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Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (15) - n° 3 - mars 2001
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tor
a
Éditorial
Je me souviens, il y a quelques années lorsque j’ai débuté dans la carrière d’alcoologue,
l’addictologie non seulement n’existait pas mais, de surcroît, le partage des responsabi-
lités était clairement établi. L’alcoologie s’était individualisée par le biais de la création
de centres d’hygiène alimentaire, puis de centres d’hygiène alimentaire et d’alcoologie et enfin
de centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA), et jamais ces centres ne prenaient en
charge de patients en difficulté avec d’autres produits. On racontait alors les classiques histoires
de chasse où de véritables rixes avaient eu lieu dans les salles de consultation entre de bons
patients alcooliques et les mauvais toxicomanes.
À ce titre, je me souviens encore d’une discussion que nous avons eu l’année dernière au
ministère de la Santé, lorsque nous parlions de la création d’une unité d’addictologie. À cette
occasion, j’avais remarqué que les spécialistes qui travaillaient dans les CSST (centres de soins
spécialisés en toxicomanie) mettaient en avant la désocialisation, la difficulté de prise en charge
de leurs patients toxicomanes qui leur prenaient beaucoup de temps, contrairement aux patients
alcooliques qui, eux, n’étaient jamais aussi “atteints”. Et nous, spécialistes des CCAA, nous
répondions que plus de 30 % de nos patients étaient au chômage, que nous ne comptions plus
les déstructurations, les désocialisations manifestes de nos patients en problématique avec l’al-
cool, ni les difficultés à trouver des centres de post-cure quasi inexistants. On avait l’impression
d’entendre des discours similaires sur la difficulté de prise en charge des patients, chacun se
renvoyant sa spécialité comme étant la plus noble.
Je pense qu’une des difficultés d’intégrer le discours unique de l’addictologie est certainement lié
pour partie à ce passé, pas si ancien que cela d’ailleurs. Par ailleurs, les difficultés actuelles pour
obtenir un discours cohérent et unique de la part des CCAA et des CSST sont aussi liées au fonc-
tionnement financier de ces structures. Pour ne parler qu’en tant qu’alcoologue, les CCAA et l’al-
coologie ont longtemps été et restent encore les parents pauvres en termes de santé publique, et la
peur d’être noyé dans l’addictologie et de disparaître de fait n’est pas un des moindres freins à la
volonté d’une prise en charge en addictologie.
En fait, il est indéniable que l’addictologie a réellement une raison d’être. On connaît depuis
longtemps les passerelles entre la toxicomanie et l’alcoologie :
– fréquence des polydépendances nécessitant une approche clinique commune ;
– l’alcool reste un des premiers moyens de substitution des héroïnomanes ;
– on connaît l’utilisation abusive d’une consommation d’alcool chez le cocaïnomane pour
essayer de gérer l’effet dépressiogène de la cocaïne ;
– la mise à disposition pour un jeune public, ces dernières années, de boissons alcoolisées bana-
lisées, mais à très haut degré d’alcool, facilitant en cela “la défonce à l’alcool”, est une attitude
tout à fait toxicomaniaque ;
– sans oublier les nouvelles attitudes “addicts” représentées par les cocktails alcool-
amphétamines et l’abus de substances psychoactives chez les jeunes ;
– enfin, il existe une voie biologique commune à la dépendance centrée sur le système
dopaminergique et les opioïdes endogènes.
Un autre exemple d’interrelations manifestes entre les différents produits se situe dans la prise en
charge des patients ayant une hépatite virale C. On connaît le rôle évident dans l’aggravation de
cette pathologie de la consommation d’alcool, même à un très faible taux, et l’on connaît
l’importance de la sériprévalence positive à l’hépatite C chez les “sniffeurs ou shooteurs”.
Enfin, le fondement de l’addictologie, qui consiste à dire qu’il faut traiter le comportement (abus
ou dépendance) et non pas le regard vis-à-vis du produit, est un fait établi maintenant par tous
les spécialistes, qu’ils soient membres d’un CCAA ou d’un CSST.
Mais alors, comment passer du discours à la réalité ? Cela d’autant plus qu’il existe des
différences incontestables dans les modes de présentation des populations “addicts”.
Ainsi, le toxicomane à l’héroïne a un profil psychiatrique souvent plus lourd ; il revendique sa
dépendance comme un accès de fait au soin, ce qui le positionne à l’opposé de l’alcoolique pour
lequel le déni est un mode de fonctionnement, que ce soit du côté du patient comme du côté de
De l’alcoologie
à l’addictologie,
il n’y a
qu’un pas...
P. Tieghem*
* CCAA Aulnay-sous-Bois,
Unité d’alcoologie de liaison,
hôpital Robert-Ballanger, Aulnay-
sous-Bois.