Saison 2010 -
2011
En accord avec la Compagnie
Teatro di Fabio présente
2
FRÈRES
DE FAUSTO PARAVIDINO
traduction en langue française de Jean-Romain VESPERINI
Mise en scène Fabio Alessandrini
Avec Fiona Chauvin
Slimane Yefsah
Benoît Seguin
Florent Hazouard (guitare)
Damien Hennicker (saxophone)
Musiques Paolo Silvestri
Scénographie Antoine Vasseur, Elodie Dauguet
Lumière Alban Sauvé
Son Wilfrid Connell
Assistant m. en scène Perrine Mornay
Ce spectacle a été créé dans le cadre du 3e Festival L’Oi-
se au Théâtre d’Ermenonville.
La Compagnie Teatro di Fabio est soutenue par la DRAC
Picardie, le Conseil Régional de Picardie, le Conseil Géné-
ral de l’Oise et la Ville de Compiègne.
Le texte de ce spectacle est publié en Avant Scène.
Une histoire en forme de journal intime : 53 pages morcelées, comme les
jours qui composent cette tragédie moderne, rythmée par les chansons, les
musiques et les voix d’une de ces nombreuses radios de nos matins ou de
nos nuits insomniaques. Dans n’importe laquelle de nos villes.
Dans ce texte, écrit, à 22 ans, par un auteur de grand talent, on ne perd
pas de temps, le rythme est serré, vif et soutenu. Une écriture presque ci-
nématographique qui alterne avec un naturel surprenant les aspects comi-
ques et les aspects tragiques de chaque instant, tout en évitant avec maes-
tria le danger d’une reconstruction plate de la réalité.
Boris et Lev, deux frères, partagent un appartement avec une jeune fille,
Erica, différente dans ses habitudes et par sa mentalité. Les deux frères
sont très liés et entretiennent des relations suivies avec leurs parents, grâ-
ce à une correspondance complètement originale. Bien que vivant
« seuls », ils ont tendance à reproduire les mécanismes et les névroses de
leur milieu d’origine, incapables de couper le cordon qui les relie encore à
leur famille. Tout le contraire d’Erica : personnage vraiment seul, sans au-
cune attache, une sorte d’orpheline comparée aux deux frères, elle vit de
façon plus simple ses émotions et ses cisions. Erica est dans le présent
et le vit pleinement, dans le bien et dans le mal, comme par exemple dans
la relation amoureuse qu’elle instaure d’abord avec Lev, puis avec Boris.
Après de nombreuses vicissitudes, entre tensions et jeux, on pourrait pres-
que imaginer un équilibre possible pour ce jeune trio désordonné, mais le
lien très fort et si particulier qui unit les deux frères prendra le dessus, et les
entraînera à exclure Erica de leur vie, jusqu’au geste extrême de la fin, son
élimination physique. Comme s’il obéissait à un parcours déjà tracé, Lev
tuera la jeune fille avec une simplicité déconcertante, dans la cuisine, com-
me si c’était une action évidente, presque banale, gratuite en apparence
seulement. En supprimant Erica, les deux frères renoncent à leur identité, à
leur vie, se réfugiant, encore une fois, dans la relation ouatée et morbide
qui les unit depuis toujours.
L’HISTOIRE
A quel point est-ce difficile, lorsqu’on est jeune, de se construire, de pren-
dre en main sa vie et par ses choix, de modeler, pas après pas, son iden-
tité, sa liberté ?
Le cordon ombilical s’allonge, s’adapte, mais ne se coupe pas. Se déta-
cher de sa famille, trouver un travail, un appartement… tout cela arrive
toujours plus tard, les jeunes s’en vont lorsqu’ils sont déjà des hommes,
quelques fois ils ne s’en vont pas. Et me lorsqu’ils s’en vont, souvent,
ils restent « des enfants » pour toujours.
L’ordre, la règle, le besoin de code. Chacun à sa façon, Boris et Lev
cherchent et fuient la règle, l’ordre : Boris tente d’en imposer une et il est
le premier à l’enfreindre, à la nier. Lev va jusqu’à en chercher une dans
une expérience aussi brève qu’improbable dans l’armée.
Peut-on grandir, se façonner et se forger dans le confort ? Doit-on forcé-
ment passer par la souffrance et le sacrifice pour comprendre la valeur
des choses ? Boris et Lev sont-ils immatures parce qu’ils ont « tout » ?
Une histoire qui parle de jeunes. Il est toujours délicat de s’aventurer,
sur scène, dans l’univers des jeunes. Il n’y a rien de plus éloigné des jeu-
nes, de plus « vieux » que de les observer comme s’ils étaient une race,
une espèce animale à étudier, à analyser, à « vivisectionner » et, inévita-
blement, à juger.
Nous souvenons-nous vraiment des pensées que nous avions à 20
ans ?
Fabio Alessandrini
NOTE D’INTENTION
du metteur en scène
Italien, forà Gênes comme Fausto Paravidino, le metteur en scène Fabio Alessandrini revient sur ce qui l’a
conduit à travailler sur Deux frères, cette « tragédie en chambre » dont il a cherché à révéler la part mythique.
L’avant-scène théâtre : Comment ce texte vous est-il parvenu ?
Fabio Alessandrini : Il m’est arrivé par des amis communs que nous avons, Paravidino et moi, qui m’ont incité à lire
Nature morte dans un fossé et Deux frères, édités en italien dans un même volume, et jai ressenti à l’égard de l’auteur
une complicité naturelle. Deux frères s’est imposé à moi, car javais envie depuis longtemps de travailler sur les rela-
tions familiales, sur les rapports d’amour, de violence, de dépendance et de haine qui se déploient au sein de la famil-
le. Dans la pièce de Paravidino, je n’ai pas pour autant chercà raconter l’ambiguïté de la relation entre les deux
frères, que l’on pourrait tirer vers la jalousie ou l’homosexualité latente, mais, au contraire jai voulu retrouver dans
cette pièce des sentiments plus universels, plus mythiques.
AST : Quelle est la part de mythe ici ?
F. A. : Par exemple, plutôt que de se pencher sur la petite trahison de la jeune femme qui trompe un frère avec l’autre
quand celui-ci revient à l’improviste, j’ai essayé de voir en quoi les trois personnages n’en faisaient qu’un seul en cha-
cun de nous. Cette dépendance absolue que jessaie de raconter met en présence une famille et une orpheline. D’un
côté, il y a un équilibre du consensus entretenu par les deux frères vivant en ménage à deux, qui sappliquent à le
conserver, et qui s’imposent de respecter un certain ordre. De l’autre, il y a une jeune femme qui ane de la vie dans
cette cellule close, c’est-à-dire de l’imperfection et du désordre. La dimension tragique de cette pièce, « tragédie de
chambre en 53 jours dit l’auteur », vient du fait que ces deux frères sont incapables de tolérer un ordre différent du
leur, d’imaginer un consensus plus large et plus ouvert. Cette situation les oblige à faire un choix radical, et à désigner
en la personne de la jeune femme étrangère un bouc émissaire qu’il leur faudra sacrifier, afin de retrouver l’équilibre
primitif.
AST : Comment avez-vous travaillé ce texte sur scène ?
F. A. : Sans chercher à faire de la psychanalyse, nous avons d’abord cherché à comprendre quel est l’état psychologi-
que des personnages à partir de la pièce écrite. Puis nous avons oublié le texte, et travaillé à partir de ces états sur
des improvisations abstraites, souvent magnifiques. Cela a permis de créer des relations très fortes entre les comé-
diens, qui ont aussi trouvé sur leurs personnages des choses qu’ils n’auraient jamais pu imaginer avant ce travail spé-
cifique, qui a considérablement nourri le retour au texte. Celui-ci, par son côté en apparence naturaliste, impose aux
comédiens un certain nombre de gestes concrets qui appartiennent à des situations du quotidien. Mais, dans sa so-
briété même, ce texte fonctionne en non dits, comme chez Harold Pinter, l’important est de transmettre tout ce qui
n’est pas écrit. Deux frères est sous-tendu par une violence inouïe, puisque, on le remarque à quelques signes, le plus
jeune des deux frères perd peu à peu le contrôle de ses pulsions, et va jusqu’à commettre un meurtre pour protéger
son « jumeau » et se protéger lui-même. Ce faisant, même pour son propre frère, il devient un étranger.
AST : Deux musiciens accompagnent les comédiens sur le plateau. En quoi la musique est-elle importante
dans cette mise en sne ?
F. A. : De manière nérale, j’aime quand se rencontrent sur le plateau le travail des musiciens et celui des comé-
diens, même si ce n’est pas un parti pris obligé. D’ailleurs, pour Deux frères, l’on pourrait penser que le texte se suffit à
lui-même, et qu’il n’est pas nécessaire de lui ajouter des ornements musicaux. Mais jai pensé, au contraire, qu’il était
intéressant, grâce à la musique, de pouvoir m’éloigner de l’esthétique du sitcom et de la dimension de huis clos dra-
matique vers lesquelles on pourrait facilement tirer ce texte, et de pouvoir langer les cartes. Jai donc chercà
brouiller les repères et à utiliser plusieurs langages. Ce qui m’importe, ici, cest que le public, dès le début de la repré-
sentation, comprenne qu’il va devoir suivre le spectacle selon des codes différents : l’on ne part pas du texte, mais
d’un son, d’un mouvement collectif, qui raconte la prise de conscience d’un espace. La musique préexiste aux person-
nages, joue le rôle d’une présence mythique, d’une bande sonore vivante, et les deux musiciens (saxophone et guita-
re) peuvent parfois être l’alter ego d’un personnage à la manière d’un coryphée antique.
AST : Comment est conçue la scénographie ?
F. A. : Je voulais que la cuisine, lieu unique du spectacle, ne soit qu’évoqe (un évier, un frigidaire, une table, trois
chaises), et que ce lieu reste un espace ouvert, avec un dedans (la cuisine) et un dehors (l’espace mental), de maniè-
re à donner de la profondeur et du mystère à ce qui s’y passe.
AST : Cette dimension de mystère ne court-elle pas tout au long de la pièce ?
F. A. : Absolument. À la seconde lecture du texte, certains énements anodins apparaissent dans leur incohérence.
La manière dont Lev part à l’armée est par exemple absolument improbable, au regard du réalisme dans lequel nous
plonge pourtant le texte. Certains gestes contredisent les actions : les amants prétendent ne pas avoir envie de faire
l’amour tout en le faisant, comme si peu à peu s’immisçaient dans la pièce d’étranges et inquiétants décalages. Mais je
crois qu’ici, il ne faut pas chercher à résoudre ces mystères, à les expliquer. Il faut simplement chercher à restituer sur
scène l’élan irresponsable qu’il y a dans l’écriture du texte, et faire en sorte d’installer une manière de jouer telle que le
spectateur finit par ne plus être surpris par ces incohérences.
Propos recueillis par Olivier Celik
Interview du metteur en scène
Pour L’Avant Scène Théâtre
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