REVUE MÉDICALE SUISSE
WWW.REVMED.CH
17 février 2016
368
A la Maison de Tara
vivre jusqu’au bout comme chez soi
Dr YVES BEYELER
Rev Med Suisse 2016 ; 12 : 368-9
Il est une maison, près de Genève, que
chaque médecin genevois devrait con-
naître et qui mérite, bien au-delà des
frontières cantonales, l’intérêt de tout
professionnel confronté à la fin de vie de
ses patients.
Sollicité pour présenter la Maison de
Tara aux lecteurs de la Revue Médicale Suisse,
j’ai immédiatement accepté ce mandat
tant cette maison est devenue, dès son
ouverture en 2011, un lieu
indispensable à mon activité
de médecin de famil le, dé-
sormais tourné vers les soins
palliatifs.
Et me voilà, devant le cla-
vier de mon ordinateur, un
peu embarrassé pour atta-
quer le sujet. Avec la crainte
de réduire mon papier à un
prospectus publicitaire. En composant
www.lamaisondetara.ch, le lecteur trou-
vera toutes les informations détaillées
utiles à la compréhension de la genèse du
projet, de sa concrétisation et de son
fonctionnement. Les reformuler ici me
semble un exercice vain. Le paragraphe à
la fin de ce texte en résumera l’essentiel.
Un concept charpenté
aUtoUr de valeUrs hUmanistes
Entre résidents en fin de vie, famille et
proches, équipe de bénévoles avec leurs
cadres et soignants que nous sommes, qui
intervenons de l’extérieur, les expériences
échangées sont riches. Leur chaleur inci-
terait à un lyrisme auquel je ne voudrais
pas succomber. D’autres l’ont très bien
fait avant moi et le site internet de la mai-
son présente quelques témoignages à la
fois émouvants et susceptibles de récon-
cilier chacun avec la perspective de sa
propre fin. Qualité de vie et dignité. Loin
d’être des slogans ou des vœux pieux, ces
deux mots-clés sont des réalités vécues et
unificatrices à la Maison de Tara.
Rapporter ma propre relation à cette
aventure humaine sera ma façon d’ajouter
une pierre à l’édifice.
Une impressionnante
force de proposition
Bien avant qu’elle trouve ses quatre
murs, son toit et son jardin, la Maison de
Tara existait très fort dans l’esprit et dans
le cœur d’un groupe d’une cinquantaine
de bénévoles, représentatifs de la Genève
internationale polyglotte, laïque, solidaire
et engagée. Ces bénévoles avaient été
formés à l’accompagnement
de fin de vie par quelques
professionnels des soins, eux-
mêmes mobilisés, condition
princeps, par une personna-
lité charismatique.
Invités en 2007, pour faire
connaissance, au domicile de
cette dernière, avec quelques
collègues sensibilisés, nous
avions été stupéfaits d’y découvrir des
dizaines de nouveaux visages, animés par
leur grand projet. Quelques conversa-
tions nous ont rapidement persuadés de
la qualité des formations dispensées. Le
constat de départ était qu’une majorité
de citoyens exprime son désir de mourir
à domicile, mais que seule une minorité y
parvient. Ce dessein est voué à l’échec si
les conditions domestiques ou un en-
tourage vulnérable ou absent se révèlent
insuffisants. Une maison accueillante, ani-
mée par des bénévoles, selon un modèle
éprouvé à l’étranger, offrirait une solution
qui permette d’éviter une réadmission en
milieu hospitalier pour des raisons dites
«sociales».
Un lieU de vie en fin de vie…
Exercice de communication réussi.
Ce premier contact aura incité les acteurs
du réseau genevois de soins palliatifs à
proposer systématiquement l’intégration
d’une Maison de Tara au sein de tout pro-
jet cantonal coordonné.
Mais il y avait encore loin de la coupe
aux lèvres. Je fais court sur la longue
marche d’une équipe motivée se heurtant
au scepticisme désabusé des appareils ins-
tallés, peu enclins à accorder un espace à
une entité nouvelle.
Il en aura fallu du talent, de la ténacité,
du travail et de la foi, pour en arriver, en
2011, à l’inauguration d’une villa, parfaite-
ment équipée, au chemin de la Montagne à
Chêne-Bougeries. La Maison de Tara était
passée de rêve à réalité.
Retenons de ce parcours du combat-
tant que des autorités communales se sont
montrées plus réactives à une initiative
citoyenne que des structures cantonales
plus lourdes, de toute évidence, à faire
bouger.
…comme à la maison,
avec des visites à domicile
Le praticien en soins palliatifs que je
suis est amené à faire, en collaboration
avec des infirmières et d’autres profession-
nels de santé, des visites à domicile fré-
quentes, parfois en urgence. Cet exercice,
devant lequel les plus jeunes générations
de médecins restent malheureusement
timides, a ses avantages et ses contraintes.
Avantage de rencontrer le patient dans
son environnement familier. Valeur ajou-
tée par l’intégration de l’entourage à la
prise en charge. Soulagement de savoir
que son temps de déplacement et de tra-
vail est reconnu au même titre que celui
passé en cabinet.
Contrainte de parfois se confronter à
des limitations architecturales, à des équi-
pements mal adaptés ou à des ressources
familiales fragilisées, autant pour des rai-
sons psychologiques que physiques.
A la Maison de Tara, le docteur et l’in-
firmière se parquent devant la maison
dans un sympathique crissement de gra-
vier (les intervenants engagés dans les
soins à domicile savent que ce n’est pas
trivial). A toute heure de la journée ou de
la soirée des bénévoles sont là pour les
accueillir. La nuit, ce sera une veilleuse.
L’ambiance générale est celle d’une do-
mesticité sereine, calme et souriante. La
table est prête à accueillir le prochain re-
pas convivial. La visite au patient et à ses
UNE MAJORITÉ
EXPRIME SON
DÉSIR DE MOURIR
À DOMICILE
MAIS SEULE UNE
MINORITÉ Y
PARVIENT
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