ne l’aurait cru. « Figure-toi qu’avant j’étais médecin et que je travaillais à l’hôpital. Je voyais tous les jours des visages d’angoisse, de tristesse. Et maintenant, la plupart du temps, je vois des visages de satisfaction. C’est vraiment chouette qu’une fleur – une fleur, parce que ce n’est rien de plus ni rien de moins qu’une fleur – enchante les gens. Ça c’est vraiment beau, je trouve ça très bien. » Fernando, éducateur en environnement, garde du Cypripedium calceolus L. Illustration 8 : beau Sabot. Programme du septième séminaire d'ethnobotanique du domaine européen annuel du Musée de Salagon L'imaginaire contemporain du végétal Jeudi 9 et vendredi 10 octobre 2008 salle de l’Observatoire de Saint-Michel l’Observatoire Haute-Provence L'imaginaire contemporain du végétal Le séminaire de l'automne 2008 sera consacré à une réflexion sur les représentations et l'imaginaire contemporains du végétal, celui-ci étant considéré dans ses rapports à l'évolution présente des civilisations à dominante urbaine. Les changements socio-économiques (globalisation des échanges, migrations des hommes et des biens, etc.) et leur impact environnemental ont des conséquences de plus en plus manifestes sur l'espace de vie des hommes (extension de l'éventail des plantes d'ornement, nouvelles productions agricoles, boisements artificiels, etc.). Ces transformations suscitent de nouveaux modes de perception de la plante dans des ordres symboliques à ce jour peu étudiés. Les deux journées seront articulées autour de deux grands axes : • Les plantes “invasives” : Origines, modalités et territoires d'extension, usages éventuels, discours et imaginaire à propos de l'envahissement chez le « scientifique » comme chez le citoyen ordinaire. Les “plantes métèques”, dont parlait le botaniste et historien des plantes cultivées Cl.-Ch. Mathon, vont-elles polluer la nature nationale et faire l'objet de reconduite à la frontière ? • Les plantes dans la vie quotidienne au XXIe siècle. Le séminaire est organisé en partenariat avec le CRIA : Centro en Rede de Investigação em Antropologia (Centre en Réseau de Recherche en Anthropologie), Portugal. Première journée : jeudi 9 octobre 2008 Les plantes invasives 08:30 – Accueil. 09:00 – Présentation des journées par Danielle Musset, Directrice du Musée de Salagon. 09:15 – Les sciences humaines face aux invasions biologiques. Prolifération des espèces, foisonnement des regards. Sergio Dalla Bernardina, professeur d'ethnologie à l'Université de Bretagne Occidentale (Brest). 10:00 – Néophytes ou fléaux verts : « invasion » et « diffusion » dans les perceptions de l’expansion spatiale d’espèces végétales. Jean-Yves Durand, maître de conférences, Institut de Sciences Sociales de l’Université du Minho, Braga, Portugal, IDEMEC, Aix-en-Provence. 10:45 – Pause 11:00 – La Jussie. Une espèce envahissante, des paysages, des modalités de catégorisation. Marie-Josée Menozzi, ethnologue. 11:45 – Discussion. 12:00 – Repas. 14:00 – Les nouveaux référentiels du "bien-voir" notre environnement : exemple de Prunus serotina en forêt domaniale de Compiègne. Aurélie Javelle, ATER anthropologie de l'environnement. 14:45 – Nature et langage dans le cadre des invasions biologiques : la couverture médiatique du développement de l'algue Caulerpa taxifolia. Sylvie Friedman, doctorante en ethnologie à l'université de Brest. 15:30 – Pause. 15:45 – Quand le spectre des proliférations végétales plane sur le Delta du Rhône. Cécilia Claeys-Mekdade, maître de conférence en sociologie, Université de la Méditerranée, UMR Espace 6012 / Equipes DESMID, Faculté des sciences sociales de Luminy, département des sciences humaines. 16:30 – Discussion. 16:00 – Pause. 17:30 – Conférence de Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste, relations flore/sociétés au début du XXIe siècle. sur Les 19:00 – Fin de la conférence. Deuxième journée : vendredi 10 octobre 2008 Les plantes dans la vie quotidienne au XXIe siècle 08:00 – Accueil. 08:30 – La grande aventure des plantes d'intérieur, histoire et symbolisme d'une relation particulière au végétal. Laurent Domec, sociologue, chercheur à l'institut de recherche sociologiques et anthropologiques, Centre de recherche sur l'imaginaire, Université de Montpellier III. 09:15 – Tailledoux et tailledur sont dans le même bateau (Topiarius au pays des Mauviettes). Marc Rumelart, ingénieur horticole, écologue, professeur titulaire de l'enseignement supérieur agronomique, responsable du département d'écologie de l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. 10:00 – Pause. 10:15 – Le « retour » du motif végétal dans la publicité, le design et le design urbain comme signe supposé de progrès . Charles Ronzani, paysagiste et doctorant à l'Ecole Nationale Supérieure du Paysage de Versailles. 11:00 – Les bouquets funéraires des bords de route ou l'émergence d'une autre culture des défunts. Laetitia Nicolas, chercheuse indépendante en anthropologie. 11:45 – Discussion. 12:00 – Repas 14:00 – Du savoir-faire à la connaissance des plantes : pratiques ancestrales et savoirs modernes au sein du monde rural portugais. Amélia Frazao-Moreira, Faculté de Sciences Sociales et Humaines de la Nouvelle Université de Lisbone, Centre d'étude en anthropologie sociale, Centre en Réseau de Recherche en Anthropologie (CRIA). 14:45 – Les plantes dans l'imaginaire et les pratiques d'un réseau de personnes végétariennes. Laurence Ossipow, ethnologue, professeur à la Haute Ecole de Travail Social à Genève et présidente de la société suisse d'ethnologie 2008-2011. 15:30 – Pause. 16:00 – Les représentations de l'edelweiss. Marlène Albert-Llorca, professeur d'anthropologie à l'Université de Toulouse – Le Mirail, chercheur au Centre d'Anthropologie Sociale. 16:45 – Sur les pas du sabot de Vénus. Raphaële Garreta, chargée de mission à l'ethnologie au Conservatoire botanique national de MidiPyrénées, membre associée au LISST – Centre d'Anthropologie Sociale. 17:30 – Discussion générale. 18:00 – Fin du séminaire.