A la Maison de Tara, vivre jusqu`au bout, comme chez soi

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REVUE MÉDICALE SUISSE
A la Maison de Tara,
vivre jusqu’au bout, comme chez soi
Dr Yves Beyeler
Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 368-9
Il est une maison, près de Genève, que
Une impressionnante
chaque médecin genevois devrait con­
force de proposition
naître et qui mérite, bien au-delà des
Bien avant qu’elle trouve ses quatre
frontières cantonales, l’intérêt de tout
murs, son toit et son jardin, la Maison de
professionnel confronté à la fin de vie de
Tara existait très fort dans l’esprit et dans
ses patients.
le cœur d’un groupe d’une cinquantaine
Sollicité pour présenter la Maison de
de bénévoles, représentatifs de la Genève
Tara aux lecteurs de la Revue Médicale Suisse,
internationale polyglotte, laïque, solidaire
j’ai immédiatement accepté ce mandat
et engagée. Ces bénévoles avaient été
tant cette maison est devenue, dès son
formés à l’accompagnement
­
ouverture en 2011, un lieu
de fin de vie par quelques
­indispensable à mon activité
une majorité
­professionnels des soins, euxde médecin de famil­
le, dé­
exprime son
mêmes mobilisés, condition
sormais tourné vers les soins
désir de mourir
princeps, par une personna­
palliatifs.
à domicile,
lité charismatique.
Et me voilà, devant le cla­
mais seule une
vier de mon ordinateur, un
Invités en 2007, pour faire
minorité y
peu embarrassé pour atta­
connaissance, au domicile de
parvient
quer le sujet. Avec la crainte
cette dernière, avec quelques
de réduire mon papier à un
collègues sensibilisés, nous
prospectus publicitaire. En composant
avions été stupéfaits d’y découvrir des
www.lamaisondetara.ch, le lecteur trou­
­dizaines de nouveaux visages, animés par
vera toutes les informations détaillées
leur grand projet. Quelques conversa­
tions nous ont rapidement persuadés de
utiles à la compréhension de la genèse du
la qualité des formations dispensées. Le
projet, de sa concrétisation et de son
constat de départ était qu’une majorité
fonctionnement. Les reformuler ici me
de citoyens exprime son désir de mourir
semble un exercice vain. Le paragraphe à
à domicile, mais que seule une minorité y
la fin de ce texte en résumera l’essentiel.
parvient. Ce dessein est voué à l’échec si
les conditions domestiques ou un en­
tourage vulnérable ou absent se révèlent
Un concept charpenté
Une maison accueillante, ani­
autour de valeurs humanistes insuffisants.
mée par des bénévoles, selon un modèle
Entre résidents en fin de vie, famille et
éprouvé à l’étranger, offrirait une solution
proches, équipe de bénévoles avec leurs
qui permette d’éviter une réadmission en
cadres et soignants que nous sommes, qui
milieu hospitalier pour des raisons dites
intervenons de l’extérieur, les expériences
« sociales ».
échangées sont riches. Leur chaleur inci­
terait à un lyrisme auquel je ne voudrais
pas succomber. D’autres l’ont très bien
Un lieu de vie en fin de vie…
fait avant moi et le site internet de la mai­
son présente quelques témoignages à la
Exercice de communication réussi.
fois émouvants et susceptibles de récon­
Ce premier contact aura incité les acteurs
cilier chacun avec la perspective de sa
du réseau genevois de soins palliatifs à
propre fin. Qualité de vie et dignité. Loin
proposer systématiquement l’intégration
d’être des slogans ou des vœux pieux, ces
d’une Maison de Tara au sein de tout pro­
jet cantonal coordonné.
deux mots-clés sont des réalités vécues et
Mais il y avait encore loin de la coupe
unificatrices à la Maison de Tara.
aux lèvres. Je fais court sur la longue
Rapporter ma propre relation à cette
marche d’une équipe motivée se heurtant
aventure humaine sera ma façon d’ajouter
au scepticisme désabusé des appareils ins­
une pierre à l’édifice.
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tallés, peu enclins à accorder un espace à
une entité nouvelle.
Il en aura fallu du talent, de la ténacité,
du travail et de la foi, pour en arriver, en
2011, à l’inauguration d’une villa, parfaite­
ment équipée, au chemin de la Montagne à
Chêne-Bougeries. La Maison de Tara était
passée de rêve à réalité.
Retenons de ce parcours du combat­
tant que des autorités communales se sont
montrées plus réactives à une initiative
­citoyenne que des structures cantonales
plus lourdes, de toute évidence, à faire
bouger.
…comme à la maison,
avec des visites à domicile
Le praticien en soins palliatifs que je
suis est amené à faire, en collaboration
avec des infirmières et d’autres profession­
nels de santé, des visites à domicile fré­
quentes, parfois en urgence. Cet exercice,
devant lequel les plus jeunes générations
de médecins restent malheureusement
­timides, a ses avantages et ses contraintes.
Avantage de rencontrer le patient dans
son environnement familier. Valeur ajou­
tée par l’intégration de l’entourage à la
prise en charge. Soulagement de savoir
que son temps de déplacement et de tra­
vail est reconnu au même titre que celui
passé en cabinet.
Contrainte de parfois se confronter à
des limitations architecturales, à des équi­
pements mal adaptés ou à des ressources
familiales fragilisées, autant pour des rai­
sons psychologiques que physiques.
A la Maison de Tara, le docteur et l’in­
firmière se parquent devant la maison
dans un sympathique crissement de gra­
vier (les intervenants engagés dans les
soins à domicile savent que ce n’est pas
trivial). A toute heure de la journée ou de
la soirée des bénévoles sont là pour les
­accueillir. La nuit, ce sera une veilleuse.
L’ambiance générale est celle d’une do­
mesticité sereine, calme et souriante. La
table est prête à accueillir le prochain re­
pas convivial. La visite au patient et à ses
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Médecine
palliative
proches se fait souvent, les beaux jours,
au jardin. Ces proches sont dans leur vrai
rôle, déchargés de celui de soignant.
Restent les lourds soucis d’une mala­
die grave et inguérissable avec laquelle le
patient doit désormais vivre. C’est autour
de lui, dans une chambre coquette mais
parfaitement équipée, fenêtres ouvertes
sur la nature, que pourra se concentrer
l’attention médico-infirmière et se concré­
tiser le travail en binôme propre aux soins
palliatifs.
Une classique visite à domicile, en
quelque sorte, exercée dans des conditions
idéales.
Sans travail, le talent n’est qu’une sale
manie, chantait Brassens. Cette centaine
de bénévoles cachent, derrière leur dispo­
nibilité forte et tranquille, le fruit d’une
mise à jour régulière de leurs connais­
sances. Il y va des techniques de soins, de
la familiarisation avec les arcanes de l’aide
sociale, comme des réflexions philosophi­
ques existentielles. Sachez le, parmi ces
bénévoles œuvrent des professionnels qui
contribuent à charpenter la culture mai­
son. Par contre, les soignants désignés,
­officiellement en charge du « cas », inter­
viennent bien de l’extérieur.
Ils en témoignent haut et fort : les
­bénévoles de la Maison affirment avoir
enrichi leur vie personnelle et sociale des
fruits de leur formation et de leur vécu au
chevet des malades, en contact avec leurs
familles.
L’entrée en soins palliatifs :
condamnation ou libération ?
Les résidents, malgré la gravité de leur
maladie et un pronostic sombre, pour­
raient surprendre un visiteur néophyte
par leur sérénité et leur aptitude à profiter
du moment présent. Nul doute que l’es­
prit et la culture de la maison contribuent
à ces dispositions positives.
Pour en arriver là, le chemin n’aura pas
été facile, de toute évidence.
Remontons au choc de l’annonce d’un
diagnostic menaçant : cancer, maladie neu­
rologique dégénérative ou toute autre
­affection évolutive et inguérissable avec
laquelle il faudra désormais vivre… Quel
changement de chapitre douloureux que
cette entrée en maladie grave ! Puis les
longues pages de traitements éprouvants,
supportés avec la perspective d’une ré­
mission.
Un autre et rude changement de cha­
pitre sera celui qu’imposent l’arrêt des
efforts curatifs et la proposition d’une
­
prise en soins palliatifs. Une forme d’aban­
don. Abandon de la part de thérapeutes
dans lesquels on a mis sa confiance. Aban­
don d’un espoir de guérison ou, au moins,
d’un sursis prolongé.
Pour le public, pour les gens du quar­
tier, pour les élèves des écoles avoisi­
nantes, pour les clients des commerces
voisins, pour les visiteurs, pour les futurs
résidents, l’image de la Maison n’échappe­
ra pas à des projections ambivalentes.
Mouroir en même temps que lieu de soins.
Lieu qui évoque la mort, alors même qu’on
y cultive la vie.
Il convient que bénévoles et soignants,
imprégnés de la culture, si constructive,
des soins palliatifs et familiarisés avec
l’endroit, ne mésestiment pas cette résis­
tance initiale à s’approcher. Résistance
qui ne sera finalement surmontée que par
ceux qui auront franchi le seuil de la mai­
son pour s’y imprégner, aussitôt, des va­
leurs positives qu’elle inspire.
Ainsi, la Maison de Tara, implantée
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dans ce quartier jeune et animé, vient rap­
peler à chacun que toute vie humaine a une
fin… et que ce n’est pas la fin du monde !
La Maison de Tara, lieu d’accueil, lieu
de soins, lieu d’initiation, lieu de réflexion,
lieu de remise en question permanente et
finalement lieu de témoignage.
Conditions d’admission
La Maison de Tara est un lieu d’accueil de patients ayant besoin de soins palliatifs, pour un
hébergement en fin de vie, soit une période de
quelques jours à quelques semaines. Elle offre
aussi la possibilité de « séjours à l’essai » leur
permettant de se familiariser avec la maison et
d’y revenir ensuite en toute confiance pour leur
fin de vie. Les médecins traitants et les professionnels des organismes d’aide à domicile poursuivent à la Maison de Tara les soins qu’ils prodiguaient jusque-là à domicile. Un médecin praticien en soins palliatifs peut être sollicité par le
médecin traitant pour assurer une prise en
charge commune du résident ou même reprendre entièrement le suivi du résident.
Le médecin traitant, la responsable de la coordination des soins de la maison et l’équipe de
soins à domicile évaluent la situation du patient
avant l’admission.
Pour plus d’informations, veuillez consulter le site
internet : www.lamaisondetara.ch
ou contacter directement : La Maison de Tara,
Chemin de la Montagne 79, 1224 Chêne-Bougeries
Tél : 022 348 86 66, Fax : 022 348 86 64
[email protected]
Dr Yves Beyeler
Chemin des Mésanges 61
1226 Thônex
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