Malgré beaucoup de questions encore ouvertes: le dépistage du

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Ac t u e l
Malgré beaucoup de questions encore ouvertes:
le dépistage du cancer du poumon par CT-scan sauve
des vies!
Albrecht Breitenbücher
Medizinische Universitätsklinik, Kantonsspital Bruderholz
L’auteur certifie
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est
lié à cet article.
Le carcinome pulmonaire est responsable de la majorité des décès par cancer dans notre pays, avec chaque
année quelques 2800 morts pour env. 3600 nouveaux
diagnostics. Vu que malgré les progrès en oncologie une
guérison n’est possible par résection qu’aux stades initiaux et que le cancer du poumon évolue sur des années, il est logique de le rechercher par dépistage à un
stade précoce dans les groupes à risque. Mais cela n’a
pas été recommandé jusqu’ici pour ce cancer, car dans
les années 1970 plusieurs grandes études randomisées
ayant examiné le bénéfice d’un dépistage par radiographie du thorax et/ou cytologie des expectorations ont
été négatives. Il y a certes eu davantage de carcinomes
à un stade initial dans les groupes intervention, mais
aucune diminution des stades avancés ou des décès n’a
par contre pu être démontrée. L’explication retenue a
été un overdiagnosis bias, mais il y aurait aussi eu des
insuffisances méthodologiques telles qu’une compliance
insuffisante dans le groupe dépistage ou une «contamination» par des radiographies aussi effectuées dans le
groupe témoin. Les femmes n’ont en outre pas été admises, elles qui ont fréquemment des carcinomes périphériques et qui pourraient donc profiter davantage
d’un dépistage par imagerie diagnostique. Le carcinome
épidermoïde central a également diminué depuis lors
par rapport à l’adénocarcinome périphérique.
Au début des années 1990, l’intérêt du dépistage du
cancer du poumon a été réanimé par l’introduction du
CT-scan hélicoïdal low-dose, qui s’est avéré 3–4 fois
plus sensible que la radiographie conventionnelle du
thorax. Avec les appareils multibarrettes surtout, il
permet d’obtenir des images en une seule inspiration,
ce qui supprime une grande partie des artéfacts. Un
produit de contraste n’est pas nécessaire pour déceler
les ganglions périphériques et le recours à des algorithmes spéciaux (protocole low-dose) a permis de réduire nettement la dose de rayonnement tout en conservant une qualité d’image suffisante. Jusqu’à récemment,
nous n’avions que les résultats d’études de faisabilité à
un bras dans lesquelles les deux techniques ont été
comparées sur un même collectif. Pour répondre à la
question si le dépistage par CT-scan abaisse la mortalité spécifique et générale du cancer du poumon, des
études randomisées à deux bras sont nécessaires.
Les premiers résultats d’une telle étude ont été publiés
le 4 novembre 2010 dans un communiqué de presse
par le National Cancer Institute, sponsor du National
Lung Screening Trial (NLST) [1, 2]. Il s’agit d’une
grande étude multicentrique qui a recruté de 2002 à
2004 53 000 fumeurs et ex-fumeurs de 55 à 74 ans ayant
une anamnèse tabagique d’au moins 30 pack-years et
les a répartis dans deux groupes. Dans le groupe dépistage ont été effectuées 3 CT-scans hélicoïdaux à intervalle d’une année et dans le groupe témoin 3 radiographies du thorax conventionnelles et les participants ont
été suivis 5 ans. Cette étude a été interrompue avant
terme le 20 octobre 2010 car dans le groupe CT-scan il
y a eu 20,3% de moins de décès par cancer du poumon
(354 contre 442). La mortalité globale n’a cependant
été que de 7% inférieure et nous en attendons les raisons dans la publication de cette étude ces prochains
mois. Mais il vaut la peine de noter que c’est la toute
première fois que la mortalité du cancer du poumon a
pu être diminuée dans une étude de dépistage randomisée bien conduite.
Plusieurs petites études à deux bras européennes ne
sont pas encore terminées, comme l’étude italienne
DANTE dont les résultats intermédiaires ont été publiés
il y a un an [3]. Elle a recruté 2472 fumeurs ou ex-fumeurs (020 pack-years) de sexe masculin uniquement
qui ont été suivis pendant 4 ans soit par CT-scan lowdose soit uniquement par contrôles cliniques. Après
seulement 33 mois en moyenne, la mortalité par cancer
du poumon et globale a été comparable dans les deux
bras. L’étude NELSON est en cours depuis 2004 aux
Pays-Bas et en Belgique avec plus de 15 000 patients à
risque des deux sexes, dont le groupe dépistage a bénéficié d’un CT-scan low-dose au départ et après 1 et 3 ans
[4]. L’étude Danish Lung Cancer Group (DLCG) a recruté
plus de 4000 participants et le bras dépistage a subi un
CT-scan low-dose annuel pendant 5 ans [5]. Ces études
sont différentes du NLST nord-américain dans le sens
que les groupes témoins n’ont pas eu de radiographies
du thorax conventionnelles et qu’elles permettent donc
d’évaluer le véritable bénéfice du dépistage. Leurs résultats définitifs ne sont attendus qu’à partir de 2015.
Il y a cependant plusieurs doutes sur le dépistage du
cancer du poumon par CT-scan, dont notamment de
nombreux résultats faux positifs, non malins. Les résultats du NLST ne sont pas encore connus mais dans une
étude pilote en préparation de cette étude 33% des patients ont eu un dépistage faux positif après deux examens à une année d’intervalle. Ces résultats ont pour la
plupart été contrôlés par CT-scan, ce qui a généralement suffi pour réfuter la suspicion de cancer. Mais 7%
des participants ayant un dépistage faux positif ont dû
subir des examens complémentaires invasifs [6]. Les
résultats faux positifs du dépistage ont souvent des
conséquences psychologiques et les données du NLST
doivent encore être analysées à ce sujet et sur la qualité
de vie. Le risque d’irradiation cumulée par CT-scan à
répétition ne doit en outre pas être négligé. Il est vrai
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que l’irradiation par CT-scan du thorax selon la technique low-dose est 3–4 fois inférieure à celle du CT-scan
conventionnel, mais la dose équivalente effective d’env.
1,5 mSv correspond à celle d’env. 70 clichés standards.
Les médecins et les patients doivent donc discuter du
nombre élevé de résultats faux positifs, des risques potentiels et des bénéfices théoriques avant de prendre la
décision d’un dépistage du cancer du poumon. Tous ces
doutes et inconvénients doivent naturellement être mis
en face de l’avantage de la diminution des décès par
cancer du poumon. Finalement, les conséquences économiques pour la santé publique pourraient être considérables. Mais il n’y a actuellement aucune donnée
fiable sur les coûts totaux ou les coûts par année de vie
gagnée.
Avec les résultats d’études clairs sur la mortalité, il faut
cependant admettre que la demande d’un dépistage du
cancer du poumon par CT-scan va augmenter. Les sociétés de pneumologie et de radiologie sont donc chargées d’assurer une exploitation responsable de la méthode. Les critères d’admission pourraient être les
mêmes que dans le NLST (fumeurs ou ex-fumeurs de 55
à 74 ans ayant une anamnèse tabagique d’au moins
30 pack-years). Il faut en plus définir les critères de
qualité de la technique (protocole low-dose) et de l’examen (formation des radiologues, éventuel deuxième
avis) et les contrôler. Il s’agit également de régler le financement, le rapport coût-efficacité doit être bon pour
la prise en charge par les assurances maladie. Le coût
d’env. 400 francs suisses pour un CT-scan conventionnel peut éventuellement être réduit pour les examens
de dépistage, qui sont un peu moins compliqués (durée
de l’examen plus brève, pas besoin de produit de
contraste). Et enfin, il faut élaborer des recommandations pour la durée des intervalles entre les contrôles et
les indications à des examens invasifs en fonction du
volume et des caractéristiques morphologiques des résultats. Il va de soi que le dépistage ne remplace pas les
efforts de diminuer la fumée, surtout chez les jeunes.
Les campagnes anti-tabac à elles seules ne peuvent qu’à
peine diminuer les cas de maladie à court et moyen terme
vu que le risque ne diminue que très lentement. Il y a
actuellement déjà plus de cancers du poumon chez les
ex-fumeurs que chez les fumeurs.
En résumé, il a été démontré pour la première fois objectivement que chez les patients à risque âgés asymptomatiques un dépistage du cancer du poumon par CTscan hélicoïdal low-dose permet de sauver des vies. Ces
résultats auront sans aucun doute une grande influence
pendant plusieurs années sur notre pratique de diagnostic précoce et de prise en charge du cancer du poumon.
Correspondance:
Dr Albrecht Breitenbücher
Leitender Arzt Pneumologie
Medizinische Universitätsklinik
Kantonsspital Bruderholz
CH-4101 Bruderholz
[email protected]
Références
1 http://www.cancer.gov/newscenter/pressreleases/NLSTresultsRelease.
2 National Lung Screening Trial Research Team. The National Lung
Screening Trial: Overview and Study Design. Radiology. 2010 Nov 2
[Epub ahead of print]. http://radiology.rsna.org/content/early/2010/
10/28/radiol.10091808.long.
3 Infante M, Cavuto S, Lutman FR, Brambilla G, Chiesa G, Ceresoli G,
et al. for the DANTE Study Group. A randomized study of lung cancer
screening with spiral computed tomography: three-year results from
the DANTE Trial. Am J Respir Crit Care Med. 2009;180:445–53.
4 Van Iersel CA, de Koning HJ, Draisma G, Mali WP, Scholten ET, Nackaerts K, et al. Risk-based selection from the general population in a
screening trial: selection criteria, recruitment and power for the
Dutch-Belgian randomised lung cancer multi-slice CT screening trial
(NELSON). Int J Cancer. 2007;120(4):868–74.
5 Ashraf H, Tonnesen P, Pedersen JH, Dirksen A, Thorsen H, Dossing
M. Effect of CT screening on smoking habits at 1-year follow-up in the
Danish Lung Cancer Screening Trial (DLCST). Thorax. 2009;64:
388–92.
6 Croswell JM, et al. Cumulative Incidence of False-Positive Test Results
in Lung Cancer Screening. A Randomized Trial. Ann Intern Med.
2010;152:505–12.
Forum Med Suisse 2010;10(51–52):892–893
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