Introduction
LEGEAIS Mathilde_2009 5
Introduction
Voici le fruit d’une année de travail : quelques dizaines de pages, la découverte de nouveaux
horizons, et une paire de souliers pour tenir la route. L’entreprise paraissait insurmontable,
comme tout ce à quoi on n’a encore jamais été confronté, car c’est ce qu’on ne connaît pas
qui effraie. Mais enfin ce défi est relevé avec plaisir, en prenant la mesure de ce dont on est
capable et à quoi on ne croyait pas tout à fait avant de se lancer, et même, finalement, avec
satisfaction. C'est en cela que l'épreuve est devenue galvanisante au fil du temps : on voit
peut à peu l'objet de notre travail évoluer, s'enrichir, devenir familier, prendre du sens et de
la valeur jusqu'à devenir, ce dont on n'osait pas jurer, une réussite personnelle.
J'ai voulu, devant l'énormité du défi à relever, choisir un terrain sur lequel je me sens
en confiance, un champ dans lequel j'ai déjà eu plaisir à évoluer, à travailler et à apprendre,
et qui se trouve être pour moi la destination de nombreuses heures d'études et de loisir
depuis des années. J'ai donc choisi de travailler sur un sujet littéraire, en me donnant ainsi
l'opportunité de m'ancrer à nouveau dans l'océan de la littérature, dans lequel je n'avais plus
beaucoup navigué depuis mon entrée à l'IEP de Lyon. Mes études m'ont peu à peu éloignée
de ces livres dans lesquels je m'immergeais souvent auparavant : il était difficile de faire
cohabiter ces nombreuses lectures avec celles, plus théoriques et devenues nécessaires,
requises par ma formation à l'IEP, bien que j'aie aussi pu retirer du plaisir de ces dernières.
Comment alors choisir une œuvre littéraire sur laquelle travailler pendant plusieurs mois,
une œuvre qui me touche et qui permette de soulever des questionnements pertinents qui
guideraient mes recherches ? La poésie me séduisait mais il était difficile, me semblait-il, de
travailler dessus en répondant aux critères d'un mémoire d'un Institut d'Etudes Politiques.
Boris Vian, par ailleurs, m'a toujours beaucoup plu et m'a même transportée, mais je crois
aussi qu'il aurait été ardu de m'atteler à des textes que j'aime trop. Saint Exupéry, encore,
est toujours à portée de ma main, mais une fois de plus, quel texte choisir et quelle question
soulever ? Je passe sur Céline, Camus, Apollinaire, Rostand, Cervantès, Giono, Ionesco,
Ponge, Beckett et d'autres... Ce n'est pas que j'ai la prétention d'avoir déjà percé à jour ces
auteurs et leurs œuvres, ni d'ailleurs que je souhaite y parvenir vraiment, mais il me fallait
une ancre forgée dans le politique pour fixer mon travail dans cet océan de littérature. Je
me suis alors souvenue d'une vague plus imposante que les autres, et moins limpide : une
pièce de théâtre qui, si mon souvenir d'hypokhâgne était juste, durait plus de dix heures
lorsqu'elle était représentée dans son intégralité. Voilà un phénomène littéraire peu commun
et qui m'avait déjà beaucoup intriguée il y a cinq ans. De plus, le théâtre et le phénomène
de la représentation m'ont paru permettre de relier l'œuvre au champ du politique. En effet,
le théâtre est étymologiquement le « lieu où ça regarde » 1 , où chacun est conscient de
regarder des identités représentées symboliquement par des comédiens. C'est aussi un lieu
où, par convention, chacun connaît sa place et s'y tient : le public regarde la scène où les
acteurs jouent. Par le regard chaque sujet institue l'autre en tant que sujet et le reconnaît
comme tel. Le théâtre est un des lieux de la représentation du social et de son expression
politique. Après avoir exploré les concepts du théâtre et de la représentation, j'ai redécouvert
le Soulier de Satin, de Paul Claudel, lu et relu la pièce, complété cette lecture par d'autres,
1 Du grec, thea qui signifie « action de regarder», « vue, spectacle, contemplation », et que l'on rapproche à l'intérieur de la
langue grecque de thauma « merveille ».