Neurochirurgie de la douleur
[17-700-B-10] - Doi : 10.1016/S0246-0378(15)62885-8
M. Sindou, MD, DSc, professeur en neurochirurgie a b , A. Brinzeu, MD,
Sous presse. Épreuves corrigées par l'auteur. Disponible en ligne depuis le vendredi 19 juin
2015
Introduction
La neurochirurgie de la douleur s'adresse aux douleurs chroniques, intolérables, ayant résisté
aux traitements étiologiques des lésions causales, et rebelles aux thérapeutiques
médicamenteuses. Par leur intensité et leur chronicité, ces douleurs entretiennent un véritable
état de « douleur maladie », bien différent de la « douleur symptôme » qui constitue un signal
d'alarme informant de la survenue d'un état pathologique.
La neurochirurgie de la douleur s'inscrit comme une branche de la neurochirurgie
fonctionnelle, dont la définition a été donnée en 1956 par Pierre Wertheimer dans son livre La
Neurochirurgie fonctionnelle : « La neurochirurgie fonctionnelle est cette branche de la
neurochirurgie qui vise à corriger les désordres fonctionnels qui ne peuvent être normalisés
par la cure directe de la lésion responsable. Les opérations chirurgicales sont fondées sur les
informations neurophysiologiques. Les procédures consistent en l'ablation des foyers irritatifs
ou l'interruption des voies excitatrices. Dans le futur, de nouvelles procédures verront le jour,
qui compenseront les systèmes de contrôle défaillants » [1].
Au cours des dernières décennies, les connaissances sur les mécanismes de la douleur
chronique ont connu d'importantes avancées. Par voie de conséquence, les méthodes
neurochirurgicales à visée antalgique et leurs indications se sont profondément modifiées,
respectivement dans le sens d'une vaste multiplicité et d'une plus grande sélectivité.
Les douleurs chroniques auxquelles le neurochirurgien est confronté sont bien différentes
selon qu'il s'agisse de douleurs néoplasiques ou de douleurs non cancéreuses, en particulier
neuropathiques.
Les douleurs néoplasiques sont dues à l'envahissement des tissus par la lésion tumorale et son
cortège de réactions inflammatoires, de transformations nécrotiques et de remaniements
cicatriciels. Ainsi correspondent-elles le plus souvent à un « excès d'afférences nociceptives »
et sont-elles le plus souvent contrôlées par les antalgiques classiques administrés par les voies
orales ou parentérales. Dans les cas de douleurs très localisées, la réalisation de blocs
anesthésiques locaux ou périduraux peut être la solution. Pour les douleurs plus étendues, la
morphinothérapie intrathécale, qui vise à introduire l'opiacé au contact même de la moelle
épinière, peut être utile. Dans certains cas étroitement sélectionnés, le recours à la
neurochirurgie peut s'avérer bénéfique. Par ailleurs, les douleurs d'origine cancéreuse peuvent
s'accompagner de réactions algodystrophiques ou de lésions des structures nerveuses de
voisinage, c'est-à-dire pour ces dernières correspondre à des douleurs neuropathiques. La
prise en charge thérapeutique doit tenir compte de ces divers mécanismes et recourir à leurs
traitements spécifiques.
La douleur neuropathique est selon la définition de l'International Association for the Study of
Pain (IASP) « une douleur liée à une lésion et/ou un dysfonctionnement du système nerveux
périphérique ou central intéressant principalement le système somatosensoriel » [2]. Deux
décennies auparavant, elle avait déjà été définie par les neurochirurgiens Gybels et Sweet
comme « une douleur associée à une atteinte du tissu nerveux périphérique ou central » [3].
Les douleurs neuropathiques se compliquent souvent d'algodystrophie réflexe (syndrome
douloureux régional complexe [SDRC]). Les méthodes conservatrices de neurostimulation
sont les plus récemment apparues dans l'arsenal thérapeutique ; elles ont acquis une place
importante dans le traitement des douleurs d'origine neuropathique. Elles visent à renforcer le
fonctionnement des systèmes inhibiteurs. Quelle que soit la technique utilisée,
neurostimulation des nerfs périphériques, des cordons postérieurs de la moelle, du thalamus
ou du cortex cérébral, la méthode ne peut être efficace que si les structures cibles ne sont pas
anatomiquement détruites. Les techniques d'interruption des voies de la douleur, en devenant
plus sélectives, ont gardé droit de cité pour le traitement de certaines douleurs neuropathiques
topographiquement limitées. La pharmacothérapie intrathécale se développe, certes lentement,
mais de façon prometteuse.
Cette mise au point est un essai de synthèse des données de la littérature, ainsi que de
l'expérience des auteurs sur plusieurs milliers de cas. Bien entendu, il ne s'agit que d'un
« instantané » sur l'état actuel de la thérapeutique neurochirurgicale de la douleur.
Évolution des concepts
L'idée d'interrompre les voies de la sensibilité en cas de douleurs intolérables date de fort
longtemps. C'est ainsi qu'en 1598 Ambroise Paré songea à traiter chez le roi Charles IX une
plaie douloureuse du membre supérieur par application locale d'huile bouillante de façon à
détruire les nerfs sensitifs de la région. Heureusement, le roi guérit avant que la thérapeutique
ne fût mise à exécution ! En réalité, les premières véritables tentatives de traitement de la
douleur sont celles de Abbe [4] et de Bennett [5] qui réalisèrent indépendamment les
premières radicotomies postérieures en 1889, 67 ans après que Magendie ait établi que les
afférences sensitives pénétraient dans la moelle par les racines postérieures. Peu de temps
après survinrent les premiers essais de traitement de la névralgie faciale essentielle par
Horsley et Frazier qui firent, respectivement en 1891 et 1904, les premières ganglionectomies
et neurotomies rétrogassériennes du trijumeau. Puis, imaginée séparément par Schuller et
Spiller et réalisée en 1912 par Martin, se généralisa la cordotomie spinothalamique, apport
important au traitement de la douleur du fait de sa sélectivité sur les voies nociceptives et de
la grande étendue de la zone qu'elle couvre. C'est seulement vers 1940 que naquit le concept
de « chirurgie de la douleur » sous l'impulsion de Leriche qui consacra une grande partie de
son œuvre à cette discipline, y introduisant largement l'usage de la sympathectomie, et avec
Wertheimer celui de la myélotomie commissurale postérieure [1, 6]. Puis, pas à pas, une série
d'auteurs s'appuyant sur les découvertes anatomiques et neurophysiologiques concernant les
voies et les mécanismes de la douleur ou partant de constatations purement empiriques
ajoutèrent à l'édifice de nouvelles techniques d'interruption des voies nociceptives, aussi bien
au niveau du système nerveux périphérique que central.
Plus récemment, l'accent fut mis sur l'importance des structures inhibitrices contrôlant les
voies nociceptives. C'est ainsi que Melzach et Wall démontrèrent en 1965 l'existence au
niveau de la corne postérieure de la moelle de mécanismes de contrôle de l'entrée des
afférences nociceptives. Ces mécanismes de contrôle sont au moins en partie sous la
dépendance des fibres radiculaires de gros calibre Aβ à destinée cordonale postérieure puis
lemniscale. Ces fibres - grâce aux collatérales qu'elles envoient sur les neurones d'origine du
faisceau spino-réticulo-thalamique (SRT) (découvertes en 1909 par Ramon y Cajal) -
inactivent les voies nociceptives à destination extralemniscale : il s'agit de la gate control
theory [7]. Ces travaux aboutirent à l'avènement des méthodes d'électroanalgésie par
stimulation des voies afférentes primaires inhibitrices, soit au niveau des nerfs périphériques
(Wall et Sweet [8]), soit au niveau des cordons postérieurs [9]. Parallèlement, Mazars [10,
11], se fondant sur les conceptions de Head et Holmes [12] selon lesquelles les voies de la
sensibilité lemniscale (c'est-à-dire épicritique et proprioceptive) contrôleraient l'activité des
voies de la sensibilité extralemniscale (c'est-à-dire douloureuse) au niveau thalamique, mit au
point la méthode de stimulation thalamique intermittente antalgique par implantation
d'électrodes au niveau du noyau ventro-postéro-latéral (VPL), relais des voies somesthésiques
lemniscales et véritable « filtre » des afférences douloureuses. Plus récemment vit le jour la
technique de stimulation du cortex cérébral moteur (c'est-à-dire précentral) à visée antalgique.
Cette technique fut introduite par Tsubokawa en 1991 [13] après la constatation empirique
que la stimulation du cortex, en avant du sillon central de Rolando, avait des effets
antalgiques. Le mécanisme d'action est encore loin d'être complétement élucidé.
L'importance des systèmes de contrôle inhibiteur sur les mécanismes de la douleur est étayée
par les travaux sur la désafférentation sensitive de Loeser et Ward [14] et de l'école
lyonnaise [15]. Ces travaux ont prouvé que l'interruption des afférences sensitives par section
des racines postérieures entraîne, au niveau central, en l'occurrence au niveau de la corne
postérieure, une augmentation de fréquence des potentiels d'action des neurones s'y trouvant.
Cette « hyperactivité de désafférentation », susceptible d'être réduite par des drogues
anticonvulsivantes telles que son chef de file, la carbamazépine, pourrait expliquer un certain
nombre de douleurs survenant après lésion des voies sensitives. Lorsqu'une interruption des
« voies de la douleur » est envisagée, le risque d'augmenter la désafférentation doit inciter à
faire appel à des interventions d'interruption aussi sélectives que possible. C'est de cette
préoccupation que procèdent des interventions telles que, pour le trijumeau, les radicotomies
sélectives juxtaprotubérantielles ou pour la zone d'entrée des racines spinales dorsales dans la
moelle, la DREZotomie (DREZ : dorsal root entry zone) [16].
À partir des études sur les mécanismes neurochimiques intervenant dans le contrôle de la
douleur s'est dégagée la possibilité d'intervenir directement sur les cibles neurochimiques.
C'est ainsi qu'en 1974, Richardson et Akil effectuèrent des stimulations de la substance grise
périaqueducale (SGPA) et périventriculaire (SGPV) [17], dans le but d'augmenter la sécrétion
des systèmes endomorphiniques et sérotoninergiques. Puis, sous l'impulsion de Yasksh [18] et
Lazorthes [19], se développèrent les méthodes de morphinothérapie intrathécale, en
particulier au niveau lombaire. Ces travaux ont ouvert la voie du concept de la neurochirurgie
pharmacologique intrathécale.
La tendance actuelle de la neurochirurgie de la douleur est à différencier les méthodes
neurochirurgicales, en interventions interrompant les voies de la nociception et en
interventions renforçant les mécanismes de contrôle inhibiteur, ces dernières entrant dans le
cadre de la « neuromodulation ». Le clinicien doit donc s'efforcer de comprendre quels sont
les niveaux d'origine et les mécanismes des douleurs auxquelles il est confronté. S'agit-il de
douleurs par excès d'afférences nociceptives ou de douleurs par défaut du contrôle inhibiteur,
ou des deux à la fois, ce qui est fréquent. Le succès de la chirurgie antalgique dépend de cette
reconnaissance anatomique et physiologique.
Mécanismes anatomophysiologiques des douleurs
chroniques
Les bases anatomophysiologiques sont nécessaires à la compréhension des mécanismes de la
douleur et au rationale des différentes méthodes antalgiques.
Si l'on écarte les douleurs psychogènes qui résultent fréquemment d'une sommation entre une
« épine irritative » organique, souvent peu grave, et de phénomènes d'amplification
psychologique, les douleurs chroniques comportent - principalement et de façon
schématique - les douleurs par excès d'afférences nociceptives et les douleurs neuropathiques.
Douleurs nociceptives
À côté de l'excès d'afférences nociceptives dans les fibres C, liées à l'intensité des stimuli
algogènes, il existe un certain nombre de phénomènes « satellites » contribuant à augmenter le
mécanisme nociceptif.
L'hyperalgésie périphérique correspond à une augmentation des décharges des nocicepteurs
par amplification de leurs réponses aux stimuli douloureux à la suite d'un abaissement de leur
seuil de déclenchement. Il s'établit un cercle vicieux neurochimique périphérique qui
provoque une libération accrue de médiateurs avec leurs effets excitateurs et sensibilisateurs
sur les nocicepteurs.
Le réflexe de dendrite, dit « d'axone », est déclenché par la stimulation répétée des fibres
afférentes primaires nociceptives. Il induit de façon rétrograde une inflammation neurogène
périphérique due aux substances sécrétées en périphérie par les fibres nerveuses nociceptives :
substance P (SP), calcitonine gene-related peptide (CGRP), etc. Ces substances renforcent le
cercle vicieux périphérique.
Le système nerveux sympathique peut participer à l'entretien de certains types de douleurs par
le biais de la sécrétion de noradrénaline. La stimulation répétée des fibres afférentes primaires
nociceptives provoque à leur niveau une augmentation des récepteurs à la noradrénaline, ce
qui les rend plus sensibles à cette dernière. Deux entités ont été décrites pour lesquelles le
système nerveux sympathique joue un rôle physiopathologique : le SDRC de type I et de
type II. Le type I correspond à l'algodystrophie et le type II à la causalgie. La douleur y est
principalement à type de brûlure, s'accompagne de troubles vasomoteurs ainsi que de sudation
et de troubles trophiques.
La contracture motrice réflexe à la douleur aggrave les phénomènes douloureux. L'arc réflexe
se fait entre les collatérales des fibres afférentes primaires nociceptives et la corne ventrale de
la moelle.
Une hyperalgésie centrale peut également s'associer à l'excès d'influx nociceptifs
périphériques, par augmentation de la décharge des neurones convergents spinaux,
abaissement de leur seuil de réponse et élargissement de leurs champs récepteurs. Ces
phénomènes sont dus à des cercles vicieux neurochimiques de la corne dorsale faisant
intervenir les récepteurs N-méthyl-D-aspartate (NMDA). De même, l'augmentation
postsynaptique d'ions calcium aboutit à des changements géniques, créant ainsi une
sensibilisation durable des neurones convergents.
Douleurs neuropathiques
Ces douleurs sont consécutives à une lésion du système nerveux sensoriel, soit périphérique,
soit central. Plusieurs mécanismes physiopathologiques ont été incriminés.
Les décharges ectopiques sont des influx nerveux qui prennent naissance au niveau des fibres
nerveuses lésées, par prolifération anormale des canaux ioniques, rendant ainsi la
dépolarisation de ces neurones plus facile et même spontanée sans stimulus périphérique. Ces
décharges ectopiques sont l'origine prépondérante des douleurs névromateuses.
La prolifération anormale des récepteurs adrénergiques (type α1) au niveau des fibres
afférentes primaires nociceptives rend ces fibres plus sensibles à la noradrénaline, expliquant
les douleurs médiées par le système sympathique.
L'atteinte des grosses fibres myélinisées Aβ, qui normalement ferment la « porte » au niveau
de la corne dorsale (gate control), aboutit à une « porte » ouverte qui facilite la transmission
nociceptive, expliquant ainsi certains types de douleurs neuropathiques considérées comme de
désafférentation sensitive. Des enregistrements par microélectrodes des cellules de la corne
dorsale de la moelle, faits chez l'animal d'expérience après section des racines spinales [14,
20], et chez des patients porteurs de lésions traumatiques de la queue de cheval ou d'avulsion
des racines du plexus brachial [15, 21], ont permis de démontrer l'existence d'hyperactivités
de désafférentation.
Les éphapses sont des néosynapses, c'est-à-dire des connexions aberrantes entre fibres des
zones lésées. Cela explique certains types d'allodynies qui correspondent à la perception
comme douloureuse d'une stimulation périphérique normalement non douloureuse, par
exemple un effleurement cutané ou la simple mobilisation d'un segment de membre.
Au niveau de la corne dorsale, la stimulation des récepteurs NMDA ainsi que la sécrétion
anormale de prostaglandines et de monoxyde d'azote peuvent entretenir un cercle vicieux de
transmission nociceptive exagérée. L'existence d'une gliose « cicatricielle » peut également
jouer un rôle en favorisant une hyperactivité spontanée des neurones locaux ; ce facteur
pourrait jouer un rôle dans les douleurs d'avulsion plexique ou des lésions de la moelle
épinière [16].
Au niveau encéphalique, les mécanismes de la douleur sont complexes et encore mal connus.
De façon simple, ils peuvent être conçus - en particulier au niveau thalamique - comme
correspondant à une « perte du filtre » des informations somesthésiques.
En réalité, ces deux types de douleurs (nociceptives et neuropathiques) sont souvent intriqués.
C'est ainsi que les lésions « cancéreuses » peuvent provoquer des douleurs non seulement par
phénomènes mécaniques, ischémiques et inflammatoires - qui, par l'intermédiaire d'une
importante libération de substances algogènes tissulaires, entraînent un excès d'influx
nociceptifs - mais aussi par atteinte des nerfs périphériques. À l'inverse, certaines lésions de
nerfs périphériques peuvent être à l'origine de douleurs par génération d'influx ectopiques se
comportant comme un excès d'afférences nociceptives. Wall et Gutnick [22] ont montré
qu'après section d'un nerf périphérique, il se produit au niveau du « névrome » une
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