Trouble bipolaire et comorbidités somatiques : diabète et troubles

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L’Encéphale (2012) Supplément 4, S167-S172
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
Trouble bipolaire et comorbidités somatiques :
diabète et troubles cardiométaboliques
Données physiopathologiques
Bipolar disorders and somatic comorbidities:
a focus on metablolic syndrome, diabetes and cardiovascular disease
Jean-Christophe Chauvet-Gélinier1,*, Isabelle Gaubil3,
Arthur Kaladjian2, Bernard Bonin1
1Service de Psychiatrie/Addictologie, Hôpital Général Centre Hospitalier Universitaire 3,
rue du Faubourg Raines 21033 Dijon cedex
2Service de Psychiatrie des Adultes, Centre Hospitalier Universitaire Robert Debré,
rue du Général Koenig 51090 Reims cedex
3Service d’Endocrinologie, de diabétologie et de Nutrition, Centre Hospitalier Universitaire Robert Debré,
rue du Général Koenig 51090 Reims cedex
MOTS CLÉS
Trouble bipolaire ;
Comorbidités
somatiques ;
Syndrome
métabolique ;
Diabète ;
Pathologies
cardiovasculaires
KEYWORDS
Bipolar disorders;
Somatic
comorbidities;
Metabolic syndrome;
Diabetes;
Résumé Le trouble bipolaire est de plus en plus considéré comme une pathologie
multidimensionnelle, comprenant à la fois des déterminants psychiques et somatiques. Si
les variations thymiques interpellent en premier lieu dans cette maladie, du fait de leur
caractère quelquefois spectaculaire, il paraît essentiel de rappeler qu’une symptomatologie
organique sévère lui est souvent associée. En effet, les comorbidités somatiques
assombrissent de façon considérable l’évolution des troubles de l’humeur et diminuent
l’espérance de vie des patients, d’une durée estimée de 25 à 30 ans, plus particulièrement
suite à l’apparition de désordres cardio-métaboliques. Dans cette revue, les auteurs
précisent les données épidémiologiques relatives aux comorbidités cardio-métaboliques
du trouble bipolaire avant d’aborder la question encore controversée des mécanismes
étiologiques et physiopathologiques de cette association délétère. Même si aujourd’hui les
données scientifiques portant sur les relations entre trouble bipolaire et pathologies cardiométaboliques restent préliminaires, il semble indispensable de considérer avec attention
cette co-occurrence, notamment afin d’améliorer la prise en charge de ces patients par
une approche pluridisciplinaire.
© L’encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
Summary Bipolar Disorders (BD) are currently regarded as a multidimensional disease
involving both psychological and physical determinants. If mood dimension and thymic
instability have usually been considered as the « core » aspect of bipolar disorders, it’s
crucial to note that somatic problems frequently occur in BD, deeply worsening the
prognosis of this affection. Indeed, comorbid somatic illnesses of bipolar disorder are
mainly represented by cardiovascular and metabolic disorders, which are shortening life
expectancy by 25 to 30 years as compared to the general population. In this review, the
authors examine epidemiological data about this comorbidity, then they attempt to provide
etiologic and physiopathologic hypotheses about the links between bipolar disorders and
*Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected]
© L’Encéphale, Paris, 2012. Tous droits réservés.
S168
Cardiovascular
disease
J.-C. Chauvet-Gélinier, et al
metabolic diseases. Despite the absence of strong scientific explanation for this link, its
existence highlights the need for more integrated care and interdisciplinary collaboration
in order to improve patients’outcome.
© L’encéphale, Paris, 2012. All rights reserved.
Inroduction
Au cours des dernières années, le regard sur le trouble
bipolaire a sensiblement évolué : alors que le terme de
psychose maniaco-dépressive renvoyait à une pathologie
psychique binaire intermittente, la conception actuelle de
ce trouble en fait une affection multidimensionnelle d’évolution chronique. Dans cette conception, le trouble bipolaire
représente une pathologie dont l’expression sémiologique
principale est psychique, mais qui comporte également des
désordres somatiques associés. Au sein des pathologies somatiques co-occurentes, les désordres métaboliques et cardiovasculaires sont les plus fréquents et les plus délétères. En
effet, ces comorbidités représentent à elles-seules un coût
humain et social très important, entrainant une mortalité
« naturelle » excessive, estimée à deux fois plus importante
que celle de la population générale [1]. Ce constat requiert
donc que les cliniciens portent une attention spécifique sur
les comorbidités somatiques, et plus particulièrement sur
les atteintes cardio-vasculaires et métaboliques associées à
la maladie bipolaire.
Épidémiologie et définitions
On estime actuellement que le fardeau du trouble bipolaire
s’accompagne d’une diminution de l’espérance de vie de 25
à 30 ans, liée en grande partie aux pathologies somatiques
associées de types cardio-vasculaires et métaboliques [2].
Avant de préciser l’importance du syndrome métabolique dans
cette maladie, rappelons qu’il s’agit d’un concept clinique
et biologique permettant de définir un risque de diabète, de
pathologie cardio-vasculaire ou d’accident vasculaire cérébral.
Selon les références du NCEP/ATP3, le syndrome métabolique
se définit [3] par la présence d’au moins 3 des 5 éléments
suivants : périmètre abdominal > 102 (homme) ou 88 (femme),
pression artérielle > 130/85, triglycérides > 150mg/ dl,
HDL-Cholestérol < 40mg/dl (homme) ou 50mg/ dl (femme),
glycémie à jeun > 110mg/dl. Au regard de ces critères, au
sein des pays industrialisés, le taux des sujets qui présentent
un syndrome métabolique est de 20 % en population générale
avec une augmentation constante de la prévalence. Chez les
patients souffrant de trouble bipolaire, les données actuelles
montrent l’existence d’une surreprésentation de syndrome
métabolique, avec plus de 30 % de patients affectés en
moyenne, certaines études épidémiologiques énonçant même
des chiffres de plus de 50 % [4]. Ces chiffres soulignent l’importance de la dimension somatique dans le trouble bipolaire,
avec d’autant plus d’intérêt que les thérapeutiques semblent
pouvoir en moduler l’impact.
Outre le syndrome métabolique type, il est intéressant
de noter que des perturbations glycémiques sont plus fréquemment rencontrées chez les patients souffrant de trouble
bipolaire que dans la population générale, avec 3 fois plus de
patients atteints de diabète de type 2, soit une prévalence de
7 à 30 % contre 4 % dans la population générale [5]. De même,
d’un point de vue purement épidémiologique, les patients
atteints de trouble bipolaire développent plus de maladies
cardio-vasculaires, et ce de façon tout à fait indépendante
de la prise de traitements psychotropes, même si ces derniers
peuvent parfois renforcer la vulnérabilité à ces affections.
Pour expliquer ces données épidémiologiques, de nombreuses hypothèses étiopathogéniques ont été avancées sans
pour autant qu’une explication consensuelle ait émergé. La
difficulté à comprendre les mécanismes d’installation des
désordres métaboliques résulte sans doute de la difficulté à
préciser expérimentalement les relations complexes entre
facteurs psychologiques, comportementaux, biologiques
et génétiques. Il faut également noter que les travaux de
recherche sur cette question sont très récents dans le trouble
bipolaire [4].
Néanmoins, des approches multidimensionnelles de la
pathologie bipolaire prenant en compte la pathologie somatique se sont récemment développées et différents facteurs
étiologiques ont été invoqués pour expliquer les désordres
cardio-métaboliques dans le trouble bipolaire.
Éléments étiopathogéniques
Mode de vie
Le premier facteur incriminé dans les modifications cardiométaboliques est le régime alimentaire et le mode de vie
des patients souffrant de trouble bipolaire. En effet, les
variations thymiques qui émaillent l’évolution de la maladie
représentent des entraves au suivi de règles hygiénodiététiques et à la pratique d’activités physiques régulières.
En particulier, l’émergence de symptômes dépressifs semble
constituer un facteur prédictif d’apparition du syndrome
métabolique, probablement en rapport avec des modifications de l’appétit, une diminution de l’exercice physique et
une moindre attention portée à soi-même, perturbations qui
sont consubstantielles de la phénoménologie des troubles
affectifs [6,7]. Il est à noter que les troubles bipolaires sont
également associés à des comportements addictifs, avec
notamment une consommation excessive d’alcool et de
tabac, qui ont également des conséquences délétères sur
le plan cardio-métabolique [8]. Les dérèglements observés
dans la maladie bipolaire produisent donc une rupture
du mode de vie des patients et perturbent leur équilibre
nutritionnel, favorisant l’apparition de facteurs de risques
cardio-métaboliques conjugués.
Influence des traitements médicamenteux
Associés au risque métabolique résultant des désordres comportementaux, les traitements psychotropes représentent
également des facteurs aggravant le statut métabolique
des patients [9]. De fait, les effets adverses des thérapeutiques proposées dans le trouble bipolaire semblent
Trouble bipolaire et comorbidités somatiques
contribuer de façon significative à l’augmentation de la
fréquence du syndrome métabolique dans cette population.
Les agents thymorégulateurs, tels que le lithium ou des
anticonvulsivants, ont été associés à des prises de poids [2].
Les antipsychotiques, dont les indications ont été largement
élargies dans le trouble bipolaire, sont également connus
pour entrainer des effets adverses sur le métabolisme
glucido-lipidique [10]. Si les psychotropes favorisent clairement la prise de poids et augmentent le risque de syndrome
métabolique, ce constat doit néanmoins être nuancé en
fonction des molécules utilisées, ainsi que par l’existence
probable d’une importante variabilité de leur impact métabolique selon la vulnérabilité génétique des patients. Il est
également essentiel de noter que préexiste, avant toute
médication, une cooccurrence d’obésité, de diabète, et
de syndrome métabolique dans le trouble bipolaire. Ainsi,
les substratum biologiques, neuroendocriniens, immunoinflammatoires et génétiques pourraient ne représenter
que des facteurs modulateurs des désordres métaboliques
rencontrés dans le trouble bipolaire.
Obésité et perturbation
du métabolisme lipidique
Près de la moitié des sujets bipolaires présentent un
surpoids ou une obésité, avec des conséquences somatiques
considérables, notamment sur l’appareil cardio-vasculaire.
Réciproquement, les conséquences de la surcharge pondérale sur le fonctionnement psychique des patients bipolaires
ne sont pas négligeables, dans la mesure où a été mis en
évidence un risque supérieur de rechute thymique chez les
patients obèses comparativement aux patients de poids
normal [11]. Les raisons d’une telle co-occurrence dans les
troubles de l’humeur restent encore mal connues, mais il
est probable qu’elles soient liées à la perturbation clinique
et biologique du métabolisme lipidique dans les troubles de
l’humeur. Les comorbidités cardio-vasculaires des troubles
affectifs ont en effet été associées à une hyperactivation de
l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien. L’hypersécrétion
de cortisol qui en résulte conduit le métabolisme glucidolipidique vers la formation de graisse viscérale et à une
insulino-résistance [12], participant à la constitution d’un
syndrome métabolique par le biais de l’activation de
molécules pro inflammatoires [2]. Ce déséquilibre fait le
lit des pathologies cardio-vasculaires. Parallèlement aux
effets somatiques issus de l’accumulation de mauvaises
graisses, plusieurs travaux ont montré l’influence qualitative de certains types d’acides gras sur l’humeur, et plus
précisément sur le noyau dépressif. Cette influence est
suggérée par les propriétés antidépressives des acides gras
polyinsaturés qui ont été mises en évidence chez l’animal.
Il a également été montré une influence du profil lipidique
de l’alimentation, notamment dans sa composition en acides
gras polyinsaturés, sur l’évolution de la maladie bipolaire,
en terme par exemple d’amélioration clinique ou de tentatives de suicide [13]. Même si ces données demandent à
être confirmées, de même que nécessite d’être précisée la
part de régulation génétique, elles suggèrent une relation
intéressante entre statut nutritionnel et équilibre psychique.
Le style de vie et l’hygiène alimentaire représentent un
axe important de recherche clinique, dans une perspective
transdisciplinaire, pouvant à terme permettre d’améliorer
l’espérance et la qualité de vie des patients souffrant de
trouble bipolaire.
S169
Inflammation et stress oxydatif
L’hypothèse inflammatoire est de plus en plus évoquée dans
la physiopathologie des affections mentales, et plus particulièrement dans les troubles de l’humeur. Un des mécanismes
mis en jeu dans le trouble bipolaire implique une réponse aux
facteurs de stress, représentés par exemple par des événements de vie, des facteurs psychosociaux, ou les variations
thymiques elles-mêmes. Dans un tel modèle physiopathologique centré sur le stress, les composantes adaptatives de
l’organisme mettent en jeu divers mécanismes aboutissant
à un état de sub-inflammation chronique, pouvant expliquer
l’augmentation de marqueurs périphériques de l’inflammation
(CRP, cytokines, interleukines). Ces phénomènes, s’ils sont
prolongés ou récurrents, sont connus pour être susceptibles de
provoquer des réactions périphériques biologiques favorisant
l’émergence d’un dysfonctionnement cardio-métabolique.
A été plus particulièrement invoquée une production excessive
de radicaux libres qui, à la suite de cascades biologiques, crée
un état inflammatoire chronique aboutissant à une résistance
à l’insuline, et à une orientation du métabolisme lipidique
vers l’accumulation de graisses athérogènes. Cette théorie
de l’inflammation et du stress oxydatif se trouve renforcée
par des travaux récents qui illustrent les effets anti-oxydants
de traitements thymorégulateurs tels que le lithium, dont le
mécanisme d’activité normothymique implique probablement
des propriétés de protection cellulaire [14]. Ainsi la théorie
inflammatoire étaie assez bien l’hypothèse d’un dysfonctionnement global, comportant des mécanismes à la fois
somatiques et psychiques pour expliquer la physiopathologie
du trouble bipolaire [15].
Perturbations du métabolisme glucidique
Plusieurs travaux ont mis en évidence une co-ocurrence entre
trouble bipolaire et diabète, particulièrement du type 2. Outre
les arguments habituels évoquant la mauvaise hygiène de vie
des patients, les effets métaboliques des psychotropes ou une
vulnérabilité familiale pour expliquer cette recrudescence de
diabète chez les patients bipolaires, il semble que des mécanismes communs aux deux affections puissent également être
en œuvre. Comme déjà mentionné, les perturbations de l’axe
hypothalamo-hypohyso-surrénalien sont couramment citées
parmi ces mécanismes. De fait, les sujets bipolaires présentent
une hypercortisolémie significative comparativement à des
sujets contrôles. Egalement en faveur de cette hypothèse, il a
été montré que le taux de cortisol sérique chez les apparentés
de patients bipolaires est à un niveau intermédiaire entre
ceux des patients et ceux des sujets sains, ce qui suggère que
l’hypercortisolémie serait un marqueur de bipolarité [12].
Dans une perspective intégrative, l’hyperactivation de l’axe
hypothalamo-hypohyso-surrénalien serait une conséquence du
stress chronique rencontré dans la pathologie bipolaire, qui
entraîne à la longue une diminution de la sécrétion d’insuline
puis une augmentation de la néoglucogenèse, conduisant à une
intolérance glucosée et à une résistance à l’insuline, et donc
au diabète de type 2.
La co- occurrence diabétique dans le trouble bipolaire
nécessite d’envisager une autre piste étiologique, à savoir
un dysfonctionnement mitochondrial. En effet, les patients
bipolaires présentent souvent des anomalies de l’ADN
mitochondrial [16], qui sont similaires à celles décrites chez
certains patients diabétiques [17]. Pour expliquer l’effet
anti-oxydant et l’action neuroprotectrice des sels de lithium
S170
plusieurs auteurs suggèrent que ce produit améliore l’activité
mitochondriale [18] et stimule l’expression de gènes (BAG- 1)
protégeant la mitochondrie contre les effets du stress oxydatif [19]. En rapport avec la neurotoxicité et les effets du
stress oxydatif, les pathologies affectives paraissent avoir
une action délétère par une diminution de l’expression puis
de la synthèse de facteurs neurotrophiques tels que le BDNF.
Or, une augmentation de la glycémie entraine une inhibition
de la sécrétion de BDNF, à l’instar de ce qu’on rencontre dans
la dépression, ce qui constitue un mécanisme physiopathologique commun entre troubles affectifs et diabète [20]. Autre
lien potentiel entre diabète et trouble bipolaire, certains
transducteurs cellulaires sont une cible des sels de lithium,
tels que la protéine GSK-3, impliquée dans les mécanismes de
résistance à l’insuline et de vieillissement cellulaire et dont
l’activité hyperglycémiante est inhibée par le lithium [21].
Ces éléments contribuent à la constitution d’un faisceau
d’arguments en faveur d’un carrefour biologique commun
entre trouble bipolaire et métabolisme glucidique.
Altération des rythmes circadiens
Dans une perspective multidimensionnelle, l’altération des
rythmes circadiens semble représenter une voie d’intérêt
et de recherche dans le trouble bipolaire. Certains gènes
candidats (Bmal1, TIMELESS, PERIOD3, CLOCK) appartenant au
groupe des gènes horloges semblent participer à l’émergence
des troubles bipolaires [22], suggérant une relation entre perturbations des rythmes circadiens et troubles de l’humeur. Il
est remarquable de constater que des perturbations du rythme
circadien ont également été retrouvées dans les pathologies
cardio-métaboliques [23]. Des données récentes soulignent le
rôle du système de régulation des horloges biologiques sur le
métabolisme glucido-lipidique [12]. La réduction du temps de
sommeil apparaît associée à une diminution de la sensibilité à
l’insuline, augmentant de 1,6 à 1,8 fois le risque de développer
un diabète comparativement au sommeil normal [24]. Les
troubles du sommeil étant très souvent rencontrés dans le
trouble bipolaire, une augmentation du risque diabétique par
cette voie apparait cohérente. D’autres travaux soulignent
l’influence des gènes horloge sur le métabolisme glucidolipidique par le biais d’horloges périphériques situées dans
différents organes (foie, pancréas, tissu adipeux, etc.) dont les
perturbations sont susceptibles d’engendrer des pathologies
métaboliques et cardio-vasculaires [25]. De nombreux gènes
impliqués dans le fonctionnement du cœur et de l’aorte
auraient également une expression circadienne [26]. Ainsi,
chez le hamster syrien « insuffisant cardiaque », la diminution
de l’amplitude de variation de la température centrale est
prédictive d’un décès 8 semaines plus tard [27], illustrant
l’influence de la dysrégulation circadienne sur la fonction
cardiaque. Ces résultats confortent l’hypothèse que la
désynchronisation circadienne engendre non seulement des
désordres affectifs et comportementaux, mais expose également à des complications métaboliques et cardio-vasculaires.
Synthèse : Apport de la génétique
et de l’épigénétique
L’essor récent de la génétique moléculaire a permis
d’apporter des arguments complémentaires pour étayer
les liens physiopathologiques entre trouble bipolaire et
affections cardio-métaboliques. Les programmes d’études
J.-C. Chauvet-Gélinier, et al
réalisées à grande échelle sur les associations pangénomiques
n’ont donné que des résultats assez décevants à ce jour,
puisqu’aucun gène spécifique n’a été retrouvé responsable
à la fois du diabète et de troubles psychiques… Néanmoins,
des analyses complémentaires réalisées à partir d’études
« génome-wide » ont permis d’identifier des relations entre
différentes familles de gènes impliqués à la fois dans la
vulnérabilité au trouble bipolaire et dans des processus métaboliques. Ainsi, un travail réalisé à partir des 1 000 SNPs les
plus significatives pour 7 maladies importantes, comprenant
le trouble bipolaire, a permis de montrer une corrélation
robuste entre ce dernier, le diabète de type 2 et les coronaropathies [28]. De plus, les études pangénomiques portant sur
la proximité philogénétique de ces pathologies ont montré
que le trouble bipolaire, le diabète de type 2 et les maladies
cardio-vasculaires appartenaient à une famille génétique
commune, bien qu’il n’y ait pas de pléiotropie parfaite, c’est
à dire de gène commun à ces maladies.
En synthèse, on peut avancer qu’il existe des liens forts
unissant trouble bipolaire et pathologies cardio-métaboliques.
À travers les interactions gènes-environnement, il est possible
d’avoir une vision intégrative de cette comorbidité. Nous
savons que les événements de vie traumatisants, particulièrement les blessures précoces, constituent des éléments de
fragilisation du psychisme, conduisant au développement de
pathologies mentales à l’âge adulte. Dans le trouble bipolaire, il existe une fréquence élevée de traumatismes dans
l’enfance, avec un chiffre de l’ordre de 50 % de maltraitance
physique ou psychologique au cours de cette période [29].
Ces traumatismes sévères ou autres facteurs de stress,
lorsqu’ils sont difficilement tolérables pourraient entraîner
des remaniements de l’architecture de l’ADN dans des tissus
spécifiques, illustrant ainsi les effets de l’environnement sur
la structure génétique. Il a été montré que les phénomènes
de stress précoce pouvaient être associés à une augmentation
des méthylations de la région promotrice d’un gène codant
pour un récepteur aux glucocorticoïdes, inhibant alors
l’expression de ce gène au niveau de l’hippocampe [30]. En
réponse à cette sous-expression, il se produirait un mécanisme d’« up-regulation » de la CRH avec hypersécrétion de
cortisol. Ainsi, des sujets soumis à des phénomènes de stress
précoce pourraient développer des mécanismes biologiques
adaptatifs trop sensibles concrétisés par l’hyperactivation de
l’axe hypothalamo-hypophyso-surrenalien. De même, dans
le diabète de type 2, il semble que des facteurs de stress
précoce soient prédictifs de l’émergence ultérieure de la
pathologie. L’hypersecrétion cortisolique associée au stress
chronique provoque progressivement une diminution de la
sécrétion insulinique, aboutissant finalement à un diabète.
Ainsi, il a été mis en évidence que des enfants exposés à des
événements de vie pénibles activaient leur système inflammatoire avec des taux élevés de CRP, protéine marqueur de
risque cardio-vasculaire [31]. D’autres travaux ont montré une
élévation des marqueurs inflammatoires (CRP, IL-6) à la fois
dans le trouble bipolaire et le diabète. Ces données confirment
le caractère multidimensionnel [15] du trouble bipolaire et
l’unité psychosomatique de l’être humain, de même que les
intrications entre l’environnement potentiellement stressant
et la « machinerie » biologique et génétique.
Conclusion
À la suite de ces constats épidémiologiques et ces arguments
physiopathologiques, la prise en compte de la comorbidité
Trouble bipolaire et comorbidités somatiques
cardio-métabolique dans le trouble bipolaire apparaît
cruciale afin d’améliorer l’espérance de vie des patients
qui en souffrent. Notamment, une surveillance régulière
des paramètres cliniques et biologiques qui constituent le
syndrome métabolique est souhaitable, avec idéalement une
collaboration pluridisciplinaire entre médecins traitants,
endocrinologues et cardiologues. Sur un plan conceptuel,
cette comorbidité permet également de faire évoluer les
représentations des troubles de l’humeur. En effet, elle
impose d’appréhender le trouble bipolaire de façon intégrative et de la considérer à travers différents domaines
médicaux. En rappelant la nécessité d’un double traitement,
à la fois psychique et biologique, cette approche valorise les
thérapeutiques éducatives fondées sur la promotion d’un
équilibre de vie intégrant dimension biologique et sociale
(équilibre nutritionnel, hygiène du sommeil, alternance
équilibrée entre activités de travail, activités physiques,
loisirs, etc.). En particulier, les stratégies de lutte contre
le stress se montrent bénéfiques aussi bien au plan somatique que psychologique. Si dans le domaine des affections
cardio-métaboliques, l’intérêt des thérapeutiques non pharmacologiques semble unanimement reconnu, [12,32] ; elles
restent encore insuffisamment encouragées dans le trouble
bipolaire, et ce malgré des preuves de leur efficacité. Or, les
patients bipolaires pratiquant un exercice physique régulier
à raison de 30 minutes, 4 fois par semaine, voient leur
niveau de réponse aux facteurs de stress considérablement
atténué [33]. Chez ces patients, la pratique d’une marche
régulière s’accompagne de scores plus bas aux échelles
d’anxiété et de dépression [26,34] comparativement à des
sujets ne faisant pas d’exercice. De même, il a été montré
que l’activité physique régulière accroît l’expression du
facteur neurotrophique BDNF, aboutissant à une réponse
neuroprotectrice, ce qui constitue une forme d’interaction
gène-environnement bénéfique pour le sujet [35].
À l’issue de cette revue de la littérature, il semble
nécessaire de réaliser des études complémentaires pour
mieux comprendre la comorbidité cardio-métabolique de
trouble bipolaire. Nous pouvons cependant considérer que
l’approche intégrative de cette maladie multidimensionnelle
représente un futur enjeu à la fois sur le plan conceptuel
et thérapeutique. Dans cette perspective, le psychiatre
revêt ainsi une fonction cruciale de thérapeute psychique,
coordinateur de soin global où il aborde le fonctionnement
psychique de façon spécifique, tout en prenant en compte la
problématique cardio-vasculaire et métabolique, au travers
d’une collaboration pluridisciplinaire. C’est ainsi qu’il peut
espérer contribuer à l’amélioration de la qualité de vie des
patients.
Déclarations d’intérêts
J.-C. Chauvet-Gélinier et A. Kaladjian ont déclaré n’avoir
aucun conflit d’intérêts.
I. Gaubil et B. Bonin n’ont pas transmis leurs conflits d’intérêts.
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