personnes âgées paient à peu près partout le plus lourd
tribut aux canicules, le risque augmente parfois graduel-
lement avec l’âge (c’est le cas à Rome) ; mais il arrive aussi,
comme à Stockholm, que la tranche 50-74 ans soit aussi
touchée que les plus de 75 ans [31]. Quant aux jeunes
enfants, y compris en période périnatale, leur surmortalité
reste faible, sauf en cas de grande précarité sociale et dans
les villes du sud ou de l’est de la Méditerranée (Tunis, Tel
Aviv) [33] ; mais ils sont souvent victimes d’une surmorbi-
dité notable (problèmes rénaux, maladies respiratoires,
déséquilibres électrolytiques, fièvre, etc.) [32, 34].
Dem^
eme, la règle qui voulait qu’à âge égal le tribut payé
par les femmes surpasse de 15 à 20 % celui des hommes
doit ^
etre nuancée : si cela se vérifie en gros à Rome,
spécialement chez les diabétiques, l’excès de risque
concerne plutôt les hommes à Stockholm, surtout en
présence d’une broncho-pneumopathie obstructive [31].
Le rôle de l’origine ethnique, longtemps tenu pour
acquis, ne semble plus résister à l’analyse, aux États-Unis
comme en Australie, après ajustement sur les conditions
socio-économiques,surlasituationprofessionnelleet,plus
marginalement, sur la barrière de la langue qui emp^
eche
parfois de comprendre les mesures de prévention [35].
La responsabilité d’un trop faible radoucissement
nocturne est confirmée, les plus fortes surmortalités
coïncidant avec le 99
e
percentile de la température
minimale journalière [36].
L’excédent « immédiat » de décès n’est pas toujours
compensé par une sous-mortalité transitoire dans les
jours, les semaines ou les mois suivants. En France, un
effet moisson (harvesting effect) a bien été présent, sur les
vingt jours qui ont suivi la vague de chaleur, en 1976
(-696 décès) et en 1990 (-1 224 décès), mais pas en 2003
(+754 décès). Le plus souvent, les vagues de chaleur
modérées ne font que précipiter la fin de sujets très
fragiles, dont l’espérance de vie était limitée ; mais les
plus sévères emportent des individus qui, sans elles,
auraient pu survivre –parfois longtemps. C’est donc
seulement dans ce dernier cas qu’il est légitime de parler
de « vrais » décès en excès [37].
Enfin, l’effet des canicules est majoré dans les grandes
agglomérations et favorisé par le vieillissement de la
population –ce qui conduit dans certains cas à des
interprétations erronées : à Brisbane, le nombre annuel
de décès attribuable aux vagues de chaleur s’établit en
moyenne aujourd’hui à 134 ; au milieu du XXI
e
siècle, il
pourrait atteindre 933, mais l’effet du vieillissement serait
dans cette hausse 5,6 fois plus important que celui du
réchauffement [38]. Là encore, il reste difficile d’intégrer
dans les modèles les possibilités d’adaptation et de
résistance au stress thermique, susceptibles de ralentir
l’évolution, à défaut de la neutraliser. Or l’adaptation
existe : aux États-Unis, la surmortalité associée à la m^
eme
hausse thermique de 5,6 8C a été divisée par
2,7 entre 1987 et 2005, avec quelques nuances selon les
régions, mais sans relation significative avec l’équipement
en climatisation [39].
Sans la mise en place de mesures énergiques de
prévention, visant soit à réduire l’exposition aux canicu-
les, soit à en limiter les conséquences sanitaires, il faut
s’attendre à des bilans humains de plus en plus lourds.
Une méta-analyse s’est penchée sur une douzaine de
systèmes d’alerte et de plans nationaux canicule, à l’image
de celui qui a été mis en place en France en 2004 [40].Le
résultat est sans appel sur leur efficacité pour réduire la
mortalité, à un coût relativement modeste (210 000 US$
1
à
Philadelphie pour épargner 117 vies en trois ans), les
exemples les plus probants venant de France (4 400 décès
« toutes causes » évités en 2006) et de Hong-Kong
(1,23 décès/j par cardiopathie ischémique et 0,95 décès/j
par AVC évités chez les plus de 65 ans). L’impact sur la
morbidité a encore été trop peu étudié pour autoriser la
moindre conclusion. De plus, si ces dispositifs permettent
de faire face efficacement à l’urgence [41], tous les auteurs
insistent sur la nécessité d’engager une réflexion sur
l’adaptation à long terme aux fortes chaleurs, en
repensant les conceptions architecturales et urbanisti-
ques ou les habitudes de vie [42].
L’éventuel effet salutaire d’une diminution
des grands froids
Dans les pays développés de climat tempéré, spécia-
lement dans l’hémisphère boréal, la mortalité culmine en
saison froide depuis plus d’un demi-siècle. Il en a souvent
été déduit que les hivers les plus rigoureux étaient aussi
les plus meurtriers : c’est ainsi qu’en France, le bilan de
janvier-février 1985 ne s’est pas limité aux 57 sans-abri
victimes d’une hypothermie, mais qu’il s’est établi à
environ 9 000 morts en surnombre, toutes les causes de
décès se trouvant surreprésentées à l’exception des
accidents de la route. Il a donc été supposé que, si l’hiver
se radoucit, de telles hécatombes tendront à devenir plus
rares, du fait notamment d’une réduction des risques
respiratoires et cardiovasculaires [3-8]. Telle est la position
défendue par les autorités sanitaires du Royaume-Uni
jugeant très vraisemblable que, par rapport à l’an 2000,
quelque 2 % des décès hivernaux puissent en moyenne
^
etre évités chaque année aux alentours de 2050, et 12 %
vers 2080 [43].L’évolution observée à Brisbane pendant
quarante ans (1968-2007) rend la thèse crédible, avec un
rapport du nombre de décès de la saison chaude sur le
nombre de décès de la saison froide passé de 0,71 à 0,86
[44]. Mais les recherches récentes, inventoriées par Ebi et
Mills [45],infirment cette hypothèse. L’analyse de la série
1987-2000 dans 99 villes des États-Unis a clairement
montré que la surmortalité n’était proportionnelle ni à
l’intensité du froid, ni à sa durée [46].Dem
^
eme, en
Angleterre et au Pays de Galles, le lien entre la mortalité
hivernale et le nombre de jours froids (< 5 8C), peu
contestable jusque dans les années 1970, s’est ensuite
estompé avant de disparaître [47].D’une part, il faut se
1
1 dollar américain = 0,90 euro.
398 Environ Risque Sante –Vol. 14, n85, septembre-octobre 2015
J-P. Besancenot
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