La communication du Premier ministre Laurent
Fabius,
juillet 1984 - mars 1986
les deux candidats du second tour à la présidence de la République
:
Valéry Giscard d'Estaing et
François Mitterrand9. La corrélation implicite que l'on fit entre la réussite médiatique du
ministre des Finances — ou du moins ce que l'on avait perçu comme une réussite — et sa
victoire politique conféra à ce genre télévisuel toute sa puissance institutionnelle. Ainsi les débats
télévisés devinrent au fil des ans les véritables points d'orgue des campagnes électorales. C'est
dans ce cadre que se situa la proposition de Laurent Fabius, Premier ministre, aux deux leaders
de l'opposition Jacques Chirac et Raymond Barre, de débattre avec lui10. Cette initiative n'était
pas fortuite. Elle révélait la stratégie du Premier ministre qui, fort de son image de ténor
médiatique, entendait profiter de ce débat pour lancer à son avantage la campagne des élections
législatives de mars 1986 afin de s'en affirmer comme le leader incontesté11. Même si au fond, il
ne pouvait raisonnablement escompter de ce débat, quelqu'en soit l'issue, un retournement
d'opinion en faveur de la majorité12.
Mais l'enjeu fut aussi renforcé par la presse, qui en faisant un large écho aux préparatifs
entourant le débat, contribua à en faire un événement exceptionnel13. En effet, les choix portant
sur la chaîne, le créneau horaire, les journalistes, l'ordre des thèmes abordés, la date du débat, la
réalisation, la mise en scène, le décor du plateau donnèrent lieu à de minutieuses et laborieuses
négociations auxquelles la presse accorda une large place, donnant ainsi à l'événement une
ampleur particulière14. En outre, ses analyses orientèrent la perception de l'événement, créant
ainsi un effet de redondance décalée15. L'emploi d'un langage métaphorique relevant du registre
sportif et militaire induisit d'emblée un effet de dramatisation. En présentant ce débat comme
un duel16, ou encore comme un match « Rolling Fabius contre Battling
Chirac17
»,
«
Battling
Chirac contre Kid
Fabius™
»,
«
Chirac-Fabius
le premier
round19
», les observateurs imposèrent
l'idée d'un affrontement impitoyable dont l'issue ne pouvait se trouver que dans la désignation
d'un vainqueur et d'un vaincu. De plus, les analyses en véhiculant une certaine image des deux
protagonistes, conditionnaient de fait les perceptions du public et celles des acteurs eux mêmes.
De tels commentaires, du reste très dépendants des analyses antérieures et de la sensibilité
politique de leur support de diffusion, ne révélaient rien de véritablement nouveau quant à
l'image des deux leaders. Néanmoins l'impression dominante était celle d'une supériorité de
Laurent Fabius, supériorité essentiellement médiatique conférée par l'acquis de ses expériences
antérieures. On ne cessait de vanter l'aisance du Premier ministre, ses qualités de «bon
communicateur », son langage simple et dépouillé, son attitude calme et pondérée, qualités qui
faisaient de lui un modèle20. En revanche on rappelait que son adversaire avait depuis toujours la
réputation de « mal passer » à l'écran en raison d'une attitude perçue comme trop autoritaire et
cassante21. Ce discours journalistique se voyait confirmé par les experts en communication et les
publicitaires qui désignèrerent majoritairement Laurent Fabius comme le plus médiatique des
deux leaders22. Ces interprétations confortaient des images préalablement établies en amplifiant
l'orchestration
générale,
et en renforçant la croyance collective dans les enjeux de cet affronte-
ment symbolique.
Pourtant, le déroulement du débat ne devait pas présenter, eu égard au tapage médiatique
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