Il ne faut pas chercher de logiques nationales
dans les agissements d’une organisation politique
et idéologiquequi ades méthodes et des formes
d’action très spécifiques.
Vous semblez minimiser la dimension religieuse
d’ungroupe clairement messianique et apoca-
lyptique…
Bien sûr, le recours au religieux estomnipré-
sent dans le discours et les pratiques de Daesh,
mais sesprincipales considérations sont plutôt
géopolitiques,avec des actions combattantes bien
calculées pour déstabiliser l’Europe.Sonfonction-
nementen vasescommunicants le montrebien:
quand l’étau se resserre en Syrie, ils basculent en
Libye, quand il se resserre en Libye, ils basculent
en Tunisie et quand ilssont sous pression àParis,
ils ressurgissent à Bruxelles.L’angle sous lequel
tout cela est abordé ces jours-ci dans les médias
et qui met en causele modèle d’intégration de
la Belgique ou une décomposition de la société
belgen’estpas pertinent. La Libyeet la Tunisie
sont aussides pays décomposés, et dansune
bien plus large mesure… Le renvoi auxvariables
migratoires, à celles de l’intégration et de la
politique publique des pays européens n’estpas
la bonne façon de poserla question.
La Belgiquen’était doncpas ce terrain où une
tolérance laxisteafavorisé le communautarisme
et la prédicationradicale ?
La Belgique n’est pas plus faible que la France,
qui aaussiété attaquée ! Il y a une mauvaise
tendance àfairede la Belgique le Petit Poucet
européen, mais non, ce pays n’est pas plus fra-
gile que la France.Ce qui aeu lieu le 22 mars à
Bruxelles peut arriverdemain en Allemagne,
comme c’estarrivé en janvier en Indonésie.Le
champde bataille de Daesh est le mondeentier.
On semble ne s’intéresserqu’auxindividus qui
agissent surle terrain, mais ils ne sont que des
outils auxmains de stratègesqui, àRaqqaou à
Syrte, pensent global et politique.
Ce qui expliqueraitpourquoi ces jeunes d’origine
marocaine ne cherchent pas àfrapper leur pays
d’origine…
Ce ne sont en effet paseux qui s’assignentleurs
cibles, ilsne fontqu’obéir auxresponsables de
l’organisation. Ceux-ci planifientleur tactique
en fonction des opportunités qui se présentent
et des possibilités d’utiliser au mieuxles outils
dont ils disposent. Les théoriciens de Daesh ont
pensé ce moment de terreur. Dans leur vision de
l’Histoire, le temps se divise en trois séquences.
C’est d’abordl’èredes tyrannies impies: cellesde
Saddam Hussein, de Kadhafi, des Assad, de ces
dictateurs qui ont été déstabilisés par l’invasion
américaine de l’Irak et les Printemps arabes. À la
fin vientl’avènementde l’État islamique idéal. Mais
entre les deux s’inscrit la phase qu’ils appellent
d’« ensauvagement », tawahush en arabe. C’est
le momentprésent, où il s’agit d’affronteret de
défairele jeu des puissances dans la région en
s’affranchissant de toutes règles et de tous prin-
cipes: c’est le règne exclusifde la terreur.
Pourquoi un tel discours d’« ensauvagement »
séduit-il les deuxièmeet troisième générations
d’Arabes d’Europe?
Ce n’est pas tant ces générations d’Europe qui
sont touchées que toute unejeunesseàune échelle
géographique vaste. Daesh séduit parce que ses
mises en scène sont des plus modernes et efficaces,
parce que ses modes de recrutement ne le sont
pasmoins,parce qu’il proposenon seulement
une idéologie mais aussi des gains matériels et
financiers, parce qu’il offre l’appâtdel’aventure
comme des perspectives de fraternité, de socia-
bilité, d’une vie nouvelle y compris en famille. Et
bien sûril promet,notamment à ces jeunes en
bas de l’échelle sociale, à Bruxelles, à Tunis ou à
Islamabad, la restauration de leur dignitéd’indi-
vidu,la construction d’une personnalité,voire la
rédemption d’un passédélinquant : celaapparaît
clairement dans le parcours des «daeshiens ».
Mais il ne faut pas non plus se focaliser sur ces
marginaux, carDaesh démarche et recrute aussi
des ingénieurs,des informaticiens,des médecins,
des artificiers, aux compétences indispensables.
Bien sûr, dans cet organigramme,les hommes
de troupe qui fournissent la chair àcanon et les
kamikazes sont des desperados issusdes bas-
fonds des sociétés.
On parledes failles des services belges ou fran-
çais, quandvotre pays,le Maroc, dont beaucoup
de ressortissants sont allés faire ce jihad, est
parvenu à se préserver de telles attaques… La
police y est-elle plus efficace?
Elle est efficace, certes. Mais aucun service de
sécurité,aucunsystème de surveillance aussi
performant soit-il ne peut êtreefficace à100 %. Le
succès de la prévention, au Maroccomme ailleurs
En novembre 2014, le Centre de prévention contre les dérives sectaires
liées à l’islam (CPDSI), en France, a publié un rapport fondé sur le profil
de 160 familles qui lui ont demandé conseil après la radicalisation de
leurs enfants. Cette étude montre par exemple que « le rapport à l’exil,
à l’immigration et au territoire n’apparaît plus comme un indicateur
déterminant » et que les conversions au radicalisme transcendent les
classes sociales.
Profil des individus étudiés par ce rapport
Radicalisation : un terreau inattendu
91 %
ont été
endoctrinés
via internet
67 %
sont issus
de la classe
moyenne
43 %
sont âgés
de 21 à
28 ans
90 %
ont des
grands-parents
français
80%
ont grandi
dans une
famille athée
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no2881 •du 27 mars au 2avril 2016 jeune afrique
La semaine de J.A. L’événement
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