L`“angor de verge” ou la révolution actuelle de la

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◆ POINT DE VUE
Progrès en Urologie (2005), 15, 1030-1034
L’“angor de verge” ou la révolution actuelle de la dysfonction érectile (DE)
Pierre BONDIL (1), Vincent DELMAS (2)
(1) Service
d’Urologie-Andrologie, CHG de Chambéry, France, (2) Service d’Urologie, Hôpital Bichat, Paris, France
RESUME
La dysfonction érectile (DE) ne peut plus être négligée par le corps médical car sa survenue n’est jamais anodine mais toujours un marqueur pertinent d’un état de “non santé” sexuelle certes, mais aussi (et parfois surtout)
non sexuelle (physique et/ou psychique). Son intrication prouvée avec de multiples pathologies chroniques et
situations à risque pour la santé est en train de la faire déborder du seul cadre sexuel puisque ce symptôme, facilement décelable par un simple interrogatoire, apparaît non seulement, comme un baromètre de la santé, mais
aussi, comme un clignotant, avertisseur de situations parfois dangereuses pour la santé. Ainsi, dans des populations masculines à haut risque vasculaire aussi fréquentes que le diabète et le syndrome métabolique, sa survenue doit être considérée jusqu’à preuve du contraire comme une “angine de verge”, c’est à dire comme un symptôme vasculaire à l’effort qui a une double valeur d’alarme en tant que : 1) témoin d’une aggravation, 2) prodrome potentiel d’accidents vasculaires aigus. Ces liens étroits entre DE et pathologie cardiovasculaire donnent
une toute autre dimension à la DE qui est désormais un candidat crédible à être un nouveau marqueur clinique
vasculaire et peut-être dans certains cas, un nouveau marqueur du risque cardio-vasculaire. Ces rôles inattendus de révélateur et de marqueur clinique de multiples états de “non-santé” (cardiovasculaires ou non) contribuent paradoxalement à “désexualiser” la DE puisque la santé sexuelle n’apparaît plus comme l’enjeu prioritaire. Ils ouvrent surtout la perspective réaliste d’un dépistage opportuniste et proactif de la DE dans des populations bien ciblées dans un objectif de prévention primaire des accidents cardiovasculaires, priorité de santé
publique. Pour toutes ces raisons, la survenue d’une DE demande de la part de tout médecin, quelle que soit sa
qualification, une évaluation minimale de la santé du patient en distinguant clairement les objectifs de qualité de
vie et de santé. Cette prise en charge moderne de la DE s’inscrit ainsi dans une démarche individuelle (humaniste) et collective (civique et éthique). Cette “révolution” respecte les exigences d'une démarche scientifique de
qualité qui associe les concepts de la médecine fondée sur les preuves et sur le raisonnement à la preuve d'un service rendu au patient car se préoccuper de leur santé sexuelle (et non de leur sexualité) revient aussi à se préoccuper de leur santé tout court.
Mots clés : Dysfonctionnement érectile, marqueur clinique, médicalisation, bilan, qualité de vie, pathologie cardio-vasculaire, santé globale, dépistage cardio-vasculaire.
L’identification épidémiologique de multiples facteurs étiologiques
et de risque de la dysfonction érectile (DE) a facilité sa compréhension mais aussi profondément modifié son approche tant au
niveau individuel que collectif. Définie comme “l’incapacité persistante ou récurrente d’obtenir et/ou de maintenir une érection suffisante pour une activité sexuelle” [2, 10, 15], la DE ne peut plus
continuer à être méconnue ou négligée par le corps médical. Jusqu’il y a peu, pour beaucoup de soignants, elle apparaissait comme
une pathologie “de confort” ou “peu sérieuse” malgré son impact
négatif fréquent sur la vie quotidienne du patient [4]. Mais, son
intrication prouvée [1, 2, 5, 9, 10, 15, 16, 17, 20, 21] avec de multiples pathologies chroniques et situations à risque pour la santé est
en train de la faire déborder largement du seul cadre de la sphère
sexuelle. La problématique actuelle n’est plus uniquement sexuelle
mais aussi médicale car elle apparaît comme un authentique clignotant avertisseur de situations parfois dangereuses pour la santé.
En moins de 10 ans, la prise en charge de ce symptôme clinique
(très “concret” pour les individus et facilement décelable par le seul
interrogatoire) a connu trois bouleversements majeurs à l’origine
d’une véritable révolution au sens littéral (changement brusque,
bouleversement profond de valeurs fondamentales selon Le Petit
Larousse).
TROIS BOULEVERSEMENTS MAJEURS
La DE : une médicalisation croissante et irréversible
En 1998, l’hypermédiatisation du Viagra® a sorti la DE d’un petit
cercle de spécialistes pour l’introduire non seulement dans le grand
public mais aussi dans la pratique quotidienne des médecins généralistes et spécialistes en large majorité, non ou peu familiarisés
avec la pathologie sexuelle [2, 4, 7]. Pourtant, selon les recommandations de bonnes pratiques cliniques, la prise en charge optimale
de la DE nécessite, comme n’importe quelle autre pathologie, un
diagnostic étiologique le plus précis possible (pour adapter au
mieux le traitement) et la rencontre d’une confiance et d’une compétence, c’est-à-dire, une relation médecin-patient véritable qui
intègre judicieusement dans la prise de décisions, les données cliniques et paracliniques avec les souhaits du malade [2]. La réalité
Manuscrit reçu : juillet 2005, accepté : septembre 2005
Adresse pour correspondance : Dr. P. Bondil, Service d’Urologie-Andrologie, Centre
Hospitalier, square Massalaz, 73011 Chambéry.
e-mail : [email protected]
Ref : BONDIL P., DELMAS V. Prog. Urol., 2005, 15, 1030-1034
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Pierre Bondil et Vincent Delmas, Progrès en Urologie (2005), 15, 1030-1034
est que la méconnaissance des troubles sexuels et les difficultés
d’en parler sont encore largement partagées par les soignants et les
soignés [2, 4, 6, 7, 13] d’où le paradoxe persistant d’un sous-traitement malgré les preuves : a) d’une prévalence élevée de la DE, b)
d’une demande réelle (quoique souvent masquée). La santé sexuelle étant définie par l’OMS comme l’“expérience d’un processus
continu de bien-être physique, psychique et socioculturel concernant la sexualité [12], il n’est pas étonnant que la DE affecte souvent la vie quotidienne de l’homme … et du couple puisqu’elle a la
particularité d’être en règle subie à deux [2, 4, 16]. Dès 1999, le
Comité Consultatif National d’Ethique pour les Sciences de la Vie
et de la Santé a clairement légitimé cette demande de prise en charge et cette médicalisation : “la reconnaissance de l’activité sexuelle... comme expression et facteur de bien-être,… implique que sa
défaillance puisse être traitée par la médecine…toute amélioration
des troubles de la vie sexuelle concourt au bien-être de l’individu”
[6].
La DE : un baromètre clinique pertinent de la santé et de la
qualité de vie
Le deuxième bouleversement a été la mise en évidence que la DE
était certes, un symptôme de la santé sexuelle (marqueur de la qualité de vie) [2, 4, 7, 12, 13, 15] et aussi (et parfois surtout), de la
santé non sexuelle (physique et psychique) comme l’a démontré la
multiplication d’enquêtes épidémiologiques à partir des années
1990 [2-4, 15]. Dès lors, de façon totalement inattendue, la DE
offrait la possibilité d’une approche globale de la santé tant à l’échelon individuel que collectif en apparaissant comme un baromètre clinique pertinent et fiable de :
- la santé globale à la base du concept “DE symptôme” [2] potentiellement révélateur d’état(s) de “non santé” ou marqueur de
complication(s) de maladies chroniques (aussi fréquentes que le
diabète, l’athérosclérose, les troubles de l’humeur …) ou de situations à risque pour la santé (aussi fréquentes que les addictions, la
fatigue chronique, la mauvaise hygiène de vie, le stress chronique…) [1, 2, 10, 15, 21].
- la qualité de vie à la base du concept “DE maladie” [2] lorsqu’il
existe une souffrance, une plainte ou une demande du patient
reflétant ses difficultés à vivre sa sexualité au quotidien.
Cette distinction DE “symptôme” ou “maladie” n’est pas que
conceptuelle, elle est aussi pratique car les objectifs de prise en
charge sont très différents (quoique souvent complémentaires). La
DE “maladie” concerne d’abord la qualité de vie tandis que la DE
“symptôme” concerne avant tout la santé [3]. Elle permet notamment de ne pas ne pas faire un bilan systématique à tout sujet ayant
une DE mais une évaluation ciblée qui hiérarchise les priorités en
fonction des données cliniques primordiales car si toute DE est
“symptôme”, toute DE n’est pas obligatoirement “maladie” [2, 3].
La DE : un marqueur clinique de maladie et de gravité vasculaire
Le troisième bouleversement, peut-être le plus important, réside
dans les concepts plus récents de :
- la DE = Dysfonction Endothéliale [2, 5, 14, 17, 20, 22] selon
lequel la DE est avant tout une maladie à prédominance vasculaire et le reflet non seulement d’anomalies vasculaires locorégionales mais aussi diffuses (notamment coronariennes). La DE ne
serait alors que la partie visible d’une maladie vasculaire généralisée [17].
- l’“angine de verge” [3] selon lequel par analogie avec l’angine de
poitrine, la DE est très souvent un symptôme vasculaire à l’effort
et parfois, un symptôme d’alarme notamment dans les populations
à risque vasculaire élevé car témoin d’une aggravation et prodrome potentiel d’accidents cardio-vasculaires aigus [9, 11, 14, 18,
19, 23] pouvant engager le pronostic vital.
Cette relation DE - pathologie vasculaire n’est guère étonnante car
physiologiquement [2, 21] l’érection est avant tout, un phénomène
hydraulique à prédominance vasculaire. La phase de tumescence est
ainsi assimilable à un véritable test d’effort vasculaire ultrasensible
[3]. Les rôles physiologiques prépondérants du monoxyde d’azote
ou NO (sécrété par l’endothélium vasculaire), de l’oxygène et du
flux sanguin dans les mécanismes érectiles expliquent très facilement que la DE peut être (très souvent mais pas toujours) le marqueur clinique précoce d’une maladie vasculaire diffuse [1, 2, 5, 17,
22] car les cellules endothéliales sont ubiquitaires et fonctionnent à
l’identique dans tous les vaisseaux de l’organisme. La mise en évidence épidémiologique [2, 9, 15, 19, 20], expérimentale [1, 21] et
physiopathologique [2, 17, 21] de liens étroits entre DE et pathologie vasculaire explique la prévalence et la sévérité accrue de la DE
en cas de maladies cardiovasculaires [11, 15, 18, 20]. Dans l’état
actuel des connaissances, la DE apparaît comme un candidat crédible pour être un nouveau symptôme vasculaire marqueur clinique :
a) vasculaire [1, 2, 5, 11, 17, 20, 22], b) du risque cardio-vasculaire
(exactement comme l’hypertension artérielle). Ainsi, plusieurs études récentes montrent que dans des populations à haut risque vasculaire, la présence d’une DE semble accroître le risque d’accidents
vasculaires aigus et la survenue de pathologies cardio-vasculaires
[5, 9, 18, 20, 23]. Vu la rareté des marqueurs vasculaires cliniques
simples à dépister par l’interrogatoire et facilement identifiables par
les individus, il s’agirait d’une avancée considérable si elle se
confirme. Mais, d’ores et déjà, c’est une véritable révolution car ces
liens avec la pathologie cardiovasculaire sont en train de donner une
tout autre dimension médicale à la DE en :
- apparaissant comme un marqueur clinique vasculaire et un marqueur de risque cardio-vasculaire potentiels tout particulièrement
lorsqu’il existe un profil de risque vasculaire faible ou intermédiaire et à fortiori, élevé.
- expliquant les recommandations actuelles [8, 10, 16] d’évaluer
chez tout patient ayant une DE, son statut cardiovasculaire. La
recherche systématique de facteurs de risque et de pathologies cardio-vasculaires permet de respecter les recommandations du
consensus de Princeton [8].
- soulignant l’intérêt potentiel d’un dépistage proactif non pas communautaire mais ciblé, quel que soit l’âge, dans les populations
masculines à profil de risque vasculaire élevé [3, 5, 11, 18], c’est
à dire en priorité, les hommes ayant un antécédent d’accidents cardiovasculaires, un syndrome métabolique, un diabète ou un risque
global accru d’accidents (échelle de Framingham) ou de mortalité
(échelle SCORE) cardio-vasculaires.
- distinguant clairement la “non santé”, la qualité de vie, la sexualité et ses troubles. Le retentissement souvent important, quel que
soit l’âge, de la DE sur la vie quotidienne de l’homme et de la partenaire occulte encore trop souvent sa valeur de symptôme pour la
santé pour une majorité des individus et de soignants. Il s’agit
d’une source de confusion fréquente.
Cette révolution qui s’appuie sur la médecine fondée sur les preuves et sur le raisonnement, répond à une démarche éthique et
civique de santé publique [2] car le dépistage, la prévention primai-
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Pierre Bondil et Vincent Delmas, Progrès en Urologie (2005), 15, 1030-1034
re des accidents vasculaires aigus et secondaire des pathologies cardiovasculaires sont des priorités actuelles nationales et internationales.
La survenue d’une DE n’est jamais anodine ou fortuite.
Néanmoins, cette tendance au “tout vasculaire” actuel est aussi
excessive que le “tout psychogène” des années 1980 car elle ne
reflète que très partiellement la réalité du diagnostic étiologique de
la DE. Celui-ci est en règle, caractérisé par une intrication de facteurs biopsychosociaux et environnementaux qui déclenchent et
pérennisent habituellement la DE [2, 10, 15, 16, 21] expliquant que
le facteur étiologique à priori le plus évident n’est pas forcément le
principal responsable. Mais, dans tous les cas, que la DE soit ou non
le témoin d’anomalies vasculaires, la médecine factuelle démontre
que sa survenue n’est jamais fortuite ou anodine car toujours symptôme avertisseur d’un état de “non santé” physique et/ou psychique
et/ou sexuelle (connu ou non, modifiable ou non). Par conséquent,
déontologiquement, ce clignotant avertisseur impose à tout médecin
en premier contact, quelle que soit sa qualification, un premier
bilan. Celui-ci ne doit pas être systématique mais raisonné car
guidé par les trois paramètres qui hiérarchisent la prise en charge et
le bilan de toute DE [3] : 1) l’âge, 2) les données de l’étape clinique,
3) le concept “DE maladie/DE syndrome”. En effet, si la DE est
toujours “symptôme”, elle n’est pas toujours “maladie” puisque la
fonction sexuelle est facultative et chacun vit sa sexualité comme il
le veut (ou le peut). Ainsi, malgré la difficulté habituelle d’identifier la cause précise d’une DE et l'efficacité des traitements médicamenteux actuels, l'intérêt du bilan à visée étiologique n’est plus
remis en question [3, 8, 10, 16], la valeur de symptôme de la DE ne
devant plus être négligée. La conséquence très pratique est que le
bilan de la DE “symptôme” doit toujours s’intéresser à la santé “non
sexuelle” (physique et psychique) puis, uniquement en cas de DE
“maladie”, à la santé sexuelle. Dans tous les cas, les objectifs de ce
bilan de “débrouillage” (qui est toujours clinique et souvent biologique) sont de reconnaître : a) les étiologies et les facteurs de risque
de DE susceptibles de bénéficier d'une prise en charge spécifique
(condition nécessaire mais non toujours suffisante), b) les situations
à risque pour la santé, c) les pathologies chroniques non connues ou
insuffisamment prises en charge [3, 10, 15, 16]. Pour les seuls cas
de “DE maladie”, le bilan distinguera les cas simples (relevant
d’une large majorité de médecins) ou plus complexes (fonction de
facteurs de gravité propres au sujet ou dépendant de son environnement) qui nécessitent le recours rapide à un spécialiste de la DE ou
à un autre spécialiste [3, 7, 16]. Cette évaluation permet de distinguer, d’une part, le sujet en bonne santé apparente (sans antécédents
ou facteur de risque particulier personnel ou familiaux) ou en moins
bonne santé mais médicalement régulièrement suivi, d’autre part, le
sujet non ou mal suivi qui nécessite une investigation plus approfondie. Elle donne ainsi au trouble érectile toute sa place dans une
approche réellement globale de la santé. Schématiquement, l’âge
permet déjà d’orienter le diagnostic et le bilan étiologiques [3] :
- avant 35 ans, âge où sa prévalence dans la population générale est
minime (< 3%) [2, 13, 15], sauf cas très particuliers (post-traumatique, antécédent familial ou personnel cardiovasculaire), le DE
est d’abord le symptôme d’un manque de confiance, d’anomalies
génitales (réelles ou supposées), de troubles identitaires, de la personnalité et/ou relationnels, puis, éventuellement d’un état morbide (dépression, diabète, addictions …). Si la simple réassurance et
la correction des idées reçues suffisent parfois, un avis spécialisé
(andrologique, sexopsychologique voire psychiatrique) est souvent nécessaire (d’autant plus que la DE est primaire ou ancienne)
du fait d’une souffrance et d’un retentissement sur la qualité de vie
souvent importants chez ces hommes jeunes [13] à l’origine parfois de comportements suicidaires.
- de 35 à 50 ans, âge où sa prévalence est faible mais non négligeable (3-10%) [2, 13, 15], la DE est aussi et en priorité, un symptôme vasculaire (“angine de verge”) ou un symptôme de troubles de
l’humeur (anxiodépressifs) ou relationnels (“conjugopathies”),
puis un symptôme de diverses autres morbidités chroniques
(neurologiques, troubles du sommeil …) et/ou situations à risque
(surmenage, fatigue, mauvaise hygiène de vie …) pour la santé.
- après 50 ans, âge qui marque un tournant puisque selon les séries,
la DE varie de 10 à 20% chez les hommes de 50 à 60 ans pour augmenter à plus de 25% après 60 ans [2, 13, 15], la DE est toujours
en priorité un symptôme vasculaire ou d’un trouble de l’humeur
et/ou relationnel mais aussi un symptôme d’autres morbidités
chroniques (notamment hormonales, urologiques, iatrogènes …)
dont la prévalence augmente parallèlement à partir de cet âge [2,
15, 16, 21].
- à tout âge, ce marqueur clinique peut être le symptôme révélateur
d’un état de “non santé” méconnu (sclérose en plaque, adénome
hypophysaire …) ou marqueur de l’aggravation d’un état pathologique connu (diabète, coronaropathie …).
Le dépistage ciblé de la DE se rapproche de la pratique quotidienne
De façon très surprenante, la DE est en train de passer en quelques
années, d’une pathologie de “confort” à une problématique de
dépistage [1, 2, 4, 17, 22]. Actuellement, ce dépistage ne doit pas
être communautaire mais opportuniste proactif dans certaines
populations bien ciblées en fonction de l’âge et du contexte clinique. D’ores et déjà, dans un objectif de santé publique, deux
cibles privilégiées semblent s’imposer : les hommes diabétiques et
ceux ayant un syndrome métabolique étant donné leur prévalence
élevée (en pleine expansion) et leur haut risque d’accidents vasculaires aigus (d’autant plus que chez eux, la DE est un marqueur à la
fois vasculaire et d’aggravation de leur maladie) [3, 9, 11, 17, 19,
20, 23]. Ce dépistage opportuniste pourrait raisonnablement être
élargi à tout homme, quel que soit son âge, présentant plusieurs facteurs de risque vasculaire (d’où l’intérêt d’évaluer le profil de
risque cardio-vasculaire en utilisant des échelles d’évaluation de
risque type Framingham ou SCORE) exactement comme la recherche d’une pathologie et/ou des facteurs de risque cardio-vasculaires
est actuellement recommandée chez tout sujet ayant une DE [8, 15,
16]. Enfin, de façon provocatrice mais somme toute pragmatique,
une voie de recherche non utopique consisterait à proposer un
dépistage communautaire de principe d’une DE chez tout homme
consultant en médecine après 50 ans pour plusieurs raisons :
- sa valeur potentielle de nouveau marqueur clinique cardio-vasculaire (voire de nouveau marqueur de risque cardio-vasculaire).
- l’épidémiologie montre qu’il s’agit d’une période où sa valeur diagnostique est la plus “rentable” du fait de l’augmentation de prévalence de la DE et des maladies chroniques [2, 13, 15].
- la demande de prise en charge est fréquente quoique souvent masquée car la vie sexuelle reste un paramètre de qualité de vie encore important chez une majorité d’individus avançant en âge [2, 6,
7, 13].
- ce clignotant clinique a l’indéniable avantage d’être très “visible”
pour tous les individus et facilement décelable par un simple interrogatoire lors d’une consultation.
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- la DE a tendance à une auto-aggravation [2, 4, 16] ce qui souligne
l’intérêt d’une prise en charge précoce.
Paradoxalement, ces bouleversements contribuent en quelque sorte,
à “désexualiser” [2, 3] la DE en mettant en avant : a) sa valeur de
symptôme clinique de la santé non sexuelle (physique et psychique), b) son rôle de marqueur de la qualité de vie de l’homme (et
du couple). En démystifiant la DE, ils facilitent sa médicalisation
avec le double avantage de replacer la santé sexuelle dans la pratique quotidienne de chaque médecin (qu’il soit généraliste ou spécialiste) et de favoriser une prise en charge plus globale de la santé.
Ainsi, ce bilan raisonné et cette recherche ciblée d’une DE apparaissent comme un bon modèle d’une prise en charge moderne globale (privilégiant une approche biopsychosociale et environnementale) et éthique, c’est à dire humaniste de service rendu au niveau
individuel et civique de santé publique [2-4] au niveau collectif en
s’inscrivant dans :
- une démarche-qualité car un objectif actuel est de ne plus faire un
bilan systématique mais ciblé en fonction des données de la clinique chez tout sujet ayant une DE.
- un dépistage opportuniste et proactif d’états de “non santé” parfois potentiellement dangereux (que la DE soit ou non le motif de
la consultation ou un problème pour le patient).
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De façon inattendue, la DE est en train de déborder largement le
seul cadre de la sphère sexuelle du fait de son intrication avec de
multiples pathologies chroniques et des priorités de santé publique
(cardiovasculaires notamment). Le corps médical (généraliste et
spécialiste) ne peut plus méconnaître ou négliger la DE en raison de
sa valeur de marqueur pertinent de l’état de santé globale (sexuelle,
physique et psychique) et de son impact négatif fréquent sur la vie
quotidienne du patient (et du couple) quel que soit l’âge, à l’origine d’une demande réelle mais souvent masquée. Son potentiel de
symptôme révélateur de multiples pathologies (tout particulièrement cardio-vasculaires en tant qu’“angine de verge”) et de situations à risque pour la santé a ouvert la prometteuse perspective d’un
dépistage ciblé opportuniste et proactif de la DE notamment chez
les patients à risque vasculaire en prévention primaire des accidents
vasculaires aigus, la DE apparaissant alors comme un marqueur du
risque cardio-vasculaire potentiel. En concordant avec plusieurs
priorités de santé publique, la DE apparaît de plus en plus comme
un problème de santé publique, d’où l'accord professionnel actuel
d’inscrire le bilan de toute DE dans une démarche de prise en charge globale de la santé. Pour toutes ces raisons, ce symptôme d’un
état de “non santé” demande une évaluation minimale de la santé du
patient réalisable par tout médecin, quelle que soit sa qualification
en distinguant les objectifs de qualité de vie et de santé. Cette prise
en charge moderne de la DE s’inscrit dans une démarche humaniste et éthique de santé publique. Cette “révolution” respecte les exigences d'une démarche scientifique de qualité, c'est à dire qui associe harmonieusement les concepts de la Médecine Fondée sur les
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rendu au patient car se préoccuper de leur santé sexuelle (et non de
leur sexualité) revient aussi à se préoccuper de leur santé tout court.
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SUMMARY
Angina of penis or the current revolution in erectile dysfunction
(ED).
Erectile dysfunction (ED) can no longer be neglected by the medical
profession, as the presence of ED is never entirely benign, but is always
a reliable marker of a sexual disorder, but also (and sometimes especially) a non-sexual disorder (physical and/or mental). Its documented
association with many chronic diseases and high-risk situations is in
the process of extending the significance of ED beyond the purely
sexual domain, as this symptom, easily detected by simple clinical
interview, appears to be not only a barometer of health, but also a warning indicator of situations that can sometimes be dangerous for the
patient’s health. For example, in male populations with a high vascular
risk, ED is as frequent as diabetes and metabolic syndrome, and must
be considered, until proof to the contrary, to reflect angina of the penis,
i.e. an exercise-induced vascular symptom, which has a double warning
value: 1) marker of deterioration, 2) potential prodrome of acute vascular accidents. These close relations between ED and cardiovascular
disease give a completely different dimension to ED, which now constitutes a potential candidate for a new clinical vascular marker and possibly, in some cases, a new marker of cardiovascular risk. These unexpected roles of revealing factor and clinical marker of multiple health
states (cardiovascular or other) paradoxically contribute to “desexualization” of ED, as sexual health no longer appears to be the major risk
involved. In particular, they open the realistic perspective of opportunistic and proactive detection of ED in well targeted populations for the
purposes of primary prevention of cardiovascular disease, a public
health priority. For all these reasons, the development of ED requires a
minimal evaluation of the patient’s state of health, regardless of the
doctor’s qualification, by clearly distinguishing quality of life and
health objectives. This modern management of ED is part of an individual (humanistic) and social (civic and ethical) approach. This “revolution” complies with the requirements of a good quality scientific
approach, which comprises the concepts of evidence-based medicine
and a rational approach to the service rendered to the patient, as management of his sexual health (and not his sexuality) also comprises
management of his general health.
Key-Words: Erectile dysfunction, clinical marker, medicalization,
assessment, quality of life, cardiovascular disease, general health, cardiovascular detection.
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