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Dernière règle du jeu : ne pas céder à l’engouement passager d’une starlette
hollywoodienne ou d’un boysband à succès. Ceux qui inscrivent leur nom dans le ciel
doivent mériter l’accès à l’éternité. Exception faite pour les comètes et les astéroïdes
(Zoom), les noms des personnes vivantes sont désormais bannis. Seuls les individus
décédés depuis au moins trois ans, à condition qu’ils ne soient ni des leaders politiques
ou militaires, ni des figures religieuses, ont leur chance. “Dans ces deux cas, nous
décidons entre nous d’un délai d’attente. Par exemple, 3 000 ans semblent raisonnables
pour un dieu, alors que 300 ans devraient suffire lorsqu’il s’agit d’un leader politique ou
militaire, tout charismatique soit-il…” s’amuse André Brahic, professeur à l’université
Paris 7 et membre du groupe Système solaire extérieur.
Trois mille femmes hors du commun ont ainsi été honorées sur la deuxième planète,
comme l’Anglaise Christine Norden, déesse du cinéma d’après-guerre qui parut les seins
nus sur une scène de théâtre, devenue logiquement un mont de Vénus. “En revanche, La
Pompadour a été refusée par les américains, poursuit André Brahic, car elle était la
maîtresse du roi de France.” Shocking… Enfin, il y a plus de 70 ans, dans la plus pure
tradition des dieux grecs puis romains, l’UAI baptisait la petite dernière du système
solaire, découverte par Clyde Tombaugh en 1930, du nom de Pluton. Il suffisait de
compléter l’arbre généalogique de la famille de Gaïa (la Terre, en grec), puisque Pluton
n’est autre que le frère de Jupiter. Quelle logique adopter à présent pour les corps
orbitant autour de soleils étrangers ?
“Avant de donner un nom à ces planètes, il faudrait déjà pouvoir leur donner le nom de
‘planète’ !”, expliquent en substance les membres de l’UAI et les astronomes qui traquent
ces nouveaux mondes. Car la définition scolaire — un objet gazeux ou rocheux, sans
réaction nucléaire, en orbite autour d’une étoile et qui brille seulement par réflexion de la
lumière d’autres astres — se heurte à de nouvelles curiosités. “Que dire des objets aux
caractéristiques planétaires mais errant dans l’espace ?” s’interroge par exemple
Stéphane Udry, de l’observatoire de Genève. En février dernier, en marge des
assemblées générales trisannuelles de l’UAI, les membres du groupe de travail sur les
planètes extrasolaires ont tranché. Leur définition provisoire ne fait pas de quartier.
Premièrement, exit les objets flottants, quels qu’ils soient. Deuxièmement, ceux orbitant
autour d’une étoile mais d’une masse 13 fois supérieure à celle de Jupiter, la planète
géante du système solaire, sont officiellement relégués au rang de naine brune (Zoom).
Bien, l’affaire est entendue ! La voie est-elle libre désormais pour identifier et baptiser les
exoplanètes ? Que nenni ! “Pour la plupart d’entres elles, les méthodes actuelles de
mesure ne permettent pas d’obtenir une valeur exacte de la masse, explique Xavier
Delfosse. Plus tard, certaines pourraient se révéler de vulgaires naines brunes. Il faudrait
alors changer leur nom au risque d’une grande confusion.” Misère…
Autre problème : l’image. Même les meilleurs paparazzi de la Galaxie seraient bien peine
de fournir à l’heure actuelle le moindre cliché d’une seule de ces exoplanètes. Les
preuves de leur existence se résument à des mesures de détection, au spectrographe, en
traquant les oscillations d’une étoile. Or, en parfait saint Thomas de la nomenclature,
l’UAI ne nomme que ce qu’elle voit. Tant pis si la première image n’est pas attendue
avant une bonne dizaine d’années. Peu surprenant dans ces conditions que l’organisation
internationale “ne voit pas l’intérêt de baptiser les exoplanètes et n’en a aucune intention
en l’état actuel des connaissances”. Tout juste devrait-on entériner l’appellation la plus
courante, du type “HD 123456 b”, à la prochaine assemblée. “C’est plus sage, commente
Xavier Delfosse, car il faut aussi s’attendre à un autre écueil : nous allons bientôt crouler
sous les nouvelles planètes. Les missions spatiales telles que Gaïa pourront en trouver un
nombre gigantesque, des centaines, peut-être des milliers ! Comment donner un petit
nom à chacune ?” L’UAI pourrait bien jeter l’éponge en effet. Comme elle l’a déjà fait
devant le nombre astronomique d’étoiles, référencées par des signes grecs en fonction
de leur position dans les constellations et classés dans différents catalogues sous des
numéros d’immatriculation, exception faites des plus brillantes (Véga, Altaïr, etc.) aux
noms consacrés par la tradition. “Concernant les exoplanètes, nous y verrons plus clair
vers 2030, conclut André Brahic, quand nous connaîtrons la masse de ces objets et leur
orbite, indispensables pour les baptiser.”