Ethno_Crosnier_1991_027a pdf - Ministère de la Culture et de

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/to £3 So ¡ré
PARC NATUREL RÉGIONAL DU MORYAN
M A I S O N DU P A R C
58230 S A I N T - B R I S S O N
Tél.: 86.78.70.16
Fax : 86.78.74.22
Ouvrage
relatif
au programme de r e c h e r c h e
"L'HOMME ET L'ENVIRONNEMENT VEGETAL"
S A V O I R S
de
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EN
c u e i l l e t t e
HERBES
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l ' u s a g e
Çiss ¿)
Textes réunis par Capucine CROSNIER
Etude réalisée avec le concours de :
LE MINISTERE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION
LE CONSEIL REGIONAL DE BOURGOGNE
LE PARC NATUREL REGIONAL DU MORVAN
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MINISTERE DE LA CULTURE-DAPA
9042 006815
SAVOIRS EN HERBES
DE LA CUEILLETTE A L'USAGE
Avant propos (Sous réserve)
M. P. LIEUTAGHI
INTRODUCTION
M.J. BARRAUT
I - Le savoir végétal en question - p. 1
1 - A la recherche des pratiques et des usages - p. 2
Melle C. CROSNIER
2 - Archéologie des savoirs
Il - Plantes, espaces et saisons
- p. 1
- p. 8
1 - Les pi antes,rythme du temps - p. 8
Melle C. CROSNIER
2 - L'espace de la cueillette ou le territoire partagé p.15 Melle C. CROSNIER
3 - La représentation du milieu naturel - p. 16
Mme C. FRIEDBERG
4 - Les friches, un exemple de représentation sociale du paysage
M. Y. LUGINBUHL
p. 22
5 - la haie, valorisation d'un espace - p. 26
M. P. NOTTEGHEM
6 - Le végétal, ressource complémentaire - p. 32
M. J.C. NOUALLET
7 - L'environnement, clef de la gamme des usages - p. 42
III - La plante ou le remède dévoilé
M. J.C. NOUALLET
- p. 50
1
Quand la plante se fait message - P. 50
M. J. BENOIST
2
Une belle plante
M. A. JULLIARD
- P. 57
Anatomie humaine et plantes médicinales
4
5
Remèdes et réchauffement - p. 73
Constance, évolutions, r¡tuaiisation
Mme J. BRABANT
Une plante emblématique : la Vulnéraire des Chartreux
p. 85
De la mentalité primitive aux savoirs des remèdes
p. 95
Mme M. GIRARD
M. J. DOS SANTOS
IV - Regards sur une pharmacopée végétale "populaire"
1 -
La phytothérapie partagée - p. 119
2 -
A l'ombre des savoirs en fleurs - p. 133
3 -
Maux du corps, diversité des pratiques
Melle C. CROSNIER
- p. 147
V - Un nouveau printemps pour les plantes
1 -
L'ethnopharmacologie : une nouvelle science - P. 176
2 -
Les temps modernes de la médecine végétale - p. 198
M. J. FLEURENT IN et
M. J. DOS SANTOS
M. F. LAMBERT
I - LE SAVOIR VEGETAL EN QUESTION
!
LE SAVOIR VEGETAL EN QUESTION
Capucine CROSNIER
I Archéologie des savoirs
Grisée par la vitesse de son développement, notre la société n'a pas pris le
temps de s'arrêter sur ses propres richesses culturelles, et les savoirs sur la
nature. Sursaut de panique...musées, écomusées, associations, tentant de sauver
de l'oubli des connaissances sur lesquelles se sont bâties nos cultures. La
multiplication des recherches sur le thème de l'adaptation de l'homme à son
milieu souligne l'urgence de la démarche. L'enjeu est bien sûr culturel mais
aussi social et économique. Plusieurs institutions partent à la quête de ces
savoirs naturalistes populaires : Muséum National d'Histoire Naturelle, Centre
National de la Recherche Scientifique, Institut du Patrimoine, Université.
Laboratoires, Associations...
Située "au carrefour des sciences et des siences naturelles" (-)
l'ethnobotanique analyse "les faits d'interrelation entre les sociétés humaines
et les plantes"(-). Vaste champs de recherche interdisciplinaires, elle emprunte
certes ses méthodes et des conceptes à la botanique, mais surtout à
l'ethnologie, qui étudie l'homme à travers sa culture.
Cette culture est une trame complexe de normes, valeurs et modèles ainsi que de
traditions, pratiques et techniques d'une société. Nous pouvons distinguer une
culture d'élite et une culture populaire qui se côtoient à travers une histoire
mouvementée d'emprunts, de ruptures et de combats tout comme elles semblent
parfois mener une coexistence pacifique. L'avènement de la science moderne er.
accident au cours du XVIIème siècle creusa peu à peu les écart entre une culture
savante, fondée sur de nouveaux principes scientifiques et philosophiques, et
une culture populaire qui restait fidèle à la tradition magico-religieuse. Zr.
dépit d'attaques répétées, du XVIIème siècle jusqu'au XXème siècle, par
l'Eglise, l'Etat, et les institutions scientifiques,la culture populaire s'est
maintenue et, de plus en plus étouffée par une culture dominante, occupe
aujourd'hui une position marginalisée.."
Cette tradition populaire combine les éléments de la science, de la religion et
de la magie, là même où le naturel et le surnaturel deviennent indisssociabies.
Ce savoir se caractérise par des règles, des symboles et des discours qui
révèlent une longue et riche expérience transmise au fil des générations.
Notre dessein est donc de restituer la savoir et sa valeur intrinsèque, les
pratiques liées aux usages des plantes, d'en comprendre les modalités et
l'organisation à travers une culture populaire dont la superposition avec une
culture savante crée un champ de distorsion. Aujourd'hui, cette culture
"hybride" apparait de plus en plus confuse. Il s'avère alors indispensable de
recourir à une analyse rigoureuse afin de présenter des savoirs aussi cohérents
que possible, tout en tenant compte de toutes les influences qui s'exercent sur
cette culture populaire et la modifie au cours du temps.
Face à l'érosion des pratiques indigènes, la mémoire collective est le dernier
refuge des savoirs "traditionnels". L'exploration du discours permet de
recueillir ces connaissances populaires.
L'ethnologie s'est d'abord tournée vers les sociétés exotiques. Aujourd'hui,
elle s'interroge sur la nôtre. Poserait-elle son regard sur nos derniers
Mohicans ?
La sauvegarde du patrimoine culturel passe par la restitution du savoir et sa
diffusion. Confronter ces connaissances "populaires" à nos connaissances
"scientifiques" peuvent éclairer les choix de notre société, tant en matière
d'environnement que de santé.
Une approche globale permet de comprendre les logiques et les structures des
sociétés. Présenter le savoir des autres, c'est aussi mettre à jour le
cheminement des hommes.
1
II. A LA RECHERCHE DES USAGES ET DES PRATIQUES
La démarche ethnologique permet de sauver de l'oubli des savoirs en péril et de
mieux comprendre les liens tissés entre les sociétés et leur milieu naturel. Le
lecteur est acheminé vers le témoignage et le vécu des hommes qui ont rencontré
la plante, l'ont fait vivre dans leur imaginaire et leur quotidien.
Il est invité à se questionner sur le pourquoi et le comment des faits."Qu1 il
s'agisse de cueillette, d'usage ou de représentation du végétal, rien ne semble
relever du hasard. La relation à la plante est codifiée dans le temps, dans
l'espace et dans la société.
Comment s'établissent ces ordres à la fois biologiques et sociaux ? Les textes
présentés dans ce livre illustrent comment le matériel et le symbolique se
répondent à travers ce rapport de l'homme à la plante :
<'Plantes, espaces et saisons?
Connaissance du lieu, du temps, du corps et du végétal sont les prémices du
savoir et du savoir-faire.
Ce savoir est apparu intimement lié aux contraintes du milieu et par conséquent
aux activités humaines. De plus, le choix des espèces et de leurs emplois
constitue une réponse culturelle à des besoins précis. Il est donc opportun de
réfléchir à ce qui justifie de tels comportements préférentiels dans des aires
données.
"L'environnement, clef de la gamme des usages"
Le milieu naturel propose une gamme variée d'utilisations du végétal. L'homme
compose en fonction de son savoir et de son expérience avec les plantes qui
l'entourent. La combinaison des potentialités du milieu et des potentialités
culturelles donne la clef des usages.
"Les plantes, rythme du temps"
Au gré des saisons, les plantes donnent la mesure. Alternance de temps forts et
de silence, le calendrier est soumis aux caprices de la nature. Savoir gérer son
milieu, c'est rechercher un accord plus ou moins parfait avec la nature. C'est
aussi une véritable orchestration sociale : répartition des tâches, organisation
de la cueillette, transformation des produits, préparations des manifestations
festives et rituelles, etc..
Cueillir les plantes, c'est vivre à la mesure des saisons et de l'espace
retrouvé. Plaisir qui se dérobe à tout système institutionnalisé, la cueillette
a gardé ses adeptes.. Ils recourent.à des plantes qui certes alimentent le corps
mais aussi l'entretiennent, du Pissenlit qui "nettoie" à l'ortie qui "fortifie".
Les usages du végétal s'inscrivent dans le temps selon un calendrier bien
précis. Ils correspondent non seulement à différentes périodes saisonnières mais
aussi à des rites calendaires s'associant le plus souvent à des fêtes d'origine
païenne ou religieuse.
"L'espace de la cueillette ou le territoire partagé"
La relation entre l'homme et le paysage, à la fois architecture végétale et
construction humaine, correspond non seulement à une certaine gestion de la
nature mais aussi à la façon dont on se représente l'environnement et la
société. Le social est inscrit dans l'espace et reflète une façon de marquer le
territoire.
2
"La représentation du milieu naturel"
Comment se représente-t-on le milieu, et plus précisément les différents espaces
qui forment l'environnement végétal ?
Comme le souligne l'auteur, "les représentations de l'environnement sont le
produit d'une pratique : ils participent de la reproduction de 1'agrosystème".
Ces représentations induisent également des modes d'intervention spécifiques sur
1'environnement.
Le lecteur est plongé dans le domaine de la construction de ses représentations
par le biais des terminologies et des classifications populaires. Les réflexions
sont éclairées d'exemples concrets et variés dé classifications du végétal,
puisés en Bourgogne jusqu'en Indonésie.
"Les friches : un exemple de représentation sociale du pavsaee"
Si l'exposé précédent brosse les différents apects des représentations de
l'environnement, celui-ci s'intéresse à un espace particulier : les friches en
Bourgogne. Elles sont aujourd'hui l'illustration d'un thème mobilisateur : le
retour du territoire au sauvage. L'auteur montre comment autour de cet espace se
construisent les représentations et les enjeux, tant d'un point de vue paysager,
agricole que social. Le lecteur est promené à travers les chemins du bucolique
et du cultivé qui dessinent les contours de l'ordre et des choix de la scciéré.
"La haie, valorisation d'un espace"
Certes, la haie joue un rôle de protection et de clôture des parcelles. Cet
espace plurifonctionnel assure également la fonction de production de bois ¿e
chauffage et de bois d'outillage. Au-delà de l'aspect paysager et écologique, la
haie relève d'une certaine sensibilité esthétique. La physionomie de la haie
répond à différents besoins en fonction de règles diverses.
"Le végétal, ressources complémentaire"
les ressources locales de la nature sont nombreuses et s'intègrent tant ur.e
économie domestique que dans une économie de marché. Le ramassage obéit à une
organisation sociale précise, attribuant des tâches différentes aux enfants, aux
femmes et aux hommes. Des Champignons aux Myrtilles, des écorces pour les
tanneries aux branchages pour les balais, de nombreux savoirfaire locaux et
marginaux ont su tirer partie des espèces locales. Les activités de ramassage se
perpétuent notamment pour alimenter les industries d'homéopathie et de
phytothérapie.
La plante ou le remède dévoilé"
Dans cet ouvrage, consacré aux relations homme - environnement végétal, le thème
des usages des plantes médicinales est privilégié. Il éclaire un aspect des plus
importants et des plus valorisés de nos jours à travers avec l'engouement actuel
pour le naturel et la médecine végétale. Les travaux des ethnologues et
ethnopharmaciens apportent de nombreuses réflexions sur cette thérapeutique
populaire qui répondent aux interrogations les plus pertinentes sur la
construction de la pharmacopée, tant biologique, et sociale, que symbolique
Les différentes contributions abordent les aspects ethnologique liés aux emplois
médicinaux du végétal dans diverses régions. Introduite comme messagère, la
plante est le support d'une vision du monde et du fonctionnement du corps. C'est
par l'écoute du discours populaire sur l'anatomie du corps humain...L'anatomie
du corps humain et de sa physiologie que l'on peut comprendre l'action
thérapeutique de la plante médicinale.
3
L'exemple des remèdes de réchauffement apporte un éclairage incisif sur les
nombreuses stratégies déployées autour du végétal afin le combattre la froid.
Toujours dans l'approche domaine pathologique "affections du froid", nous
abordons le champ de la phytothérapie "traditionnelle" par le biais d'une espèce
végétale emblématique " La Vulnéraire des Chartreux" qui combat le
refroidissement de refroidissement. Suite à ces deux types d'analyse seront
présentées les connaissances sur le savoir des remèdes.
"Quand la plante se fait message"
L'homme a donné une dimension symbolique aux plantes à travers différents
rituels. Chacun d'eux est déterminé par des gestes, des techniques, des paroles
et un calendrier précis. A travers chacun de ces rites, l'univers végétal
devient significatif. L'homme lui donne un sens qui est propre à chacune
culture.
"Une belle plante"
Anatomie humaine et plantes médicinales.
La santé, l'une des préoccupations premières et constantes de l'homme, est
l'objet de multiples recommandations et soins du corps. Elle trouve, sa source
et ses causes dans le statut social et symbolique du corps humain. Le corps
apparaît à la fois comme outil et comme moyen de représentation sociale.
L'agression du corps, à la fois biologique et sociale, est exprimée à travers
les différentes interprétations du mal.
L'auteur examine quelques cas qui révèlent trois modes de circulation du mai :
les maux du chaud, les maux du froid et les maux du sale. A chacun de ces
exemples correspond une pharmacopée végétale, avec son cortège d'espèces
végétales spécifiques. Pour lutter contre les désordres physiologiques qui sent
le support de nombreuses interprétations populaires les sociétés rurales ont
choisi bon nombre de plantes, notamment dans le cas des affections externes, des
désordres digestifs et pulmonaires.
Enfin, toutes les attentions particulières autour du corps dégagent un système
de pensée et révèlent les liens de l'environnement au corps. Ainsi, le travail
souligne comment la plante, plus qu'une réponse à un mal précis, s'intègre dans
un mode de perception du corps, du mal et de l'environnement.
"Remèdes et réchauffement"
Constance, évolution, ritualisation.
La lutte contre le froid, préoccupation des plus communes est ici traitée par
une ethnopharmacienne...Elle décrit les représentations des affections causées
par le froid et les remèdes végétaux qui les soignent et met en correspondance
les divers modes de soins et de recours à la plante. Plante utilisée sous les
formes les plus variées : baumes, essences, cataplasmes, compresses, bains instillations, rigollots, révulsifs, vésicatoires, abcès de fixation, tisanes. Il
existe des liens intimes entre les types de préparation de la plante et le mode
thérapeutique. Au delà des nombreux exemples connus par la plupart d'entre nous,
ce texte est la riche illustration de la plante-médicament, façonnée à l'image
des représentations du fonctionnement du corps.
"Une plante emblématique : la Vulnéraire des Chartreux"
4
C'est en suivant les cueilleurs affrontant les dangers de la montagne pour
ramasser sur les hauteurs la Vulnéraire des Chartreux que l'on découvre comment
une plante se dote d'une force exceptionnelle, voire surnaturelle.
L'utilisation médicinale de la Vulnéraire des Chartreux contre les
refroidissements est le fruit de la rencontre entre la représentation que
l'homme se fait du corps assailli par le froid et la perception de
l'environnement qui lui offre la plante salvatrice.
"De la mentalité primitive aux savoirs des remèdes"
Si les utilisations traditionnelles des plantes sont à l'honneur aujourd'hui,
tant à travers les médias qu'a travers les recherches scientifiques, la question
de la formation et de la transmission de ces savoirs reste entière.
Quelle est la nature des savoirs sur les remèdes ? Voilà un débat passionnant et
conséquent dans l'étude des pharmacopées populaires, que l'auteur essaye de
mener par le biais d'une analyse rigoureuse et précise des études dans ce
domaine. Depuis la mentalité primitive en passant par le rationnel qui
s'opposerait au prélogique, l'approche des savoirs révèle les tentatives de
catégorisations des formes de pensées :
mythique, magique, naturaliste empirique ou encore populaire. Des distinctions
qui apparaissent entre elles, se dégagent l'essence du savoir et sa validité
opérationnelle tant biologique que symbolique. On y découvre également les
relations entre les pratiques populaires, les rituels et les mécanismes
agessants.
Regards sur une pharmacopée végétale populaire.
Alors que nous sommes entourés de messages enclins à valoriser la phytothérapie
traditionnelle, nous la connaissons en vérité très mal. La médecine populaire
est non seulement remarquable par sa richesse, mais aussi par son originalité.
Les exemples puisés essentiellement au coeur de la France, en Bourgogne,
dessinent l'armature d'un système médical construit. Il repose certes sur de
lointaines pratiques et se nourrit de relations ordonnées au monde des plantes.
Il s'enracine dans l'histoire de la pensée du corps et du remède.
Sous divers angles, cette approche éclaire les fondements de la pharmacopée
végétale et en dessine les prolongements jusqu'à nos jours.
"La phytothérapie partagée"
Qui détient le savoir des plantes ? Si l'on pense communément aux paysans vivant
au contact de la nature, n'oublions pas les autres acteurs de la pharmacopée
végétale. En effet, les herboristes, les pharmaciens et les médecins ont répandu
autour d'eux de nombreuses pratiques médicinales.
par ailleurs, d'autres érudits, instituteurs et religieux, accédant à une
littérature spécialisée, participent également à l'élabaration des savoirs.
Savoir oral et savoir écrit se complètent et interfèrent entre eux. Almanachs et
livres de médecine populaire, tel le célèbre "Médecin des Pauvres", très répandu
ont aussi contribué au maintien de nombreuses pratiques médicinales et à celui
de concepts populaires sur les maladies et les plantes.
"A l'ombre des savoirs en fleurs"
A travers les pharmacopées végétales présentées, se dégagent les fondements qui
sous-tendent les pratiques médicinales.
On retrouve la permanence de certains savoirfaire typiquement médiévaux. Les
usages de végétaux inférieurs, de plantes toxiques et de céréales ou encore les
modes d'administration comme les fumigations, l'emploi de feuilles en
application avec des substances associées en sont de remarquables illustrations.
5
Dans ce contexte thérapeutique, différentes conceptions et représentations
populaires se font jour. Elles dévoilent un mode de perception du corps et du
mal. La théorie des signatures par exemple soustend de nombreuses indications
thérapeutiques.
Selon cette doctrine, toute plante indique par sa morphologie, sa couleur,
etc.. les organes et maladies qu'elles soignent. On observe encore que la
médecine populaire se constitue en pharmacapée d'urgence offrant une panoplie de
remèdes de premier secours (choc, hémorragie, fièvre, douleurs aîgues...).
Parmi les nombreux aspects caractéristiques de la phytothérapie populaire, celui
de la corrélation aliment - remède mérite un intérêt particulier. Il s'intégre
au sein d'un savoir global qui traite le corps tant au niveau de son
fonctionnement qu'à celui de son entretien préventif et curatif.
"Maux du corps, diversité des pratiques"
A chaque région correspond une pharmacopée végétale spécifique. L'émergence des
particularités phytothérapeutiques au sein de chaque terroir semble liée à la
nature de la flore et à la disponibilité des espèces comptetenu des variations
climatiques et pédologiques. Elles renvoient vraissemblablement aux
représentations collectives de l'environnement. Les entités culturelles ont
généré des formes de connaissance et d'appropriation du végétal individualisées
et originales, en regard d'un fonds commun thérapeutique. Ce type de savoir
indigène apparaît tant au niveau des plantes à faible spectre d'usages qu'à
celles jouant le rôle de panacées. On peut alors définir des aires distinctes de
savoir. La démonstration s'appuie notamment sur divers cas de pays bourguignons.
Aux maux du corps répondent divers traitements phytothérapeutiques. Par grand
domaine pathologique - affections externes, fonctions digestives, voies
respiratoires, système cardiaque, circulatoire, génital et nerveux - sont
présentées et discutés les utilisations respectives des différentes plantes
médicinales. Ce texte révèle l'immense richesse et variabilité des savoirs et
savoir faire liés aux espèces végétales. Il éclaire les modalités aises en
oeuvre au niveau des formes de pensée et des pratiques, tant par l'approche de
la maladie que par celle des types de soin. Ces perspectives ouvrent autant de
pistes de recherche pour la phytothérapie moderne que pour l'ethnologie qui
tente de comprendre le fonctionnement de nos sociétés, face au monde végétal, à
travers le dialogue avec le corps.
Un nouveau printemps pour les plantes.
On pourrait penser que toutes ces pratiques sont aujourd'hui dépassées.
Pourtant, l'ancestrale communion entre l'homme et le végétal se prolonge jusqu'à
l'aube du troisième millénaire...
La société évolue avec son cortège de pratiques qui se façonnent au Rythme des
valeurs actuelles.
"L'ethnopharmacologie : une nouvelle science"
Comment se rejoignent les savoirs thérapeutiques populaires et la pharmacologie
moderne ?
La pertinence des indications thérapeutiques populaires amène à s'interroger sur
leur bien fondé et sur les raisons de leur efficacité. Ici se rencontrent deux
disciplines de recherche, l'ethnologie et la pharmacologie qui forment dans le
champ de leur collaboration, "l'ethnopharmacologie".
Ainsi émergent de nouvelles stratégies de découvertes depuis le terrain jusqu'au
laboratoire.
6
Cette nouvelle démarche, s'appuyant sur la richesse des pharmacopées populaires
permet l'exploration de la composition chimique des remèdes populaires et de
leurs effets biologiques. L'évaluation pharmacologique des indications
"traditionnelles" conduit d'une part à l'élaboration de phytomédicaments et
d'autres part à une meilleurs analyse des médecines végétales populaires en
restituant l'itinéraire thérapeutique dans son contexte culturel et biologique.
"Les temps modernes de la médecine végétale."
Les plantes sont aujoud'hui consommées sous forme d'allothérapie (40% des
produits pharmaceutiques actuels sont d'origine végétale), de phytothérapie,
d'aromathérapie, de gemmothérapie et d'homéopathie. Ces nouveaux modes
d'administration traduisent la continuité d'un lien homme - végétal qui cherche
à émerger des conflits entre les intérêts du monde moderne et la sauvegarde du
milieu naturel. Les enjeux sociaux et économiques se situent tant du côté de la
nature que de la culture.
7
Il - PLANTES. ESPACES ET SAISONS
LES USAGES DU VEGETAL AU RYTHME DES SAISONS
Capucine CROSNIER
Au gré des saisons, les plantes donnent la mesure. Alternance de temps forts et
de silence, le calendrier est soumis aux caprices de la nature. Savoir gérer son
milieu, c'est rechercher un accord plus ou moins parfait avec la nature...C'est
aussi une véritable orchestration sociale : répartition des tâches, organisation
de la cueillette, transformation des produits, et préparations des manifestions
festivales et rituelles,correspondent non seulement aux différentes périodes
saisonnières mais aussi à des rites calendaires s'associant le plus souvent à
des fêtes christianisées souvent d'origine paienne.
Le découpage populaire de l'année ne recouvre pas toujours nos quatre saisons
officielles puisque le printemps et l'automne sont par exemple en Morvan de
courte durée. Les quatre divisions classiques se réduisent aux deux suivantes :
"La bonne saison", des Rameaux jusqu'à la Toussaint, et "la mauvaise saison, le
reste de l'année (1). Cette conception temporelle reflète d'une part les
conditions climatiques mais aussi les activités humaines qui en découlent. Nous
montrerons cependant que celles-ci dépendent non seulement des facteurs
environnementaux mais aussi culturels. Nous replaceront les usages du végétal
dans les cycles classiques de cérémonies calendaires qui dessinent la trame de
notre folklore français.
1 - La bonne saison
La bonne saison débute avec le cycle de Pâques qui accompagne le renouveau de la
vagétation. Comme le souligne N. Belmont, "dans cette pensée populaire le
printemps constitue en effet le véritable commencement de l'année... D'ailleurs
ce n'est qu'en 1564 que le commencement de l'année fut fixé au 1er janvier au
lieu du 1er avril. L'auteur cite justement Geiger : "La période pascale, en tant
que fête chrétienne, a du être tout particulièrement propre à admettre les
coutumes printanières préchrétiennes et à les transformer de telle manière
qu'elles ne soient plus reconnaissables... Elle (l'église) a pu aller au devant
des besoins spectaculaires du peuple en organisant des jeux de Pâques..., mais
elle n'a pu d'autre part empêcher beaucoup d'objets bénits de tomber jusqu'à
l'usage magique". Cette remarque nous paraît fort pertinente notamment à travers
l'exemple du buis bénit, le jour des Rameaux. La fonction symbolique religieuse
du buis glisse vers le magique lorsqu'il protège des malheurs en général, des
maladies, ou de l'orage ou bien encore quand "on le brûlait dans les étables
pour en chasser les démons".
Le jour de Pâques se déroule une coutume caractéristique de l'est de la France :
la teinture des oeufs de Pâques. Cette coutume, rencontre du règne végétal est
le fruit d'un long dialogue entre l'homme et les plantes. Il a fallu
sélectionner parmi les premiers végétaux du printemps ceux qui possèdent le
pouvoir tinctorial le plus efficace sur les coquilles d'oeufs.
La technique consiste à plonger dans une décoction de plantes, les oeufs
préalablement passés sous l'eau afin d'éviter que leur coquille ne se brise au
contact du liquide bouillant. La cuisson qu'accompagne la coloration s'effectue
pendant 10 à 15 minutes. Dans le Vézelien, on emploie des plantes spécifiques de
terrain calcaire comme l'Anémone pulsatille qui se prête admirablement à la
teinture pourpre, ou la Cive, exclusive des cultures de vigne, qui enroulée
habilement autour de l'oeuf trace de jolies arabesques vertes. Les bourgeons de
«
peuplier colorent en jaune, tirant plutôt sur le vert, et les épluchures
d'oignon en jaune doré. Le brun s'obtient avec des feuilles de lierre grimpant.
Citons encore quelques plantes utilisées en Morvan, comme la Jonquille pour le
jaune chatoyant que produisent ses fleurs, et parfois soutenu par l'adjonction
de suie recueillie dans la cheminée! La Chicorée ou le marc de café colorent en
brun et les racines ou feuilles d'ortie en vert tout comme le Persil finement
haché. En Côte d'Or, la teinte rouge provient de la décoction de Granee ou de
Betterave rouge. Les artistes créent de séduisant dégradés par le retrait
progressif d'un ruban noué autour de l'oeuf pendant la cuisson. D'autres
dessinent des motifs attrayants en grattant la coquille teintée avec la pointe
d'un couteau. Les oeufs, de préférence colorés en cachette, par la grand-mère
sont dissimulés dans le jardin par les grands-parents. Autrefois, on les
distinguait aux enfants de choeur lors des quêtes de Pâques. Actuellement seuls
les petits - enfants se partagent la surprise. Puis se dispute le jeu de la
roulée, pratiquement totalement abandonné de nos jours, autour d'une planche
inclinée sur laquelle les enfants font rouler les oeufs teints. Sera élu gagnant
celui qui heurte l'oeuf de son adversaire avec le sien. Selon diverses règles,
la coquille devra être brisée ou bien l'oeuf devra rouler le plus loin possible.
Bien souvent on émettait des souhaits concernant lma réussite des travaux
agricoles. La famille du gagnant devait voir ses voeux se réaliser.Ce
divertissement s'est même implanté à Paris, très certainement par
l'intermédiaire des morvandiaux dont le jeu était représentatif et ce jusqu'à la
moitié du XXeme siècle. Après le jeu exaltant, on pelait et coupait les oeufs
pour les manger avec la fameuse salade de pissenlit. Van Gennep attribue
l'origine de la tradition des oeufs de Pâques à l'établissement du Carême
pendant lequel l'église a interdit, depuis le IVème siècle, la consommation des
oeufs. Ils étaient alors stockés jusqu'aux fêtes de Pâques où ils sortaient de
l'oubli, assignés d'un rôle prestigieux et rituel. Cette théorie est cependant
discutée (cf. Belmont,
Si les teintures végétales permettent de déjouer la monotonie alimentaire, elles
entretiennent l'image mystérieuse de l'oeuf tout en lui conférant la fonction
symbolique du "renouveau de la végétation". Ceci semble se conjuguer avec
l'image du cycle ininterrompu de la vie que s'était forgée l'antiquité
orientale, croyance que l'ère chrétienne a perpétuée en devinant dans l'oeuf la
figure de la résurrection. La coutume païenne attribue un pouvoir surnaturel,
notamment dans les rites funéraires, de protection, de médecine populaire, de
magie agricole,... ce que l'on retrouve par exemple à Vézelay ou les oeufs
teints sont offerts aux bébés "pour leur grange et leur maison".
Nous avons voulu montrer à travers ce simple exemple des oeufs teints comment
une tradition allie la technique (teinture), le végétal et le symbolisme à
travers un rite qui s'inscrit ici dans le cycle pascal (renouveau de la nature)
et qui s'apparente aussi au cycle agraire (magie agricole avec le jeu de la
roulée, offrande aux bébés à Vézelay pour leur "grange").
En ce début de printemps d'autres plantes sont recherchées non plus pour leurs
propriétés tinctoriales mais alimentaires en vertu de leur précocité, les
plantes de jardin étant semées assez tardivement en raison de la longueur et de
la rigueur de l'hiver en Morvan. Comme le remarque fort bien A. Fedensieu, la
pratique de la cueillette peut correspondre à une complémentarité alimentaire
mais aussi à une survivance des modes d'autosubsistance à partir des plantes
sauvages, qui se serait perpétuée jusqu'à nos jours (4).
Surtout consommées sous forme de salades, les premières pousses font l'objet de
ramassage : pissenlit, porcelle enracinée, bourse à pasteur, doucette,
clématite, laitue vivace, ... (cf pp. 75-77 T.2). Au delà des qualités
9
la coutume de porter un
mai aux jeunes filles dans la nuit du 1er mai a fait l'objet de recherches
spécifiques et semble circonscrite au Nord-Est de la France (cf Van Gennep).
Symbolisant le printemps, l'épanouissement de la nature avec l'expansion du
feuillage, la montée de la sève, le mai est donc porteur d'une signification
sexuelle. C'est le jeune homme qui choisit, coupe et apporte le mai à la porte
ou fenêtre de la jeune fille. Le sens de chaque mai semble s'appuyer comme la
logique de la classification populaire, sur les caractères de la plante et ce
qu'ils peuvent évoquer. Cette analogie entre les noms vernaculaires (signifié
"dit") et le mai (signifié non "dit", mais sous-jacent), relève d'une même
démarche. Ici, elle se base plus particulièrement sur les caracéristiques
physiques de l'espèce. Le langage des mais embrasse un nombre étendu de
situations, allant du respect le plus profond au mépris le plus vif.
La signification du mai prend sa source au niveau :
- des fleurs :
Fleurs blanches du Merisier pour une fille appréciée, "pure", ou roses du
Cerisier parce que la jeune fille est impure. Fleurs blanches du Cerisier à
grappe pour une "fille bien".
- des fruits :
le Chêne pour "une vraie truie par allusion aux glands".
- des épines :
la Ronce pour une fille "malgracieuse"
le Groseiller à maquereaux pour une fille "emmerdante"
le Prunellier pour une fille "malgracieuse", "qu'on aime pas".
- Les feuilles piquantes ou urticantes :
le Houx, pour une personne que "l'on aimait pas",
l'Ortie, idem
- les branches souples
Genêt : "bonne à fouetter
Noisetier : idem
- le port général
le Frêne parce qu'il est "bien et bien fourni" : une fille aimable.
Faut-il voir ici un rapporochement entre l'arbre et la jeune fille ?
- le bois :
le sapin : "une vraie charognerie, tu ne peux rien en faire"
le Bouleau : "qui ne vaut rien"
- le nom vernaculaire ;
le Charme : "charmante"
Ainsi, ces diverses significations renvoient-elles au comportement de la jeune
fille ("malgracieuse", "appréciée", "charmante"...) et à l'attitude qu'il
entraîne chez l'homme ("qu'on aime pas",...). Il s'agit ici d'un langage
exclusivement masculin employé à l'égard des femmes. Le végétal "révélateur"
prend tout son sens par le rite lui-même. Un Charme, un Bouleau, un Noisetier,
une Aubépine...seront porteurs du notre signification dans d'autres contextes.
Le Charme, le Bouleau, le Noisetier, plantés sur le tas de fumier chasseront les
serpents, l'Aubépine proche de la maison protégera de l'orage. Ainsi la
mentalité populaire joue-t-elle sur une grande diversité du symbolisme par le
biais du rituel.
10
Ce caractère magique du 1er mai semble s'appliquer à l'ensemble du mois qui
jouit d'une réputation bénéfique. D'après Bidault, (1899), en Morvan, la
verveine cueillie à reculons pendant la pleine lune de mai possède des vertus
médicales puissantes. En Nivernais une motte de beurre de mai collée au plafond
sera le remède des plaies et des abcès pour les hommes et les animaux (Van
Gennep citant Delarue).
Autre rite agricole, les Rogations se déroulent les 3 jours avant l'Ascension
(40 jours après Pâques). Elles donnent lieu à des cérémonies, prières et
processions pour protéger les cultures et les récoltes. Le premier jour était
destiné à la fauchaison, le second à la moisson et le troisième aux vendanges.
On dit aussi que le temps qu'il fait ce jour-là indique celui qu'il fera pendant
les travaux agricoles qui lui correspondent. Les processions parcourent le
territoire communal et plus strictement l'espace domestique et agricole comme
l'a montré M. F. Gueusquin-Barbibon (7). On plantait les "croisettes de
noisetier" aux Rogations ou bien encore à la Fête-Dieu. Ce rite d'après Belmont
est l'exemple typique de cérémonies pré-chrétiennes reprises en charge par
l'Eglise incapable de les éliminer des pratiques populaires. Ces processions
ressemblent aux ambarvalia de Rome antique, ces célébrations pour les récoltes
et les conservations comprenaient également une procession autour des champs.
Les Croisettes de noisetier, "croyottes" ou "crouyottes", sont formées de deux
branches de noisetier disposées en forme de croix avant d'être plantée dans le
champ ou dans le jardin, et bénis par le prêtre, "le 3mai, c'est la fête de la
Sainte-Croix,on amenait à la messe de 8 heures les croix de Noisetier ; elles
étaient décorrées, on y faisait des rainures au couteau dans l'écorse". On
l'ornait avec l'Herbe de la Sainte-Croix, ou l'Herbe de la Sainte-Vierge,
(Stellaire holostée). On faisait trois ceintures de fleurs sur la croix. Quand
le blé mettait en épi, on plantait la croix au milieu du champ, une plus haute
pour les champs de chanvre, et une plus courte pour les cacher, pas avant. Ca
arrivait qu'on les portait à la fête-Dieu. Celui qui la trouvait après en
fauchant payait son litre aux autres !".
Sans appartenir au cycle agraire de mai, la Fête-Dieu était également l'occasion
de processions qui faisaient halte aux pieds des croix décorées. Si les
témoignages ont révélé l'usage du végétal dans l'ornementation des croix, aucun
n'a signalé la bénédiction de bouquets de fleurs que rapporte M. F. GuesquinBarbibon : "Les bouquets composés le plus souvent d'oeillets et poète et de
quelques branches d'aubépine préservent les maisons et les locaux d'exploitation
contre les orages, pluies violentes et grêle. Dès que le danger se fait sentir,
la maîtresse de maison doit jeter dans le feu une fleur du bouquet".
Le mois de mai, comme celui de juin et les suivants, donne lieu à des pratiques
de ramassage divers : médicinal, alimentaire, à usage domestique, ... qu'il est
difficile de résumer ici. Le cycle de la Saint-Jean pourtant caractérisé par les
herbes de_la Saint-Jean, est aujourd'hui peu marqué en Morvan ; peu de plantes y
sont rattachées, contrairement au Maçonnais par exemple qui connaît bon nombre
d'herbes de la Saint-Jean.
La fête de la Saint-Roch, patron du bétail, a lieu le lendemain de l'Ascension.
Egalement religieux, le culte se traduit par la célébration de messes,
principalement dans le sud du Morvan. Toutefois il est aussi investi de
croyances païennes qui accorde à "l'herbe de Saint-Roch", la Pulicaire
dysentérique, le pouvoir de protéger le bétail des maladies et des forces
surnaturelles maléfiques. On la cueille la matin de la Saint-Roch et on
l'accroche dans les étables. Le rite s'appuie sur plusieurs éléments de
religiosité : les repères dans le temps sont fixés par rapport au calendrier
religieux : Fête de la Sainte-Croix (Rogations), Fête-Dieu la forme même de
l'élément médiateur qui va assurer la protection, par son efficacité symbolique
11
(deux branches de Noisetier en forme de croix). La plante utilisée pour la
"décoration", motivation apparente qui en sous-tend peut-être d'autre, est aussi
une herbe imprégnée du religieux. La Stellaire holostée, fleur en forme d'étoile
(Stella) avec ses eins pétales et de surcroît de couleur blanche est chargée de
signification religieuse, que rappelle la nomenclature vernaculaire "Herbe à la
Sainte-Croix", "Herbe à la Sainte-Vierge". Même si cette pratique était réservée
aux croyants car "c'était pas tout le monde qui mettait des "crouyottes",
c'était les croyants",elle était parfois mêlée de rites païens :
"On mettait d'abord les "croyottes dans le tas de fumier, plantée pour que les
serpents ne viennent pas dedans, puis on les mettait dans les pièces de grain".
Dans le Sud-Morvan, à Moulins-Engilbert, une autre plante se subtituait au
Noisetier "C'était un bouquet de Gaillet croisette qu'on mettait à l'entrée du
champ, aussi au mois de mai". La constance du symbolisme religieux apparaît
encore ici à travers une analogie avec la croix (croisette). On plante des
"croyottes" contre les intempéries, contre la grêle, contre l'orage, mais aussi
pour la fertilité des cultures. "Il fallait faire des "crouyottes" le plus haut
possible pour que le grain vienne le plus haut possible". Rites de protection
contre les calamités naturelle et rites de fécondité à la fois, la tradition a
disparu petit à petit"...vers 1928 après la génération d'après guerre".
A l'automne se poursuit la récolte de fruits sauvages ainsi que celle de
certaines médicinales essentiellement pour leurs racines après la floraison
(bardane, rumex,...) tout comme d'autres plantes à usage domestique (iris pour
la lessive, . . . ) .
Rappelons que dans la plupart des cas, le ramassage s'effectuait dans le cadre
des activités agricoles ou bien était confié aux enfants pour les plantes
communes. Aujourd'hui, la pratique semble faire l'objet d'une démarche propre et
ainsi marginalisée.
La "bonne saison" s'ouvre et se clôture par une fête religieuse : les Rameaux et
la Toussaint accompagnés de pratiques symboliques mettant en oeuvre chacune un
végétal au feuillage persistant. Le buis des Rameaux, image de la résurrection,
de la vie et du renouveau du printemps ainsi que le houx offert aux morts,
symbolisant la relation vivants-défunts au-delà de la mort, illustrent
l'expression de comportements culturels à travers un code végétal qui ponctue
également un espace "temps".
5 - LA MAUVAISE SAISON
De la fin de l'automne jusqu'au début du printemps, le rythme des activités
humaines suit celui de la nature. Les gros travaux d'automne, comme le battage
du grain ou les labours laissent place aux travaux d'entretien divers que rend
propice le repos de la végétation : l'élagage des haies et leur maîtrise (le
"pléchis" ou "pléchage") occupe une bonne partie du temps, comme les travaux
forestiers (coupes de bois d'oeuvre et de bois de chauffage), ainsi que
l'entretien des biefs dans les prés ("biéler") ou la récolte de plantes à usages
technologiques, qu'il s'agisse de végétaux employés pour l'artisanat domestique
et agricole ou bien encore destinés à la vente (fabrication de crayons en
fusain, . . . ) .
Ainsi, pendant la période hivernale le lien avec la végétation semble être
assuré en grande partie par l'homme et notamment à travers des rapports au
sauvage. En effet, c'est surtout lui qui recueille les diverses salades d'eau
lors de l'entretien des rigoles. Soulignons ici l'importance de ces micro-
1?
milieux qui s'avèrent les seuls à pouvoir offrir quelques plantes alimentaires
durant l'hiver, échappant au gel et au sommeil de la nature. Micro-zones
aquatiques privilégiées par leur statut spécial, ces sources et biefs permettent
d'établir une relation de l'homme à l'alimentaire en dehors des contraintes
climatiques et temporelles. Adaptation au milieu et aux besoins, la tradition de
ramassage s'est perpétuée jusqu'à nos jours avec : le cresson des fontaines, le
cresson alénois, la callitriche stagnante, l'épilobe des marais, la montie des
fontaines, la stellaire des sources,...
Encore parmi les activités artisanales, le rôle de l'homme prédomine non
seulement dans la récolte du matériel végétal mais aussi dans la pratique qu'il
s'agisse d'outillage agricole ou de vannerie. Cette dernière incombe aux hommes,
principalement "parce que c'est dur de plier les "côtes", il faut de la force"
(Montsauche). Les "côtes" ou "coutil" sont le plus souvent en noisetier. Il esrt
intéressant de noter qu'ici la classification populaire dépasse le cadre de la
taxonomie linnéenne. En Morvan, on distingue le "coudrier blanc" qui croît dans
les depressions particulièrement humides du "coudrier brun" occupant des zones
de pente et les hauteurs. Le premier est recherché pour sa flexibilité "le blanc
se travaille mieux, il est plus souple, il pousse là où il y a de l'eau".
L'identification repose sur la couleur de l'écorce, essentiellement : "des
noisetiers, il y en a de deux espèces, un à l'écorce blanche, l'autre à l'écorce
marron, c'est pas les mêmes espèces" (Saint-Andeux).
Parmi les autres activités hivernales, on rattachera la coutume de la bûche de
Noël qui doit se consumer pendant une dizaine de jours dans la cheminée, au
cycle des Douze Jours (soit de Noël à l'Epiphanie). Le "noyau", "le centre qui
n'avait pas brûlé" de la bûche était conservé pour "protéger de l'orage" (La
Comelle).
D'après les informateurs, le jeu qui consiste "à faire tourner le buis"
déroulait le jour de Carnaval. "On allait cueillir le buis vert le jour
Carnaval" (Anost), "on faisait tourner le buis, on mettait les feuilles
sur la plaque du poêle, une par une ; il fallait faire un voeu et si la
tournait, c'était signe de réussite".
se
de
de buis
feuille
(1) DE CHAMBUEE mentionne également ce découpage temporel que reconnaissent
aujourd'hui de nombreux informateurs. (Glossaire du Morvan, 1878).
(2) BELMONT Nicole, 1973. Mythes et croyances populaires dans l'ancienne
France.Paris, Flammarion, (Coll. Questions d'histoire),184 p.
(3) VAN GENNEP, 1947. Manuel de folklore français contemporain. Les cérémonies
périodiques cycliques et saisonnières. 1 - Carnaval. Carême. Pâques. Paris éd.
Picard.
(4) FEDENSIEU A., 1985. Les cueillettes et l'alimentation en milieu cévenol.
Montpellier, Univ. Paul Valéry (Mémoire de maîtrise d'ethnologie) 128 p.
(5) Le sujet de l'apport économique du ramassage de plantes en Morvan sera
traité ultérieurement par M. NOUALLET.
(6) TERRAIN N" 6. Voir l'article de T. Jolas "La pierre aux oiseaux", mars 1986,
pp. 19-24.
(7) M.F. GUEUSQUIN-BARBIRON, 1977. Organisation sociale de trois trajets rituels
à Bazoches, en Morvan. Ethnologie française, tome 7,n° 1, pp 29-44.
13
(8) DELATTE A., 1961.Herbarius. Recherches sur le cérémonial usité chez les
anciens pour la cueillette des simples et des plantes magiques. Mémoires de la
classe des Lettres de l'Académie Royale de Belgique. 54. fase. A, 223 p., 3ème
éd.
14
L'ESPACE DE LA CUEILLETTE OU LE TERRITOIRE PARTAGE
Capucine CROSNIER
LE JARDIN
Le jardin, espace domestique où la nature est contrôlée, maitrîsée et
organisée par l'homme, abrite de nombreuses espèces végétales. Cultivées ou
adventices, elles sont connues pour leurs différentes propriétés, parfois les
cumulant : alimentaires, médicinales, à usages domestiques ou technologiques,
magiques.
Le jardin est le lieu même d'un compromis entre l'occupation de l'espace, la
gestion du temps imparti aux différents travaux (semis, plantation, entretien,
récoltes), la rentabilité des cultures,. etc<;; ; il semblerait en effet que cet
équilibre soit atteint au sein du jardin potager dont la production dépasse le
seul cadre alimentaire pour se superposer à celui du médicinal ainsi qu'au
sein du jardin ornemental qui aujourd'hui prime par sa valeur esthétique. Or
les plantes ornementales cultivées en Morvan présentent bien des aspects
utilitaires et il est parfois difficile de savoir quelle valeur réelle on leur
attribue :
"oh, la Camomille c'est pour la tisane, mais je n'en fais plus
guère, c'est pour faire beau, ça se resème tout seul, ça fleurit
partout" (Champeau).
"Là-bas, les pieds de Lys fleurissent tous les ans, c'est pratique,
ça fait de belles fleurs et puis ça soignait les coupures". (Ourouxen-Morvan).
Un grand nombre de végétaux sont sélectionnés parce qu'ils sont vivaces, leur
culture se limite donc à l'entretien.
On verra souvent s' imbriquer les bandes ou petits carrés de plantes
ornementales, aromatiques, médicinales au potager. Les plantes médicinales
trouvent ainsi leur place dans cet espace domestique aux multiples fonctions :
- Potager ; Ail, Carotte, Cassis, Céleri, Chou, Curcurbitacées
diverses, Fraisier, Framboisier, Livèche, Oignon, Oseille, Pomme de
terre, Rhubarbe.
- Parmi les aromatiques : Anis vert, Cerfeuil, Fenouil, Laurier
sauce, Persil, Thym, Romarin.
- Parmi les ornementales : Buis, Busserole, Centaurée des montagnes,
Géranium, Iris cultivé, Joubarbe, Lys blanc, Pyrêtre, Rose, Rose
tremiere, Soucis des jardins.
Bien souvent, on présente les plantes avant tout pour leur utilisation
alimentaire, fabrication de liqueurs par exemple, plutôt que pour leurs vertus
médicinales : Absinthe, Aurône mâle appelé le plus communément "Arquebuse",
Germandrée petit-chêne, Réglisse, Tanaisie à feuilles simples ou à feuilles
frisées, connues sous le nom de "Chartreuse".
Ainsi les Camomille, Bourrache, Guimauve officinale, Mélisse, Menthe, Sauge,
Rue apparaissent-elles souvent comme les seules simples du jardin alors que
1R
nous venons de citer à travers ces quelques lignes, plus d'une quarantaine de
plantes qui sont toutes médicinales.
Il est intéressant de voir se reproduire le processus de domestication fort
probablement aussi ancien que la sédentarisation des premiers peuples. Des
plantes d'altitude, comme la Centaurée des montagnes (Centaurea montana), ou
l'Arnica (Arnica montana) ont été introduites dans les jardins. La première se
rencontrant dans les cultures, surtout de céréales, a peut-être été protégée à
l'intérieur de l'espace domestique lorsque la plupart des terres labourables
furent converties en prairies au XIXème siècle (Montsauche), alors que la
seconde se cultive dans les zones périphériques du Morvan, qu'elle n'occupe
pas à l'état sauvage (Poiseul-la-Ville).
La Germandrée petit-chêne vivant surtout sur les rocailles et les pelouses
sèches est aussi installée dans les jardins, à des endroits secs et bien
exposés. (Epinac).
Pourtant répandue en Morvan dans quelques stations, la Tanaisie commune est
rapprochée de la maison, et cultivée avec les aromatiques et médicinales.
Peut-être lui reconnaissait-on autrefois d'autres usages, ce qui aurait
justifié sa domestication pour l'avoir "sous la main", et qui seraient tombés
en désuétude aujourd'hui. La Tanaisie à feuilles frisées semble introduite
dans le Morvan au moins depuis la première moitié de ce siècle.
Les médicinales du jardin jouent un rôle considérable dans la pharmacopée
traditionnelle en phytothérapie. A elles seules, correspondent de nombreuses
indications dans des domaines pathologiques différents.
Proches de la maison, ces plantes constituent une véritable "pharmacopée
d'urgence", d'autant plus sûre qu'on les côtoie tous les jours, qu'on les
"connaît", qu'on les protège pour que ça "pousse" bien, pour que le sauvage ne
l'envahisse pas.
Toutes ces attentions consolident les pratiques qui semblent mieux résister à
l'érosion du savoir.
"Moi, les plantes du jardin, je sais bien ce qu'on en fait, mais
dans la nature, je ne sais plus, plus personne n'y va maintenant..."
(Ouroux-en-Morvan).
Même si l'homme et la femme participent tous deux aux travaux culturaux dans
le jardin, seule la femme est investie du savoir et du savoir-faire liés aux
plantes médicinales, et également à usages domestiques" ... Ah ! vous venez
pour les plantes, il faut voir la patronne, c'est pas moi qui me mêle de ça !
(Quarré-les-Tombes).
Le jardin, espace de la femme, sera celui où on trouve aussi les plantes
tinctoriales pour la coloration des oeufs de Pâques : Epinard, Oignon, Persil
et les plantes odorantes pour parfumer le linge dans les armoires : Lavande,
Mélisse, Oeillet de jardin, Rose.
Quelques adventices sont aussi mises à profit dans l'alimentation quotidienne,
comme la Cardamine hirsute, le Pourpier potager, le Chénopode bon-henri ...
Même si le jardin apparaît ici comme le lieu privilégié de la femme, le rôle
de celle-ci n'est pourtant pas circonscrit aux limites de l'espace domestique.
IS A
2 - LES BORDS DE CHEMINS. LES TALUS. LES LIEUX INCULTES
Souvent proches des zones d'activité humaine, les bords de chemins et les
lieux incultes délimitent un espace où le sauvage reprend ses droits.
Il est cependant maîtrisé, contenu, mais avec "respect" : "les banquettes, ça
se fauche tous les ans, le curé de Pouques, il en trouvait des herbes, il
était toujours à quatre pattes, le nez dedans ! Mais maintenant, plus rien ne
pousse, c'est traité avec des produits, on ne respecte plus rien...".
Les bords des chemins, les endroits abandonnés, franchis lorsqu'on va ou bien
aux champs, enlever les mauvaises herbes et plus tard récolter, ou mener les
bêtes au pré ou couper l'"harb' à lapin", ou bien encore faire des courses au
bourg, ou aller chez quelqu'un..., accueillent après le jardin le nombre le
plus important de médicinales. Ainsi de nombresûes plantes sont collectées sur
le parcours même des activités agricoles.
""
Tout au long de l'année seront prélevés : Achillée millefeuille, Achillée
stermitatoire, Armoise, Bardane, Belladone, Bouillon blanc, Bourrache,
Chicorée sauvage, Chiendent, Consoude, Ellebore, Euphorbe réveille-matin,
Fougère mâle, Fumeterre officinal, Gentiane jaune, Lierre terrestre, Mauve
musquée, Mélilot officinal, Millepertuis perforé, Morelle noire, Ortie, Ortie
blanche, Petite mauve, Plantain majeur, Plantain lancéolé, Pulmonaire, Prêle,
Reine des prés, Scrofulaire noueuse, Sédum spectabilis, Serpolet, Tussilage,
Valériane et tant d'autres.
De nombreuses indications thérapeutiques se rapportent à ces plantes de bords
de chemins. Elles présentent des champs d'usages potentiels plus vastes que
les espèces cultivées dans le jardin. Celles-ci auraient donc des propriétés
moins nombreuses et sembleraient alors sélectionnées pour des emplois
thérapeutiques très spécifiques.
Les végétaux domestiqués, aux champs d'application plus restreints s'opposent
ici à la flore sauvage, plus "performante" quant à son large spectre
d'utilisations différentes dans la pharmacopée traditionnelle en Morvan. Mais
n'oublions pas que certaines médicinales du jardin font souvent l'objet d'un
emploi plus fréquent pour une utilisation thérapeutique bien précise, par
exemple le Lys blanc, la Menthe, la grande Camomille... sont cités par tous
les informateurs. La spécificité d'usage de certains simple cultivés seraitelle alors compensée par une plus grande fréquence d'utilisation ?
Si le bord des chemins et les lieux incultes sont le lieu privilégié de la
collecte des médicinales sauvages, on y ramasse aussi un grand nombre de
plantes alimentaires : Alliaire, Bouillon blanc, Bourse à pasteur, Cardamine
hirsute, Cardère sauvage, Chénopode, Chénopode bon-henri, Chicorée sauvage,
Germandrée petit chêne, Laiteron, Lampsane, petite Oseille, Plantain lancéolé,
Porcelle enracinée, Pourpier potager, Raiponce en épi et Rumex.
Les enfants apprécient également cet espace où l'imaginaire se concrétise sous
forme de jeux utilisant les différentes propriétés des plantes, quelles soient
physiques, avec les fruits de la Bardane que l'on se lance, la tige du
Plantain pour enfiler les fraises, les fleurs de Silène enflée ou de Digitale
qui claquent ... ou bien encore chimiques avec 1'Achillée millefeuille qui
fait saigner le nez, la Saponaire qui mousse dans l'eau.
D'autres habitudes se rapprochent plus du ludique que de l'alimentaire :
l'infrutescence du Rumex, les fleurs de l'Ortie blanche, les fruits du
"fromageo", petite Mauve que l'on aime à déguster en plein air, tout juste
cueilli.
Quelques usages domestiques dont étroitement liés à ces espèces qui poussent
sur des endroits incultes et souvent proches des habitations : la Saponaire
pour la lessive, l'Ortie, le "buchón" pour récurer les casseroles, le
Chiendent pour la fabrication des brosses etc..
3 - LES HAIES
Les haies, compagnes des bords de chemins et des talus, sont aussi ce
"sauvage" qu'on essaie de dominer, de plier aux exigences humaines. La
diversité des noms qu'on leur accorde traduit aussi cette relation étroite et
personnalisée entre l'homme et le végétal à travers diverses techniques, ici
c'est la "brosse" ou la "tresse", ici la "bouchure" et là, le "pléchis".
La composition florale de la haie, moins riche que celle des bords de chemin,
se restreint à un nombre plus limité de médicinales : Aubépine, Bryone
dioïque, Chèvrefeuille des haies, Eglantier, Frêne, Germandrée petit chêne,
Gouet maculé, Lierre grimpant, Nerprun purgatif, Petite pervenche, Ronce,
Sureau noir et rouge, Tamier commun.
On compte également des plantes à usages alimentaires : Aubépine, Clématite
des haies, Cornouiller mâle, Framboisier sauvage, Eglantier, Houblon, Néflier,
Noisetier, Pommier sauvage, Prunellier, Robinier faux acacia, Ronce et Sureau
noir.
La haie, plus que les bords de chemins, semble le territoire des enfants et de
leurs familiarisation avec le sauwage à travers des activités récréatives :
fumer les tiges de Clématite, faire des colliers de fruits d'Eglantier ou de
Fusain, fabriquer des brouettes en branches de Noisetier, des lances-patates
avec le Sureau, et pour la mùusique verte des "nununes" avec les feuilles de
Houx, des trompes en écorce de Noisetier, des sifflets en Sureau.
Le goût du grapillage s'allie à la gourmandise : fruits d'Auibépine, fleurs de
Chèvrefeuille, baies de Viorne mancienne (ici en petite quantité).
La haie, dont la maîtrise passe par la technique, semble rendre à l'homme les
fruits de son effet en lui offrant des matériaux à utilisation technologique :
la Clématite, le Noisetier, la Ronce, le Saule pour le vannier, qui est bien
souvent l'agriculteur qui s'y substitue aux veillées, la Symphorine, le
Camerisier des haies pour la fabrication de balais dont on fait des lampes en
temps de guerre, l'écorce de Bourdaine etc..
Mais c'est surtout dans le domaine du symbolique que la haie présente un
intérêt supérieur aux autres "milieux" artificiels que nous avons dégagés ici.
Les dictons à indication météorologique ou écologique s'appuient sur
l'observation de l'Aubépine, du Prunellier et du Sureau. On se méfie du "bois
punáis" (certainement le troëne), du Sureau. En revanche, l'Aubépine a un rôle
protecteur, contre la foudre par exemple. Et enfin, les jeunes gens viennent y
chercher les mais pour les jeunes filles : Cerisier à grappes, Eglantier,
Groseiller, Houx, Noisetier, Ronce.
15 C
Les usages médicinaux, largement représentés dans le jardin et sur le bord des
chemins régressent ici face à des utilisations domestiques, technologiques et
symboliques. La haie, territoire des enfants, source d'approvisionnement dans
le domaine technologique, et symbolique -les mais- semble tenir la femme
quelque peu à l'écart d'un certain savoir-faire, exepté celui des médicinales
et alimentaires, p lus restreint dans le cas de cette formation végétale.
Le caractère "sauvage" et l'aspect "ligneux", fort, solide, de la haie au
regard du jardin, des bords de chemins, dont l'architecture végétale est
beaucoup plus modeste, plus souple et maitrisable, ne nous parait pas étranger
à ce processus de division sexuelle dans l'approche de la haie, et de ses
usages multiples.
U - LA.FORET
Autrefois, lorsque la forêt était aux mains de grands propriétaires, les
droits d'usage et principalement ceux de pacage autorisaient le paysan à
profiter des ressources naturelles, le bois pour la construction, la
fabrication de l'outillage domestique et le chauffage, les fruits pour
l'alimentation, et l'herbe pour les animaux comme la "foinasse" -canche
flexueuse- (Alligny). Il y a encore une cionquantaine d'années, on gardait les
animaux dans le bois. Les hommes s'en chargeaient "quand on débardait du bois,
elles (les bêtes) mangeaient la barboulotte" (Alligny), mais cette tâche était
plus souvent confiée aux enfants et aux femmes qui accédaient par cette
activité à un espace privilégié masculin : défrichement de clairières, coupes
de bois d'oeuvre ou de chauffage, entretien... Même si la femme participe aux
travaux forestiers, sa mission est souvent subordonnée à celle de l'homme :
ramassage de petit bois, nettoyage des coupes, petit bois pour le chauffage.
Le ramassage de certaines plantes alimentaires semble confirmer l'intérêt
masculin pour la forêt"... dans les bois de Vézelay. Mon grand-père ramenait
des petites bottes d'asperges des bois. On les faisait cuire".
La forêt abrite d'autres espèces alimentaires : Cormier, Ficaire, Frêne,
Hêtre, Myrtille, Néflier, Pommier sauvage, Sorbier des oiseaux, Raiponce en
épi en lisière des bois, soit une dizaine en comptant "l'Asperge des bois",
Ornithogale des Pyrénées.
Le milieu forestier est porteur de nombreuses indications thérapeutiques que
se partagent : Aulne glutineux, Bourdaine, Chêne, Frêne, Epicéa, Lichen sp.,
Lierre grimpant, Pin sylvestre, Saule, Vesse de loup.
La forêt concentre de nombreuses espèces à usages technologiques :
Châtaignier, Ronce, Saule pour la vannerie, Acacia, Bouleau, Chêne, Cormier,
Frêne, Hêtre, Houx, Mélèze, Noisetier et Sapin pour l'outillage agricole.
On y trouve comme dans la haie, les essences du mai :
- pour les jeunes filles :
Bouleau, Charme, Chêne, Frêne, Houx, Sapin, Sceau de Salomon.
- pour faire fuir les serpents :
Bouleau, Charme, Noisetier.
Le milieu forestier est donc le domaine de l'homme par excellence qui lui
apporte : du bois d'oeuvre pour la construction (sujet que nous n'avons pas
15 D
développé dans le cadre de l'enquête), des matériaux pour la fabrication
d'outils agricoles, quelques plantes alimentaires dont il se charge de la
cueillette (Ornithogale des pyrénées, Nèfles, Châtaignes...), diverses
essences symboliques pour le mai. La forêt abrite, par rapport au jardin et
aux bords des chemins, peu d'espèces médicinales dont la cueillette incombe le
plus souvent aux femmes.
5 - LES PRAIRIES
Comme nous l'avons présenté dans le chapitre "Morvan physique", on distingue A
types de priries dont les plus fréquents sont les prairies humides et les
prairies marécageuses à tourbeuses. Là aussi, la diversité des termes
vernaculaires reflète les caractéristiques du milieu. Les "mouèlles", ou
"menouille" sont les terrains humides, les "mouéilla" des endroits marécageux,
les "mairâ" des marais, des "guète" des terrains fangeux où se trouvent des
eaux de sources (environ de Lormes), comme les "bouillarse" où croît la
Pulicaire, les "jaubie", une jonchaie, les "solins", des parties élevées au
milieu des terrains humides, et donc plus secs, habitat privilégié de l'Arnica
(Montsauche).
La fauche régulière de ces prairies marécageuses permet leur entretien et une
plus grande diversité végétale. Cette pratique agricole abandonnée au fil des
ans, avec la diminution de la main d'oeuvre agricole et de la pression
foncière, a entrainé le recul de certaines espèces. "La Cannzeberge, les
gamins se battaient pour ramasser les fruits... maintenant elle a disparu
parce que ce n'est plus fauché... Aussi l'Anagallis tenella, la Wahlenbereia
hederacea ont ausi disparu comme ça" nous livrera un botaniste autodidacte
confirmé de la commune de Montsauche. D'autres plantes comme les Droseras (D^
rotundifolia et D. intermedia) meurent avec le drainage.
La richesse de la flore de ces prairies, parfois menacées dans certaines zones
du Morvan, n'a pas échappé au prélèvement humain pour satisfaire ses
différents besoins, principalement médicinaux et alimentaires. Les
médicinakles sont : l'Achillée millefeuille, l'Arnica, la Centaurée jacée, le
Mélilot officinal, la Menthe sauvage, le Myosotis, le petit Buglosse, la
petite Centaurée, le Pissenlit, la Primevère officinale et la Reine des prés.
Les prairies, surtout riches en salades "de terre" qui poussent en terre, par
opposition aux salades "d'eau" qui croissent dans les sources, les biefs...,
comptent plusieurs plantes alimentaires : Bourse à pasteur, Chicorée sauvage,
Pissenlit, et préférentiellement sur les sols humides : Canneberge, Porcelle
enracinée, Salsifis des prés et Scorzonère. Les autres usages y sont très
faiblement représentés.
Sources, biefs et trous d'eau
De nombreuses sources et biefs arrosent les prairies du Morvan. Les biefs,
petits fossés qui permettent l'écoulement des eaux sont "biélés" tous les ans,
pendant la morte saison, avec une pelle et une "pioche" (bêche). En plus de
ces biefs, "foussés", ou "boulerotte", les trous d'eau constituent de petits
réservoirs, souvent liés à l'extraction de l'argile ou "cran" pour faire la
terre battue qui recouvre le sol des bâtiments (Poil). Ces creux "crô", "crô
15 E
d'eau" sont parfois remplis d'eau fort boueuse, on les appelle alors
"gargoueilla", "patouilla".
Les sources et les biefs où l'eau limpide coule lentement, abritent de
nombreuses salades : Bugle rampant, Cresson de Fontaine, Cresson alénois,
Montie des fontaines, Stellaire des sources. Dans les fossés, les lavoirs sur
fond boueux, à faible épaisseur d'eau on ramasse la Callitriche stagnante (Sud
du Morvan) et, l'Epilobe des marais. Dans les étangs, "se tirent avec une
perche" les châtaignes d'eau. Dans les fontaines on semait la graine de
Navette dont on mangeait les jeunes feuilles ensuite comme du "cresson". Ainsi
quelques espèces alimentaires sont collectées dont deux d'entre elles sont
médicinales, le Cresson des fontaines et la Montie des fontaines.
Hommes et femmes fréquentent les prairies pour y conduire et surveiller les
animaux. Les femmes aident à "biéler" les fossés, "c'était en sabots, on avait
les pieds trempés" (Saint-Léger-sous-Beuvray). Les hommes ramènent souvent les
salades, les cressons. Certains même le vendaient dans le village, "avec un
bâton et du cresson autour" (Gouloux).
6 - CULTURES
Les cultures, occupant au siècle dernier 50 % du sol, sont aujourd'hui de
faible importance (10%). On y récolte quelques médicinales : Bleut des Champs,
Camomille matricaire, Coquelicot, Fumeterre, Pensée sauvage et Pyrètre.
Certaines plantes cultivées sont médicinales : Avoine, Chanvre, Maïs, Orge,
Pavot oeillette, Graminées (foin), et Seigle.
Quelques plantes alimentaires sont aussi glanées au moment du désherbage des
cultures : Cardamine hérissée, Laitue vivace, Lampsane commune, Mâche ou
Doucette, Pourpier potager.
Dan les vignes se récoltent surtout la Mâche et l'Ail des vignes.
7 - ARBRES CULTIVES
Plusieurs espèces arborescentes sont médicinales : Cerisier, Cognassier,
Marronnier, Noyer, Prunellier et Tilleul, souvent proches de la maison, dans
la cour, le jardin, les prés, et sur les places publiques.
15 F
LES REPRESENTATIONS DU MILIEU NATUREL
Claudine FRIEDBERG
L'intérêt des scientifiques pour les représentations du milieu naturel s'est
amplifié au fur et à mesure que l'on a pris conscience de ce qu'il y a de
"fabriqué" de "construit" par l'homme dans ce que l'on considérait jadis comme
donné par la nature.
Ces représentations font partie de ce que l'on appelle les "représentations
sociales", c'est-à-dire qu'il s'agit de phénomènes dépassant la psychologie
individuelle et qui sont partagés par tous les membres d'une collectivité
sociale. C'est dans les sociétés exotiques relativement faciles à délimiter
que les ethnologues ont appris à cerner les représentations de
l'environnement. Ils l'ont fait dans le cadre de "l'ethnoscience", c'est-àdire de l'étude des savoirs et savoir-faire des "autres". Celle-ci est fondée
sur les termes d'appellation appliqués aux plantes, aux animaux, aux termes
naturels et aux catégories de l'espace (1).
Dans nos contrées, les érudits locaux et les folkloristes se sont intéressés
depuis longtemps à ce type de terminologie. De plus, pour ce qui est des
catégories de l'espace elles ont été répertoriées dans les monographies des
géographes, citées dans les récits des voyageurs, consignées dans les rapports
sur l'état des lieux réclamés par les gouvernements qui se sont succédés à la
tête du rovaume ou de la république. Ceci explique que nombre de termes locaux
sont passés dans la langue savante ou ont été répandus par les clercs d'un
bout du pays à l'autre. C'est le cas de terme comme "bocage", "lande",
"champagne" ou "gâtine"; on ne sait plus de quelle région ils sont originaires
et ce qu'ils désignaient exactement dans' le système de représentation locale.
En effet, chez nous comme dans les contrées exotiques le sens d'un terme ne
peut être saisi que localement par opposition avec les autres termes utilisés
pour désigner les types d'espace distingués par les utilisateurs du territoire
en question.
Ainsi en Bourgogne la "côte" s'oppose à la "montagne", ces termes désignant
des entités complexes qui n'ont que peu de rapports en France. Comme Y.
LUGINBUHL le montre plus loin (voir p.
) ces mots renvoient en même temps
au statut foncier et à l'utilisation des espaces concernés et donc à leurs
caractéristiques du point de vue cultural (nature du sol, ensoleillement,
disponibilité en eau, etc.) ainsi qu'aux espèces végétales particulières,
sauvages ou cultivées, que l'on peut y rencontrer. Cet exemple nous aide à
mieux comprendre combien ces catégories de l'environnement sont liées aux
pratiques comme les anthropologues l'ont affirmé chaque fois qu'on leur a
demandé d'analyser les rapports que les sociétés entretiennent avec le milieu
dans lequel elles vivent : "il est nécessaire d'analyser soigneusement le
système des représentations que les individus et les groupes membres d'une
société déterminée se font de leur environnement. C'est à partir de ces
représentations que ces individus ou ces groupes agissent sur l'environnement"
(Godelier 1974, p. 39).
Cependant cette réflexion pourrait faire croire que les représentations
existent en dehors des pratiques et qu'elles les précèdent. En fait, et les
Ift
travaux des psychologues expérimentaux le prouvent (2), les représentations
sont autant liées aux actions dont les objets sont les supports qu'à la
perception visuelle que l'on peut en avoir. La notion de paysage, uniquement
objet de contemplation est une idée d'urbains pour lesquels la campagne est un
lieu où l'on ne fait que passer.
En réalité les représentations de l'environnement sont le produit d'une
pratique : ils participent de la production des rapports société/environnement
et donc du fonctionnement de l'éco-agro-système.
La terminologie correspondant à ces représentations fait apparaître plusieurs
niveaux hiérarchiques allant des objets eux-mêmes, les plantes pour ne parier
que de l'environnement végétal, jusqu'aux catégories les plus englobantes du
type "côte" et "montagne" en passant par des catégories désignant des
ensembles ou des formations végétales comme "bois", "taillis", "futaies" ou
"haies" chacun portant un nom particulier à chaque région.
C'est à travers les nomenclatures appliquées aux plantes que les chercheurs en
ethnoscience ont tout d'abord cherché à mettre en évidence les systèmes
classificatoires populaires. Mais les processus classificatoires sont
complexes; d'une part ils utilisent alternativement différenciation et
rapprochement; d'autre part, ils associent de façon plus ou moins simultanée
et dans un ordre indéterminé : identification, dénomination et insertion dans
un système d'e référence.
Se fonder uniquement sur les nomenclatures pour comprendre les processus
classificatoires n'est pas suffisant :
1 - parce qu'il n'y a pas forcément correspondance entre perception
et langage
2 - parce que le vocabulaire a son évolution propre liée à
l'histoire de la société.
Pour comprendre que ce sont les processus classificatoires, nous sommes
obligés, nous l'avons déjà dit, de nous référer aux travaux des psychologues
expérimentaux. Ces derniers reconnaissent l'existence de deux procédures de
classification. La première est la procédure componentielle-conceptuelle
correspondant "à une situation d'appartenance à une classe : l'existence des
caractères spécifiques ... est condition nécessaire et suffisante de
l'appartenance à la clasee" (Bresson 1986, p. 968); dans la seconde, dite
prototypique, l'identification se fait par ressemblance avec une "figure
exemplaire". Dans le premier cas les informateurs fournissent les critères qui
leur ont permis de reconnaître la plante; dans le second les informateurs ne
peuvent pas expliciter les raisons pour lesquelles ils donnent tel ou tel non.
La plante est alors reconnue au premier coup d'oeil d'après son allure
générale. Mais il arrive qu'il y ait combinaison des deux procédures et
surtout que les caractéristiques de la plante fournies par l'informateur
soient une justification à posteriori.
En ce qui concerne les systèmes de dénomination ils sont tous construits sur
un même principe que l'on retrouve partout à travers le monde. Le nom d'une
plante est constitué tout d'abord par un terme de base; celui-ci peut être
simple, c'est le cas de Cresson, Chêne, Foyard ou Coudrier. Il peut être
composé comme Reine des prés, Herbe à savon, Suço de bigue ou Bois puant. Dans
ce cas, il s'agit souvent d'une expression descriptive ou métaphorique alors
que les termes de base simple n'ont le plus souvent aucun autre sens dans la
langue comme les termes fournis plus haut; mais il y en a d'autre comme
1T
Millefeuille ou Millepertuis qui ont une signification. Le terme de base peut
être utilisé seul ou accompagné d'un ou plusieurs déterminants qui,
généralement, se rapporte à une spécificité de la plante ainsi désignée. Ce
phénomène est courant pour les plantes cultivées : Chou de milan, Chou de
coeur de boeuf, Haricot mangetout ou Oignon jaune paille des vertus; mais il
en est de même pour les plantes sauvages : Chêne vert, Chêne liège, Chardon
d'oiseau, Chardon blanc, Chardon des prés, Chardon Roland, Ortie oui pioue,
Ortie blanche.Signalons cependant qu'il peut y avoir ellipse du terme de base;
ainsi Frisée pour Chicorée frisée ou Reinette du Canada et même Canada, pour
pomme Reinette du Canada.
Le terme de base correspond à ce que les psychologues appellent le "niveau de
base". Quand à la correspondance avec la classification scientifique elle est
très variable; il peut s'agir du genre, c'est le cas de Chêne, mais également
de l'espèce ce que l'on rencontre pour la plupart des plantes cultivées;
cependant un même terme de base peut également désigner des plantes
appartenant à des genres différents qui peuvent être plus ou moins proches
botaniquement comme pour Chardon ou très différents comme dans le cas du mot
Ortie.
Au niveau hiérarchique supérieur on trouve différents types de catégories
englobantes. Ces catégories peuvent être celles de formes du vivant. En
français elles se réduisent à : arbre, herbe, arbuste, buisson, champignon. Il
est souvent difficile de savoir si des termes comme "mousse" ou "fougère"
doivent être considérés comme des termes de base ou des formes du vivant ;
dans le premier cas il n'existe aucun autre terme pour désigner une mousse eu
une fougère particulière ; dans le second il en existe et on considère que la
plante ainsi désignée appartient à l'une de ces deux catégories.
En fait ces catégories de forme du vivant ne sont jamais très nombreuses maze
si on y ajoute une catégorie pour les graminées herbacées et une autre pour
les plantes à tige lianescente, comme c'est le cas en anglais avec les termes
grass et vine.
De plus, les chercheurs travaillant dans les sociétés exotiques ont souvent
constaté que ces catégories de formes du vivant n'englobaient pas toutes les
plantes et que de nombreux regroupements étaient liés à l'usage ou à
l'écologie.
Ainsi j'ai recueilli (Friedberg 1990) dans une population montagnarde du
centre de Timor (Indonésie) des regroupements de plantes effectués selon
plusieurs types de critères comme on peut le constater dans le tableau 1 qui
en présente quelques exemples. Certains de ces ensembles sont fondés sur une
caractéristique morphologique ou biologique définie, d'autres sur une
ressemblance générale, d'autres sur des caractéristiques écologiques et
d'autres enfin leur utilisation.
Remarquons cependant que dans plusieurs cas les critères de regroupement sont
plus complexes que ne le laisse présager les termes d'appellation. Ainsi hotel
deu goq et hotel il bul ne regroupent que les arbres alors que pour hotel
susuail le terme hotel qui signifie arbre doit être entendu dans un sens plus
large puisqu'on trouve également dans cet ensemble des herbacées. L'ensemble
kesi, terme désignant tous les arbustes ne regroupe que les formes de sousbois et nullement les arbustes épineux nombreux dans les formations
secondaires, c'est-à-dire dans les essences qui ont déjà subi des essartages.
Quant au terme bula il convient de s'y attarder plus longuement. D'une part
bula désigne des formations herbacées courtes, c'est-à-dire des prairies
18
naturelles, par opposition à an, qui est un sous-ensemble de lepu guk, qui
désigne des savanes formées de Graminées de grande taille. D'autre part, bula
désigne l'ensemble des terres collectives dans lesquelles on peut mettre le
bétail par opposition aux matas momen, terme d'appellation pour l'ensemble des
terres de cultures qui sont partagées entre les lignages et qui sont
interdites au bétail; à ce titre bula comporte non seulement de la prairie
mais aussi des bois.
Les Bunaq possèdent des termes pour d'autres types de formations végétales :
forêt épaisse ou claire, formation à espèce arborée dominante (Eucalyptus ou
Casuarina) ; des formations arbustives avec épineux et espèces herbacées. Mais
ces termes désignent des espaces dont le statut foncier n'est pas défini et
ils ne sont pas utilisés comme catégories botaniques.
B. Meilleur qui est un des rares chercheurs à avoir fait une enquête
systématique sur la nomenclature botanique dans une région française, a
constaté à Termignon en Vanoise que les informateurs regroupent les végétaux
dans ce qu'il appelle des phytocénoses populaires, elles-mêmes associées à des
catégories populaires du biotope dont on trouvera quelques exemples dans le
tableau 2; comme le remarque l'auteur "le paysan savait dans quel milieu
précis il pouvait trouver la plante qu'il recherchait ... Il savait aussi
quelles plantes il était susceptible de rencontrer au moment où il se trouvait
dans un biotope donné" (Meilleur, 1984).
D'une façon générale, il faut souligner l'aspect opératoire des systèmes de
classification aussi bien pour les plantes que pour les catégories de
l'espace. Donner un même terme de base à des plantes qui se ressemblent
morphologiquement comme les Orties ou les Chardons est une façon d'alléger la
mémoire et de faciliter leur repérage. C'est également pour les déterminants
qui permettent de distinguer les différentes variétés d'une plante cultivée.
Dire qu'une plante appartient à une certaine catégorie de biotope populaire
c'est également une façon de mieux la repérer. Mais ces catégories sont ellesmêmes organisatrices de l'espace dans lequel, et grâce auquel, on vit.
Il faut cependant ajouter que les toponymes jouent un rôle important dans
cette organisation et qu'il est parfois nécessaire de cumuler connaissance du
biotope, du toponyme et d'une espèce végétale particulière pour repérer un
lieu.
Signalons enfin qu'il existe un autre mode de catégorisation : les
classifications analogiques qui associent des objets et des phénomènes
appartenant à des domaines différents. C'est ce que les ethnologues ont étudié
dans les classifications totémiques, dans lesquelles un groupe social peut
être associé à,des plantes, des animaux ou des phénomènes naturels. Mais c'est
de ce même type de raisonnement que relève souvent l'utilisation de telle ou
telle espèce en guise de protection ou comme "mai" en fonction du message que
l'on veut transmettre (Crosnier, 1987). D'une façon générale nous avons vu
combien les modes de catégorisation sont liés aux pratiques même si les
processus mentaux mis en jeu relèvent eux des caractéristiques du
fonctionnement du cerveau.
Les catégories liées aux pratiques devraient donc évoluer avec ces dernières.
En particulier les catégories de l'espace rural devraient s'adapter aux
changements que subit l'agro-éco-système; ce fut sans doute le cas quand ces
changements étaient lents mais ne l'est pas quand ils deviennent trop rapides
: il est difficile d'échapper au système de représentation dans lequel on a
grandi. Nous assistons actuellement dans la société rurale française à des
phénomènes de transition et à des pratiques compensatoires face aux
bouleversements de l'environnement : réduction des surfaces cultivées ici,
augmentation là, grâce au matériel moderne qui permet de défricher plus
facilement. Ainsi de nouvelles pratiques de chasse ou de ramassage peuvent
être le moyen de se réapproprier un terroir dont la gestion paraît nous
échapper. (3). Il faudrait répertorier les changements de sens des ternes
anciens, inventorier les nouveaux s'ils apparaissent.
1 - Pour le sens du terme "ethnoscience", voir C. Friedberg, 198 .
2 - Piaget l'a montré depuis longtemps chez l'enfant, mais cela est aussi vrai
chez l'adulte (Bresson 1986 p. ).
3 - Voir à ce sujet le N° 87/88 d'Etudes Rurales "La chasse et la cueillette
aujourd'hui", V. Pelosse et A. Vourc'h 1988, Larrere et M. de la Soudière,
1985.
TABLEAU 1
QUELQUES EXEMPLES DE GROUPEMENTS DE PLANTES CHEZ LES
BUNAQ DE TIMOR
balo dik "taro igname" (plantes à tubercules comestibles)
hotel deu goq "arbre maison produit" (comprenant tous les arbres utilisés dans
la construction)
plantes proches de in "ail"
goq no gonor "fruit sur les feuilles (les fougères)
lepu guk "entre noeud-noeud" (ensemble comportant toutes les Graminées nais de
plus des Composées et des Acantacées à feuilles opposées)
plantes proches de zul (ensemble qui comporte quelques uns des arbres
appartenant à la famille des légumineuses)
netel dutula "racine se posant du même" (épiphyles et parasites)
hotel susuqil "arbre à latex"
bula gie "de prairie"
hotel il bul "arbre eau base" (arbres associés avec points d'eau)
kesi (arbuste de sous bois)
70
les
les
les
les
abords graveleux et sablonneux des cours d'eau
éboulis en montagne
tas de pierre (des champs)
lieux humides (petits marais)
- de plaine
- de "montagnes"
les moraines de glaciers les jardins non clos du village
les pâturages
-de montagnettes
- de "montagnes"
BIBLIOGRAPHIE
1 - BRESSON F. "Les fonctions de communication et de représentation" in PIAGET
J., BRONCART J.P., MOUNOU P., Psychologie, Paris, Ed. Gallimard, 1986, coll. "La
Pléiade".
2 - CROSNIER C , 1987. Recherches ethnobotaniques liées à la connaissance des
plantes médicinales et des usages du végétal en Bourgogne-Morvan, Parc Naturel
Régional du Morvan, 2 tomes.
3 - FRIEDBERG C , 1987 : Les études d'ethnoscience. In : Images des sciences de
l'homme. Ethnologie, Préhistoire, Anthropologie en France". Le courrier du
C.N.R.S., suppl. au N° 67 : 19-24.
1990 : Le savoir botanique des Bunaq. Percevoir et classer dans le Haut Lamaken
(Timor-Indonésie) - Mémoires du Muséum, série Botanique (à paraître).
A - M. GODELIER 1974. Considération théoriques et critiques sur le problème des
rapports entre l'homme et son environnement. Inform. Sei. Soc. 13 (6) pp. 31-60.
5 - LA SOUDIERE (Martin de) - LARRERE (Raphaël) - Cueillir la montagne :
plantes, fleurs, champignons en Gévaudan, Auvergne et Limousin/ Raphaël Larrere,
Martin de la Soudière. Lyon : La Manufacture, 1985. - 253 p. : ill., couv. ill.
en coul., photogr. n. et coul.; 24 cm. - (l'homme et la nature). Bibliogr. pp.
245-250. Glossaire pp. 233-239. Index pp. 240-244.
6 - MEILLEUR B.A. "Une recherche ethno-écologique en Vanoise", Travaux
scientifiques du Parc National de la Vanoise 1984 t. 14 p. 123-133.
7 - VOURC'H Anne - Chasser en Cévennes : un jeu avec l'animal/ Anne Vourc'h et
Valentin Pelosse - Aix-en-Provence : (Paris) : Ed. Edisud. Centre National de la
Recherche Scientifique (CNRS). 1988 - 301 p. : 111 : couv. III en coul : 24 en (Parlers et cultures des régions de France).
Bibliogr. pp. 277-286. Index pp. 295-299 - ISBN 2 - 85744-345-5 2-222-04208-9.
21
LES FRICHES, UN EXEMPLE DE REPRESENTATION SOCIALE DU PAYSAGE
ou
LES REPRESENTATIONS SOCIALES
DES PAYSAGES DE FRICHES EN BOURGOGNE
Yves LUGINBUHL
Chargé de recherche au CNRS-STRATES
La friche est à la mode. Elle envahit depuis quelques années les discours
tenus dans les milieux concernés par l'aménagement du territoire, que ce soit
les administrations ou les organisations professionnelles agricoles. Elle
occupe le devant de la scène depuis que des prévisions sur l'avenir de
l'espace rural ont été avancées par le Service Central des Etudes Economiques
et Statistiques du Ministère de l'Agriculture, annoçant 3 à k millions
d'hectares de friches supplémentaires sur le territoire national d'ici la fin
du deuxième millénaire. Depuis on a pu voir le baromètre grimper et atteindre
des sommets vertigineux : certains sont allés jusqu'à prévoir 12 millions
d'hectares de friches à la même échéance ! (1). Or. contrairement à la rumeur,
la friche selon les statistiques actuelles, ne s'étend pas. Elle ne cesse de
régresser depuis le milieu du siècle, malgré la diminution du nombre des
agriculteurs et de la Superficie Agricole Utilisée. C'est précisément là que
se situe le simplisme des interprétations des chiffres qui, en ne restituant
pas l'évolution actuelle de l'espace dans un contexte global et en procédant à
des assimilations rapides, émettent des résultats qui prennent l'allure de
catastrophe.
Si la friche ne s'est pas étendue dans les dernières décennies, c'est qu'en
effet, il est impossible, d'une part, de faire correspondre la diminution de
la Superficie Agricole Utilisée à une extension de l'enfrichement ; pour une
raison claire : c'est que parallèlement, les autres usages du sol, habitat,
infractructures, industrie, tourisme et forêt consomment l'espace abandonné
par l'agriculture. Si la terre agricole a effectivement diminué depuis la
Seconde Guerre Mondiale, ce n'est pas pour autant que la friche a envahi le
territoire, car les autres usages ont progressé plus vite que la part de SAU
laissée à l'abandon. D'autre part, l'assimilation de la baisse du nombre des
exploitants agricoles tcalculée dans ces prévisions en fonction de l'absence
de successeurs) à l'abandon des terres ne tient pas compte de la capacité des
exploitants subsistant à reprendre les terrains libérés, c'est-à-dire à
accroître la superficie de leur exploitation, ce qui paraît tout à fait
légitime. Elle ne tient pas compte non plus de la part des installations
agricoles par des jeunes d'origine non-agricole, qui est beaucoup plus
importante qu'on le croit, et que l'on a tendance, le plus souvent, à oublier.
D'où l'idée de déprise et l'image qui en est le corollaire : "La France part
en friche" clament certains médias (2), alors que les observations chiffr&es
montrent le contraire. Quelle est l'origine de cette clameur et quel lien a-telle avec le sujet qui nous préoccupe ici ?
Il est tout d'abord indéniable que les discours annonciateurs de la friche ont
un caractère stratégique : il s'agit d'attirer l'attention sur un sujet ou sur
un thème mobilisateur, le retour du territoire national au sauvage. Il est
clair que le spectre brandi de la broussaille et de la ronce qui s'étend sur
la culture permet d'attirer l'attention sur ses protagonistes et de leur
22
donner l'importance de faire croire ainsi a la nécessaire concentration de moyens vers
ceux qui en seraient les victimes : les agriculteurs, d'une part, et le paysage,
d'autre part.
C'est là que réside l'intérêt d'analyser l'évolution de l'espace national par
rapport à l'image que certains veulent bien en donner. Car la friche,
effectivement, est un paysage de la barbarie pour ceux là même qui tentent
d'alerter l'opinion publique sur son extension dramatique. Or, l'histoire de
l'occupation du sol en Bourgogne, et plus précisément sur la côte niticole
beaunoise, montre que l'assimilation de la friche à l'horrible procède d'une
occultation de la symbolique de l'espace et d'une non-reconnaissance des
capacités poétiques des paysages sauvages ou de leur dévalorisation par rapport
au cliché académique du beau paysage que véhiculent la plupart des médias.
La côte viticole beaunoise (et plus généralement bourguignonne) s'organise en
effet selon 3 types de paysages distincts relativement bien délimités dans
l'espace : la plaine de la Saône, dévolue aux cultures céréalières et
fourragères ou à l'élevage, le coteau viticole lui-même, espace de monoculture,
et la montagne, espace caché à la vue depuis le pied du coteau, recouverte de
bosquets d'arbres peu enclins à une exploitation forestière, de broussailles
épineuses et de rocailles, affleurements calcaires de la roche mère ou
entassements de cailloutis plus ou moins réguliers, les murgers.
Le paysage du coteau viticole est un paysage soigné, méticuleux qui, vu de
prend des allures de maquette, avec ses clos rigoureusements délimités par
murets de pierres sèches, ses villages aux maisons serrées les unes contre
autres et ses chemins étroits irriguant les parcelles viticoles : c'est le
paysage du travail, de la rigueur mais aussi de la sociabilité s'exprimant
ses fêtes et multiples manifestations collectives en l'honneur du vin.
loin,
des
les
dans
Rien de tel dans le paysage de la montagne, dont chaque commune viticole possède
une part, les limites communales s'étendant perpendiculairement à l'axe général
de la côte bourguignonne (3). C'est un paysage sauvage où prédominent la friche,
la broussaille, la ronce, l'épineux ou quelques pelouses de graminées spontanées
telles que le Brome et le Brachypode. Pourtant, la montagne a été colonisée
avant que la spécialisation agricole n'évite aux viticulteurs d'élever vaches et
porcs et de cultiver quelques plantes alimentaires indispensables à leur survie.
Jusqu'au milieu du XXème siècle, effectivement, la montagne était l'espace
réservé au petit viticulteur qui l'utilisait à de multiples usages.
Sur les pelouses sèches des hauteurs, était conduit le troupeau collectif du
village qui, mené souvent par les enfants, s'égayait dans les boisements
spontanés de chênes dont les glands nourrissaient les porcs. C'était, la plupart
du temps, dans les terrains communaux, espaces collectifs défendus de haute
lutte par la communauté viticole contre les usurpations de toutes sorte, que le
troupeau divaguait, broutant quelquefois le feuillage des arbustes et les
pousses des arbres qui, ainsi, ne pouvaient parvenir à un développement digne de
l'arbre de la haute futaie. Les friches arborées à chênes, charmes et buis,
fournissaient le bois nécessaire à la confection de piquets de vigne (4), des
manches d'outils, de la charpente, des pièces pour les charrettes, roues et
montants divers, etc. De la montagne étaient extraites les pierres destinées à
confectionner les murets des clos et des maisons, la terre permettant de
reconstituer un sol de vigne emporté par le ruissellement, etc.
En outre, et c'est peut-être l'usage qui symbolise le mieux la vision que
pouvait avoir la paysannerie de la nature, la montagne était le lieu de
prélèvement spontané des ressources naturelles : fruits sauvages, champignons,
escargots, gibier de toute sorte chassé selon les règles en usage ou braconné
hors du droit communautaire.
En outre, et c'est peut-être l'usage qui symbolise le mieux la vision que
pouvait avoir la paysannerie de la nature, la montagne était le lieu de
prélèvement spontané des ressources naturelles : fruits sauvages, champignons,
escargots, gibier de toute sorte chassé selon les règles en usage ou braconné
hors du droit communautaire.
Car l'usage de ces multiples ressources était régi par des droits -des droits
d'usage- établis dans la discussion ou le conflit entre les paysans et les
seigneurs qui ne cessaient de vouloir s'approprier ces espaces pour leurs
loisirs, la chasse, ou pour en retirer les ressources pour leur propre
intérêt. Ces droits étaient effectivement ceux de paisselage (les paisseaux,
piquets de vigne), de charronnage, etc.
Enfin, le dernier usage économique consistait dans la culture de la vigne dont
les traces se retrouvent dans les broussailles de la montagne et qui, dans ies
périodes de prospérité économique, montait à l'assaut de la montagne, se
répanaant dans la moindre parcelle dont le terrain était susceptible de la
faire croître. Ce n'était cependant pas le cépage noble, le pinot, qui
croissait sur ces terrains maigres, mais le plus souvent le Gamay, cépage
moins exigeant et vigne du pauvre.
Car, effectivement, ces paysages de la montagne, produits par cette
multiplicité d'usages variant plus ou moins d'intensité selon les époques et
les saisons, étaient les paysages des moins nantis de la population viticole,
réserve de nature pour ceux qui ne pouvaient l'acquérir que dans la cohésion
sociale de leur groupe contre les puissants bourgeois et les seigneurs.
Paysages marginaux, car hors des normes admises par l'ordre social général,
ils étaient en réalité ceux des marginaux, exclus de l'ascension sociale à
laquelle n'accédaient que ceux qui, par des stratégies individuelles
d'alliance, rompaient cette cohésion du groupe des petits viticulteurs pour se
rallier aux détenteurs du pouvoir.
Or, ces pratiques de nature des viticulteurs les moins riches, ainsi que leur
attachement à ces espaces forgé dans la lutte communautaire contre le pouvoir
seigneurial et bourgeois, ont contribué à bâtir une représentation des
paysages particulière, différente de celle que l'élite intellectuelle de la
France s'est construite peu à pau en découvrant la nature comme un objet de
contemplation. Ici, non seulement la montagne offre aux viticulteurs des
paysages ayant une signification utilitaire de réserve s'exprimant soit dans
la capacité de leurs ressources naturelles à fournir des biens alimentaires
complémentaires (les plantes et animaux sauvages), soit dans leur aptitude à
recevoir des cultures nécessaires à la survie du groupe, mais elle se présente
comme un paysage de liberté par rapport au paysage du coteau où règne l'ordre.
Ces paysages "labyrinthe" constituent un refuge pour celui qui veut s'isoler
et qui y trouve un espace mis en forme pour le délassement ou le défoulement,
en dehors de la contrainte sociale. C'est là où, dans les recoins de friches
et de murgers, dans cette végétation d'épineux et de rocaille, l'homme se
retranche, le plus souvent seul -mais quelquefois aussi en couple, ou en
bande- pour se livrer à des activités en marge de ce que la société admet :
braconnage, rencontre d'amoureux, jeux d'aventure et de guerre, moto verte,
etc.
Alors, une poésie se dégage de ces lieux informes et non conformes à l'idéal
esthétique bourgeois : les paysages de friche sont des paysages de rêve où
l'on s'enferme, sans contact avec le monde extérieur car ils permettent
l'isolement. Ce sont les coins du grenier où l'on se retire, comme Bachelard
l'a exprimé à propos de la maison. Mais, des rebords de la montagne, ou
lorsqu'une hauteur permet à la vue de s'échapper hors des broussailles, le
24
paysage se mue en tableau de contemplation : le regard fuit vers les combes
viticoles qui offrent leur architecture de clos et de maisons, ou encore
errant sans but, s'égare dans l'infini. Cette dualité de la vision permise
dans les paysages de la montagne -l'enfermement et l'échappée- a donc bien
élaboré une esthétique renforcée par le symbolisme des lieux : c'est le
domaine de la légende, de la vouivre ou de chevaux ailés crachant le feu dont
certains viticulteurs gardent encore la mamoire.
Cette esthétique particulière des friches, des mauvais taillis, est contraire
à celle que l'idéal paysager du XVIIIème siècle a inventée : un paysage
bucolique et soigné, champêtre mais cultivé, productif et aménagé, où l'ordre
des champs et des frondaisons renvoie à l'ordre de la société. Elle n'est
d'ailleurs pas spécifique à la côte viticole beaunoise, et, dans d'autres
régions, elle s'exprime dans les lieux des landes, de garrigues, de maquis,
terres incultes ou terres d'aventure, de libre usage de la nature et
d'évasion.
On comprend alors mieux pourquoi la friche, aujourd'hui, suscite l'effroi et
l'horreur que les discours évoqués précédemment véhiculent : ce n'est pas
parce que la friche est horrible en elle-même mais parce qu'elle fait surgir
l'image d'une part exclue de la société, en s'opposant au stéréotype du beau
paysage français qui respire la prospérité et l'harmonie des hommes que le
XVIIIème siècle a créé et que la littérature, l'agronomie productiviste ...
ont ancré comme un idéal social. Il reste que la friche, la lande, la garrigue
ont également une capacité à faire émerger une poésie, une esthétique, un
symbolisme où la connaissance empirique de la nature sauvage s'allie à
l'imaginaire pour créer, finalement, un paysage digne d'intérêt. Imaginons un
instant ce que serait le paysage français sans ces paysages sauvages, sans
délaissé, ou tout serait cultivé, fonctionnalisé, attribué, approprié, défini.
où ne subsisterait aucun coin d'isolement et d'errance. Serions-nous prêts à
l'accepter ?
(1) Colloque Terres à prendre, THEDERA, Sénat, Paris, février 1987.
(2; Metropolis, 1er trimestre 1990.
(3) La plaine est très distincte elle aussi du point de vue paysager, mais il
existe relativement peu de relations entre la côte viticole et la plaine,
alors que celles qui lient le coteau à la montagne sont très fortes.
(A) Une grande partie venait cependant des régions plus éloignées, du Morvan
en particulier.
25
LA HAIE. VALORISATION D'UN ESPACE
OU
PLESSAGE ET EMONDAGE...
Patrice NOTTEGHEM - Ethnoécologue
A propos des utilisations principales des végétaux des haies, il est sans
doute impropre de parler de cueillette. Bien sûr certains végétaux à usage
domestique ou médicinal sont récoltés en leur sein, mais n'induit pas de
pratiques spécifiques de conduite de ces haies. La conduite des haies et la
physionomie qui en découle sont liées à la nécessité vitale de maintenir les
fonctions de ces haies. En effet, ces fonctions furent longtemps nécessaires à
l'existence même de formes originales de valorisation d'un espace de
production agricole. Les paysages bocagers, que nous observons aujourd'hui
témoignent de ces sociétés. L'évolution de ces paysages rend compte de
changements dans les rapports homme/végétal, et par là des transformations aes
sociétés rurales héritières de ces formes si originales d'"architecture
agraire" que sont les bocages. L'inventaire des usages des espèces végétales
ligneuses des haies et des pratiques associées passe par celui des fonctions
des haies. Ces fonctions peuvent difficilement être hiérarchisées et ne
doivent pas être dissociées les unes des autres. Un bocage est un système
complexe, un ethnoécosystème, au sein duquel interfèrent les multiples
fonctions des haies, mais aussi bien d'autres éléments tels que la structure
des réseaux des haies, le type de faire valoir, les savoir-faire ou encore les
usages locaux. L'ordre de 1'enumeration des fonctions des haies n'est donc pas
hiérarchique :
- matérialiser des limites foncières
- clore des parcelles pour en défendre l'accès'ou y maintenir du
bétail
- produire du bois de chauffage et du bois d'oeuvre
- produire des ressources diversesprotéger les parcelles et le
bétail des excès météorologiques
-contrôler la circulation de l'eau
-contrôler l'érosion hydrique
- constituer des écrans visuels
- produire des effets visuels.
Bien évidemment, il est probablement possible d'identifier d'autres fonctions.
Leur importance relative varie d'une région à l'autre et a varié au cours du
temps. Outre ces fonctions, les haies et les bocages ont de nombreux effets
microclimatiques, hydrologiques, écologiques et évidemment paysagers. Les
fonctions sont-elles reconnues et plus ou moins recherchées, et les pratiques
y sont associées, alors que les effets sont simplement induits et pas
forcément perçus. Il convient de remarquer que cette distinction est sans
doute trop formelle du fait par exemple de fluctuations dans la
reconnaisssance de certaines de ces fonctions. Nous examinerons pour chacune
de ces fonctions les pratiques associées dans leur rapport avec les
différentes espèces constitutives des haies dans la mesure où les distinctions
spécifiques s'imposent.
Matérialiser des limites foncières :
Les haies ne sont bien sûr pas les seuls moyens d'une telle matérialisation de
la propriété. Cette fonction fut en fait bien souvent indissociable de la
fonction de clôture. Au cours du 18ème siècle notamment, mais parfois en des
26
périodes bien plus précoces pour certaines régions, enclore avec des haies
était la manifestation d'une appropriation d'un espace, de la volonté d'y
interdire la vaine pâture et de se soustraire à l'assolement collectif.
A cette matérialisation correspondent les techniques.d'édification des haies
abondamment décrites dans les cours d'agriculture de la fin du 18ème et du
début du 19ème (Amoreux, 1787 - Riboud, 1810 - Rozier, 1793/1805 - Tessier et
Thouin, 1793/1796), corroborées par les rares témoignages des personnes ayant
assisté aux dernières plantations.
Il convient ici de rappeler l'origine de la quasi totalité des haies. Elles
ont été plantées et ne sont pratiquement jamais les vestiges d'un espace
antérieurement boisé. Une haie séparant deux parcelles agricoles peut bien sur
être située à l'emplacement d'une ancienne lisière forestière, mais ceci
signifie souvent que cette haie séparait aiors un champ du bois. Evidemment,
ces anciennes haies de lisière ont une végétation influencée par la proximité
forstière et se distinguent dans leur composition des haies agricoles édifiées
pour séparer une parcelle en deux.
Les haies étaient constituées par repiquage de jeunes plants d'un nombre fort
restreint d'essences, voire d'une seule essence (aubépine notamment, ou
charme, noisetier...). La richesse spécifique observée aujourd'hui découle
pour l'essentiel d'une diversification résultant de la dispersion de graines
par les oiseaux mangeurs de haies ou de fruits, et quelques espèces de
mammifères (écureuil et petits rongeurs notamment). Il est à remarquer que ce
phénomène, appelé zoochorie en écologie, est connu de bien des agriculteurs
ayant pu observer la diversification floristique des haies.
Une matérialisation durable des limites foncières nécessite parfois la
plantation d'essences arborescentes et non seulement des essences
buissonnantes susceptibles de jouer en outre la fonction de clôture. En effet,
dans des terrains pentus, une haie buissonnante peut descendre progressivement
dans la pente. Les arbres enracinés plus profondément marquent durablement le
tracé de telles limites. Il est ainsi parfois donné à observer des haies
installées sur des courbes de niveau formant des festons entre de vieux
arbres. Ceci est d'autant plus important que le déplacement latéral d'une haie
mitoyenne peut être favorisé par un riverain exerçant, intentionnellement
parfois, une pression de taille accentuée depuis sa parcelle.
C'est dans cette perspective de pérenniser les limites foncières que sont
choisies les essences destinées à marquer les angles des parcelles. Les pieds
d'aubépine non taillés peuvent jouer très longtemps ce rôle de pied cornier
(Morvan notamment).
Clore des Darcelles
Longtemps, les haies ont eu pour fonction de protéger les champs cultivés de
la divagation du bétail et sans doute des ongulés sauvages. Les haies
ceinturant les massifs forestiers ou celles bordant les chemins étaient
destinés à maintenir chevaux et bovins dans ces espaces où ils étaient élevés
jusqu'à ce qu'il est convenu d'appeler la révolution agricole. Celle-ci eut
notamment pour effet de transformer une partie des champs de céréales en
prairies pour l'élevage. La multiplication de ces prairies engendra celle des
haies destinées alors, outre à exprimer cette volonté d'exclure ces parcelles
de la gestion communautaire, à empêcher le bétail de passer dans les parcelles
27
voisines. Il faut cependant remarquer que 1'embocagement du 18ème siècle n'a
peut être pas induit l'abandon de la pratique du gardiennage des troupeaux. En
effet, pour que des haies puissent jouer un rôle efficace de clôture, il
importe qu'elles soient conduites selon des techniques adaptées que les
promoteurs de 1 'embocagement s'efforcent de reprendre à la fin du 18ème. Pour
qu'une haie soit une bonne clôture, il est nécessaire que sa structure
présente des éléments horizontaux qui seulement peuvent s'opposer au passage
d'un bovin déterminé. Ces auteurs, parmi lesquels ceux précédemment cités,
décrivent dans le menu les techniques du plessage qui consistent à tresser sur
des piquets, vifs ou plantés, quelques tiges vives, sélectionnées dans le
faisceau des cépés constitutifs de la haie et pliées à leur base grâce à une
incision pratiquée à la serpe.
La pratique du plessage (dont découle le toponyme plessis) est encore
pratiquée dans le Morvan notamment, mais tend à disparaître en raison de
l'importance du travail nécessaire. Le plessage est surtout adapté aux
essences à rejets (noisetier, charme, frêne...), mais il est cependant parfois
pratiqué avec les essences épineuses (prunellier, aubépine), bien que ces
espèces puissent parfois constituer des clôtures efficaces du fait de leurs
seuls rameaux épineux. En outre, des branches d'essences épineuses, les
"épines", étaient surtout utilisées pour boucher provisoirement des trous dans
des haies dans l'attente d'un nouveau plessage.
Mais le plessage n'est pas le seul moyen d'obtenir des éléments horizontaux ou
obliques dans une haie, même si c'est de loin le plus durable. Dans le
Charollais par exemple, le plessage semble avoir disparu plus tôt qu'ailleurs,
ou n'avoir que rarement été employé. On introduisait dans la masse de
branchages vifs de la strate buissonnante de la haie taillée à la hauteur
voulue des branches sectionnées piquées obliquement.
Aujourd'hui, le plessage a quasi disparu, et l'on utilise comme structure
horizontale le fil de fer barbelé ou le fil électrique, qui font de la haie
actuelle une clôture mixte, végétale et artificielle.
Le plessage était une opération renouvelée cycliquement, généralement sur une
période de 6 à 10 ans, conformément aux usages locaux et aux termes des baux à
ferme.
Produire du bois :
Le plessage, nécessitant un nettoyage complet de la haie et l'élimination
d'une part importante de bois ne pouvant être plessé, produisait une quantité
importante de fagots susceptibles d'être utilisés comme matériaux de
chauffage.
Mais, en même temps que le plessage d'une haie, était pratiqué l'émondage de
ces arbres, qu'il s'agisse de têtards, c'est-à-dire d'arbres au tronc
sectionné à une hauteur de deux mètres environ, ou d'arbres conduits sous
forme de cierge.
Chêne, frêne et orme sont les principales essences exploitées de cette manière
en Bourgogne. Il est remarquable de noter la différence de statut des deux
premières espèces dans des régions proches. Dans l'Autunois et le Charoláis,
le chêne domine très nettement, alors que dans le Brionnais, c'est le frêne,
sans que des raisons écologiques ou climatiques suffisent à expliquer cette
28
distinction. En fait, dans l'Autunois et le Charoláis, le frêne est fort peu
apprécié. Il esrt accusé d'avoir des effets dommageables sur la prairie.
Certains secteurs du Nivernais étaient eux peuplés de nombreux ormes. En
Puisaye, on peut observer, comme en Thièrache, un rare bocage à charme têtard.
Mais en Puisaye, l'origine de ces charmes têtards serait très particulière.
Selon A. de Vinck (1989), ils seraient obtenus non à partir d'un jeune plant
isolé conduit grâce à des tailles répétées, mais par la soudure en un.seul
tronc des rejets d'un même cépé lié en faisceau. Cette remarquable'technique
mériterait d'être étudiée avec la plus grande attention.
La production de bois d'oeuvre de qualité nécessite l'absence d'émondage pour
les arbres destinés à cet usage (charpente, crèches...). Il faut ici remarquer
que les usages locaux précisent généralement que le fermier ou le métayer
peuvent récolter les branches des arbres, mais pas des troncs. La production
de bois d'oeuvre implique une restriction à ce droit précisée dans les baux.
A propos de l'émondage des chSenes sous forme de cierge, l'étude statistique
des arbres morts présents sur l'ensemble d'une commune proche du Creusot
(Desbrosses, 1982 - Notteghem, 1986) a pu montrer que la pratique consistant à
laisser au sommet du tronc émondé une branche intacte multiplie par six les
chances de survie à l'issue de l'émondage. Ceci était reconnu par certains
propriétaires qui obligeaient les exploitants à toujours laisser cette branche
terminale lors de la récolte, en contradiction avec l'esprit général des
usages locaux.
La production de bois de feu, issus du nettoyage avant plessage ou de
l'émondage des arbres, correspond à une véritable activité de culture et de
récolte (culture de fagots, de branches). Le bocage apparaît en ce sens comme
un système agroforestier mariant culture d'espèces végétales à longue durée de
vie exploitées cycliquement dans les haies. Le bocage, par ce seul trait
caractéristique, doit être considéré comme un système productif performant
très élaboré associant production de ressources alimentaires pour l'homme et
le bétail et production de ressources énergétiques. Son développement dans sa
forme la plus complexe, c'est-à-dire composé de haies arborées, important dans
certaines régions, au 18ème siècle notamment, est sans doute à mettre en
rapport avec la fermeture des espaces forestiers pour les paysans, aussi bien
pour leur pratique de l'élevage que pour la récolte de bois de feu. L'absence
d'arbres dans les haies du Morvan central, très riches en massif forestier de
tout temps accessible pour la récolte de bois, accrédite cette hypothèse.
Produire diverses ressources :
Nous ne parlerons pas de classiques récoltes de matières premières destinées à
la vannerie par exemple, ou à la confection de manches d'outils, qui ne sont
pas réellement spécifiques aux essences des haies. De même, nous passerons
sous silence l'usage médicinal des végétaux des haies, même si celles-ci
représentent les formations végétales importantes pour bien des espèces.
Par contre, il paraît important d'insister sur l'usage des feuilles de
certaines essences dans l'alimentation du bétail. Le frêne et l'orme étaient
exploités (et cultivés sans doute) à cet effet. Les frênes des haies
brionnaises (comme ceux des bords de chemins du Massif Central) produisaient
un fourrage de qualité donné au bétail en fin de période de prairies
aériennes. Le terme est peut-être un peu fort en ce qui concerne la Bourgogne,
29
mais l'utilisation du feuillage pour l'alimentation animale est certainement
une des causes de la particularité du bocage brionnais en Bourgogne.
La production de feuilles comme celle de bois de feu est sans aucun doute à
associer à la notion de culture et non à celle de cueillette, bien que les
végétaux concernés soient pour l'essentiel des formes sauvages sans variétés
particulières identifiées (du moins dans l'état actuel de nos connaissances;.
Et bien d'autres fonctions :
Parmi les autres fonctions reconnues des haies, celle concernant le contrôle
de la circulation de l'eau, en association avec des fossés d'écoulement et de
chaînage, celle du contrôle de l'érosion hydrique, ou bien de constitution
d'écran visuel pour la tranquillité des habitants ou 1'isolement des
troupeaux, ne peuvent être associés à des espèces végétales particulières,
mise à part l'utilisation des saules (saule blanc surtout) pour réduire
l'humidité des sols.
Reste pour les fonctions identifiées celle de production d'effets visuels, de
production paysagère.
Il faut tout d'abord remarquer la volonté de ceux qui entretenaient et
exploitaient les haies, que le travail de piessage et d'émondage soit fait
selon les règles de l'art. Visible de tous, ce travail permettait à chacun
d'évaluer la compétence de l'autre. Parfois même, on jugeait de la qualité
d'un agriculteur davantage à son travail dans les haies qu'à sa manière de
gérer son bétail.
En outre, on peut repérer certaines situations particulières révélant une
sensibilité au domaine esthétique. Ainsi tel agriculteur laissera se
développer un genévrier au port élancé, tel autre un houx à la riche
fructification écarlate, ou bien une forme variétale d'aubépine à fleurs
roses. Tel autre agriculteur encore s'essaiera à l'art topiaire en taillant de
manière particulière un pied d'aubépine de part et d'autre de ses barrières et
aux principaux angles de son réseau de haies. Ces comportements sont cependant
fort rares.
Plus exceptionnel encore fut celui du châtelain du Plessis à Blanzy (71) qui,
dans ses baux au début du siècle, imposait une disposition particulière à l'un
de ses fermiers, celui dont l'exploitation était visible depuis les terrasses
du château : l'émondage des chênes devait se limiter à la récolte des seules
branches basses, afin de préserver aux arbres une silhouette forestière. Les
arbres encore visibles aujourd'hui témoignent par leur architecture très
particulière de cette volonté de produire un paysge.
L'abandon du piessage et de l'émondage ;
Les haies par leur structure et par leur composition (du moins pour certaines
essences) nous informent de leur fonction et par là des pratiques qui leur
sont associées.
30
L'évolution des réseaux bocagers et la physionomie des haies sont liées à
l'évolution des sociétés rurales qui les ont générées, adaptées, transformées,
afin qu'elles puissent répondre à des besoins, en se conformant à certaines
règles plus ou moins bien acceptées. Les règles se sont considérablement
assouplies depuis cinq décennies en même temps que changeaient les besoins.
Dans ces relations aux végétaux des haies, l'homme témoigne de manière
particulièrement explicite de la très profonde rupture culturelle en cours
sous nos yeux. Les fonctions des haies, lorsqu'elles subsistent, sont réduites
comme sont réduits le nombre des haies elles-mêmes et leurs dimensions. Le
plessage et l'émondage, qui façonnaient les haies; appartiennent déjà à
l'histoire, comme le toit de chaume, ou le cheval pour les labours.
Il y a indéniablement une perte de savoir et de savoir-faire à propos aes
haies, en Bourgogne comme ailleurs. Faut-il le regretter ?
Rappelons simplement qu'il y a un demi-siècie, l'entretien des haies et ia
récolte du bois de feu par émondage occupaient tous les hommes des fermes
environ cinq mois sur douze. Les vieux agriculteurs évoquent souvent cette
époque avec une certaine nostalgie, mais qualifient aussi ce travail
d1esclavage.
BIBLIOGRAPHIE
AMOREUX. - Mémoire contenant les observations pratiques sur les haies
destinées à la clôture des prés, des champs, des vignes et des jeunes bois...
- Paris, 1781.
DESBROSSE. - Evolution des haies (1946/1982) d'une commune de bocage herbager
du Sud Autunois : Les Bizots. - Lyon, 1982 (maîtrise)
NOTTEGHEM. - Incidences aux niveaux socio-économique et écologique du nouveau
contexte agricole et énergétique sur la gestion du bocage. - Le Creusot, 1986.
RIBOUD. - Mémoire sur les différentes espèces de haies et clôtures utilisées
dans le département de l'Ain. - 1810.
ROZIER. - Cours complet d'agriculture théorique, pratique, économique... 17931805.
TESSIER et THOUIN. - Encyclopédie méthodique : Agriculture, 5 tomes. - 17931796.
de VINCK (Alice). - Les Haies en Puisaye : enquête sur leurs fonctions et
gestion dans le canton de Saint-Sauveur en Puisaye. - 1989.
31
LE VEGETAL. RESSOURCE COMPLEMENTAIRE
ou
LES MENUS PRODUITS DE L'ENVIRONNEMENT VEGETAL,
RESSOURCES D'APPOINT EN MORVAN
J.C. Nouallet
Toujours les habitants du Morvan ont cherché à améliorer leur "niveau de
vie" par l'apport d'argent frais venant de l'extérieur : nourrices,
galvachers en sont la meilleure illustration pour nos périodes récentes.
Le milieu paysan s'est ainsi doté d'une épargne d'investissement,
convertie dans l'entretien ou l'amélioration de l'habitat, logement
perceptible de nos jours dans le domaine bâti.
Les ressources locales étaient avant tout sources de nourriture, ou
utilisées comme matières premières d'artisanat (saboterie...), si on
laisse de côté l'importance prépondérante de l'approvisionnement et du
transport du bois de chauffage par flottage.
Animaux domestiques et sauvages, végétaux alimentaires, bois et matières
minérales ont ordonné le système économique et les pratiques de la vie
quotidienne.
Eloigné des échanges, intégré à son hameau et à son village, l'habitant du
Morvan recherchait aussi à travers la flore sauvage, à travers les plantes
de son environnement, source de remèdes aux affections et maladies :
remèdes empiriques forgés par les générations antérieures, ressources
puisées à la lecture des premières connaissances écrites, remèdes
empreints aussi largement de croyances diverses, battues en brèche par
l'avènement de la médecine moderne dès la fin du siècle dernier (thèses de
BIDAULT et D'ABORD 1899-1910). N'oublions pas le réflexe de survie : les
périodes de famine font ressurgir la récolte de racines de plantes, de
graines dont on a peine à imaginer une consommation systématique.
Dans ce pays où l'argent était rare, circulait peu, comment ne pas
imaginer que l'on n'ait pas cherché à convertir une ressource végétale
abondante, en valeur économique.
Une recherche remontant au XIXème siècle nous apporterait sans doute déjà
quelques éléments de réponses. S'il ne s'agit pas de commerce proprement
dit il s'agirait plutôt d'économie directe : les balais, matelas
utilisaient pour leur fabrication de menus végétaux : branchagesdivers,
fougères, balles d'avoine.Les liqueurs empruntaient leur parfum à diverses
plantes odorantes et bienfaitrices quelquefois. On faisait la lessive avec
des autres, avec de la Saponaire et des racines d'Iris. De nombreuses
préparations domestiques, répandues encore maintenant, alimentaient les
étagères et placards des arrière grands-parents.
Les quelques enquêtes effectuées ne nous permettent pas de remonter plus
loin que le début de notre siècle. Il importait pour cette recherche
d'assurer la liaison avec la relance de l'activité économique liée à la
production de Plantes médicinales. Aussi choisira-t-on une méthode
rétrospective. Le fil n'avait pas été rompu. Monsieur FULIGNI, ramasseur à
Sauvigny-le-Bois, près d'AVALLON, encore en activité en 1982, était la
preuve d'un maintien de la tradition avant que celle-ci reçoive le coup de
pouce de son redémarrage, portée par un nouveau discours de développement
et la vague sociale de retour aux ressources naturelles.
32
On doit.bien sûr se poser la limite du champ d'investigation de l'enquête
: le terme de "menus produits" reste ambigu : par "menu", on peut entendre
deux choses :
- "menu" dans le sens propre, voisin du sens de petit.Il s'agira
ici de récolte d'écorces (Bourdaine, ramassage d'écorce) ou de
branchages (fusain), par opposition aux troncs ou grumes,
ressources des industries artisanales traditionnelles ou des
industries liées au bois et à sa transformation. Par extension,
le ramassage de végétaux sauvages répond à cette définition.
- "menus" dans un sens d'un petit ou de petits profits.
Ces activités ont toujours représenté un revenu qui, lorsqu'il était
rémunéré, restait marginal. A l'inverse, on excluera de cette présentation
les objets et ramassages sans échange économique, destinés à des usages
internes et domestiques, décrits dans l'étude sur les savoirs naturalistes
populaires de Capucine CROSNIER.
I - LE MORVAN, MASSIF GRANITIQUE A LA VEGETATION ABONDANTE ET VARIEE
Pays de forêts et de prairies d'élevage, au relief marqué, le Morvan
véhicule depuis une vingtaine d'années une image de "pays vert"*
Le paysage change. Au gré des évolutions des systèmes agricoles, au gré
des évolutions démographiques et des modifications brutales de
l'affectation des terres, la vagétation sauvage régresse ou s'étend. En
parlant des genêts : "Y'en avait à cette époque ! Y'avait guère de sapins
! C'était tout en balais".Les étendues de Digitale pourpre, favorisée par
les mutations forestières, l'avance inexorable de friches colonisatrices à
la végétation abondante et opaque, les tendance à une fermeture du bocage
redonnent une place de choix à la végétation spontanée, sauvage.
Peut-on tirer profit de celle-ci ?
Examinons successivement les différents milieux présents en Morvan et
leurs ressources économiques végétales.
I - La forêt
Depuis plusieurs siècles exploitée pour la production de bois de
chauffage, on assiste depuis le début du siècle à sa reconversion
progressive, accélérée depuis la fin de la 2ème guerre. Contrairement à
une idée répandue, le sous-bois reste pauvre, sauf phénomène de
lisièrPlusieurs ramassages s'y opèrent pourtant régulièrement :
II - Les champignons
Cèpes, girolles, chanterelles, chanterelles en tube, favorisées par le
mélange feuillus-résineux, font localement l'objet d'un commerce pour les
restaurateurs locaux. Des ramassages à destination de Rungis intéressent
quelques personnes, les années favorables. Depuis A ans, la collecte est
opérée par voie d'affiches et de petites annonces. Un véritable réseau
économique s'est structuré en 1989, profitant de conditions favorables
33
liées à la sécheresse des régions de production traditionnelles.
L'ouverture de routes forestières, dans des zones récemment enrésinnées
rend l'activité plus facile et praticable en voiture ou camionnette. Des
revenus d'appoint non négligeables ont été dégagés par quelques initiés.
Des conflits avec des ramasseurs "domestiques" ne sont pas à exclure si
l'activité se poursuit, voire avec les propriétaires des terrains.
12 - Les myrtilles
Localisées quasi uniquement au Haut-Folin, leur extension apparait liée au
développement des plantations résineuses, spécialement de l'Epicéa.
L'Office National des Forêts adjuge certaines années le droit de ramassage
à des entreprises spécialisées en fabrication de confitures ou de produits
alimentaires utilisant la Myrtille.
Quelques ramassages locaux pour la pâtisserie sont observés mais la
tradition privilégie l'usage domestique. On retiendra aussi la fête des
Myrtilles de Glux en Glenne, de création récente.
13 - Le Houx
A destination des fleuristes, son commerce fait l'objet d'un ramassage par
des revendeurs spécialisés.
14 - Les Mousses
Leur ramassage intéresse les "moussiers", profession en extinction :
quatre entreprises semblent encore en activité en 1990. Le Morvan fait
partie du territoire géographique de ramassage, pour des professions qui
se déplacent sur de larges étendues forestières.
15 - L'écorce de Chêne
A été utilisée, pour sa part, jusqu'en 1950, 1955, pour l'extraction des
tanins, destinées à l'industrie des peaux.
2 - Les coupes à blanc et les lisières forestières
A l'inverse recèlent une ressource végétale abondante : faciles d'accès
depuis les chamins, faciles à pénétrer, elles ont été marquées par le
ramassage de l'écorce de Bourdaine et par celui des feuilles de Digitales,
symbole vivant et voyant du Morvan granitique.
3 - Les haies
Pays singulier de bocage, le Morvan voit s'effilocher un patrimoine
naturel et culturel, riche de savoir-faire technique et porteur des traces
économiques passées. Les haies de hêtres ou "queules", séparant souvent
34
forêts bordant les chemins ruraux, tournent à des formes mystérieuses, sources
d'étonnement et d'inspirations artistiques.
Les haies de Noisetier, monospécifiques, souffrent d'un entretien irrégulier. Le
plechis est encore pratiqué par certains. Des paysages bocagers bien
individualisés subsistent dans certaines communes, ou dans quelques hameaux du
Morvan central, au gré des préoccupations des exploitants.
Faites d'essences variées, surtout en zone périphérique au Morvan, les haies ont
constitué une ressource abondante pour l'industrie du fusain et des cravons. Le
ramassage pour l'herboristerie de chatons de Saule et de Noisetier et surtout de
feuilles, couplé à des travaux d'élagage, peut aussi représenter une ressource
d'appoint (Frêne et Bouleau notamment).
U - Les friches ou terres incultes
Elles n'ont sans doute pas présenté une même origine d'évolution. Signe de
l'abandon momentané ou définitif d'une exploitation de la terre, elles voient se
développer un ensemble de végétaux à fort pouvoir de croissance et de
colonisation : fougère-aigle, aux rhizomes profonds résistants, balais ou
genêts, papilionacée légumineuse que la nature installe pour régénérer le
terrain, étouffent progressivement la végétation originelle. Comment ne pas
tirer profit de cette machine à fabriquer spontanément et ausi abondamment de la
matière verte. Les sociétés rurales ont puisé dans leur imagination, pour un
résultat bien faible.
5 - Les fonds marécageux
Englobés dans un ensemble recouvrant les prairies humides abandonnées, les bords
de ruisseaux ou rivières, pullulant en Morvan, et les vraies tourbières, joyaux
des botanistes, ces milieux se définissent en commun par leur situation
géographique, toujours dans les parties basses du relief.
Le ramassage de la Reine-des-Prés y est plutôt d'époque récente et les Sphaignes
ont été récoltées pour l'horticulture, afin de favoriser des compositions
florales. On laissait la Sphaigne s'égoutter en ballots rectangulaires, sur le
bord du chemin, à la sortie de la tourbière.
6 - Enfin, plus proches de nous, le ramassage d'espèces diverses, souvent
difficiles à identifier précisément, intéresse indistinctement tous les milieux
: l'homéopathie a recours à un millier d'espèces végétales. Le Morvan lui offre
un terrain de ramassage de prédilection, à condition de savoir l'utiliser. C'est
actuellement le cas d'une jeune ramasseuse qui a trouvé là un nouveau revenu
économique difficilement envisageable il y a quelques temps
II - LE RAMASSAGE DE PLANTES, OU LA RECHERCHE D'ARGENT FRAIS
1 - Une activité marginale, intégrée à la société rurale
35
1 - Une activité marginale, intéerée à la société rurale
Les témoignages oraux sur les activités de ramassage remontent avec
précision, aux périodes contemporaines de la fin de la 1ère guerre
mondiale. Deux types de réseaux paraissent se dégager :
- un réseau organisé, autour de personnes connues dans le hameau
- un réseau fluctuant, interessant des personnes en marge.
L'exemple démonstratif d'un réseau organisé peut être pris sur le hameau
des Buteaux (Commune de FACHIN). Madame Lazarette FEVRE apparaît comme une
"pionnière" du ramassage des plantes. Entre 1918 et 1950, la famille FEVRE
s'attache à commercialiser la Bourdaine, la Fougère mâle et la Digitale.
Entre 1950 et 1975, la succession de l'activité "Bourdaine" est assurée
par la famille Alexandre, au bourg de Fachin.
Un autre réseau de ramassage fonctionne sur le secteur de Montsauche, à
l'initiative de Monsieur LEGRAIN.
Les familles concernées sont des petits propriétaires, installés sur des
exploitations de polyculture traditionnelles.
Même si cela n'est pas affirmé avec netteté, l'argent semble être la
motivation essentielle de l'activité. Rejoignant les observations de
"Cueillir la montagne"", les cueilleurs ne nous avancent pas le moindre
"chiffre d'affaire" : attitude empreinte d'une tradition sociale,
renforcée par la peur récente des contrôles, inconnus aus époques passées,
mais aussi difficulté d'évaluation de la valeur réelle de l'argent dans le
système actuel de références, sans doute une comparaison avec d'autres
sources de revenus complémentaires obtenus à l'époque s'avérerait plus
parlante (revenus des enfants assistés notamment).
Le discours sur la valeur relative de l'argent, sur la place de celui-ci
dans la société contemporaine apparaît plus explicite : "On était des pays
pauvres. Il y avait beaucoup d'enfants. On manquait d'argent : tout était
bon pour s'en procurer. Toutes les maisons accueillaient des enfants de
l'assistance. On touchait le trimestre. L'argent était rare, rare, mais
les gens n'étaient pas avares. Fallait quand même acheter pour manger,
pour s'habiller". (Les Buteaux).
Toutes les évaluations restent bien floues : "Les gars ne faisaient pas
fortune" (Saint-Brisson) "C'était pas d'un gros rapport, mais ça aidait
les gens" "C'était intéressant à faire question prix" "Maman n'était pas
perdante, mais elle gagnait peu". (Les Buteaux). "Ca rapportait quand
même, si ça avait été bien compté, je sais pas si ça aurait été rentable"
(Fachin).
Partout cependant, il y a nécessité d'obtenir de l'argent frais. "Aux
Buteaux, les gens étaient plus pauvres qu'à Fachin et à La Comme. Tout le
monde est parti à la ville. Le confort s'est amélioré au retour". "C'était
aux Buteaux qu'on faisait le plus de plantes" "En tant que petits
propriétaires, on était attaché à l'argent".
Parallèlement à ces mini-réseaux de collectage, quelques personnes en
marge vivaient de ramassage, principalement de l'écorce de Bourdaine, sans
domicile "en dur", ces personnes résidaient quelques années dans des
habitations de fortune. Leurs passages semblent avoir marqué le souvenir
des morvandiaux. Extérieurs au pays, ils jouissaient tantôt d'une
36
compatissante bienveillante, tantôt d'une méfiance partagée, selon leurs
honnêtetés.
Monsieur LAPIERRE vivait dans une roulotte à Anost (1920). C'était un
"traine-misère", mais par ailleurs, un grand "inventeur". Deux ou trois
femmes écorçaient la Bourdaine que lui-même coupait. A Gouloux, un
"brocanteur quelconque", "marchand de ferraille", vendait et achetait des
peaux de lapin, de l'écorce de Bourdaine. "On était gamin, on n'avait
point de sous". Plusieurs personnes se souviennent de ne pas avoir été
payées. Enfin, citons encore Monsieur DESBRANCHES, qui vivait dans une
roulotte installée dans une carrière à Saint-Brisson (1950-55). "J'ignore
d'où il sortait. C'était un "camp volant" "il était maigre" Il faisait de
la Bourdaine un peu partout.
Notons simplement la disjonction de ces deux statuts de ramassage. Là où
étaient installés les "marginaux" ne semblent pas avoir existé de réseaux
organisés de ramassage, semblables à ceux de Fachin et de Montsauche.
Peut-être les familles installées regardaient-elles d'un oeil extérieur
une activité pratiquée par des étrangers non intégrés au tissu social
dominant.
? - Les Plantes Médicinales ou la construction d'une activité économique
complémentaire
Suite à la deuxième guerre mondiale, dans un contexte général de recherche
d'activités rémunératrices, va se développer autour d'Avallon, une
activité de ramassage de plantes, initiée et soutenue par Monsieur Roger
CHASTANET.
Monsieur CHASTANET jouit d'un statut spécial : l'herboristerie montée à
Avallon s'apparente à une véritable entreprise. On parle même de "petite
industrie".
Monsieur J. RICHARD, originaire des Vosges, a une formation de boucher.
Installé boucher itinérant à Magny, son activité ne lui permet pas un
revenu suffisant. "Il fallait faire des sous. J'avais une femme et deux
moutards. On était pauvre comme Job". Monsieur J. RICHARD va ainsi
s'intéresser aux plantes. Son emploi du temps, une camionnette disponible
lui permettent de jumeler une double activité. Ramassage pour Monsieur
CHASTANET (en frais), puis pour des laboratoires, passage par des
démarcheurs. Monsieur RICHARD évalue le revenu du ramassage de 12 000 F à
14 000 F/an (chiffres 1953). Ce revenu représentait environ 1/6 du chiffre
d'affaires et 1/2 de son bénéfice.
L'apport de la collecte va devenir prépondérant
Les relations entretenues avec les laboratoires acheteurs incitent à
produire davantage. Pour cela, on va chercher des plantes auprès d'autres
: on fait appel aux voisins, aux relations personnelles. Des mini réseaux
de collectage se mettent en place. Le collecteur et les ramasseurs
occasionnels y trouvent chacun leur intérêt : "Pour les laboratoires, il
fallait des grosses quantités de plantes. Il fallait fournir". Le
ramasseur occasionnel apporte ses plantes. On le paye en général de suite,
de la main à la main, ou dès que la marchandise est payée par le
laboratoire.
37 -
L'argent est dans ce cas généralement affecté à un achat précis : "J'ai
gagné mon fut de vin" "J'ai gagné un ou deux sacs de farine pour l'hiver"
(Les Buteaux).
On peut véritablement parlé d'argent en plus. Celui-ci échappe aux
dépenses et au budget traditionnels. Parmi les personnes intéressées, on
peut distinguer :
- les femmes
- les enfants
- les personnes âgées ou les retraités
- on trouve aussi des pensionnés de guerre ou des handicapés physiques
Lorsque les hommes font des plantes, c'est généralement en dehors de leurs
"horaires" de travail :
- les ouvriers ramassent le samedi et lke dimanche.
Les gars du Comte de Verclos en faisaient le soir, le samedi et le
dimanche.
Toute une population en recherche d'argent va aussi s'intéresser aux
plantes : "des gens de petits revenus", "des gens qui n'avaient pas la
possibilité de faire un travail continu", "des gens pas finaux, "des
bricoliers".
La gendarmerie envoie aussi les gens vers les plantes. A une personne sans
ressource, arrêtée par les gendarmes d'Avallon, on conseille "d'aller aux
plantes".
Enfin, les "buveurs" et les "fumeurs" trouvent dans les plantes de quoi
satisafaire leur penchant : "La bonne femme tenait le porte-monnaie. Les
hommes profitaient des plantes pour se faire un peu d'argent pour acheter
à boire et à fumer" (Avallon).
Le développement des coopératives scolaires favorise le ramassage organisé
pour les enfants. Ce ramassage, s'il est programmé par l'instituteur, se
fait généralement en dehors des heures scalaires. Autour d'Avallon, les
écoles de Saint-Germain des-Champs, Magny, et Maison-Dieu (cette dernière
école, uniquement spécialisée dans le ramassage des fleurs d'Ortie
blanche) trouvent une ressource financière non négligeable.
De ramasseur pour le compte d'autrui, on devient aussi collecteur lorsque
celui-ci "arrête". La chaîne ainsi n'est pas rompue. C'est le cas sur
Fachin, c'est aussi le cas sur Avallon. Il semble qu'en fait, seule la
"conjoncture" mette fin à l'activité. C'est le cas pour la Bourdaine,
concurrencée au début de la décennie 1970 par les produits importés.
Du ramassage "social" au ramassage "économique"
A la lumière des témoignages recueillis, il semble possible de
différencier deux conceptions de ramassage :
» le ramassage organisé autour d'un groupe social connu
C'est l'exemple des Buteaux. "Madame Lazarette FEVRE était cultivée, elle
lisait le journal et elle écrivait pour les gens du village lorsque cela
était nécessaire". La réponse à une annonce parue dans le journal va
déclencher le démarrage de l'activité. Madame FEVRE s'occupe sur place de
tout : relations avec les acheteurs, expédition, réception des mandats,
répartition de l'argent. L'intérêt direct de Madame FEVRE est lié aux
38
possibilités de fournir des quantités suffisantes pour intéresser les
laboratoires, et non à des intérêts financiers directs : "En fait, on
gagnait surtout de l'argent pour ce que l'on ramassait directement". Le
travail d'organisation est réduit : "Y avait pas un gros travail
d'organisation ; y'avait pas de déclaration".
" Le ramassage "économique"
Plus récent, il va surtout intéresser le secteur de l'Avallonais. Le
collecteur construit progressivement un réseau de relations privilégiées.
Il connait les acheteurs, connait les prix pratiqués par chaque plante.
Les quantités nécessaires dépassent largement ses propres possibilités
individuelles de ramassage.
III - UN EXEMPLE PARTICULIER DE RAMASSAGE : L'ECORCE DE BOURDAINE
L'observation quantitative des ressources, faisant l'objet d'un ramassage
de rapport, aiguille le repérage d'espèces intéressantes. Une comparaison
relative avec les zones périphériques au Morvan permet de cerner la
richesse des menus produits végétaux de notre région.
Ainsi la Fougère mâle, la Digitale pourpre, le Genêt à balai, le bois de
Bourdaine et les Sphaignes sont autant d'espèces retrouvées dans la flore
caractéristique du paysage granitique du Morvan. Leur reconnaissance en
est facilitée par leur abondance et la localisation facile de leur gîtes.
A titre d'exemple, on retiendra le cas de l'écorce de Bourdaine : C'était
sans aucun doute la ressource principale des ramasseurs du Morvan.
Interessant indistinctement les réseaux organisés de collectage et les
"marginaux", on trouve trace sans discontinuité de ce ramassage depuis la
guerre 14-18 jusqu'à nos jours.
La Bourdaine est un arbuste abondant en lisière forestière sur sol sec. On
la trouve aussi en terrains marécageux et tourbeux : la Bourdaine est
assimilée à un végétal de "friche". Les noms locaux traduisent à la fois
la couleur de l'écorce et l'habitat du végétal :
- Pian noir (Saint-Brisson, Gouloux)
- Varne noire (Anost)
- Peud'varne (Fachin)
2 - Epoques et lieux de ramassages
La Bourdaine se ramasse en montée de sève (de mai à juillet) : le
détachement de l'écorce est à ce moment considérablement facilité. La
Bourdaine se ramasse en forêt et dans les friches : "Au début, on en
trouvait à proximité, après il fallait aller plus loin, dans le bois de
l'Etat (Fachin). Les périodes de guerre voient s'accroître le ramassage de
la Bourdaine
3 - Les ramasseurs et les techniques
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* Aux Buteaux et à Fachin, tout le monde rainasse : "Tous les gens du pays
en faisaient un peu. Ceux qui avaient une vache, les rentiers, mêmes les
enfants, les personnes âgées, 3 ou A kg, ça leur faisait toujours quelque
chose".
Sur Avallon, les travaux de coupe sont réserv&és aux bûcherons.
* Aux Buteaux et à Fachin, l'écorcage se fait sur place. Le bois lui, est
laissé. Le séchage s'opère dans les greniers. L'écorce perd environ la
moitié de son poids. 8 jours sont au minimum nécessaires. Le
conditionnement se fait en sacs-baches de 100 à 150 kg. On bourre les sacs
d'écorces découpées par lamDeaux, à Fachin l'écorce est broyée avec ies
pieds. Le volume produit pose le problème du stockage. On réquisitionne
les greniers. Le collectage au début se fait en vert. Lorsque la
production prend plus d'importance, le collecteur récupère l'écorce
séchée.
A Avallon, il y a séparation des tâches d'abattage et d'écorcage : les
bûcherons coupent la Bourdaine, la disposent en fagots. L'écorcage est
fait à domicile par des "vieux". L'écorce est payée au poids et le petit
bois est conservé pour allumer les feux.
U - Débouchés, quantités et crix
C'est aux Buteaux que les quantités produites apparaissent les plus
simples. Une rapide estimation laisse présager une production de 50 à 100
t/an. Les expéditions se faisaient par la gare de Chateau-Chinon à
destination de la région Parisienne.
Après la guerre, la production se limite à 5 T à 6 T/an à destination de
la société lyonnaise d'Herboristerie, le camion remplace le train. "Le
camion passait 2 fois, une fois déposer les sacs, l'autre fois pour
prendre les sacs pleins (en octobre)".
Par jour, une personne rapporte 30 kg frais ou 15 kg sec. Là aussi, il est
difficilede rapporter les prix pratiqués. Tout au plus, à la cession de
l'activité, se rappelle-t-on que l'écorce est payée entre 8 F et 9 F
(1975). La qualité de l'écorce du Morvan était reconnue : moins épaisse
que l'italienne : "Même en la payant le double, "ils" étaient encore
gagnants".
5 - L'impact sur le milieu
Le ramassage de la Bourdaine ne pose pas de problèlme de propriété : "ceux
qui avaient des friches étaient bien contents que ce soit débarrassé". En
forêt domaniale, il semble que le ramassage se soit effectué sans
autorisation légale : on doit sans doute trouver là une expression moderne
du droit d'usage, si répandu dans la tradition locale. La recherche de
sites propices se fait sentir au fur et à mesure du développement du
ramassage. "Ceux qui connaissaient un coin ne le disaient pas aux autres";
il faut aller chercher la Bopurdaine de plus en plus loin. Le
40
renouvellement naturel de la matière végétale ne suit pas les
prélèvements.
"A la fin, fallait aller loin pour la ramasser. La Bourdaine, c'était
devenu très rare. A la fin, on n'en trouvait plus".
De nos jours, le renouvellement est assuré : "Maintenant, y'en a partout".
6 - Les causes du déclin
L'effondrement des cours suite à des importations de Pologne et d'Italie,
autour des années 1975-1980, va précipiter le déclin de l'activité,
favorisée par ailleurs par le vieillissement des ramasseurs et
collecteurs.
IV - LE RENOUVEAU DE L'ACTIVITE : MORVAN-PLANTES
Depuis 1982, le Parc Naturel Régional du Morvan s'est lancé dans une
opération de renouveau de la production de Plantes Médicinales : profitant
de son image de marque de Parc Naturel, favorisé par un contexte
économique ouvert et les efforts engagés au niveau national pour réduire
le déficit extérieur de la filière Plantes Médicinales et Aromatiques, un
développement coordonné s'est rapidement mis en place :
- soutien aux opérations d'investissement
- conseils techniques auprès des producteurs
- organisation commerciale.
La coopérative Morvan-Plantes joue actuellement un rôle pionnier sur le
plan régional, tant pour ce concerne la culture des espèces nouvelles que
le ramassage d'espèces sauvages.
Plusieurs agriculteurs se sont adonnés avec succès à cette activité,
montrée comme un exemple concret d'une diversificationb réussie.
En 7 ans, le Morvan est devenu l'un des premiers producteurs nationaux de
Reine-des-Prés.
D'autres marchés restent à conquérir. N'oublions pas non plus l'impact
médiatique et touyristique d'une telle opération.
41
L'environnement, clef d e l a aamme des usages
Jean-Claude NOUALLET
A l'évocation historique venant spontanément à l'esprit lorsque l'on parle des
limites de la Bourgogne, se superpose souvent la description des milieux
naturels par les géographes, puis plus récemment une conception à caractère
administratif, rassemblant les quatre départements de la Côte d'Or, de la
Nièvre, de la Saône-et-Loire et de l'Yonne.
Le cadre de l'exposé peut rejoindre ces deux dernières approches : Les
enquêtes menées sur le territoire administratif considéré, la Bourgogne, ont
été regroupées par ensembles géographiques distincts : 22 régions différentes
ont été identifiées, reprenant en partie la classification INSEE des zones
naturelles agricoles (1), la classification des forêts (2), et surtout prenant
en compte les témoignages oraux recueillis sur l'appartenance revendiquée des
informateurs. Sans doute ce critère, d'essence ethnogéographique, aurait-il dû
s'imposer comme le plus authentique et le plus fiable, intégrant les
incertitudes qu'il peut véhiculer. Malheureusement l'absence d'une couverture
suffisamment représentative du terrain nous prive d'une délimitation
incontestable des zones appréhendées, ou "pays".
C'est à travers ces pays que pourraient être analysées avec pertinence les
rapports homme-flore propres à chacune de ces unités. Pour les mêmes raisons
et, faute là aussi de posséder un nombre suffisant de témoignages
régulièrement répartis, on procédera à une approche plus générale, essayant
d'isoler les grands facteurs influençant la répartition des espèces végétales
: la géologie, l'eau, le climat.
Bien sûr l'influence de l'homme intervient-elle aussi le plus souvent avec
force :
- dans la construction des paysages ruraux, les bocages, les forêts,
les modes de culture, la maîtrise de l'eau ...
- dans la domestication des espèces végétales utilisées, et dans le
choix de leur sélection d'utilisation.
Bien des botanistes locaux et régionaux, puis des phytosociologues et
phytogéographes ont pu interpréter et proposer une analyse de la végétation de
la Bourgogne.(3)
En quoi cette approche colle-t-elle ou s'éloigne-t-elle de l'analyse tirée de
1'ethnobotanique locale ?
En quoi le terrain, le climat et l'hydrographie interviennent-ils dans la
répartition des végétaux utilisés par l'homme dans les domaines médicinaux,
vétérinaires, domestiques, agricoles, symboliques ?
Telles sont les questions auxquelles nous essayons d'apporter quelques
éléments de réponses.
I - PRESENTATION SIMPLIFIEE DE LA FLORE DE BOURGOGNE
Evaluée globalement à 1 600 espèces distinctes (4), la flore de Bourgogne
recèle un grand nombre de plantes courantes et communes à l'ensemble de la
flore de notre pays.Dans la grande majorité, des cas, c'est parmi ces espèces
qu'ont été opérés les choix d'utilisation Mans les principaux domaines cités,
notamment pour les usages médicinaux.
42 '
L'influence du sous-sol est prépondérante dans la répartition des espèces
communes propres à chaque caractère géologique : acidité marquée des reliefs
cristallins du Morvan, de l'Autunois et du Charoláis, influences calcicoles
tout autant déterminantes pour l'ensemble des formations calcaires jurassiques
et crétacées entourant le socle primaire, vallées alluviales ou de limite
géographique de la zone (Bresse, Vallée de la Loire et de la Saône).
C'est sans doute à travers les influences climatiques que se manifeste le plus
clairement l'originalité de la flore bourguignonne (5) : on y rencontre en
effet les éléments des deux aires floristiques européennes : à dominante
eurosibérienne, la Bourgogne est aussi influencée dans ses marges méridionales
par l'aire méditerannéenne. Plus concrètement on distinguera :
- un élément atlantique, bien individualisé en Nivernais et en
Morvan, notamment dans les prairies humides.
- un élément montagnard, sur les reliefs plus élevés : Morvan,
Chatillonnais, Brionnais et Beaujolais.
- un élément médio-européen, essentiellement orienté à l'Est de la
zone géographique considérée.
- un élément méditerranéen, original et assez largement représenté
sur les corniches et pelouses calcaires des plateaux bourguignons.
Une trentaine de plantes protégées croissent en Bourgogne (6) ; mais c'est
sans doute à travers la liste en préparation des plantes protégées
régionalement que se retrouveront les manifestations des conditions
spécifiques décrites précédemment, à travers le concept de limite d'aires de
répartition, intéressant à plus d'un titre une région où la notion de
carrefour prend toute sa réalité physique et biologique.
Conjuguant ses différents paramètres, laissant de côté volontairement les
facteurs humains et agricoles largement pris en compte dans les travaux de C.
CROSNIER, il convient de retenir parmi les éléments avancés ceux dont
l'influence a pu le mieux induire une utilisation spécifique de la flore de
Bourgogne et les rapports homme-flore de chaque pays. Brièvement résumés, ce
seraient :
- l'influence du sol (calcaire, granite et alluvions)
- le rôle de l'eau.
- les influences méditeranéennes et les influences montagnardes
On abordera également la notion des modifications des milieux et de la
répartition des espèces.
II - VERS UNE SPECIALISATION ECOETHNOBOTANIOUE DU SAVOIR NATURALISTE
POPULAIRE.
L'ensemble des données recueillies en Bourgogne (7) au titre des savoirs
naturalistes populaires intéresse pour l'essentiel la flore traditionnelle des
campagnes françaises. Un grand nombre d'espèces cultivées, ici et ailleurs,
forme le fond de la pharmacopée locale. On retrouve donc les plantes à
répartition d'usages répandue partout en France, tel le Lys Blanc, la
Camomille, le Tilleul, le Sureau, la Bourrache, la Guimauve ...
43
Peu d'espèces à répartition plus locale intéresseront notre présentation. Il
convient cependant de moduler cette première impression : les espèces
abondantes dans une zone particulière sont aussi citées de plus nombreuses
fois et dotées de propriétés populaires plus étendues : tel est le cas de la
Reine des prés (Filipéndula uimaria) en Morvan, du "Petit-Chêne" (Teucrium
chamaedrys) à l'extérieur du Morvan.
Mais globalement, on peut avancer, à la lumière d'enquêtes similaires
réalisées dans d'autres régions, une répartition qui ne prend que peu en
compte les influences extérieures s'exerçant sur le Morvan : marginales sur le
plan bioécologique, ces influences le restent sur le plan bioethnobotanique.
Il est notamment intéressant de rapprocher pour comparaison la répartition et
la fréquence des plantes citées dans le département de la Moselle (8) : on y
trouvera plus d'éléments communs que dans les travaux similaires menés sur le
Vercors (influence montagnarde) (9) et dans les Alpes de Haute-Provence
(influence méditerranéenne) (10). Sans doute peut-on avancer une concordance
plus grande entre deux fonds de végétation appartenant au même domaine
floristique.
1 - L'influence du sol
La nature du sol sélectionne la présence, l'abondance ou l'absence de
certaines espèces végétales.
Ainsi en Bourgogne, parmi les espèces végétales citées pour leurs
utilisations, certaines n'apparaissent que dans un "espace géologique
déterminé". A titre d'exemple en Morvan (6) ; sur sols acides.
- Bourdaine, Myrtille, Genêt à balai.
- Sceau de Salomon multiflore, Silène dioïque, sur talus
granitiques.
- Digitale dans les coupes forestières.
A l'inverse, de nombreuses Orchidées, la Centaurée des montagnes, le Buis,
l'Hellébore, la Germandrée petit-Chêne et la Gentiane jaune intéressent les
milieux calcaires.
Toutes ces espèces sont utilisées.
On remarquera cependant une sous-utilisation des espèces inféodées au calcaire
par rapport à leurs usages notés dans d'autres régions françaises, notamment
plus au Sud.
- Le Buis ne semble pas ici avoir valeur de panacée;
- L'Hellébore n'est nul part connu comme dérivatif vétérinaire,
usage largement répandu en montagne et en zone méditéranéenne;
- La racine de Gentiane jaune ne trouve pas d'utilisation répandue
en liqueur ou vin apéritif.
A l'inverse la Germandrée petit-chêne paraît largement employée pour ses
propriétés fortifiantes et avoir fait l'objet d'acclimatation en jardins.
Les espèces "granitiques" jouissent de propriétés spécifiques mieux étudiées :
- Digitale pourpre et Silène dioïque pour les soins aux bêtes
(antiparasitaire et remise en forme);
- Myrtille pour les usages alimentaires.
44 •
On remarquera une utilisation de deux végétaux aux formes de feuilles
identiques :
- Le Sceau de Salomon multiflore en Morvan et le Listère à deux
feuilles dans l'Yonne, deux espèces dont les feuilles épaisses et
lisses sont connues dans ces deux pays pour leur vertus
cicatrisantes.
La surprenante Arnica est connue partout en Bourgogne pour ses propriétés
anti-ecchymotique : sa fréquence de citation témoignerait-elle d'une
répartition abondante et régulière sur l'ensemble du territoire ? Les
botanistes vous affirmeront que non. On doit bien admettre alors que si en
Morvan, on avait bien recours à la fleur d'Arnica montana, en voie de
disparition, à l'inverse dans le reste de la Bourgogne des espèces voisines de
substitution ont été utilisées en succédanés, volontairement ou
involontairement : tel est le cas de l'inule des montagnes, Ínula montana,
dans la Côte calcaire, connue ailleurs aussi sous le nom générique d'Arnica.
En Vercors, c'est l'Oeil de Boeuf, Buphtalmum salicifolium, qui empruntera
cette propriété universelle de "l'Arnica".
A travers la confection des balais se note une distinction de répartition
épousant les contours géologiques des pays de Bourgogne : Genêt en Morvan,
Bouleau lorsqu'il se présente sur l'ensemble des sols acides ou décalcifiés,
et Bois blanc ou Camerisier Lonicera xylosteum sur l'ensemble des zones
marneuses et calcaires.Peu d'autres espèces semblent avoir été utilisées : ni
le Buis, ni l'Amélanchier largement connus au Sud et dans le massif alpin,
présent sur la Côte calcaire, ni le Sapin pectine en Morvan, d'introduction
plus récente.
A travers la teinture des oeufs de Pâques, pratique répandue dans de nombreux
pays bourguignons, se note aussi le choix d'espèces à spécificité de milieux :
- Pulsatille et Ail des vignes sur calcaire;
- Jonquille en zone de prairies humides.
La Pulicaire dysentérique, ou Herbe de St-Roch, abondant dans les fossés
frais, est connue pour protéger le bétail : on ne la trouve cependant qu'en
milieu calcaire et marneux.
Les espèces intéressantes pour leurs propriétés aromatiques semblent
inégalement connues par l'usage populaire : l'Origan ou Marjolaine sauvage,
Origanum vulgare, répandu partout en dehors des terrains acides, n'est connu
que depuis peu.Le Cerfeuil anisé ou Cerfeuil musqué - Myrrhis odorata - en
Morvan remarquable sur les bords des routes, reste souvent inconnu. On ne
trouve mention dans la flore sauvage que de l'usage en "adjuvant pour le goût"
du Serpolet, dont les deux espèces voisines. Thymus pulegioides sur silice et
Thymus humifusum sur calcaire sont indifféremment utilisés et des quelques
Aulx sauvages, dont l'Ail des vignes -Allium sphaerocephalum et Allium
oleraceum - en pays calcaire.
Les salades sauvages épousent pour certaines une aire de récolte liée à la
nature du sol. Si l'on excepte le Pissenlit universellement répandu, on
ramassera plutôt la Laitue vivace Lactuca perennis - Ecreville ou Grazillotte
- en pays calcaire, la Porcelle enracinée ou Grogniot - Hypochoeris radicata sur sol acide, en prairies. Ici sans doute, une étude complémentaire s'impose.
45
Le ramassage d'asperges sauvages - Ornithogallum pyrenaicum s'effectue en
sous-bois des zones argileuses à sols riches (Auxois, Bazois, Vallées
alluviales...). Les confitures d'Epine-Vinette citées jadis comme spécialité
de Chanceaux (Châtillonnais) par les cartes géographiques de la Côte d'Or
semblent avoir quasiment disparues suite à 1'eradication de l'espèce vecteur
du piétin.
2 - L'influence de l'eau.
C'est sans conteste le facteur de sélection de la végétation le plus pregnant
: les adaptations nécessaires induisent une flore très spécialisée, éliminant
dans la plupart des cas les espèces ubiquistes. L'homme recherchera donc des
utilisations particulières de cette flore, à la morphologie présentant de
nombreux caractères physiques communs. Des grandes catégories d'usage et de
milieux peuvent être dégagés :
- celui des "grandes herbes" type Laiches, Joncs, Scirpes, Molinie, Phragmite,
Typha, toutes reliées par leur appartenance à la classe des monocotylédones,
trouvent plutôt des applications liées à la longueur, à la solidité et à la
souplesse de leur appareil végétatif, mises à profit dans des usages agricoles
ou domestiques :
- rempaillage de chaises en Bresse Louhannaise, activité ayant
généré une véritable industrie artisanale locale (Carex sp.),
- attache des bourgeons de vignes en Vallée de la Loire (Scirpus sp.
ou "Rauche",
- "Paille pour égouter le fromage" en Nivernais (Molinie : Molinia
coerulea),
- Balai doux dans la plaine de Saône (Phragmites communis),
- Joncs diffus - Joncus effusus et Massette - Typha latifolia - en
vannerie
- Celui des "salades d'eau", abondantes dans les biefs des prairies humides
entretenues, drainés régulièrement, ou des sources des pays de "mouilles". Si
on a l'habitude de désigner par "Cresson" les espèces récoltées, il s'agit
généralement d'une dénomination générique pouvant recouvrir plusieurs espèces
bien distinctes inféodées à ce type particulier de milieux : si l'on y
rencontre bien le Nasturtium officinale - ou Cresson des fontaines - on
consommera aussi le Bugle rampant - Ajuga reptans - le Callitriche Callitriche stagnalis - l'Epilobe des marais - Epilobium palustre - la
Stellaire des marais - Stellaria alsine - et surtout en Morvan la Montie des
fontaines - Montia fontana.
Les racines de Scorzonère des marais - Scorzonera humilis - ou Barbottes ont
été recherchées aussi en période de disette
L'abandon récent et généralisé de l'entretien manuel des fossés de drainage et
des sources précipite le délaissement de cette consommation originale par
envahissement des grandes herbes et élimination simultanée de ces espèces
jadis recherchées en toute période de l'année.
3 - Les influences bioclimatiques.
L'influence montagnarde et l'influence méditerranéenne.
46
Marquées toutes les deux en Bourgogne par la flore sauvage, en Morvan,
Beaujolais et Chatillonnais pour la première, sur les cotes calcaires au sol
sec et exposé au sud pour la seconde, elles constituent comme nous l'avons vu
l'originalité de la flore de Bourgogne.
Les espèces remarquables peuvent être rares et en limite de leur répartition :
leur connaissance ne dépasse souvent pas dans ce cas le cercle des botanistes
amateurs, conduits souvent à l'expérimentation personnelle d'une consommation
limitée : tel est le cas de la Canneberge des tourbières acides - Vaccinium
oxycoccos - aux fruits acidulés, et de la Laitue de Plumier - Cicerbita
plumieri - salade de printemps amère. Deux espèces rares présentes localement
en Morvan.
31 - L'influence montagnarde.
Il est curieux en Morvan de noter la quasi absence d'usages populaires des
espèces considéreées :
- le Sureau à grappes - Sambucus racemosa - abondants en lisière
forestière - n'est pas utilisé,
- la Betoine - Betónica officinalis - abondante en bordure de
prairies à l'abri des forêts - connue dans la zone méditerranéomontagnarde pour ses propriétés hypotensives n'est ici jamais citée.
- De même pour les feuilles de Bistorte - Polygonum bistorta - aux
épaisses stations en prairies humides - utilisées sous forme
d'épinards en zone alpine.
A l'inverse, on ne s'étonnera pas que les Résineux ne soient pas connus en
médecine populaire : leur introduction récente dans nos régions n'a pas laissé
le temps à l'empirisme et aux expérimentations successives d'affirmer des
usages largement répandues dans les zones naturelles de ces espèces : tel est
le cas du Benjoin, récolté dans les excroissances de l'écorce des sapins
pectines dans les Vosges et les Alpes françaises, jouissant dans ces régions
d'un véritable statut de panacée. Seuls quelques usages agricoles ou
domestiques ont été cités : cônes d'Epicéa pour allumer le feu, barreaux
d'échelles en sapin.
32 - L'influence méditerranéenne.
Si les usages spécifiques de la flore sauvage d'affinité méditerranéenne
pouvaient être précisés par les données d'enquêtes complémentaires à réaliser
dans les zones correspondantes à leur répartition, on peut cependant noter une
utilisation marquée d'espèces aux mêmes affinités, cultivées dans les jardins
dans ces mêmes pays. Le climat privilégié de ces pays apparait comme le seul
facteur à envisager : ainsi la Sauge, la Lavande paraissent plus largement
utilisées dans la partie méridionale de la Bourgogne. Il en est de même de la
Verveine odorante, cultivée en pots, et rentrée l'hiver dans la cave, à
l'abri, et de la Myrte, introduite par la Communauté polonaise à Montceau pour
les fêtes de mariage.
La Sabine - Juniperus sabina - aux propriétés abortives connus "Avec ça,
fallait pas blaguer" a sans doute à l'inverse disparue des jardins mais reste
souvent citée et doit être rattachée ou même ensemble. De même pour la
47
Fraxinelle - Dictamnus albus - connue par une station isolée au Nord de Dijon
mais répandue dans les jardins pour sa faculté à éloigner les insectes.
à - Les modifications des milieux et les mutations de la flore sauvage.
Certains types de milieux apparaissent en régression sur l'ensemble de la
Bourgogne :
- la régression des zones humides, par drainage et assèchement,
entraine avec elle la raréfaction des espèces jadis communes : c'est
le cas des Scirpes en Val de Loire ; c'est le cas de la Châtaigne
d'eau - Trapa natans - jadis recherchée et consommée.
- la généralisation du désherDage chimique dans les pays de culture
laisse peu de place aux espèces messicoles jadis mieux connues : la
Nielle des blés ne peut plus servir de jeux aux enfants.
- en bordure de chemins, sur des chaumes et dans les jardins, on
notera aussi la quasidisparition de deux espèces très connues pour
leurs propriétés fébrifuges et toniques : la Bourrache et la Petite
Centaurée.
A l'inverse, l'expansion d'espèces nouvelles, telles la Vergerette du Canada Erigeron canadensis - l'Epilobe à feuilles étroites - Epilobium angustifolium
- ne s'accompagnent pas d'une recherche de ces plantes pour des usages
médicinaux pourtant reconnus par la pharmacopée scientifique moderne. Sans
doute doit-on voir ici les limites de convergence d'une approche populaire des
usages de la flore et de la recherche scientifique récente.
Bien des aspects restent donc à approfondir dans cette tentative d'approche
écoethnobotanique.
Deux pistes pouvaient compléter ces premières réflexions :
- la poursuite des enquêtes ethnobotaniques sur l'ensemble de la
Bourgogne, à opérer dans des cadres géographiques bien délimités, et
permettant comme dans le Morvan, la Bresse ou le Pays minier d'en
tirer des conclusions fiables confortées par des données
statistiques minimales.
- la comparaison avec d'autres régions naturelles françaises,
permettant notamment l'affinement des notions d'aires d'usage, afin
de comparer ce nouveau concept ethnobotanique à celui mieux connu de
l'aire de répartition des espèces végétales.
(1) " INSEE Zones naturelles agricoles, 13, avenue Albert 1er. B.P. 1509 21035 - DIJON-CEDEX.
(2) * Orientations régionales de la production forestière. Centre Régional de
la Propriété Forestière - Dijon 1973.
(3) Carte de la végétation de la FRance au 200 000e
Notice détaillée des 2 feuilles bourguignonnes DIJON et AUTUN
F. BUGNON - Editions du CNRS - 1986 -
48
U ) Henri POINSOT - Flore de Bourgogne CNRS - 1972
(5) Voir à ce sujet - Fleurs de Bourgogne - André BRUNAUD
Editions Mars et Mercure Wettolsheim - 1977 (6) Liste des espèces protégées - Décret du 26 Janvier 1982 Extrait de la liste pour plantes protégées existant sur le territoire de la
Bourgogne.
(7) Travaux de C. CROSNIER - Recherches ethnobotaniques liées à la
connaissance des plantes médicinales et des usages du végétal - 1987 (8) Exploration des traditions thérapeutiques des guérisseurs et inventaire
des pharmacopées empiriques du Département de la Moselle - Thèse UER Ecologie
J. IDOUX - 1973 (9) La mémoire verte du Vercors - L'inventaire des Savoirs Naturalistes
Populaires - J.C1. NOUALLET - 1989 - P.N.R. du VERCORS.
(10) L'Herbe qui renouvelle - P. LIEUTAGHI - Edition du Patrimoine.
(11) Herbularium du Morvan - Maison du Parc - 1987 -
49
I i I — LA PLANTE OU LE REMEDE DEVOILE
QUAND LA PLANTE SE FAIT MESSAGE
Jean BENOIST
Laboratoire d'Ecologie humaine
Université d'Aix-Marseille III
"On s'attend à voir la plante utilisée empiriquement avouer à la science son
alcaloïde : mais si elle n'en contient pas, se fiera t'on au témoignage de ses
utilisateurs ?"
J. CLAVREUL. L'Ordre Médical.
Quand la plante se fait aliment, elle offre sans ambiguité le visage d'une
amie, passivement nourricière, qu'il s'agit tout au plus de cuire et de
malaxer pour la rendre bonne au goût et aisée à digérer. C'est sa chair, sa
substance qui nourrissent.
Lorsqu'elle se fait médicament, il en va autrement. On ne voit ni ne goûte les
corps subtils qu'elle abrite et qui viennent soigner. Mais, dans l'imaginaire,
s'agit-il même de substances ou, cette fois, d'une âme de la plante,
insaisissable parcequ'à à peine matérielle ?
D'emblée, la plante-médicament se situe dans une zone ambiguë. Elle participe
au monde matériel, mais aussi à la Vie : elle est ancrée dans la chimie, mais
aussi dans des pouvoirs autres qui plongent dans l'inconnaissable. Selon les
regards, selon les circonstances, elle est l'un ou l'autre, voire l'un et
l'autre sans que celui qui l'utilise sache toujours qu'il l'a choisie
justement en raison de cette ambiguité. Aussi toute recherche sur les plantes
médicinales conduit-elle inéluctablement à la question placée en exergue de
ces pages, et les réponses procèdent d'un choix à priori, d'une position de
principe qui reflète une vision du monde plus que l'observation des usages de
la plante.
Nous sommes alors poussés, comme malgré nous, à ne pas choisir vraiment, mais
à constater ce qui se passe, allant ainsi d'un inventaire des effets des
plantes à une anthropologie du médicament. C'est-à-dire à un inventaire et à
un décryptage bien plus vaste : ceux des univers thérapeutiques où la plante
joue un rôle, des rôles, où elle est le support de représentations, le
réceptacle des symboles : pensons à la Légende de la Sauge -Détour nécessaire,
car c'est par son relais que passent souvent certaines des connaissances les
plus empiriques.
I - TECHNIQUES ET TRADITIONS
50
Malgré les réticences d'une partie du corps médical, la phytothérapie a un
statut tout à fait clair dans l'arsenal thérapeutique. La remise en cause
récente du remboursement des préparations magistrales par la Sécurité Sociale
ne la touche pas directement, même si, en fait, beaucoup de ces préparations
utilisent des produits d'origine plus ou moins directement végétale.
Les plantes médicinales, hormis le nombre limité de celles qui ne font l'objet
d'aucune restriction, sont soumises comme tous les médicaments à une
autorisation de mise sur le marché. Dans leur cas cependant, il suffit de
constituer un dossier "aménagé", moins lourd que celui qui est nécessaire pour
les médicaments de synthèse. Cette procédure s'applique depuis 1986 à 112
plantes médicinales. Le contrôle pharmaceutique (identification des
composants, contrôle de la fabrication, de l'origine et de la stabilité) reste
assez poussé, mais les dossiers toxicologique et clinique sont très allégés.
Ils tiennent largement compte des pratiques et des indications
traditionnelles, tout en fixant la posologie à un maximum.
C'est dans le même esprit que la Communauté européenne a publié dans son
journal officiel du 16 novembre 1987 une "Résolution sur la réglementation de
la production et la consommation des plantes médicinales et des préparations à
base de plantes médicinales". Favorable à la phytothérapie cette résolution
propose que l'utilisation des plantes médicinales et des préparations à base
de plantes médicinales "soit réglementée avec la même précision que les
spécialistes pharmaceutiques". Elle "admet cependant l'existence de nombreuses
plantes médicinales, utilisées depuis toujours et décrites dans les ouvrages
scientifiques", mais n'ayant que des effets pharmacologiques limités et qui ne
seront pas justiciables des contrôles imposés aux spécialités pharmaceutiques.
Elle prône une normalisation européenne, qui garantisse les malades contre des
produits dangereux, mais elle laisse ouverte la porte à celles des
utilisations traditionnelles qui auront fait la preuve de leur inocuité.
Bien des ambiguïtés demeurent cependant. Les connaissances traditionnelles
qu'impliquent l'utilisation médicinale des plantes peuvent certes en partie se
plier à cette logique. Certaines sont immédiatement accessibles et largement
diffusées, dans la médecine familiale et dans l'automédication appuyées sur la
tradition orale ou sur des ouvrages qui la reflètent depuis fort longtemps.
Mais dès que des spécialistes de la médecine traditionnelle entrent en scène,
d'autres dimensions se dévoilent.
Il s'agit d'abord de la référence à un cadre nosologique, et à des etiologies
qui n'ont que fort peu à voir avec la médecine la plus moderne. Dans son bel
ouvrage "L'Herbe qui renouvelle", Pierre Lieutaghi mùontre bien l'actualité de
ces références au coeur d'une région française par ailleurs fort modernisée :
les aphorismes de l'école de Salerme ne sont pas loin, ni la doctrine des
signatures. Il s'agit aussi de modes d'obtention des végétaux, qui mettent en
avant, non seulement les propriétés intrinsèques à la plante, mais aussi une
relation entre elle et le cosmos, et entre elle et le thérapeute dont le
pouvoir et la connaissance s'enracinent souvent dans un don d'origine
spirituelle.
Il en va presque de même avec ces spécialistes, que sont les herboristes, les
phytothérapeutes. Certes les apparences ne sont pas les mêmes, ni sans doute
les intentions, mais ce que perçoit le malade s'inscrit dans le droit fil de
ce qui précède.
51
Les herboristes sont les plus proches de la tradition. Leur diplôme,
maintenant supprimé, leur donnait vocation d'assurer grâce aux propriétés des
plantes, les soins de confort quotidiens. Avec leur effacement progressif du
paysage, ce sont les pharmaciens qui ont pris la relève, en présentant des
plantes sous les formes les plus diverses. Malgré la réglementation, dont
elles ne se soucients guère, bien des boutiques "diététiques" sont elles aussi
entrées dans ce champ d'action et proposent plantes et préparations avec des
indications explicitement thérapeutiques
Les phytothérapeutes utilisent quant à eux, les plantes sous des formes
diverses : infusions, décoction, teintures-mères, macérats glycérines ou
huiles essentielles. Ils ont, comme les homéopathes, étudié leur spécialité
dans des écoles semi-opfficielles, dont l'enseignement est toléré bien que non
reconnu. Dans ces écoles privées, la transmission du savoir se rapprocne de
celle de la tradition ; il existe certes des cours systématiques, mais aussi
une relation de maîtres à élèves, et une démarche initiatique à laquelle
participent a la fois le langage, le système thérapeutiaue et l'expression
d'une dictrine qui dépasse toujours la simple médecine par ses échos
philosophiques.
Les homéopathes partent de teintures-mères qui ont subi de nombreuses
opérations de dilution et de "dynamisation" avant que leurs propriétés ne
soient fixées sur le vecteur par lequel elle sont transmises au patient. Plus
encore qu'en phytothérapie, l'administration d'une médication issue de la
plante se déroule en référence à une doctrine, ensemble clos où l'on entre par
une véritable initiation dans laquelle communient le thérapeute et son patient
: le partage d'une commune adhésion à l'inocuité et au bienfait des plantes,
l'usage de règles strictes, rituel laïc dont les transgressions entraînent
l'inefficacité, le respect du naturel, dépassent la dimension technique de la
recherche de soin. Ils traduisent qu'en préalable à cette quête, et pour
qu'elle soit efficace, il faut d'abord adhérer à une éthique, partager une
vision de la nature et de la place qu'y tient l'homme. Le souci de faire
coïncider l'utilisation des végétaux avec les pratiques issues de la science
moderne a conduit ces dernières années à une évolution de certaines
utilisations des plantes par ces thérapeutes. Il ne s'agit surtout pas de
converger avec les chimistes qui extraient et synthétisent les substances
actives, car toujours demeure sous-jacente l'idée vitaliste que les extraits
des plantes ne sont pas de même nature que les produits de synthèse. Par
contre, les formes propres à la médecine moderne sont introduites dans
diverses pratiques thérapeutiques. Un bon exemple est cette phytothérapie
informatisée qui conduit à un "remède personnalisé", c'est-à-dire au choix de
plantes en fonction de dosages sanguins effectués sur le patient et
interprétés par ordinateur. Un autre exemple est révélé par certains
phytothérapeutes qui ne choisissent plus la plante en s'appuyant sur des
connaissances traditionnelles. Ils effectuent non des antibiogrammes mais des
"aromatogrammes" où le prélèvement à examiner est mis au contact de
différentes essences.
La caution scientifique vient ainsi appuyer les choix de la médecine globale,
et la plante "entre nature et culture" est le pont de l'une à l'autre, car
elle est en quelque sorte matière et esprit dans la mesure où elle est à la
fois médicament et émanation de la vie.
II - LA PLANTE.MEDIATEUR ET SYMBOLE
52
La plante, mène modernisée, garde ainsi son ancrage dans une approche des
soins où le sens de la maladie et l'effort de globalité s'affirment contre la
parcellisation et le biologisme dominants. Loin de ne jouer dans ce refus
qu'un rôle passif, la plante en incarne le projet. Elle est "vivante", elle
représente la nature. Elle s'insère sans rupture dans une idéologie écologique
populaire, née en ville mais projetée sur le monde rural. La plante-médicament
est alors de la même famille, et elle a les mêmes consommateurs, que
l'agriculture biologique ou que l'alimentation végétarienne.
Et la plante-aliment rejoint la plante-médicament, en donnant le bien comme
l'autre chasse le mal ... Produits à base de céréales, de légumes et de
fruits, cortège de régimes, végétarien, végétalien. macrobiotique, cure de
jus, voire jeûne, donnent à la plante l'occasion de mettre le corps en
harmonie avec la nature, selon la croyance de bien des sectes selon laquelle
il n'y aurait d'autres maladies que celles que l'homme provoque lui-même en
s'éloignant de la nature. L'instinctothérapie fait culminer ce rapprochement
dans une pratique qui atteint aux dimensions d'une caricature...
La plante-médicament est aussi la plante qui prévient le mal. Le discours
populaire a trouvé un relais dans des firmes où le secret de grand-mère et les
emballages sophistiqués font bon ménage et qui vendent dans des boutiques
spécialisées des agents de drainage et de beauté. Aux plantes, s'ajoutent les
autres composantes de la Nature, la Terre (boue, argile), l'eau thermale,
l'air revitalisé, et le soleil. Mais la plante, née de tout cela, en est à la
fois la quintessence et l'expression, et c'est vers elle que convergent tous
ces mouvements.
Peut-on dissocier les unes des autres toutes ces facettes de la plantemédicament et demeurer seulement dans un domaine technique, où les alcaloïdes
et autres substances actives rendraient seuls compte d'une efficacité qu'il
appartiendrait à la science d'évaluer ?
Les règles édictées par les instances les plus scientifiques elles-mêmes
semblent en douter, puisqu'elles laissent grande ouverte la voie à la
légitimation des usages thérapeutiques des végétaux par la tradition, ainsi
qu'on l'a vu au début de ces pages. Et s'il en est ainsi, notre tâche n'estelle pas non d'adhérer à des doctrines ou de nous indigner de leur existence,
mais d'essayer de comprndre pourquoi ? La réponse n'est alors pas dans la
plante, mais chez celui qui l'utilise ; elle est dans la demande qu'il lui
adresse, et qui dépasse de beaucoup le niveau apparentent technique de ses
pratiques. Nous passons de la plante à l'homme, de la botanique à
1'anthropologie.
Le monde végétal est vécu doublement comme entité symbolique et comme lieu
technique : l'utilisation de la plante entière qu'apporte la Nature salvatrice
est supérieure à celle des fractions extraites industriellement. N'oublions
pas que dans la plupart des cas, dans nos sociétés comme dans d'autres, la
maladie est considérée comme un fait anormal, un fait contre-nature alors que
la médecine moderne la conçoit comme un état de nature capable d'évolutions
spontanées, vers la guérison le plus souvent, ou vers l'aggravation. La
thérapeutique par les plantes est alors vécue comme la restauration du seul
état naturel, du seul équilibre normal et spontané, celui de la santé : elle
le réintègre dans le normal. La plante n'apporte pas une substance en vue
d'une lutte quelconque à l'échelle moléculaire, mais la vie : elle n'introduit
53
pas d'artifice, mais la nature, seule capable de reconstituer le corps dans
son intégralité.
Nous pouvons aller plus loin. Ce n'est pas un hasard si certaines des
thérapies alternatives les plus répandues (phytothérapie, homéopathie) sont
celles qui font appel à des ressources issues de l'univers végétal. Quand
celui-ci devient univers thérapeutique, une double lecture est toujours
possible. La plante est le support de produits actifs. En ce sens, son usage
cautionne par bon nombre de succès retentissants lorsqu'elle a été la source
de certaines des grandes armes de la pharmacopée, est totalement légitime aux
yeux de la science. Or il en va tout autrement dans bien des thérapeutiques,
par exemple dans l'emploi de dilutions homéopathiques, sans parler de
certaines méthodes (vibro-homéopathie) qui assurent obtenir les mêmes
résultats sans partir de teinture-mère. Les textes officiels eux-mêmes
acceptent comme médicinales des plantes dont les études pharmacologiques ne
parviennent pas à mettre d'effets en relief mais que la tradition considère
comme capables de soigner.
Nous nous écartons là des alcaloïdes actifs, et nous retrouvons la légende de
la sauge. Une bonne illustration de ce qui se passe alors paut être donnée à
partir d'observations recueillies dans l'ile de la Réunion, département
français de l'océan Indien. Là, une flore médicinale abondante fait l'objet
d'un emploi qui, après avoir été massif, commence à se raréfier à mesure que
la sécurité sociale a déversé l'arsenal pharmaceutique. Cela n'exclut
cependant nullement le recours à la plante, mais on assiste à une
réinterprétation de son rôle. Elle perd beaucoup de ses indications anciennes,
et elle vient seulement compléter le traitement du médecin, sans s'opposer à
lui. Cette complémentarité exprime un partage de rôles que décrit bien une
expression locale, désignant les médicaments issus des ordonnances médicales :
"tisane-docteur". Par contre, le petit bouquet que le prêtre-guérisseur indien
donne à celui qui l'a consulté est devenu la "tisane-bon dieu", qui va
compléter l'action du médecin en apportant des pouvoirs dont elle est le
messager, le vecteur.
Deux faces de la plante-médicament : un versant naturaliste, où la plante qui
soigne, par ses vertus propres et un versant messager où la plante est le
réceptacle symbolique d'un pouvoir supérieur. Peu importe alors la plante : ce
qui compte, c'est celui qui l'administre, et les rituels (magiques, religieux
ou techniques) qui accompagnent son administration.
A l'interface de deux mondes, la plante permet à quiconque de l'utiliser, à
celui qui croit au ciel (c'est-à-dire à des pouvoirs naturels ou surnaturels
mais en tout cas non immédiatement explicables), et à celui qui n'y croit pas.
Dans bien des malaises où les troubles du corps expriment ceux de l'âme, la
plante donne alors une réponse : elle est le messager d'une attention
réclamée, attention d'un autre à celui qui est malade, puis attention du
malade à lui-même à travers les prises régulières de la tisane, du granulé ou
des gouttes.
En devenant médicament, la plante affirme sans qu'on ait à le dire qu'il y a
quelque part une porte ouverte sur l'inconnaissable. Elle brise l'opacité où
la science semble emmurer le destin de chacun. Mais elle le fait d'une façon
compatible avec un monde moderne qui refuse les rêves lorsqu'ils se tournent
vers les esprits et vers les magies. Elle est acceptable parcequ'elle est
ancrée d'un côté dans la science et de l'autre non dans l'inconnu mais dans
l'inconnaissable, forme acceptable du surnaturel...
54
En ce sens, on peut se demander si certains produits nés de la vogue des
plantes ne dépassent pas les effets recherchés. Ils mêlent en effet les deux
versants, celui de la technique et celui de la nature. Ainsi voit-on des
gélules où la plante, à usage d'automédication cependant, est réduite à la
forme, à la posologie et aux indications de banales spécialités
parmaceutiques. Elle a sans doute l'avantage de ramener le patient à la
pharmacie... où la publicité pour 1'Harpagophyton ou pour le Ginseng rejoint
celle des shampoings "naturels" ou bois de panama et ds "revitalisants" au
magnésium.
III - RIGUEUR DES ANALYSES OU SAGESSE DES SYNTHESES ?
Depuis quelques années, la vogue des médecines douces a conduit à des
politiques plus tolérantes à leur égard. L'axe de ces politiques a été de
chercher à intégrer ces pratiques dans la rationalité technique de la médecine
moderne en les testant selon des méthodes vérifiables. Certains laboratoires
homéopathiques publient ainsi des résultats cliniques qui calquent à bien des
égards ceux des laboratoires pharmaceutiques classiques. Dans les pays du
tiers monde, bien des recherches sur la médecine traditionnelle se basent sur
une idée suimple : les guérisseurs utilisent certes des rituels, mais ceux-ci
sont les atours superflus dans lesquels ils enrobent des connaissances
empiriques sur les plantes que, par ailleurs, ils utilisent dans leurs soins.
Il s'agit donc de séparer le rituel de l'essentiel, l'alcaloïde, et de
parvenir ainsi à élargir le spectre des connaissances pharmacologiques et des
armes médicales.
Démarches d'analyse, qui aboutissent parfois, mais qui le plus souvent
échouent. On a entre les mains un produit bien neutre, sans activité
décelable, et reste en face de soi un thérapeute actif que sollicitent les
patients. Comme lorsqu'il s'agit de tester l'homéopathie, l'observation montre
alors que le "résidu actif" n'est pas une substance, mais autre chose, une
relation, la transmission à travers un dialogue détourné d'une conviction qui
permet d'accepter le mal, de transcender les angoisses et de parvenir au
sentiment de guérison qui permet d'attendre que la nature fasse son oeuvre.
N'est-il pas un vrai sage, ce guérisseur réunionnais qui, plutôt que de ne
tenir compte que des analyses des produits qu'il administre, se tourne vers
une nouvelle synthèse ? Synthèse entre une "tisane-docteur", issue désormais
de la chimie, et la "tisane-bon-dieu" où il sait insufler dans la plante un
message qu'aucune parole de science ne saurait donner ? La croyance partagée
permet au malade et à celui qui le soigne de se rencontrer dans la plante et
par elle de communiquer silencieusement l'espoir nécessaire et le sens que le
monde risque de perdre quand la plante n'est que chimie.
QUELQUES REFERENCES
BARRAU Jacques - Les plantes qui guérissent. Ethnobotanique et phytothérapie.
Projections. La santé au futur. Médecine et anthropologie N° 1 - Hiver 198990.
55
BENOIST Jean - Le médicament, opérateur technique, médiateur symbolique.
Projections. La santé au futur. Médecine et anthropologie n° 1 - Hiver 198990.
CLAVREUL Jean.- L'Ordre Médical. Seuil. Paris, 1978.
GIRRE Loïc - La phytothérapie moderne, de la tradition à la science. Editions
médicales Pierre Fabre. Castres, 79 p.
LIEUTAGHI Pierre - Les simples entre nature et société. EPI, Mane 1983.
LIEUTAGHI Pierre - L'herbe qui renouvelle. Un aspect de la médecine
traditionnelle en Haute-Provence. MSH Paris 1986.
MARINTABOURET Claude - L'Univers végétal comme univers thérapeutique. Mémoire
d'écologie humaine. Aix-Marseille 1981.
ROMBI Max, LECOMTE Alain, DURAND Patrick - Précis de phytomédecine. Romart,
Nice, 1988.
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UNE BELLE PLANTE
Anatomie humaine et plantes médicinales
André JULLIARD
Lorsque l'on vit dans le monde rural, il n'est pas rare d'entendre encore
aujourd'hui, les voisins souhaiter de "garder une bonne santé" au moment où
nous devons par exemple, nous absenter quelques jours du village.- Ce voeu qui
évoque évidemment celui du nouvel an, rappelle qu'à cette occasion déjà, "la
bonne santé surtout" prime sur "la bonne année". Mais ici, sa formulation
quelque peu exotique (du moins pour l'ethnographe) parce que décalée dans le
calendrier, souligne encore plus fortement la place accordée à la santé
corporelle dans la vie quotidienne. Par cette forme de salutation, ce ne sont
plus deux hommes, mais deux corps qui se parlent. En 1'occurence, celui qui
reste, recommande avec insistance à celui qui part, l'un des principes
fondamentaux de l'existence sociale : quel que soit le profit escompté, aucune
entreprise ne doit mettre en péril l'organisme humain. Autrement dit, ces
occasions sont autant de moments pour évoquer le capital sociologique,
économique et symbolique que représente le corps. Plus encore : la formule de
politesse pourtant peu chargée d'intentions rituelles, conjure malgré tout le
retour d'un corps physiquement diminué dans l'espace villageois. C'est une
façon bien ordinaire d'écarter l'irruption de la maladie et du malheur dans la
vie quotidienne dont les voisins font intégralement partie.
Détails anecdotiques pourrait-on dire, s'ils n'étaient pas que quelques pièces
d'un ensemble plus vaste de faits de même nature au total, transforment ces
vigilences ponctuelles en une véritable pensée organisée sur la prévention et
les soins du corps. Ainsi, au village encore, chacun s'autorise à mettre en
garde l'autre et même, à l'obliger à remédier sur le champ, aux erreurs ou aux
fautes de santé qu'il commet contre son propre corps : "tu ne vas pas resté
mouillé comme ça ! Reste bien à l'ombre, après tu ne viendras pas te plaindre
!" ou encore : "enlève toi du soleil, tu vas attraper mal !" Autant
d'attentions et d'empressements qui montrent combien les corps sont en souci
les uns des autres comme pour mieux se rappeler à eux-mêmes, la réalité des
dangers qui les menacent sans cesse.
Par conséquent et qu'elle que soit la culture d'origine et le type de société
dans laquelle il vit, la santé constitue l'une des préoccupations premières et
constantes de l'homme.
Elle trouve sa source et ses causes dans le statut social et symbolique du
corps humain. Une image provenant d'une autre culture que celle du monde rural
français mais que l'agriculteur, l'artisan ou le commerçant ne désavouerait
certainement pas, nous est donnée par un guérisseur-féticheur Felup (GuinéeBissau). Elle explicite ce statut beaucoup mieux que n'importe quelle analyse
: "quand on est bien, c'est comme quand une voiture a de l'essence pour
avancer"(l). Un corps en bonne santé est d'abord et avant tout, un corps qui
fonctionne au service de l'homme. Il est surtout un outil qui, comme la
voiture, doit toujours être "en parfait état de marche". La proposition tourne
à l'évidence si on oublie qu'elle appelle au moins trois remarques qui
définissent le cadre du savoir anthropologique du plus grand nombre.
D'abord, les préoccupations journalières de santé s'exprimant tant au travers
des gestes et attitudes quasi-techniques de prévention que des connaissances
et pratiques médicales, considèrent l'organisme humain comme un ensemble de
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mécanismes uniquement physiologiques et biologiques. Par exemple, les
structures mentales sont absentes des représentations et par conséquent, ne
font naître aucune inquiétude. Les maux de tous les jours comme les maladies
de longue durée, n'atteignent jamais le corps sous forme de symptômes à
caractère psychologique. La maladie mentale ne peut provenir que de
l'hérédité, Bt les savoirs familiaux ou villageois sont impuissants en remèdes
et savoir-faire thérapeutiques dans ce domaine (2). Tout au plus, si "les
nerfs prennent le dessus", interviendra-t-on de manière périphérique à
l'ordonnance du médecin : avec des tisanes calmantes et soporatives (Tilleul Tilia platyphyllos Scop.-, Camomille -Matrica chamomilla L.-, etc.) et
surtout, une mobilisation plus ou moins spontanée du groupe environnant le
patient, pour soulager au moins pratiquement (entraide) de la partie
matérielle de "ces soucis qui rongent"! Quelque fois, on lui servira des
tisanes dépuratives à base de Centaurée (Centaurium umbellatum) par exemple,
pour activer la circulation du sang dans le cerveau car "les embêtements"
deviennent "mauvais" pour l'homme, surtout lorsqu'il n'en parle à personne.
L'anxiété et l'angoisse des contrariétés refoulées, agissent en comprimant en
quelque sorte, les veines et les artères, bloquant voire interrompant
partiellement la circulation sanguine. L'opinion générale diagnostique alors,
l'une de ses craintes les plus profondes : les vaisseaux sanguins qui
irriguent le cerveau, sont en train de "sauter" et le patient, "de perdre la
tête".
Ensuite, la métaphore de la voiture est assez claire. Ce corps "matériel" ne
fonctionne pas de manière autonome : il ne peut "marcher" que parce qu'il a un
rapport, lui aussi très concret (l'essence), avec son environnement quotidien.
L'homme gère ses relations avec le monde extérieur par l'intermédiaire de son
corps qu'il positionne (de manière géographique, physique, sociologique,
religieuse et cosmique) auprès de cet environnement selon des systèmes de
perception et de représentation dont le vécu se puise dans les savoirs reçus
par transmission, appris dans les livres ou encore, acquis par son expérience
personnelle et sociale de l'existence. C'est de ces positionnements qu'il
retire les comportements et les attitudes corporels par lesquels il définit,
entretient et protège son corps. L'homme possède ainsi, les moyens d'agir
doublement sur lui en jouant d'une part, sur les ressources naturelles de
l'environnement (les plantes médicinales en sont un bon exemple dans les
sociétés rurales) et d'autre part, sur la nature sociale et symbolique des
liens corps-environnement (thérapie préventive). Autrement dit, la santé de
l'organisme humain dépend du bon état des relations avec son milieu de vie.
Dans ce sens, l'homme est constamment aux aguets des trandformations de son
environnement, se tenant prêt à réajuster ses comportements et à innover dans
ses savoirs corporels.
Enfin, ce corps fonctionne parce qu'il est avant tout un poids qui doit rester
solide et homogène pour pouvoir compenser les nécessaires mouvements internes
des différents appareils organiques qui le composent. Ces qualités différentes
de celles qui lui sont reconnues dans la société urbaine et industrielle. Nous
les voyons affichées au long des panneaux publicitaires (3) : un corps nourrit
d'aliments "allégés" en matière grasse, "aérés" dans leur consistance et le
plus souvent, "mixes" par des robots ménagers dont la principale fonction
semble être de confectionner des repas en dose individuelle ; un organisme
réduit à la peau, la face et les cheveux : trois parties qu'il faut
"réhydrater activement, décongestionner" et rendre "soyeuses" avec des crèmes
et des gels qui se disputent l'authenticité de la nature ; un corps enfin,
entretenu constamment par des lotions "rafraîchissantes, toniques" et des
eaux-de-toilette qui distinguent les femmes des hommes par des senteurs
ésotériques ou exotiques. Léger et aérien sont les deux caractéristiques
(d'ordre religieux?) censées participer d'une nature originelle du corps et
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retrouvées sous l'effet des argiles et des algues marines abondamment
employées. Il doit répondre à deux impératifs essentiels pour "l'homme
d'aujourd'hui" : être suffisamment souple et adaptable pour passer sans
transition des activités professionnelles aux activités sportives et de
loisir, tout en restant disponible pour le représenter publiquement à tous
moments de la journée dont la durée moyenne est fixée entre 12 et 18 heures
selon les messages publicitaires. Mais sa légèreté ne signifie pas une
constitution éthérée et impondérable. Pour son activité de représentation
sociale, le corps doit avoir des formes plastiques qui justement ne doivent
pas se déformer. Il faut empêcher qu'il s'altère sous la fatigue, "le stress
des affaires" ou encore, l'effort de soutenir la rencontre avec les autres.
C'est un corps qui affronte toujours "quelque chose" : c'est un corps qui doit
être gagnant !
Finalement, nous obtenons deux images anthropologiques qui gouvernent ies
représentations ordinaires du corps humain :
- dans un cas, il est plutôt chair, matière -de qui ne veut pas dire
une masse lourde et grossière- par laquelle il a prise dans un
espace fait d'abord d'épaisseurs. Par exemple, et malgré la
mécanisation, l'agriculteur mesure très souvent son champ en
"journées" : c'est-à-dire, en nombre de jours de travail à bras
nécessaires pour le cultiver. C'est un corps qui travaille une aire
géographique, agricole et villageoise, mais qui extrait d'elle, sa
définition la plus sûre : il appartient à un espace !
- dans l'autre cas, c'est un corps plutôt de formes et d'odeurs qui
a une fonction de passeur. L'individu doit franchir la journée sans
qu'aucuns regards extérieurs puisent déceler ses faiblesses
physiques et physiologiques. C'est un corps qui lutte contre ies
heures : il appartient à un temps !
Cependant et même au village, le corps comme outil et force de production ou
le corps comme moyen de représentation sociale, ne sont jamais séparés. Seules
les conditions économiques, sociologiques ou symboliques (religieuses par
exemple), peuvent accentuer l'un ou l'autre des deux aspects. Mais, ils sont
d'autant moins antinomiques que ce sont les deux fonctions principales du
corps : "le premier et le plus naturel objet technique et en même temps moyen
technique, de l'homme" (A).
Par ces deux états indissociables, le corps est essentiellement reconnu en
tant que moyen de relation entre l'homme et :
- l'autre, le voisin parce qu'il ne peut se penser et se vivre que
dans (le corps de la mère) et par le corps d'autrui ;
- l'environnement ordinaire de sa vie parce qu'il est une surface où
s'enregistrent sensiblement les composantes de la nature
(domestiquée ou non, sociale ou géographique) et du cosmos. Par
exemple, chez les agriculteurs, toute la gestuelle de travail qui
permet d'optimiser le rendement du corps-outil et en même temps de
l'économiser comme force énergétique (5), inscrit la géologie, le
relief, le climat, les saisons, etc. en techniques corporelles qui,
comme le résume M. MAUSS sont "des montages physio-psychosociologiques de séries d'actes" (4) ;
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- sa société d'origine, car il est investi par les croyances et les
représentations symboliques, sociales, religieuses, légendaires ou
mythiques par lesquelles elle définit la condition humaine.
Rappelons en simple illustration de notre propos, un exemple proche de nous.
Dans la religion catholique, le croyant nourrit du corps eucharistique,
cherche à s'assimiler au corps du Christ, c'est-à-dire à un corps glorieux et
surtout, éternel.,Le corps de chair -celui que la mort paut atteindre- est
délaissé car il devient un frein à l'aspiration religieuse. Le croyant perd
son corps individuel au profit de celui de l'Eglise qui jusqu'à maintenant,
l'a revêtu de représentations pessimistes (le corps poussière, putride,
pourriture) afin de mieux contrôler et le guider dans cette voie.
Dans ce contexte, nous pouvons définir le corps "comme une partie du monde qui
donne existence au monde", en généralisant l'expression de M. BERNARD qui
n'avait voulu décrire qu'une des expériences du vécu corporel (6). Il est
pouvoir sur le visible et l'invisible qui entourent l'homme. Mais sa position
est fragile car il est en même temps, l'endroit par où cet environnement a
prise sur l'individu. Cette situation carrefour le rend particulièrement
vulnérable (mal, maladie, accident, difformité) et nécessite sa surveillance
constante à la fois par la personne et par la société (même par média et
publicité interposées).
LE CORPS AGRESSE
Qu'il soit de culture urbaine ou rurale, l'homme perçoit toujours son
environnement comme étant globalement "en attache" avec son corps. Le paysage,
les parcelles cultivées, l'aire villageoise, les zones frontalières, l'espace
météorologique et planétaire (la lune), l'espace légendaire et religieux ne
sont plus aujourd'hui conçus comme le double ou le prolongement de l'organisme
humain. Sauf pour des petits groupes d'adeptes des sciences parapsychologiques
ou paramédicales, le corps n'est pas un microcosme en correspondance avec un
macrocosme.
Dans les savoirs du plus grand nombre concernant l'hygiène corporelle et
vestimentaire, les règles alimentaires, l'étiologie et la nosographie des
maux, les pratiques thérapeutiques (végétales, magiques, religieuses,
empiriques, savantes), l'environnement sert en quelque sorte de référant
naturel au corps. Parce qu'il est positionné par son corps, au plus près des
frontières entre le social et la Nature, l'homme prend ainsi, les dimensions
de sa situation ordinaire par rapport à ce qu'il vit, sait et surtout, ressent
de ce qui l'entoure et notamment, de l'au-delà de son environnement quotidien.
Cette situation ne renvoie me semble-t-il, à rien d'autre qu'à la propre
définition de la condition et de l'existence humaines. L'agriculteur, mais
aussi le Villageois qu'il soit résidant permanent ou non, perçoivent
parfaitement bien ce système "d'attaches", même si leurs connaissances ne sont
jamais réunies en un véritable savoir oral constitué. L'étiologie populaire
des maux constitue l'un des lieux privilégié de l'expression de ces
connaissances. Dans la société rurale du Jura méridionaloù nous avons mené une
recherche ethnographique entre 197A et 1985 (7), on peut dire que l'homme
redoute une trentaine de maux dont parlent abondamment les médecines à base
végétale et à caractère magique dont il s'est doté à côté des recours à la
médecine savante (médecins généraliste et spécialiste, pharmacien, etc.). Nous
trouvons :
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- les accidents : ecchymoses et plaies de toutes sortes, luxation et
foulure, piqûres d'insectes et d'épine végétale ;
- les maux : saignements de nez ; maux de ventre et coliques
(diarrhées) ; crise de foie, maux de dents, de gorge et d'oreilles ;
abcès, furoncles, verrues et eczémas ; rhume, toux, bronchite et
congestion pulmonaire ; affections des yeux ; rhumatismes et lumbago
; les vers et toutes les fatigues du corps regroupées sous le titre
générique "d'anémies".
A chacun de ces maux est attribué simultanément une explication biophysiologique et une cause sociale clairement explicitée par le patient qu'il
soit homme ou femme, adulte ou âgé.
Nous pouvons regrouper ces maux en trois classes nosographiques qui en même
temps que les attaches corps-environnement, nous montrent trois modes de
circulation du mal.
- les maux du chaud (epistaxis, tension vasculaire).
La circulation du sang est déviée de ses cours habituels sous l'influence
d'agents extérieurs qui exercent leur force sur le corps. Les saignements de
nez sont en général provoqués par un coup consécutif à un heurt ou au soleil.
Mais l'exposition au soleil n'a pas d'effets automatiques car il faut que le
corps soit mis dans un double défaut de protection : négligence vestimentaire
(absence de chapeau adapté) et erreur technique comme le non respect des
heures de travail. Le soleil zénital est particulièrement redouté des
agriculteurs, notamment en été où ils sont occupés par les gros travaux de
fenaison ou de moisson : celui qui travaille entre midi et le début de
l'après-midi, est ouvertement critiqué. Le soleil frappe la tête dénudée et
comme une pompe, attire le sang dans cette partie du corps, risquant de
l'étouffer par saturation. Ainsi, dans le premier temps, les saignements de
nez sont bien accueillis car ils évacuent le trop plein de liquide et
débarassent le front où ils sont censés s'entasser, de tous les caillots qui
sont la preuve "solide" de la congestion sanguine. Lorsqu'ils durent, ils
deviennt effrayants parce qu'ils vident le corps de son liquide vital. Toute
une médecine d'urgence est mise en oeuvre : végétale d'abord, avec l'Achillée
millefeuille (Achillea millefolium L.) fraîche et écrasée en bouchon nasal ou
avec la prêle (Equisetum arvense L.) séchée et réduite en poudre pour être
inspirée ; empirique ensuite, avec le trousseau de clefs apposé sur la nuque,
le gant de toilette mouillé sur le front ou encore, la tête tenue renversée en
arrière.
La tension se perçoit selon un mécanisme pratiquement analogue. Dans ce cas,
le sang est moins "attiré" que "bondensé" sous la peau : un visage sanguin est
signe infaillible de tension. Mais l'interprétation ordinaire, lie la tension
au système nerveux. En effet, ce n'est pas le soleil qui agit ici, mais une
situation d'angoisse née d'un état d'échec familial ou d'un manque de réussite
professionnelle. Bref! Le sujet "se fait beaucoup de soucis" qui font perdre
aux nerfs leur élasticité naturelle : ils sont tendus et gonflés. Ils sont
"ankyloses" et comme une masse dure, compriment le sang vers la surface de la
peau. L'anxiété exerce une action identique à celle du soleil : elle produit
de la chaleur interne -"celui qui n'est pas à son travail" transpire beaucoup
et se fatigue vite- qui raidit les nerfs, refoulant le sang parce que les deux
appareils sont repérés comme étant organiquement associés.
- Les maux du froid (maux de ventre, de dents, des yeux, des
oreilles, des reins, rhumatismes).
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Tous ces maux apparaissent dans un corps "qui a pris froid". Cette notion est
particulièrement bien perçue par les savoirs ordinaires tant naturalistes que
médicaux. Ils différencient le froid qui "frappe" du froid qui "tombe".
Le premier est pratiquement toujours marqué par une qualité et une morphologie
: il est sec et circule constamment. C'est le froid des "courants d'air" qui
soufflent le long des "couloirs de vent" dont la topographie communale est
connue de chacun. Au cours de cette circulation permanente, il agresse tout
corps qui s'est placé par erreur ou par oubli sur l'une de ses multiples
trajectoires : par exemple, être en défaut vestimentaire en se mettant torse
nu pendant un effort physique ou encore, se placer en défaut de posture
corporelle comme s'asseoir pendant une pause dans un endroit "où ça souffle"
(8). Il pénètre littéralement les parties corporelles les plus exposées : le
ventre, les reins, la bouche, les yeux et les oreilles. Le mal tel une force,
va tarauder le corps à la manière du ver qui dans les croyances populaires,
ronge la dent (9). A l'intérieur de l'organisme, il agit en liquéfiant, en
diluant la chair, les muscles et les nerfs. Le froid produit de l'eau : les
diarrhées qui comme l'urine dans les reins "bloqués, ballonnent" l'estomac à
l'égal d'une poche élastique pleine d'eau ; la salive qui "bave" de la bouche
douloureuse par la dent "énervée" ou par les aphtes "brûlantes" ; les oreilles
qui coulent et les yeux qui "pleurent" une eau qui ne saurait être des larmes
puisqu'elle" n'est pas salée" comme nous le disait il y a quelques années un
agriculteur du Bugey. Si le patient ne trouve pas le moyen d'arrêter cette
dissolution, "le mal va arriver au sang" que l'on craint de voir dans les
coliques, la salive, au creux du tympan ou au coin de l'oeil.
L'eau ainsi produite libère et entraine le sang selon un mécanisme qui est
plus de l'ordre du vécu que du perçu. Qoui qu'il en soit, chacun de ces maux
ravive l'un des plus grands effrois de l'homme : l'hémorragie qui vide le
corps du seul liquide considéré par tous comme vital. Mais avant d'en arriver
à cette extrémité, l'afflux local d'eau qui ne fait plus "sentir" la
consistance et la vie propre de l'organe malade, provoque une sorte d'angoisse
de le voir s'évacuer au-delà de l'enveloppe charnelle.
Contre ces maux, il existe une pharmacopée végétale variée qui à part une
demi-douzaine de plantes : Anis, Bleuet (Centaurea cynus L.), Encens, Maïs
(Mays), Tabac (Nicotiana tabaccum), Plantain (Plantago major L.), conserve
toute son actualité dans les familles du Bugey : Arquebuse (Artemisia
abrotanum L.), Bouillon blanc (Verbascum phlomoïdes), Camomille, Cerisier
(Cerasus vulgaris), Genévrier (Juniperus communis L.), Herbe de chartreuse
(Mentha viridis L.), Herbe d'Epervière (Hieracium pilosella L.), Ortie (Urtica
dioca L.), Tilleul, Vigne (Vitis vinifera). Par macération ou par tisane, elle
intervint dès la constatation visuelle ou orale de la faute ou de l'erreur de
comportement : donc, bien avant l'apparition des premiers symptômes (10).
Le froid qui s'abat sur l'homme est l'opposé du premier : il est humide et
géographiquement localisé. Il est lié aux variations de densité de l'éclairage
naturel : les zones d'ombre produisent et conservent l'humidité.
Cependant, il faut distinguer deux grands types de zones productives : le lieu
géographique et "l'endroit" parfaitement circonscrit. Il y a d'abord, les
lieux historiquement humides : fonds de cluses jurassiennes, étendues
marécageuses, etc. Ils génèrent invariablement un état rhumatismal quasi
endémique que les voisins de ces lieux de certains villages de ces vallées
fluviátiles, désigne -où plus exactement, désignait il n'y a pas si longtemp
encore- "un corps pas sain" qui tôt ou tard, souffrira et transmettra des
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douleurs paralysantes : ce qui n'allait pas sans conséquences sur les
alliances matrimoniales.
Les rhumatismes sont suffisamment redoutés par les agriculteurs pour qu'ils
soient l'un des rares maux pour lesquels ils recourent à une pratique
thérapeutique préventive peu usitée dans les villages : le bracelet magnétique
(ionisé) vendu maintenant en pharmacie, sur les marchés et les foires et par
correspondance. D'un autre côté, chque familles ou presque, connaît et possède
au moins cinq plantes médicinales appropriées : les racines de Chardon
(Erryngium campestre L.), les fruits du Marronier (Aesculus hippocastanum L.)
que l'on porte dans sa poche, l'Ortie, la Prêle et les feuilles de Saule
(Salix alba L. ou Salix vitellina L.). Les deux dernières sont encore de nos
jours fréquemment consommées en tisanes
La crise rhumatismale installe le corps dans une sorte d'impuissance physique.
La douleur lancinante qui ne laisse aucun répit -il ne sait pas où se mettre
pour être bien!- sans pour autant que la gravité des symptômes soit
suffisamment forte pour "tenir couché son homme". Le corps est devenu inutile
: il peut se mouvoir mais ne peut plus travailler. L'agriculteur "n'est plus
bon à rien". Mieux que tous les autres maux, les rhumatismes montrent à
l'homme, la fragilité de sa position dans l'environnement. Ils représentent le
débordement de l'espace à la fois matériel et symbolique (météorologique),
dans le corps humain.
Un second type de froid est lié à une humidité toute aussi menaçante : l'ombre
végétale avec notamment, celle du Noyer (Juglans regia L.) traditionnellement
planté en bordure de parcelle en Bugey, et plus généralement, celle de tous
les arbres au moment où "la sève monte" (printemps). S'exposer à ce froid,
c'est encourir pratiquement tous les maux précédents avec cependant, un risque
plus accru et plus systématique pour les maux de ventre . Ici, il ne provoque
plus de diarrhées (liquidité des selles) mais des coliques qui "piquent"
l'abdomen et s'écoulent "en faisant de l'eau". Le principe du mal (le froid)
agit suivant un mécanisme quasi fluidique. En effet, entre la floraison et la
formation du fruit, le noyer est conçu comme étant plein d'un liquide dont la
composition oscille entre l'eau et le lait (visible dans la noix verte). Ce
liquide diffuse un froid qui se "pose" sur le ventre comme si c'était son
terrain naturel. Il s'infiltre dans l'estomac en liquéfiant encore une fois la
matière, mais d'une manière plus radicale. Il la dilue totalement puisque
maintenant, l'estomac ne rend que de l'eau qui représente parfaitement la
forme concrète visible et effrayante de ce mal. On utilise pourtant la même
pharmacopée à laquelle on adjoint quelques pratiques empirique : la bouillote
d'eau chaude recouvrant la partie abdominale se coucher "en travers du
traversin" surtout pour l'enfant qui ne supporte pas la bouillote. Le patient
adulte "coupe" la matinée et l'après-midi, avec un petit verre de "gnôle" qui
"tue" le mal de ventre (11). Chaque fois l'objectif est le même. La tisane
aidée par ces techniques internes ou externes, est destinée à réchauffer le
ventre pour juguler l'action abrasive de l'eau froide. Dans l'image-croyance,
l'opération s'assimile à une cuisson qui fait "épaissir" en quelque sorte,
l'eau et transforme les coliques en matière solide.
- les maux du sale (furoncles, orgelets, eczéma, verrues, etc.). Ce sont
toutes les maladies de la peau qui parce qui parce qu'elles s'écorchent et
s'infectent, privent temporairement le corps de l'un de ses organes principaux
: les mains, les pieds ou les yeux. La cause sociale de ces maux est sans
conteste le contact avec un objet sale. Si cette notion ne peut pas être ici,
explicitée dans son entier, il faut par contre noter qu'elle relève également
des principes de l'humide et du sec. Par exemple, un verre recouvert de
poussière ne sera pas jugé comme sale alors qu'il le sera, s'il présente des
traces de tâches de vin ou de terre. Autre exemple ; la poussière de foin
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(grange, pénombre, sèche) n'est pas sale contrairement à celle de l'étable
(ombre, fermée et humide). C'est pourquoi, on a l'habitude de laisser les
toiles d'araignées qui aspirent au plafond, les résidus des litières : ainsi
fixés, ils deviennent une poussière sèche et l'étable, un lieu propre.
Là encore, le corps s'est mis en erreur ou en défaut technique de manipulation
des outils et des objets domestiques. C'est la brèche par où s'engouffre
l'irruption de verrues ou de furoncles. L'abondante pharmacopée : Blé
(Bladum), Bleuet, Buis (Buxus sempervirens L.), Herbe à verrue (Chelidonium
majus L.), Joubarbe (Sempervivum tectorium L.), Lin (Linum usitatissimum) ou
(Linee catharticum L.), Lys (Lilium candidum), Millepertuis (Hypericum
perforatum L.), Rue (Ruta graveolens Mill.), est accompagnée de diverses
pratiques empiriques préventives. Exemple : faire percer les oreilles aux
petites filles plus sujettes aux orgelets (yeux) que les garçons (12).
Au terme de cette rapide typologie qui n'a d'autres fonctions que celle
d'ordonner les maux que l'homme redoute au jour le jour, nous pouvons faire
quatre remarques qui précisent les relations du corps à son environnement :
1 - avant d'être un symptôme organique, la verrue ou le mal de ventre est la
matérialisation corporelle d'une force extérieure particulièrement bien perçue
puisqu'elle est décrite comme "frappant" ou "percutant" le corps humain ;
2 - cette force n'est pas concrétisée sous la forme d'une énergie ou d'une
entité personnalisée. Elle réside dans l'environnement (et plus précisément,
dans sa partie invisible) dont elle constitue une partie de sa matière et une
composante de sa nature ;
3 - elle agresse le corps dès que celui-ci se place en défaut de protection.
Il serait plus exact de dire : dès que l'homme commet une erreur ou un oubli
dans la gestion quotidienne des relations de son corps avec l'environnement.
Dans le premier temps de l'événement, la maladie est toujours de la faute du
patient. D'ailleurs, son entourage familial qui participe toujours à la
recherche des causes, lui répétera et quelques fois durement, sa négligence.
Il lui signifie qu'en aucun cas, il n'est concerné "dans ce qui arrive" ;
A - enfin, cette force a une intensité, une gravité qui dépassent largement
celle du symptôme visible qui est plutôt, le marqueur de son impact sur le
corps. Elle le pénètre et progresse à l'intérieur de l'organisme jusqu'à sa
destruction complète. Les maux même bénins, ouvrent la perspective à terme de
la mort biologique.
LE SOUCI DE LA DIGESTION
Chaque secteur de la médecine "populaire" (au sens du plus grand nombre)
repose sur une connaissance anatomique de l'organisme humain, partagée aussi
bien par les patients et les thérapeutes que par ceux qui vivent autour des
guérisseurs. Elle n'est pas constituée en un savoir qui peut exposer un
développement homogène. Ce genre de discours ne se rencontre guère que chez
les thérapeutes ayant fait le passage à une pratique uniquement
professionnelle (13). Ils en ont besoin pour des raisons techniques et
commerciales. Ou alors, à l'autre bout de la châine, chez ce genre de patients
fi/i
qui font de leur rapport à leurs maladies et aux thérapeutes, un véritable
style de vie, une sorte de comportement existentialiste.
De manière ordinaire, le savoir du corps se dessine plutôt en filigrane entre
les pratiques de moins en moins collectives de prévention (savoirs
naturalistes et météorologiques, préceptes proverbiaux, calendrier religieux,
etc.) ; les recettes et les remèdes familiaux ; les rituels thérapeutiques et
ne l'oublions jamais, les conceptions et les interprétations de la médecine
savante, construites au gré de la fréquentation de plus en plus courante des
médecins généralistes et hospitaliers, représentants locaux de l'université.
Les connaissances ordinaires concernent essentiellement la structure
physiologique de l'organisme humain. La constitution ostéologique, biologique
et psychologique sont hier comme aujourd'hui connues, sans pour autant faire
l'objet d'un intérêt particulier. Il semblerait même que dans la
représentation de leur fonctionnement, elles soient rapoportées au
physiologique. Les interprétations de certains accidents corporels le laissent
entrevoir. Ainsi, si l'entorse est bien reconnue comme n'étant ni une fracture
ni un déplacement des surfaces articulatoires, elle est pratiquement toujours
définie comme "un croisement des nerfs". Et, de manière plus précise encore,
comme des nerfs qui se "tordent" non seulement entre eux, mais également avec
les veines qui se superposent à eux. L'entorse est liée au sang et nombreux
sont ceux qui aujourd'hui, craignent encore la formation de la poche de sang
qui "gonfle" la cheville ou le poignet. Autre exemple tout aussi significatif
mais pris dans les représentations de la constitution psychologique : les
systèmes d'explication du handicap mental mettent en rapport l'appareil
sanguin et le cerveau. Il serait une mauvaise irrigation voire une rupture des
vaisseaux sanguins. Tout se passe comme si le handicap mental vide la tête du
patient de son sang où l'empêche constamment de "monter au cerveau". On dit du
handicapé qu'"il est toujours tout pâle".
En Bugey comme dans le Morvan, le tableau des plantes médicinales susceptibles
d'être récoltées pour fabriquer des remèdes familiaux, confirme pleinement la
préoccupation centrale du physiologique. Parmi les 52 plantes les plus souvent
citées et utilisées (7) :
- 14 plantes servent essentiellement à désinfecter, cicatriser et panser les
contusions, foulures, plaies et autres piqûres animales ou végétales. Une
partie d'entre elles, soignent également les eczémas, les verrues, les dartres
et autres maladies de la peau qui gênent considérablement les mouvements du
corps : Arnica (Arnica montana L.), Arquebuse, Blé, Buis, Chêne rouge (Quercus
pedonculata Eh.), L'Herbe à verrue, Joubarbe, Lys, Millepertuis, Plantain,
Pomme de terre, Rue et Tilleul ;
- 25 plantes permettent de confectionner les tisanes (15) et les macérations
souvent alcoolisées destinées autant (sinon plus) à la prévention qu'à la
guérison des maux affectant les organes du système digestif : Ail (Allium
sativum), Anis, Arquebuse, Benjoin, Bouillon blanc, Camomille, Centaurée,
Cerisier, Chêne (Quercus robur), Encens, Genévrier, Herbe de Chartreuse, Herbe
d'Epervière, Maïs, Mélisse (Melissa officinalis L.), Menthe, Noyer, Ortie,
Prunelle (Prunus spinosa L.), Rue, Tabac, Tilleul, Verveine (Verbena
officinalis L.), Mercuriale vignette (Mercurialis perennis L.) Vigne ;
- 15 plantes enfin sont requises pour réduire toutes les affections du sytème
pulmonaire. Tisanes, macérations et applications (cataplasmes) doivent éviter
que les rhumes, les bronchites, les maux de gorges, les chaud-et-froid et les
angines "se portent sur la poitrine". Où lorsque l'on a trop attendu, elles
doivent soulager et "désencombrer" la poitrine qui est alors, "prise et
65
serrée" : Ail, Avoine (Avena sativa), Betterave (Beta vulgaris), Bouillon
blanc, Bourrache (Borrago officinalis L.), Crocus (Crocus albiflorus L.), Lin,
Mélisse, Menthe, Poivre, Ronce (Rubus fruticossus L.), Sureau (Sambucus nigra
L.), Verveine, Vigne et Violette (Viola odorata L.).
Cet inventaire sommaire souligne assez bien les grands traits de l'image
anatomique du corps humain qui traverse non seulement tous les savoirs
médicaux propres ou non à la culture rurale, mais plus généralement, tous les
rapports de l'homme à son corps et de son corps à l'environnement. La
représentation de l'organisme humain se constitue sur deux parties
indissociables.
D'abord, un corps externe fait de quatre parties :
- l'épiderme pour qui l'on craint surtout les accidents, les hématomes et les
traumatismes ;
- les quatre membres avec une attention plus soutenue pour les mains et les
pieds que l'on redoute de voir immobilisés par les blessures ou les piqûres
d'animaux, mais surtout par les irruptions de tumeurs bénignes (verrues,
dartres), de lésions cutanées comme l'eczéma ou encore, de dermatoses variées
(gales de certaines terres) ;
- la tête et peut-être plus particulièrement les yeux (orgelets, verrues,
conjonctivites, irritation de l'iris, abcès aux paupières, etc) qui font
l'objet d'une vigilance constante.
Ensuite, un corps intérieur qui résulte de l'assemblage des systèmes
respiratoire et digestif, à l'exclusion de tout autre. Le premier n'est pas la
combinaison des dispositifs nasal et pulmonaire. Le nez et ses affections (mis
à part l'épistaxis) ne font pas l'objet d'une pharmacopée spécifique. Par
contre, la poitrine est le support de la représentation de l'appareil
respiratoire car elle est comprise comme l'ensemble solidaire des poumons et
des côtes. Lorsque l'air vient à manquer sous l'effet d'un effort physique
violent (le point de côté) ou d'une maladie (inflammation, irritation, simple
rhume) qui obstrue en partie l'appareil, il y a compression des côtes et des
poumons : "ça serre de partout au milieu et sur les côtes!" La douleur
diagnostique la congestion pulmonaire. Par conséquent, pour soigner l'appareil
respiratoire, on traite la poitrine notamment par une médication externe comme
le cataplasme de farine de lin ou "la couche de Vicks) (16) qui va "dégager le
nez" pendant le sommeil du patient. Une commerçante (47 ans, 1984) nous dit
que le lin chaud "fait comme quand on éponge de l'eau" : il soutire le mal que
l'on jettera avec le cataplasme (17). Mais là encore, l'action du remède ne
s'arrête pas à ce soin car il insuffle en même temps, de la chaleur à
l'intérieur de la poitrine. Il semble alors que ce soit ce mécanisme
énergétique qui "desserre" les poumons de la cage thoracique.
La perception anatomique du système digestif est sans doute la plus élaborée.
Le dispositif manducatoire (maux de bouche, de dents et de gorge), le foie le
rectum, l'estomac, le rectum (les coliques) et le dispositif urinaire
(rétention, maux de reins) sont affiliés en un bloc non morcelable. La
représentation les réunit sans organes intermédiaires ni hiérarchie autre
qu'une disposition verticale. Que l'un soit affecté et c'est l'ensemble qui
"se détraque". Par exemple, une violente rage de dent qui met le corps à la
diète, peut lors de la réalimentation, déclencher des coliques épisodiques et
jugées bénignes : "c'est la fin du mal", dira-t-on!
66
Mais l'appareil digestif comprend également le système sanguin ou plus
exactement le sang en tant que liquide dont la quantité est aussi vitale que
la qualité de sa substance. En effet, la pharmacie familiale connaît quelques
plantes administrées pour "redonner de l'appétit". C'est le cas de la feuille
de noyer infusée en tisane, de l'Ortie cuisinée en soupe ou en gratin, ainsi
que d'un nombre important de salades cultivées (la mâche) ou non (le
pissenlit). Or, toutes ces plantes ne reconstituent à proprement parler ni le
poids ni les forces du corps. Elles sont employées uniquement pour leur action
dépurative notamment du système sanguin. La salade par exemple, est "un
dégraissant" qui se mange en milieu de repas : elle dissout les graisses
qu'une trop grande consommation de viande accumule dans la chair, les muscles
et plus dangereux, dans le sang. En conséquence, un corps qui ne profite pas
est un organisme dont le sang est saturé d'impuretés, d'ailleurs, celles-ci
sont bien repérables car elles sont à l'origine des efflorescences
boutonneuses (points noirs, boutons blancs, acnés divers) qui disgracient le
visage. Il faut donc que le corps absorbe régulièrement de la nourriture : un
excès ou un défaut nuit pareillement à l'appareil digestif. Pour sa défense,
la meilleure protection est encore de fonctionner en permanence et avec
régularité. D'où la place faite dans la cuisine de la maison rurale, aux
préparations qui ouvrent l'appétit. En Bugey, la plus répandue est "le vin de
noix" (18), suivi par "le vin de pêcher" (macération de feuilles de pêcher
dans du vin blanc). Ces alcools ne sont pas des apéritifs car ils ne se
consomment pas automatiquement en début de repas. Ils sont fabriqués pour
mettre le corps en disposition de manger. Pour la même raison, ils adressent
indifféremment aux organismes en état de faiblesse ou aux corps invités qu'ils
accueillent à la table familiale.
L'homme peut également perdre l'appétit en d'autres occasions. L'une d'entre
elles, la plus surveillée, est l'action des vers intestinaux surtout sensible
chez le jeune enfant et l'adolescent. Le refus de nourriture accompagné de
démangeaisons répétées du nez et de l'anus, constituent les symptômes
annonciateurs. Trois types de remèdes sont administrés en tisanes, macérations
ou simplement mâchés : des vermifuges (Ail, Benjoin, Vigne), des purgatifs
(feuilles de Chêne, Rue et Vignette) et des sirops achetés en pharmacie. Ils
permettent d'expulser ces vers en les piégeant en quelque sorte dans un type
de selles "molles et marrons" qui ne font pas en coliques ou en diarrhées. Ces
plantes nettoient l'estomac et en même temps, le sang car les parasites
(Oxyures, Ascarides, etc) prolifèrent dans les déchets de l'un et de l'autre.
La pourriture engendre toujours la vie qui est prête à se développer même au
détriment d'une autre vie. Aussi, il faut éviter l'amoncellement des détritus
organiques en administrant par exemple, une purge à chaque renouvellement de
la lune. Date importante du calendrier car en psychopompe, elle favorise le
développement physique de tout être organique : la purge enraye cette
croissance exubérante. Par conséquent, les bonnes qualité et quantité de sang
(et moins sa bonne circulation qui demeure pourtant un souci constant) sont
une garantie du bon déroulement de la digestion stomacale.
Qoui qu''il en soit, la bouche, le foie, l'estomac, le rectum, le dispositif
urinaire et le sang sont reliés non pas physiologiquement, mais de façon
mécanique. Ils sont assemblés par la force physique que dégage le travail
interne de digestion et de respiration.
Et, il en est de même dans la perception globale du corps. Ce que nous avons
appelé "le corps externe" et "le corps interne" sont indubitablement ajustés
par leurs fonctions tant de protection et de représentation sociale que de
digestion et de respiration. Le corps existe comme organisme humain par cette
production simultanée de mouvements fonctionnels.
67
La notion "d'attaches fonctionnelles" entre les deux parties corporelles, les
organes entre eux, le corps et l'environnement, semble être au coeur des
sytèmes de représentations et de savoirs du plus grand nombre sur l'anatomie
humaine.
VEILLER L'INSTABILITE
L'une des conditions de l'existence humaine repose sur la conception d'un
environnement -celui de tous les jours- attaché au corps. Cette position
obligée aux limites du visible et de l'invisible qui lentourent, donne à
l'homme les comportements et les attitudes par lesquels il se présente et
représente le social et sa place dans la société.
Les modalités d'attachement sont donc un système d'échanges qui est toujours
jugé dangereux. La perception du dispositif digestif que nous venons de voir,
en est la preuve concrète. D'ailleurs, elle est confirmée par les savoirs et
les règles de l'hygiène alimentaire. Sans pouvoir développer ici, l'analyse
des usages alimentaires en milieu rural, il faut mentionner le principe
fédérateur : la peur du vivant. Tout est fait pour ne pas consommer la moindre
parcelle de vivant dans sont porteurs les végétaux cultivés ou non, et "a
fortiori", les animaux domestiques ou non. Deux prescriptions alimentaires
permettent d'appréhender les caractéristiques du vivant : éviter
impérativement d'ingurgiter des produits "frais" (venant d'être récoltés ou
fabriqués) et non encore formés (les végétaux encore "verts") (19). Il faut
les soumettre à une technique de séchage avant de les entreposer et de les
cuire : séchage par le vent (récoltes de pommes de terre, de blé), par le sel
(saloir du cochon, par le sable (les carottes, les betteraves), par la
stérilisation (bocaux de haricots) ou maintenant, par le froid (le
congélateur). Assimilée à un véritable lavage, cette opération débarasse les
produits de tous les caractères rappelant leur nature initiale, sauvage : le
trop plein d'eau, la luxuriance de la couleur verte, 1'apreté de la saveur (le
gout de terre), les insectes parasites et s'il y a lieu, les germes de
fécondité. Le vivant est l'excessif, la profusion dans un végétal qui
visiblement, a toutes les difficultés à le contenir. Bref! Tout ce qui risque
de déborder et se répandre une fois libéré par exemple, par la digestion de
l'aliment. Consommer ou produire de la vie, c'est laisser envahir son corps
par des organismes obligatoirement prédateurs : la mort biologique est au bout
de la perspective.
Les usages alimentaires, les pratiques médicales familiales, la pharmacopée
végétale, les connaissances ordinaires en anatomie humaine, les savoirs sur le
mal et le malheur, mettent en relief les deux logiques qui d'abord, les
constituent en système de pensée et ensuite, traversent les liens de
l'environnement au corps : celles du chaud et du froid, d'une part et d'autre
part, du sec et de l'humide. Avec ces principes élémentaires, l'homme
différencie les lieux et les temps de son espace quotidien de vie. Il le
découpe comme nous l'avons vu, en endroits où l'ombre humide froide s'oppose à
la lumière sèche et chaude, en zones de "courants d'air" dont "il faut se
méfier" ou encore, en moments qui évaluent la force des astres (soleil, lune)
sur le corps. Et, en fonction du type d'activités et du mode d'emploi du corps
(outil, énergie, objet de représentation), l'homme -s'il ne commet ni erreur
ni faute techniques- peut le faire évoluer à l'abri de toute agression de la
maladie (les maux de ventre, de dents, etc).
68
Toujours avec les mêmes principes symboliques, l'homme classe les végétaux,
les minéraux et les animaux constitutifs de son espace. Les plantes
médicinales en apportent une bonne illustration. Pour repérer les savoirs
naturalistes et médicaux, plusieurs classifications ont été proposées à partir
des techniques de cueillette (calendrier religieux ou agricole), des règles de
préparation (symboliques, magiques, religieux, etc), des propriétés
thérapeutiques admises ou encore, des caractères botaniques (couleurs, odeurs,
formes, etc) attribués et reconnus par le groupe.
Nous ne discuterons pas ici la pertinence de chacune d'elles, préférant
remarquer qu'avant d'être classées en genre et type de quelque nature que ce
soit, les plantes médicinales comme tous les autres végétaux, sont insérées
dans une hiérarchie première reposant également sur les rapports du sec et de
l'humide, de l'ombre et de la lumière.
Sur ce point, le Bugey est exemplaire avec ses falaises calcaires arides et
ses dépressions marécageuses aux creux des plateaux ou aux fonds des vallées.
La récolte des plantes obéit à la dichotomie du haut et du bas. Tout ce qui
pousse sur le calcaire est d'autant "meilleur" que les obstacles climatiques
et pédagogiques de croissance sont nombreux. Ronces, Prêles, Orties, Chardons,
Genévriers, Prunelles, etc y poussent lentement, gage de leur robustesse
future. La texture ligneuses est "nerveuses" car elle est vide de toute eau
superflue qui dilue d'autant ses composants pharmaceutiques. Enfin, le libre
contact avec les éléments naturels (vent, soleil, pluie) qu'aucune ombre ne
vient perturbé, suscite un développement bien proportionné des tiges, des
feuilles et des fleurs. Sur les hauteurs pierreuses, les plantes médicinales
ne peuvent être que bénéfiques contrairement à celles des basses terres où
elles poussent trop vite, se gorgeant d'eau qui les rend "molles" et dont
l'éclatement des formes, des couleurs et des odeurs, ,entraine la confusion
des espèces. Ces plantes sont dangereuses car elles trompent le cueilleur et
le patient.
A côté de cette hiérarchie verticale, il en existe une seconde plutôt
horizontale et reposant toujours sur les mêmes principes symboliques, les
aires habitées par les hommes et aménagées pour leurs activités, sont toujours
vécues comme étant des surfaces assainies à l'opposé du reste du territoire
cultivé ou non et qui peu ou prou, relève de l'humide. Un carrefour de chemins
de terre construit un lieu où il suffit d'entreposer la machine agricole ou le
bois de chauffage, pour qu'ils soient "au sec". Aussi, cueillir de la Menthe
au bord d'un ruisseau qui traverse ou borde immédiatement l'espace villageois,
c'est récolter une plante qui possède les mêmes qualités naturelles que celle
trouvée sur le calcaire.
Par conséquent, si le savoir naturaliste localise parfaitement les plantes
médicinales dans leurs biotopes d'origine, il se les approprie à travers une
répartition géographique et d'abord, symbolique. Celle-ci n'exclue d'ailleurs
pas une réalité empirique sous-jacente. L'expérience a démontré que le bois de
chauffage est d'un meilleur rendement calorifique lorsqu'il est coupé sur des
parcelles "empierrées", au sol pauvre.
Donc, elles sont bénéfiques, pures voire lumineuses -qualificatif trèsfréquent pour le Millepertuis- lorsqu'elles sont associées à un lieu sec,
pierreux et en hauteur. A l'inverse, elles seront plutôt maléfiques, impures,
sombres lorsqu'elles proviennent d'endroits humides et nauséabonds (impurs?).
69
Cette symbolique tient la plante de part et d'autre de l'invisible et du
visible. Elle se prolonge dans le remède dont l'efficacité opère suivent deux
mécanismes simultanés :
1 - un traitement thérapeutique par lavage du mal qui est ensuite évacué
naturellement hors du corps (déjections fécale et urinaire, transpiration,
vomissements). Pour qu'elle soit suffisamment "détergente", il faut une plante
dont la concentration des propriétés pharmaceutiques soit au maximum de ses
potentialisés végétales ;
•>
2 - un important apport de chaleur à l'appareil organique malade. C'est la
condition semble-t-il nécessaire pour le remettre en état de fonctionner (20).
La plante doit impérativement participer du sec et de la lumière : deux
qualités productrices de l'énergie chaude.
Nous conclurons cette modeste ethnographie des savoirs anthropologiques du
plus grand nombre, en retenant deux aspects importants des connaissances
déployées.
Le premier sur lequel nous avons longuement insisté : une fascination pour le
processus de la digestion. La cuisine, la médecine familiale et spécialisée,
l'habillement, certaines pratiques religieuses, les postures et techniques
corporelles de travail et de sociabilité, les savoirs naturalistes et
cosmiques sont au village (et ailleurs) orientés plus ou moins directement
pour combattre, faciliter ou surveiller l'appareil digestif dans son entier.
Et, parce qu'elle mélange les aliments en combinant immanquablement les
qualités et les dangers de la Nature, la nourriture est toujours vécue comme
une menance. Elle est la métaphore concrète de l'instabilité et de l'ambiguïté •
des relations symboliques entre le corps et l'environnement.
Pour comprendre le second, il faut revenir à l'usage familial des remèdes. En
Bugey, et par rapport au nombre connu, peu de plantes médicinales sont
aujourd'hui (comme hier) récoltées et préparées pour la pharmacie de la
maison. Seule une petite quinzaine de plantes continue d'être soigneusement
ramassées et séchées pour confectionner une médecine essentiellement
préventive de la digestion et de la fatigue physique du corps : Arnica,
Arquebuse, Cerisier, Genévrier, Lys, Noyer, Prunelle, Raisin, Sureau en
macérations, et Camomille, Ronce, Sureau, Tilleul, Verveine, Violette en
tisanes. Il est vrai que neuf d'entre elles sont préparées en macérations qui
offrent le double avantage de prévenir les maux qui "pour un rien" arrêtent le
corps et de pourvoir à son entretien de tous les jours dans une convivialité
qui ne rejette pas le corps étranger. Ces alcools et bocaux de plantes
présents dans une grande majorité des maisons bugeyssiennes, traduisent
concrètement une attitude fondamentale : l'intérieur du corps ne peut se
penser qu'au travers des savoirs thérapeutiquee ou préventif. L'attention à
l'organisme humain ne se fait que par une sensibilité sinon très grande du
moins constante au corps souffrant.
Regards attentifs aux phénomènes de la digestion et au corps P. CAMPORESI (21)
font remonter à une tradition culturelle ancienne. Elle mêlerait deux savoirs
: l'enseignement dispensé au Moyen Age par une Eglise catholique tourmentée
par les réalités de l'Enfer et, venant d'une communauté culturelle archaïque,
des fragments de connaissances plus difficilement identifiables. L'actualité
ensuite de ces attitudes de l'homme par rapport à son corps, se suit au cours
des vicissitudes de l'histoire des dominations et des résistances, des
emprunts et des rejets (écrit et oral) entre les savoirs de l'élite et du plus
grand nombre.
70
NOTES
1 - 0 . JOURNET et A. JULLIARD - Sens et fonction de la maladie en milieu Felup
(nord Guinée-Bisssau), Paris, Ministère de la Recnerche et de la Technologie,
septemDre 1987, 250 p.
2 - Cependant, pour ce type de maux, la famille peut recourir en plus de la
médecine spécialisée, aux pratiques thérapeutiques religieuses (pèlerinages à
Lourdes ou à St-Jean-Baptiste, par exemple) ou parapsychologiques (le
magnétiseur). On constate souvent l'emploi "d'amulettes" achetées dans le
commerce (comme la pierre du nord) et qui par ailleurs, reste d'un usage peu
prisé à notre connaissance, dans les campagnes.
3 - Publicités bien connues, relevées dans trois des principales rues du
centre de Lyon, entre décembre 1989 et janvier 1990.
A - M. MAUSS - 1936, "Les techniques du corps", dans Sociologie et
anthropologie, Paris, P.U.F., 1973 (5ème édition), p. 372.
5 - F. LOUX et P. RICHARD - Sagesses du corps. La santé et la maladie dans les
proverbes français, Paris, Ed. Maisonneuve et Larose, 1978.
6 - M. BERNARD - Le corps, Paris, Editions Universitaires, 1976.
7 - A. JULLIARD - Gestes et paroles populaires du malheur. Pratiques médicales
magiques et sorcellerie dans les sociétés rurales contemporaines de la Bresse
et du Bugev (Ain), Paris, Thèse pour le doctorat d'état en ethnologie,
Université Paris V-René Descartes, 1986, 3 vol.
8 - La posture de repos usitée, est un corps debout, droit, au buste
légèrement penché en avant, s'équilibrant sur ses 2 jambes décalées dont l'une
est fléchie en avant.
9 - F. LOUX - L'ogre et la dent, Paris, Berger-Levrault, 1981.
10 - Il faut rappeler que la pharmacopée végétale n'est ni la seule thérapie
utilisée dans ces occasions. Le propre de la médecine dite "populaire", est
justement de recouvrir simultanément et sans contradiction d'aucune sorte, à
plusieurs types de thérapies savantes ou non.
11 - L'eau-de-vie de raisin est largement consommée et offerte comme digestif
mais elle sert aussi d'anesthésiant aux douleurs dentaires ou encore de
désinfectant pour les maux de bouche.
12 - Trouer les oreilles n'est pas suffisant pour éviter les orgelets. Il faut
mettre des boucles en or : c'est l'action de ce métal dans la chair qui semble
le véritable remède. Les différentes interprétations symboliques possibles
sont trop évidentes pour, en l'absence d'enquêtes supplémentaires ne pas nous
inviter à la prudence.
Cependant, il faut noter que le savoir populaire fait une relation directe
entre d'une part, les orgelets et l'habitude des enfants de se frotter les
71
yeux avec des mains "qui ont touché à tout", et d'autre part, le sexe féminin
et la façon d'uriner : les mains des petites filles seraient plus facilement
souillées que celles des garçons. Avec les transformations dans les usages de
l'habillement, il est vrai que ce type d'explication se cantonne maintenant
chez les personnes âgées.
13 - Rappelons que le leveur de maux pratique ses dons sans exiger de
rémunération et que pour assurer sa survie économique, il est avant tout
agriculteur, ouvrier, employé, de profession libérale, fonctionnaire, ... du
moins pour ceux que nous connaissons! Dans ce sens, ce ne sont pas des
professionnels de la médecine : ils exercent toujours en dehors ou en plus de
leur activité principale.
14 - C. CROSNIER - "Approche ethnobotanique des plantes médicinales et des
usages du végétal en Morvan", Mémoire de l'Académie des Sciences et Belles
Lettres de Diion, t. 128, 1989.
15 - Le milieu rural différencie peu les temps d'infusion des plantes : très
souvent la tisane est une décoction qui "mijote" sur la cuisinière.
16 - Le Vicks est une pommade commerciale particulièrement appréciée dans les
campagnes et d'une utilisation ancienne. Elle est faite à base de plantes :
Menthe, Camphre, Eucalyptus, noix de Muscade, feuilles de Cèdre.
17 - Il faut remarquer que l'usage populaire du "Vicks" recommande au malade
de se laver la poitrine à son réveil.18 - Macération de 40 noix cueillies à la Saint-Jean d'été, pendant 40 jours
dans un mélange d'eau de vie et de vin rouge.
19 - Couleur verte de la jeune pousse : un vert fortement détrempé d'eau qui
apparait presque blanc voire translucide.
20 - Une médication de première intervention consiste à boire un verre d'eau
chaude. Tout se passe comme s'il s'agissait d'un essai pour vérifier si le
maux de ventre étant peu grave, l'appareil digestif ne se remettrait à
fonctionner normalement, entrainant ainsi la disparition du mal. De son côté,
l'eau "glacée" est un anesthésiant bien connu : il faut retenir une gorgée sur
la dent cariée pour calmer la douleur.
21 - P. CAMPORESI - 1983, La chair impassible, Paris, Flammarion, 1986.
in
REMEDES ET RECHAUFFEMENT : CONSTANCE. EVOLUTIONS. RITUALISATION
J. Brabant
La morsure du froid, pire du froid humide, qui sévit parfois sans tempérance
dans la région bocagère ouest-ornaise, reste dans la mémoire, un sujet de
plainte contre la "misère" du.temps passé, et demeure un sujet de crainte
contre les atteintes maladives. "En campagne, les maisons n'étaient pas
chauffées, les gens étaient mouillés, prenaient froid (...) mais quand
j'entends tous les jeunes qui se plaignent maintenant, moi, je dis, qu'ils se
tournent donc 50 années en arrière voir comment les gens vivaient... et il y a
encore des coins... j'étais l'autre fois dans une maison dans le fond d'une
campagne, eh bien! je dis : Mon Dieu! moi je me dis maintenant, comment qu'ils
peuvent vivre comme ca... Ils toujours les pieds toujours mouillés. Ils
étaient en sabots, je veux bien, mais des fois ça passait par-dessus... les
pieds toujours mouillés... Comme chauffage, il y avait la cheminée de la
cuisine, les trois-quart du temps, il fallait qu'il y ait encore la porte
ouverte, parce que ça fumait... C'était ça les maisons de campagne autrefois!
(Mme L.). Aux conditions de vie souvent déplorables, correspond, au début du
siècle, une éthique fondée sur la résistance au labeur, aux souffrances, à la
rudesse ambiante. "S'endurcir, se priver, peiner, était conçu comme des
valeurs positives" écrit l'historien Jacques LEONARD (1)", la morale
magnifiait le travail et l'épreuve, la santé se définissait par l'endurance.
"Réflexion corroborée par le témoignage de ces deux interlocuteurs,
agriculteurs (D et V.V.) : "D'ailleurs ce qui comptait, c'était pas le
travail, c'était la misère qu'il y avait à faire le travail... même, c'était
presque un déshonneur : il faisait très froid, c'était un déshonneur de
travailler avec des gants, on aurait pu avoir des gants, mais "chat ganté n'a
jamais attrapé de souris", c'aurait été un déhonneur". (...) "C'était la
misère qui comptait, le mai que donnait le travail, "ajoute en écho, D.V. Dans
le discours, le froid, les courants d'air, l'humidité, sont toujours
responsables de l'étiologie des rhumes, maux de gorge, toux aggravées ou non,
accompagnées de fièvre ou non (2).
Une mention spéciale est réservée aux redoutables engelures : "Alors, les
engelures, les engelures, ah là là là... aux pieds,... et les mains".(M. S.).
Avoir les pieds mouillés, les garder humides et froids, rend vulnérable aux
risques maladifs, plus que ne le provoquerait tout autre inconfort. Malgré
l'amélioration des conditions de vie, la notion de froid, échappe aux
incidences purement climatiques. Avoir froid, "attrapper froid" peut
s'éprouver en diverses circonstances et provoquer des désagréments : un
"coulis" d'air subit même au cours d'une chaude journée, peut entraîner des
coliques.
La sensation du froid, reste de nos jours responsable de plusieurs maux : les
engelures, car elles se manifestent toujours, mais c'est parfois à cause d'une
mauvaise prédisposition du sang, (pour les soigner, le pédicure n'hésite pas à
recourir aux recettes éprouvées et conseille les bains de buis (Mme D.V.). Les
inflammations des yeux, les douleurs, la mauvaise digestion. Boire glacé,
manger froid, alors que l'on est en pleine activité, éventuellement en sueur,
c'est geler la chaleur intérieure, le bon déroulement de la coction digestive,
risquer les nausées, les vomissements, la diarrhée (3). Le froid subi par une
plage corporelle interrompt la bonne répartition de la chaleur et peut
provoquer les douleurs, la douleur : "je souffre de la tête facilement, encore
maintenant... beaucoup moins, mais encore, je suis réveillée par un mal de
tête, le front qui se glace, les pieds qui brûlent, voilà le phénomène. Eh
bien, dès que je peux, je me lève, et je me fais des compresses d'eau très
chaude. Ca y est, je démarré, j'ai le front glacé, et les compresses très
chaudes me font merveille". (Mme D.V.).
Le remède s'impose de lui-même : faire de la chaleur une alliée, "appliquer"
de la chaleur, maintenir et renouveler le réchauffement de la peau, du corps.
A l'intérieur, boire chaud, boire alcoolisé, ce qui s'ajoute aux pratiques
préventives, comme celles de bien se réchauffer les pieds ou de porter des
vêtements qui ont fait leurs preuves de bonne isolation. "L'effet-chauffant,
les gens ça les soulageait". (M. G.V., préparateur en pharmacie, à la
retraite).
I - SOIGNER EN RECHAUFFANT
Dans la pharmacopée populaire, recueillie auprès de nombreux témoins, dans le
département de l'Orne-Mayenne, on peut considérer plusieurs groupes de
médications, de préparations domestiques ou médicaments achetés chez le
pharmacien, qui ont en commun l'intention centrale de provoquer le
réchauffement du corps tout entier ou d'une région corporelle. Cette
pharmacopée correspond aux souvenirs d'enfance de ces témoins âgés de 60 ans
et plus, mais aussi aux médications poursuivies depuis lors par eux-mêmes ou
leur entourage, ce qui délimite parfois une période d'investigation
correspondant au début du siècle et pouvant s'achelonner jusqu'à nos jours.
Ce réchauffement n'est cependant pas recherché seul, il a comme corollaire, la
volonté de "faire sortir le mal", "d'attirer le mauvais sang" (vers
l'extérieur), d'éliminer les excrétions mauvaises, les exsudats, et de donner
à visualiser cette excrétion provoquant des rougeurs, des "cloques" d'humeurs,
éventuellement l'apparition de sang (ventouses).
Le réchauffement peut se faire, soit par l'application sur la peau d'une
source de chaleur, agréable, réconfortante, (comme les compresses de D.V.),
resentie alors très directement ; soit en provoquant une irritation locale,
qui peut devenir douloureuse, où la sensation de chaleur est secondaire, et
s'accompagne parfois de celle de brûlure : c'est une rubéfaction, la peau
devient rouge, elle pique. On peut distinguer une autre opération, où le
réchauffement s'accompagne de sensation de brûlure et de rougeurs, comme
précédemment, mais un écoulement de sérosité peut lui succéder : c'est la
révulsion
1.1. Frotter, réchauffer
Se frotter les mains lorsqu'elles sont froides, est un geste générateur de
chaleur, totalement intégré à notre vie, qui est devenu à peine conscient.
C'est un geste-réflexe sur lequel certaines thérapeutiques se sont fondées,
facilitant par exemple la pénétration d'essences en préparations grasses
destinées à lutter contre les affections trachéo-bronchites ou pulmonaires.
Ces baumes à frictionner, dont on vante les mérites dans les publicités
télévisuelles (pommade Vicks), associent l'effet de frottement, à celui de
dégagement d'odeurs balsamiques des essences d'eucalyptus, de thym, de menthe,
etc. L'image publicitaire décompose bien la double action recherchée :
rougeur, signifiant le dégagement de la chaleur au niveau de la poitrine, à la
74
surface de la peau, et signes traduisant l'inhalation d'odeurs bénéfiques, par
l'enfant ou l'adulte ayant subi cette onction. La publicité s'appuie ici sur
une pratique importante de la pharmacopée populaire, commune à la pharmacopée
savante, en ces circonstances, où la respiration d'odeurs essentielles agit
par leur pouvoir odoriférant. Elle est réservée, par ailleurs, au soin de
certaines affections, "les vers", en respirant de l'ail ou un rameau
d'absinthe trempé dans du cidre ; les maux de dents, en le faisant d'une
branche de thym sauvage (ce dernier étant jugé "plus fort" que le thym
cultivé)(4). Contre les rhumes, les sinusites, l'inhalation de vapeurs
additionnées d'essences végétales se rattache à ce type de médication : "un
bol d'eau chaude, un peu de thym là-dedans, de feuille d'eucalyptus, on
s'enveloppait bien".(D.V.). Maintenant l'inhalateur en matière plastique
remplace parfois le combiné bol-serviette qui reste cependant toujours prisé,
car facile d'emploi et économique.
Réchauffer en frottant avec mesur la surface de l'épiderme Dar des
préparations grasses, onctueuses, basalmiques, demeure un soin léger, souvent
accompagnant d'autres thérapeutiques, celles de prévention de maladies, ou
celles de l'attaque de leurs prémices. Il n'implique aucune souffrance
secondaire. Le remède n'a ici aucun caractère agressif contrairement à ce que
nous envisageons avec les révulsifs et les vésicatoires. "L1effet-chauffant"
comme le définit G.V., est discret, voire suggéré ou symbolique. L'odeur
accompagne le corps d'une enveloppe protectrice et thérapeutique (à rapprocher
du port passif de camphre, sur la poitrine, dans un sachet suspendu au cou, en
prévention des affections virales de l'hiver).
1.2. Appliquer : les cataplasmes, les compresses
"Quand les gens avaient mal aux reins, ils se faisaient des cataplasmes
d'avoine chauffée dans la poêle. Le grain d'avoine, l'avoine pour les chevaux,
mis dans un linge, bien enveloppé... et sur les reins... on dormait avec"
(D.V.). Le linge est important : rude, ce peut être un torchon de métis, qui
ne laisse pas s'échapper un grain, ou souple, une serviette, une étoffe souple
sur laquelle on écrase, par exemple, des oignons cuits sous la cendre ou dans
le four (maux de gorge). Cataplasmes à texture épaisse, sans humidité, chauds
à la limite du supportable, souvent constitués de légumes (oignons, choux,
poireaux)" pas cuits, pas rôtis, bien chauds... ramollis" (D.V.). Les
cataplasmes de poireaux, pour les panaris, maux blancs etc. les gens mettaient
sur le grill, ils tournaient, ils posaient le blanc, ils le retournaient et
appliquaient ensuite sur le mal, bien chaud, c'était une condition..."(D.V.).
La feuille de chou, passée préalablement à la flamme du gaz, ou encore au fer
à repasser, peut être aussi appliquée directement sur kla peau, contre toute
douleur (ventre, dents). Faire sortir le mal, c'est alors contribuer à la
maturation de l'abcès. On dit "faire mûrir", "faire sortir le germe" (cette
sorte de filament purulent), en usant d'un vocabulaire où le mal s'assimile
aux réalité terriennes.
Le végétal participe à l'action thérapeutique par ses qualités médicinales,
mais aussi par sa connotation symbolique : "maintenant, je pense que l'avoine
c'est tout de même quelquechose qui échauffe, qui échauffe le cheval... peutêtre que ça réchauffait pas spécialement la personne, mais le fait que ça
échauffait le cheval, faisait qu'ils avaient l'impression d'un remède très
efficace..." (D.V.).
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Nul n'ignore les bienfaits d'une bouillotte contre les "douleurs de ventre",
les coliques de toutes origines. On est assez peu locace sur celles provenant
des menstruations douloureuses, où le traitement est plus volontiers interne.
Dans ce cas, on buvait de l'infusion d'armoise (artemisia vulgaris). On prend
désormais un de ces nombreux antalgiques, dont fréquemment, une famille suit
l'usage, de mère en fille. Peu d'aspirine, car elle a la réputation de faire
saigner (donc de risquer de provoquer une hémorragie), mais, autrefois, des
cachets de Kalmine, et maintenant bien d'autres spécialités. Le choix se fait
entre la prescription médicale ou le conseil du pharmacien, et la convenance
personnelle.
Chaleur sèche, chaleur humide ?
Il semble que le choix entre ces deux voies thérapeutiques dépende des
habitudes transmises ou des expériences individuelles. Cependant pas
d'humidité sur une palie qui risquerait "la pourriture". Celle-ci est
cependant requise contre les furoncles, les abcès qu'il faurt soumettre à un
processus maturatif, pour les vider de leur pus, et par la suite, faire
"sécher" la peau.
Les indications thérapeutiques semblent donc peu déterminantes du choix de
l'une ou de l'autre forme ; par contre, le support, le mode et le temps
d'application, et même le vocabulaire, marquent la différence. A la chaleur
sèche convient mieux le cataplasme de plantes, de légumes, maintenu en place ;
à l'humide, ce sera la compresse, cette préparation où la plante, le linge,
trempés dans l'infusé ou l'eau chaude, sont ensuite appliqués. "Je pense qu'un
cataplasme de chou, c'est une épaisseur de feuilles, bien préparées, bien
chauffées, qu'on laisse pendant quelque temps, tandis qu'une compresse, c'est
simplement : je mouille mon gant de toilette, je mouille l'ouate que j'ai dans
les mains, épaisse, je me la pose, et puis c'est tout, et je recommence. Il y
a toute une différence. Alors que le cataplasme, je le laisse, il agit. Les
feuilles de chou, il faut qu'elles se mouillent, voyez, et puis, ensuite, je
les enlève, j'en mets d'autres, et je réchauffe ; c'est tout autre chose, le
cataplasme reste, on le supporte". (D.V.).
L'action de maintenir un contact avec la peau, et de comprimer la préparation,
est commune au cataplasme et à la compresse ; le temps de pose est bref et
renouvelé pour la compresse, plus long pour le cataplasme.
1.3. Bains, instillations
Le recours aux "bains" d'infusés de fleurs persiste encore dans les pratiques
contre les "yeux rougis", malgré la concurrence médicamenteuse du coton
hydrophile imbibé de lotions. La Camomille est la plus fréquemment citée.
Faire bouillir de l'eau dans une casserole, y jeter quelques "têtes" de
camomille, laisser infuser, laver, frotter même l'oeil ou les yeux enflammés
avec les fleurs. En bocage ornais, la camomille employée est chrysanthemum
parthenium, (simple ou double), parfois cependant, c'est anthémis nobilis. la
camomille romaine, qui est achetée, ses fleurs sont plus larges et plus
épaisses que la camomille des jardins. D'autres fleurs ont été utilisées pour
cet usage, celles de la joubarbe, sempervirum tectorum, d'un rose délicat,
celle du bleuet horticole, du sureau, sampucus nigra, celle de la rose des
jerdins et, mais, lorsque les fleurs manquaient, la compresse d'eau bouillie
pourvoyait à la demande.
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Les maux d'oreille, fréquents chez l'enfant, ont souvent fait l'objet
d'instillations, où la chaleur, graduée, s'associe à l'action médicale du
remède. Ce peut être tout simplement quelques gouttes d'huile de consommation
d'arachide, ou (plus rarement) d'olive, additionnée parfois de fleurs de
millepertuis sauvage, hvpericum SD.. "Contre les maus d'oreille, nous mettions,
de l'eau très chaude dans une casserole, et la tasse avec l'huile (de
millepertuis) dedans, que ce soit tiède, que ça ne brûle pas". (D.V.).
La sève de bois de saule, de frêne, brûlant dans la cheminée, suintait a la
coupure du bois. Ce liquide mousseux recueilli (une bûche de 20 cm, pour le
frêne, fraxinus excelsior, introduit dans l'oreille. (Mmes C. et G.). De
l'âtre à l'oreille, la température devenait bonne pour le soin. Ce même
Liquide suintant de la flamDée du frêne a soigné un épanchement de svnovie que
le témoin (Mme G.) exposait en plus aux rayons solaires, lesquels
potentialisaient l'action de réchauffement.
I.A.
L'enveloppement, les Rigollots.
"Le cataplasme, c'était de la farine de lin, ils parsemaient ça de farine de
moutarde, ça posait". (Mme L.). En fait, pour un bon nombre d'interlocuteurs,
"le cataplasme" est une préparation de graines pulvérisées de lin, humidifiées
à l'eau tiède pour en faire une sorte de bouillie, étendue ensuite sur un
linge fin, de préférence une gaze, sur laquelle on versait en pluie, une fine
couche de graines de moutarde puylvérisées en farine. L'ensemble était alors
appliqué sur la poitrine, l'enveloppait. Faire un "enveloppement" supposait, à
la limite, accomplir ce seul soin. La peau réagissait, piquait, devenait
rouge, puis la sensation plus forte, tournait à la cuisson, même à la brûlure.
Il fallait attendre et atteindre l'extrême limite du supportable pour arrêter
l'opération. On appréciait la rougeur obtenue et on répandait du talc pour
arrêter le feu de la brûlure. (D'origine chimique ou naturelle, une fine
poudre blanche arrêtait le "feu" : la farine de blé a souvent été indiquée
contre les brûlures).
D'où venait cette notoriété du "cataplasme" ? Cette désignation où l'indéfini
cédait au défini : ce n'était pas "un" cataplasme, mais "l'enveloppement",
pour toutes les indications trachéo-bronchiques, pulmonaires, contre toutes
les toux... De la fréquence de som emploi ausi bien en médecine savante qu'en
médecine populaire. "On produit de la chaleur, ça peut donner une irritation"
(G.V.) "On amenait le sang à fleur de peau... Après, les cataplasmes ça c'est
modernisé, il y avait ce que l'on appelait les Rigollots" (Mme L.).
Le papier-sinapisme, rectangulaire, enduit de farine de moutarde, à humidifier
lui aussi avant application, provoquait la même réaction cutanée, limitée
cependant en surface. Moins encombrante, plus maniable que le grand
enveloppement, prête à l'emploi, l'invention du pharmacien stéphanois JeanPaul RIGOLLOT, eut beaucoup de succès depuis sa création en 1867 (5). "Le
sinapisme, les Rigollots, ça se vendait bien, ça se vend toujours" confirme
G.V. "ça reste du domaine public ça. Quelqu'un qui a mal, il tousse un peu,
une douleur, on va chercher un paquet de Rigollots, c'est la révulsion qui
calme... le réchauffement à l'endroit où on a mal. "La maniabilité du
sinapisme a augmenté ses possibilités d'emploi contre les douleurs
rhumatismales, par exemple : "Je me disais, l'autre jour, il faudrait que je
me mette un Rigollot sur le genou" (Mme L.). Mais la pratique de
l'enveloppement ne s'est pas éteinte : la Ouate Thermogène*, plus souple, où
l'essence de piment -capsicum div.-, imprègne du coton hydrophile, a parfois
remplacé, dans son action irritante, la préparation lin-gaze-farine de
moutarde. De même, modernisé, prêt à l'emploi, réduit de taille, "le
cataplasme" persiste à être à la fois une pratique de médecine populaire et
savante : Pneumoplasme* par exemple, reste prescrit, de nos jours, par les
médecins, c'est une version de la préparation initiale, modifiée par le
technique industrielle.
1.5. Révulsifs, vésicatoires.
"L'effet-chauffant", pour ces préparations, est secondaire, et s'accompagne
d'une irritation cutanée, et d'une graduation de l'effet douloureux, de
l'atteinte de la peau, allant de la rougeur à la brûlure déclarée qui
s'établit en fonction de la forme thérapeutique et du temps de pose. Nous
l'avons vu pour les cataplasmes à la moutarde, nous le retrouvons avec les
révulsifs liquides ou les pommades chauffantes contenant entre autres, de la
teinture de capsicum. "Il y avait le Révulsif Adrian* dans le temps, c'était à
base de moutarde, il y avait de l'essence de moutarde dedans, en badigeonnage
avec un pinceau. C'était surtout pour des histoires de bronches, même de
déchirures musculaires, douleurs musculaires, douleurs rhumatismales, alors la
moutarde faisait son effet, ça brûlait... du Révulsif Boudin", étant grosse,
j'ai du en avoir pour un rhume... dans le temps, il y avait le Liniment
Sloan*, ça existe toujours, le Baume Bengué*, tout ça ce sont des
révuklsifs... c'est la révulsion qui calme, alors par n'importe quel moyen...
tout ça c'est basé là-dessus, le réchauffement à l'endroit où on a mal"
(G.V.).
Liquides et pommades sont une forme de reproduction du remède empirique,
modifié par la technicité industrielle, en référence, par exemple, à la
pratique des flegellations avec des orties, urtica div., des frictions de
bryone, brvonia dioica, ou de tamier, tamus communis. "Le navet sauvage, je
n'ose même pas m'en servir... j'ai vu être fatigué;;; ne plus pouvoir marcher
le soir, faire une friction sur les jambes avec ça, envelopper avec une
flanelle. Ca brûle tellement, si on est à la chaleur c'est encore supportable,
mais si on est à l'air, c'est intenable, eh bien, je repartais le lendemain"
(M. M. agriculteur).
La brûlure est le terme de l'efficacité curative. Ce même témoin sait décrire
la douleur provoquée par la friction de tamier : "si on onfonçait une poignée
d'aiguilles, cela ne ferait pas plus mal".
Souffrir oour aller mieux, pour "marcher". Il y a dans cet esprit
thérapeutique une véritable gestion de la souffrance, de l'effet nocif
inducteur du mieux, propre aux mentalités, que l'on retrouve dans d'autres
pratiques : celle de l'emplâtre vésicatoire, et celle, devenue obsolète en
médecine humaine, de l'abscès de fixation.
"On vendait des vésicatoires, même le Dr. D. prescrivait des vésicatoires
pendant un moment, c'était pendant l'occupation, les vésicatoires, il fallait
les passer à l'éther camphré pour éviter justement une réaction trop vive...
il fallait brûler la peau, il y avait une phlyctène (6) qui en principe
attirait le mal... c'était surtout pour les douleurs, il fallait le faire
chauffer à la flamme pour qu'il adhère bien... on mettait un vésicatoire sur
le genou, n'importe où... il y avait la phlyctène qui était là, ça attirait le
mal... c'est un emplâtre qui est tout prêt. On avait un rouleau d'emplâtre
vésicatoire qui était quadrillé, 5 cm su 5 cm, le médecin à ce moment là
prescrivait la dimension du vésicatoire : 10 sur 10... Il y avait aussi
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l'emplâtre poreux américain. Ca ne brûlait pas la peau. Les gens, ça les
soulageait. Je ne sais pas exactement ce qu'il y a dedans... Les ventouses,
c'était ça aussi, on amène le sang à fleur de peau... quand c'est un emplâtre
très révulsif, il est possbile que ça calme la douleur parce qu'il y avait une
autre douleur, on la supporte parce que le malade est confiant dans le
médicament. C'est pour tirer le mal, on le tire vers l'extérieur par des
moyens plus ou moins des remèdes de bonne-femme"(G.V.). De son ancienne
fonction de préparateur en pharmacie, G.V. garde un langage technique et un
abord bien différent des praticiens domestiques. Si différent ? L'analyse des
conséquences de ces thérapeutiques pour le moins brutales à nos yeux, se fait
cependant avec la distance du scientifique : "Ca posait 24 ou 48 heures, après
il fallait traiter ça comme une brûlure. C'était pas traité comme ça, on
perçait ça... enfin pour un peu qu'il n'y ait pas quelques mesures
élémentaires d'asepsie... (de) tout l'emplâtre qui était appliqué sur la peau,
l'humeur sortait... maintenant, c'est désuet".
Encore héritière des thérapeutiques héroïques du XlXême siècle(7), cette
dernière pratique est certe devenue désuète, mais la forme thérapeutique n'a
pas disparu, car le principe de l'emplâtre échauffant est encore utilisé en
médecine familiale, dans une traduction moins irritante où se conjugent
extrait de capsicum et emplâtre caoutchouté simple, dit : emplêtre américain
(comme celui que citait G.V.). On le place encore à un point douloureux du
corps, pour un laps de temps de 2 ou 3 jours, et les indications restent
propres aux symptômes ordinairement incriminés : douleurs (articulaires,
lombaires, sciatiques), toux (bronchite, point de congestion), mais aussi
"foie" et "estomac", car, dans cette forme de soin, les malaises attribués au
mauvais office du foie, les douleurs d'estomac bénéficient d'un
"désengorgement" opéré par la thérapeutique externe.
1.6. Abcès de fixation
Persiste-t-il encore un "effet-chauffant", une recherche de réchauffement de
la peau, d'une plage corporelle, associée à l'expulsion d'humeurs dans l'abcès
de fixation ? Oui, si l'on retient, dans ce sens, la rougeur, la brûlure, la
brûlure de l'inflammation et l'exsudation secondaire, selon la définition
donnée par G.V. : "le fait de provoquer un abcès à l'essence de
thérébentine... donc, théoriquement, ça attirait le mal". Le médecin, car il
s'agissait d'une pratique médicale, provoquait par l'injection du liquide
irritant, un abcès-réponse, destiné à canaliser l'exsudation des humeurs, au
point corporel choisi en fonction du siège de l'affection. L'arrivée des
antibiotiques a rendu cette pratique totalement obsolète". Il y avait des
vieux médecins qui en prescrivaient encore, pendant la guerre... c'était un
petit peu le médicament du dernier recours, une infection quelconque qui
traînait, qui traînait..."(G.V.).
Y a-t-il une bonne chaleur, une mauvaise chaleur ?
D'évidence, tous les procédés utilisés pour provoquer rougeur, révulsion,
peuvent être considérés, en eux-mêmes, comme nocifs. Cependant, les témoins
(ou ceux dont ils rapportent les habitudes thérapeutiques), ne faisaient pas
de différence éthique entre "bonnes" ou "mauvaise" pratiques. L'efficacité
semble avoir été déterminante des choix, même si la souffrance de
l'inflammation avec son cortège spécifique de rougeur et de douleur, présentes
secondairement, ait été considérée comme un mal nécessaire au processus de
guérison. Avec le temps, on a délaissé les pratiques trop agressives et
douloureuses. Les "remèdes de cheval" cèdent le pas à des moyens
thérapeutiques plus respectueux de la sensibilité à la souffrance, alors que
se développent les médicaments actifs par voie interne (antibiotiques, antiinfectieux, anti-inflammatoires) prescrits par le médecin, et, parfois,
ponctuellement repris en médication familiale. Cet usage est alors soumis à
des critères d'emploi variant selon certains jalons personnels ou collectifs :
appréciaition de la fièvre ou de la douleur, par exemple, crainte d'un
développement brutal de la maladie, conseil du pharmacien, etc.
1.7. Bains de pieds
"Marcher"(8), avoir comme allié un corps docile et fort, contribuant à
accomplir le travail artisanal, est, dans la société traditionnelle, un bien
fonaamental, comme l'a démontré Françoise LOUX, tout au long de sa recherche
sur le corps dans la société traditionnelle 19).
Il est recommandé de favoriser le bon fonctionnement de ce corps, en évitant
notamment que le froid, l'humidité, ne viennent y provoquer des perturbations
maladives. On l'a vu, les pieds sont jugés particulièrement sensibles à ces
perturbations, c'est par le froid aux pieds, par l'humidité persistante à
laquelle ils peuvent être soumis, que le mal arrive. Les bains de pieds à
l'eau chaude, salée ou non, contituent une action préventive des risques, et
un soin. Réchauffer les pieds par un bain chaud attire le sang à l'extrémité
du corps. Cette action de dérivation est indiquée contre les maux de tête par
exemple. La relation pieds-tête est souvent mentionnée. Le lien entre les deux
extrémités du corps s'opère par un sang qui se doit d'y bien circuler : "L'eau
chaude" (10), me disait un témoin, "me réchauffe les pieds, ça fouette le
sang" (Mme L.). Faire circuler le sang, le "fouetter" est aussi favorisé par
l'apport calorique des boissons alcoolisées.
II - SE RECHAUFFER "PAR L'INTERIEUR'
Action thérapeutique externe et interne peuvent se conjugyer dans une
recherche de potentialisation. "J'avais une amie qui me disait être allée voir
une vieille tante. Elle souffrait des dents et de la tête, elle n'était pas en
forme... et cette tante avait dit "Attends, je vais te soigner". Elle lui
avait donc fait immédiatement une tisane très chaude, elle lui avait fait des
compresses très chaudes, et elle disait que ça l'avait soulagée" (D.V.).
<de la même façon, il est recommandé contre les maux de gorge, de "faire
bouillir 5 à 6 minutes une poignée de cerfeuil dans du lait. Boire le lait et
mettre les feuilles en cataplasme sur la gorge" (Mmes M . ) . Les boissons
chaudes sont la traduction la plus fréquente de la volonté d'action interne.
Des tisanes médicinales certes, mais les indications premières consistent à
conseiller les boissons chaudes et alcoolisées. Madame L. fait la distinction
entre "l'eau chaude" que l'on prend à l'occasion et les autres boissons
préparées avec une nette intention thérapeutique, grâce au flambage de
l'alcool. Pour soigner ce que l'on disait toujours la grippe, c'était des fois
qu'un rhume, parce que la grippe, c'est autre chose, on a de la température...
il y en a bien qui prennent un grog comme ça, par habitude, au lieu de boire
du café ou quelque chose comme ça. Mais ça, mais ce n'est pas un grog qu'ils
boivent, ils mettent de l'eau chaude, un morceau de sucre dedans et ils
versent du rhum dessus. C'est pas ça, parce que quand tout est chauffé
ensemble, vous savez, ça ne fait pas le même effet". Pour Madame L., bien au
fait de ces préparations (son mari était négociant en eau-de-vie) "pour un
vrai grog, il faut que tout soit rais ensemble, et chauffé ensemble, et puis
alors le feu prend là-dedans et alors on l'éteint, selon que l'on veut qu'il
soit fort, parce que s'il est brûlé beaucoup, il n'est pas aussi fort, c'est
aussi bon d'ailleurs. "Elle va distinguer le flic (10), le iacauot. le grog et
le lait-au-rhum, dans ce lot de boisson où, exceptionnellement, l'action
médicinale s'allie au plaisir gustatif. "Pour faire un flip, ils mettaient du
cidre dans une casserole, du sucre pas mal, et puis de la goutte (11) par làdessus, et puis ils faisaient chauffer tout ça et flamber... parce que vous
savez, c'était fort, le feu prenait là-dedans, et puis ça flambait. Et puis
ils buvaient, ça c'est un fait, il paraît que ça réchauffait dur, quand on
avait ça dans 1'estomas, et on se couchait. Plus tard, les gens prenaient un
peu d'aspirine en même temps, ça faisait transoirer soit-disant, on éliminait
tout ça... Mais quand on faisait ce petit mélange-là, cette mixture-là, avec
du poiré (12), au lieu de mettre du cidre, on appelait ça un jacauot" précise
Mme L. qui attribue les noms de flip et de iacouot aux Saints patrons
chrétiens, Saint-Philippe et Saint-Jacques. Quant au grog, elle se fie à la
recette de son mari : "il met moitié-eau, moitié-rhum, et puis alors du sucre
pas mal, parce qu'autrement c'est fort et c'est pas possible à boire. Vous en
buvez une tasse mais il ne faudrait pas en boire un bol, parce que ça vous
retournerait, et puis alors c'est pareil, il le fait flamber... Il y en a
aussi qui faisaient du lait-au-rhum, du lait sucré avec du rhum en moins
grande quantité, mais alors il faut avoir le foie qui supporte ça aussi, c'est
spécial".
Le fait de flamber l'alcool diminue la force (13) de la préparation, ce qui en
assourdit les effets violents sur le corps (si bien traduit par les termes :
ça vous retourne), mais ce qui renforce l'action symbolique du réchauffement,
en rendant la flamme, le feu, visibles. Il introduit l'idée d'une extraction
secondaire de sucs, qui sont assimilés à des principes actifs médicinaux.
C'est ce qui apparaît, semble-t-il, dans la pratique de l'eau-de-vie brûlée
(14), fort répandue autrefois, réservée aux enfants, pour comDattre leurs
rhumes, leurs toux, et même leurs vers intestinaux : "mettre du sucre dans une
assiette creuse et de l'eau-de-vie, faire flamber et tourner jusqu'à ce que ce
soit fondu" (Mme T.).
Certaines plantes médicinales ont-elles la propriété de réchauffer ?
Il semble que "l'effet-chauffant" ne soit attribué, en usage externe, qu'aux
plantes révulsives, comme la moutarde, l'ortie, etc. ou rubéfiantes comme le
piment contre les maux de dents. Le poivre de cuisine, pulvérisé sur une
feuille de bouillon blanc (Verbascum thapsus) trempée dans du lait chaud, et
appliquée ensuite sur la joue, a pu aussi bénéficier de cette qualification.
Le remède répond symboliquement à la nécessité de redonner de la chaleur ou de
provoquer le réchauffement total ou partiel du corps dans le but d'éliminer le
malsain. Par la sudation, lorsqu'il s'agit d'une thérapeutique' interne, ou
externe, par des actions irritantes sur la peau. Le nombre et la répétition de
ces pratiques manifestent une ritualisation , on peut en effet observer la
cohérence et la permanence de l'intention thérapeutique : réchauffer/faire
sortir le mal, vers l'extérieur, et donc, sur un plan plus symbolique,
réchauffer/se purifier. La ritualisation se construit à partir de la référence
à ce principe originel. Elle replace le malade dans un état de mieux-être, le
RI
réinsère dans la vie sociale, l'exorcise.des menaces et des troubles dûs aux
manquements aux règles d'hygiène de vie (principalement par la prévention des
atteintes de l'humide et du froid, ou du chaud et du froid). Le malade se
rétablit dans l'ordonnance biologique et même cosmique. Si le mal est perçu
comme une punition contre les excès accomplis ou subis, le rituel de
réchauffement associé à l'élimination du mauvais, par la purification du sang,
la sudation ou l'écoulement des humeurs, opère une forme générale de
purification. Ce rituel s'articule à la symbolique de la vie et de la mort. Il
constitue un exorcisme contre l'angoisse de la mort, c'est-à-dire du
refroidissement définitif (15). Se réchauffer et se purifier, c'est se
replacer dans un nouvel élan vital, dans le parti de la vie et non de la mort.
III - PERENNITES. METAMORPHOSES
Le pharmacien d'officine en milieu rural, est en bonne place pour observer la
constance ou les évolutions des pratiques de médecine familiale (16). Bon
nombre de médicaments ou d'herbes sont achetées chez lui. Cette observation
reste toutefois limitée : la visite à leur domicile d'interlocuteurs demeure
indispensable à la compréhension des phénomènes d'auto-médications parallèles
au recours classique chez le médecin. Elle est cependant une indication non
négligeable des évolutions. Compte-tenu de ces restrictions méthodologiques,
la prise de boissons alcoolisées chez l'adulte, accompagnée d'aspirine ou
d'autres médicaments, demeure une pratique répandue chez les différentes
générations, aux prémices des états grippaux,, des maux attribués aux coups de
froid ou au chaud/froid.
Lors d'une récente épidémie de grippe, le recours au médecin a été cependant,
semble-t-il, plus rapide et plus important : les fortes températures, l'accès
brutal de la maladie, la nécessité de l'alitement prolongé, ont réduit l'automédication.
Les thérapeutiques agressives décrites ne semblent plus guère pratiquées, que
par des personnes âgées qui apparaissent moins effrayées par l'idée de la
souffrance et de la révulsion. Cependant, si un certain archaïsme est
délaissé, les pommades réchauffantes (en médicaments spécialisés) contre
contractures, foulures, entorses, etc, existent toujours et sont prescrites
par le médecin. Le lieu de la douleur est réchauffé. L'échauffement des
muscles répond aussi au concept d'une mise en forme, d'une mise en état, avant
une compétition sportive, par exemple ; à l'image d'un corps, qui non
seulement ne se fait pas sentir douloureusement, mais est susceptible de
donner le maximum de lui-même.
Une évolution se manifeste dans le domaine esthétique, où "l'effet-chauffant"
est recherché pour toute une catégorie de crèmes, de gels, contre la cellulite
et les amas graisseux, ainsi que pour certains masques de beauté pour le
visage.
Si on retrouve implicitement l'intention d'éliminer un excédent, d'épuiser le
corps d'un trop-plein nocif, la métamorphose du rituel se situe, plus
vraisemblablement, au niveau d'une évolution de la notion pathologique,
puisqu'il n'y a pas de douleur, de gêne physique importante dans cet état de
fait, c'est la présence de graisse, de cellulite, excluant la femme qui est
atteinte d'un modèle esthétique social, sous l'influence des images et des
propos médiatiques, qui est considéré comme pathologique. On peut envisager
cependant que ce rituel nouveau vise à soulever une certaine angoisse due à
l'inadaptation à un modèle social dominant et accepté comme tel.
Contrairement au sort réservé à bon nombre de pratiques médicales issues de la
société traditionnelle, qui sont confrontées aux acquits médicaux et sont
rejettées des habitudes thérapeutiques contemporaines, ces pratiques semblent
avoir résisté au temps. S'y manifeste la volonté d'activer un processus vital.
Leurs métamorphoses prouvent l'enracinement de la croyance à laquelle elles se
rattachent. Leur fréquence d'emploi diminuerait, elles ne sont cependant pas
abandonnées par les prescripteurs : même l'antique potion de TODD*, (potio
alcoholisata) qui réunit l'eau-de-vie ou rhum, à la teinture de canelle, au
sirop simple et à l'eau distillée est encore délivrée en milieu hospitalier
(17) car la volonté originelle de réchauffement, dans les conditions où elle
s'est trouvée traduite, s'alimente aux lointains préceptes hippocratiques :
"tous les animaux et l'homme lui-même sont composés de deux substances
divergentes par leur propriétés, mais convergentes pour l'usage, le feu, disje, et l'eau" (18). Elles appartiennent à un patrimoine culturel, qui subit
les coups de bélier des évolutions médicales issues de la pensée scientifique,
mais la perrénité de leurs traces n'est plus à démontrer.
(Les lieux de résidence des différents témoins sont, pour l'Orne : La FertéMacé, Saint-Michel des Andaines, Saint-Maurice du Désert, Rânes, Champsecret,
Geneslay ; et pour la Mayenne : Méhoudin).
(1) Archives du Corps. Rennes, Ouest-France, 1986, p. 259.
(2) cf Françoise LOUX et Philippe RICHARD, Sagesses du Corps, la Santé et la
maladie dans les proverbes français. Paris, Maisonneuve et Larose, 1978 pp.
102-103.
(3) cf André JULLIARD, "pourquoi moi ? le sort du corps dans une société
rurale d'aujourd'hui". Ethnologie française, XVII, 1987, 2/3, pp. 307-317.
(4) cf Juliette BRABANT, "phytothérapie traditionnelle en Basse-Normandie",
Ethnologie Française. XV, 1985,2, p. 156.
(5) Henri BONNEMAIN, "sur les Rigollots", Revue d'Histoire de la Pharmacie,
1980, n° 247, et Pierre JULIEN, Id, 1981, n° 249, pp. 116-117.
(6) ampoule de sérosité.
(7) cf Jacques LEONARD, op. cit., p. 900 s£.
(8) Ce mot a souvent une signification plus large que celle de se déplacer,
"marcher" signifie également, bien accomplir son travail, être actif, en bonne
santé.
(9) et tout dernièrement, Guides de montagne. Mémoire et Passions. Grenoble,
Didier RICHARD, 1988, p. 117-118.
(10) boisson constituée par une tasse d'eau chaude sucrée additionnée d'eaude-vie, de rhum, parfois d'un mélange d'eau-de-vie, rhum et Cointreau.
(10) cf "Boire et manger en Cotentin", Le Viouet, numéro spécial cuisine, Noël
1987, n° 78, p. 87.
(11) Eau-de-vie de cidre.
(12) Boisson provenant du jus fermenté des poires.
(13) Un des mots les plus en usage pour indiquer -notamment- la puissance
d'activité d'un remède.
(14) Il n'est ici question que d'eau-de-vie de cidre.
(15) cf Françoise LOUX et Philippe RICHARD, op. cit., p. 102.
(16) la méthodologie est dans ce cas différente. Il ne s'agit plus de mener
une collecte de pharmacopée (cf Juliette BRABANT, "pharmacopée et terrain",
Cahiers de Sociologie économique et culturelle. Ethnoosvchologie n° 8, 1987,
p. 45-56 et n° spécial : Ethnomédecine. Champs et Parcours, mais de noter,
recueillir les propos, les habitudes de comportement des personnes rencontrées
dans l'exercice de la pratique professionnelle.
(17) cf DORVAULT, L'officine. Répertoire général de Pharmacie pratique, Paris,
Vigot, 198ème ed., 1948, p. 1387.
(18) HIPPOCRATE, La Consultation. Paris, Hermann, 1986, p. 155.
La Vulnéraire des Chartreux
Une planTe venue des hauteurs pour sauver du froid
Marie GIRARD
Plus que la réalité concrète d'une maldie,
c'est le sens que prend cette maladie à
l'intérieur d'un système culturel donné
qu'il importe d'étudier et de comprendre.
F. LOUX
La fleur sans le mythe peut
être laissée aux bons soins
de la biochimie.
P. LIEUTAGHI.
Février 1990 - Marie GIRARD.
Dés nos premières enquêtes en Chartreuse, située dans les Alpes du Nord, notre
attention a été retenue. L'importance qui tient d'une part à ses qualités
thérapeutiques. C'est le remède majeur des pathologies de l'appareil
respiratoire désignées par les informateurs sous le terme générique de "coup de
froid" D'autre part à sa place dans la vie local. En effet aucun Chartroussin ne
laissera passer un été sans refaire sa provision de vulnéraire. Tous l'évoquent
avec emphase et passion et sa spectaculaire efficacité fait l'unanimité mais ne
semble pas dépasser le cadre de la région.
"Y en a qu'en Chartreuse, on en trouve nulle part ailleurs"
La vulnéraire des Chartreux est un Millepertuis : Millepertuis nummulaire
(Hypericum nummularium) de la famille des Hypéricinées. C'est une petite plante
aux fleurs jaunes caractéristique de la famille des hypericacées, aux feuilles
opposées presque rondes. Elles est vivace et pousse dans les rochers calcaires
des Alpes de l'isère, de la Savoie et des Pyrénnées.
D'après les informateurs la Vulnéraire ne se trouve qu'en Chartreuse : "C'est
spécial à la Chartreuse" et si l'on en trouve ailleurs, elle n'est pas bonne.
"Les fils en ont trouvé dans les Pyrénées. Oh! elle était jolie, y en avait
plein, ils pensaient même y retourner, en ramener un fourgon, mais une fois
arrivée ici, elle sentait plus rien, c'était pas la même"
L'odeur est un critère important de reconnaissance de cette plante ; elle a une
odeur "résineuse" proche de celle du Millepertuis perforé mais beaucoup plus
forte. Certains cueilleurs professionnels sauront distinguer plusieurs "crus"
selon le milieu sur lequel elle pousse. L'ayant vue, un informateur ne peut nier
qu'elle pousse ailleurs mais "il n'y en a qu'une de vraie" et cette spécificité
locale renforce les vertus qui lui sont reconnues.
AS
2. Tout le monde ici la cueille et la met dans l'alcool"
De mémoire -de Chartroussin la vulnéraire a toujours été cueillie que ce soit
pour la consommation familiale ou pour la vente. Dans chaque famille, à partir
du 15 août, date de sa floraison, un homme part à la vulnéraire ; sa cueillette
est une affaire d'hommes, à cause, nous dit-on du danger "C'est les hommes qui y
allaient, faut escalader, y en a qui se tuent en y allant". Elle attire aussi
beaucoup de non chartroussins, son renom dépasse largement le massif et s'étend
sur tout le Nord-Dauphiné. Et dans ce pays de montagne rude et désertifié, la
présence d'une plante d'une telle renommée contribue à redonner une identité à
une population qui se sent laissée pour compte. La Vulnéraire, c'est sa
richesse. C'est un peu l'équivalent du Génépi (Artemisia laxa et Artemisia
villarsu), petite plante des Alpes du Sud, également très recherchée pour faire
des liqueurs et soigner les coups de froid.
Depuis longtemps, la Vulnéraire est l'objet d'une cueillette de vente, en
particulier dans la vallée des Entremonts, vallée située au Nord-Est du massif,
où la cueillette des plantes médicinales a constitué un complément de revenus
pour les agriculteurs jusque vers les années 70-80. "Il s'est ramassé jusqu'à
une tonne de vulnéraire pour une trentaine de cueilleurs ... "(1).
La Vulnéraire, plante protégée
Tout le monde la cueille, cependant depuis la loi du 17.4.73 (arrêté préfectoral
n° 73-3103), la Vulnéraire, plante menacée de disparition est protégée et tout
cueilleur pris sur le fait est passible d'une amende. Les gens du pays n'ont pas
pour autant cesser leur cueillette et semblent faire peu de cas de cette
interdiction si ce n'est pour intimider les cueilleurs "étrangers" et ainsi
défendre leur "territoire". Par contre, cet arrêté entravait fortement le
travail des cueilleurs professionnels, aussi ont-ils réussi à obtenir par arrêté
préfectoral du 19.A.79, un permis de cueillette individuel à renouveller chaque
année, autorisation exceptionnelle pour une plante protégée, obtenue grâce aux
bonnes relations du Président de la coopérative et à un dossier ardemment
défendu. Cette histoire mérite qu'on s'y attarde car elle contribue à expliquer
la place prestigieuse qu'occupe la Vulnéraire dans la vie du chartroussin. C'est
en effet grâce à une "bonne action" du Président de la Coopérative qui put user
de ses relations et obtenir gain de cause : c'est-à-dire l'autorisation de
cueillette d'une "bonne plante". Pendant la guerre, celui-ci était tailleur et
avait accepté de retarder une permission d'une semaine afin d'honorer une
commande de costume pour son lequel devint ensuite Président du Conseil
Constitutionnel.
Ce service part lui permit de nouer de "bonnes relations".
En réalité, après renseignements pris auprès du Ministère de l'Environnement sur
la protection des espèces, les arrêtés préfectoraux n'ont pas force de loi en la
matière et sont très facilement opposables. Seules les espèces protégées par
l'arrêté ministériel du 20.01.82 le sont légalement. La Vulnéraire est sur la
liste rouge des plantes rares et menacées en voie de protection. Quoiqu'il en
soit, cette précision juridique n'enlève rien au fait que localement les gens
croient la plante interdite de cueillette.
D'après les chartroussins, la cueillette n'est absolument pas nuisible à la
plante, au contraire, elle représente même une nécessité pour la survie de
l'espèce, ce qui s'oppose radicalement aux raisons de la protection officielle.
Tout-à-fait contre la protection, parce qu'on la détruit pas en la ramassant. A
ST-MEME, il y avait au moins une vingtaine de cueilleurs, elle a toujours
repoussé. Si un troupeau de moutons la mange, elle repousse, ça l'empêche pas
... dans les rochers où elle est inaccessible, elle est moins jolie que là où
c'est ramassé. Ca fait comme un pré qu'on ne fauche pas, c'est sale ... pas vu
de changement depuis que je la cueille,ça dépend seulement des années, c'est
comme le foin". "Elle est la plus belle, là où les moutons la mangent, ça la
régénère, faut qu'elle soit fauchée, sinon, elle pourrit... Y'en a toujours,
depuis 40 ans que je la cueille je l'ai pas vue diminuer". La défense est vive
et passionnée et ceci montre bien que l'enjeu n'est pas seulement économique.
Bien au-delà du manque à gagner que représentait l'interdiction de cueillette,
c'est un peu de son identité que la protection de la plante vole au
chartroussin. La Vulnéraire, c'est la plante symbole d'appartenance à un pays et
aucune interdiction ne peut empêcher un chartroussin d'aller cueillir "sa"
Vulnéraire, plante exceptionnelle que "sa" montagne, parfois si hostile, lui
offre pour remédier aux rigueurs de l'hiver.
Récits de cueillette
Mais cette offre n'est pas gratuite. La vulnéraire est difficile à cueillir,
témoins les nombreux récits de cueillette qui nous ont été livrés : "... dure à
ramasser,Mr X. s'est tué...". "... dure à ramasser, une fois j'ai dégringolé de
30 m, j'y suis jamais retourné". "...Je suis tombé dans un trou...j'ai mis plus
de 5 heures pour remonter... une autre fois...j'ai glissé dans une cheminée, une
énorme pierre menaçait de me tomber sur la tête et bouchait ma remontée...
j'avais le nez cassé, le bout des doigts tout déchirés... j'ai réussi à creuser
derrière la pierre et j'ai pu remonter mais j'ai du abandonner mon sac".
Pratiquement chaque famille peut citer un de ses membres proches ou lointains
mort à la vulnéraire : "dans ma famille y'a une période où on n'y est pas allé
parce qu'il y a un frère à mon père qui s'est tué en allant à la vulnéraire. Il
est mort à 21 ans, c'avait refroidi la famille. Mon père un jour, en montant à
l'Aup du seuil, elle était jolie, il en a ramassé, vous savez, ça tente, quand
on y a connu, ça tente... il était revenu avec plein son sac tyrolien et il a
dit "demain, j'y retourne" et c'est reparti comme ça. C'était du souci, c'est
dangereux".
C'est folie pour l'homme que de vouloir s'emparer d'une telle "merveille" ; mais
ces récits ne font que renforcer l'auréole de cette plante. De plus, l'homme ne
s'aventure dans ces lieux inhospitaliers que pour la cueillir. La cueillette ne
se fait pas sur le chemin du travail quotidien comme c'est le cas pour la
plupart des plantes qui sont cueillies en allant garder les vaches. Il est
intéressant de noter qu'à notre question sur les lieux de cueillette, nous
avions toujours des réponses nous laissant croire la plante quasiment
introuvable. Et quand nous en avons vu à portée de main, au bord du sentier, en
fin d'été, nous avons eu du mal à croire que c'était celle que nous cherchions.
Tout de même, lors d'une enquête, un cueilleur nous révélera un bon endroitcomme on livre un secret-mais parce qu'il n'y va plus. "En parlant de la
cueillir ou de ne pas la cueillir, en montant à Belfond par le Prayet, y'a un
rocher dessous sur la gauche, un rocher qui peut rejoindre le col de la Saulce.
Y'a un coin là-dessous, maintenant je peux le dire, je m'en fous pas mal, j'y
vais plus y ramasser".
La cueillette proprement dite, n'est pas sans difficultés. "Souvent ça coupe les
doigts - pas facile à cueillir dans les rochers. Elle se défend, elle se laisse
pas ramasser comme ça. J'y ai eu ramassée avec des pansements plein le bout des
doigts, ça déchire...Les ramasseurs, ils sont malins, ils savent faire, faut
savoir la ramasser dans la pierraille ...On en ramassait à poignées. Quand elle
est dans l'herbe, y a une façon de la cueillir pour la trier de l'herbe, ça
87
s'apprend, sinon on rainasse rien". La vulnéraire est une plante qui se mérite,
elle est difficile à cueillir d'une part parce qu'elle pousse loin en montagne,
dans les rochers crevassés et les falaises calcaires peu solides au parcours
dangereux, d'autre part parce qu'elle se niche dans les pierres.
La cueillette demande d'être connaisseur, c'est-à-dire "homme du pays" et
d'avoir repéré les signes qui vont permettre de suivre "d'en bas" le
développement de celle "d'en haut", comme un paysan beauceron aura repéré ses
indicateurs pour suivre son blé ou un vigneron ceux de sa vigne.
"Cette année sera peut-être une bonne année. Y'a pas eu de gelées tardives, mais
si ça sèche trop, elle "rouillera" et elle restera courte". "Y a des années à
vulnéraire, d'autres non, ça dépend du temps, du gel. Les gens vivaient au
rythme de la vulnéraire".
"De la Vulnéraire (le Millepertuis nummulaire) y'en a pas toutes les années.
Quand il y a beaucoup de Vulnéraire dans les près (Anthillis vulnéraire), y'en a
beaucoup en haut (Millepertuis nummulaire)".
Mais les cueillettes ce sont aussi des récits légendaires évoquant de glorieuses
expéditions, occasions de rencontres et de fêtes pour les jeunes du pays. "On
partait le matin à 2 h. Quatre à cinq heures de montée, on cueillait comme des
fous, on passait la nuit là-haut autour d'un feu et on redescendait le lendemain
avec tant de sacs qu"on pouvait à peine les porter" "Tout le monde y allait, on
se trouvait quinze, vingt sur la montagne, il s'en ramassait pas mal. On en a
des bons souvenirs. Y'avait de l'ambiance là-haut, on a eu couché en montagne.
On faisait le feu, on dormait sous un rocher, on rigolait ... maintenant y'a
moins de monde qui y va alors on va dans un endroit sûr et on fait une
cueillette valable".
Toutes les difficultés que nous venons d'évoquer n'enlèvent rien à l'attraction
de la vulnéraire, peut-être même renforcent-elles "l'appétit" du cueilleur. On
pourrait la comparer à une "enjôleuse" des hauteurs qui attire l'homme en des
lieux inaccessibles et ne veut pas se laisser cueillir. Comme le disait M. R.
dans une citation précédente : "... vous savez, ça tente ...". L'homme est
entendu au sens masculin du terme. Lui seul, d'après nos informateurs, serait
capable d'affronter les différentes péripéties de la cueillette, en particulier
l'escalade. Peut-être aussi est-ce lié à la répartition traditionnelle des
tâches au sein du couple d'agriculteurs ? La femme reste à la ferme à garder
enfants et bétail tandis que l'homme peut partir à l'extérieur une journée
entière, par exemple aux cueillettes en montagne.
Celui qui a déjà cueilli pourra facilement comprendre cette ivresse de la
cueillette, surtout pour une plante aussi prestigieuse.
"On commence à cueillir, la première appelle la seconde et ainsi de suite et on
ne peut plus s'arrêter. C'est beau, ça sent bon, le sac se gonfle et on ne fait
plus attention où l'on pose les pieds. On va de fleur en fleur, une vraie
griserie, et c'est le vide. Une mauvaise prise qui lâche sans qu'on ait eu le
temps de s'en rendre compte. On retrouve me semble-t-il cette griserie de la
cueillette pour n'importe quelle plante, cependant la cueillette du coucou dans
un pré est moins dangereuse ou celle de l'ortie, à priori, moins séduisante".
La réputation de la vulnéraire pousse aux excès "C'est à celui qui en cueillera
le plus".
Toutes les particularités de la cueillette de la vulnéraire mettent en évidence
la place prépondérante qu'elle occupe dans la vie locale. Tout le monde la
connait, la cueille, l'utilise ... c'est la seule plante qui fait tant parler
d'elle.
"La vulnéraire, ça réchauffe"
La vulnéraire a toujours été l'une des premières plantes citées au cours des
enquêtes. Tous la connaissent, l'utilisent encore aujourd'hui et lui accordent
une grande confiance. C'est la plante du froid ou plus précisément la plante qui
apporte le chaud pour l'opposer au froid et à tous son cortège d'affectations.
En effet, le coup de froid est vu comme une affection globale. On pourrait le
traduire par affection du système respiratoire; le rhume, la toux et même la
grippe en étant des manifestations particulières. Plus précisément avec le
froid, c'est un potentiel de maladies qui "entre" à l'intérieur du corps, à
destination du nez, de la gorge, des oreilles, des poumons, des bronches...
"Le rhume, la congestion pulmonaire, c'est mauvais pour le cerveau, les
oreilles, les yeux. Tout se rejoint".
Cette citation illustre bien la perception que nos interlocuteurs ont du coup de
froid, c'est le processus qui compte plus que la maladie précise. Le froid entre
et provoque un changement d'état du corps.
"Prendre un coup de froid" est une expression mimagée qui correspond bien à la
représentation que les Chartroussins se font du phénomène. Le froid est vu comme
un élément palpable, un vent peut- être entré par une porte qu'on aurait laissé
ouverte et qu'il faut alors expulser : "évacuer", "faire sortir", "tirer le
froid", "déprendre" nous diront les informateurs.
La thérapeutique aura alors pour but de le faire sortir avant qu'il ne soit
traduit sous forme de rhume, mal de gorge ou pire de tuberculose ou pleurésie;
aggravations souvent mortelles pour ces deux dernières.
Elle empreinte pour cela deux voies principales :
- "Réchauffer", c'est-à-dire opposer le "chaud" au "froid", comme un duel entre
deux grandes forces contraires. Il s'agit d'apporter le chaud en quantité
suffisante pour qu'il gagne sur le froid. Cet apport de chaleur se fera sous
forme d'apport interne : tisane, grog; ou externe : friction, cataplasme.
La transpiration, conséquence d'un fort réchauffement a pour effet de "faire
sortir" le froid avec la sueur comme support.
- "Tirer le froid", action mécanique d'extraction du froid.
Le froid est entré et a commencé à faire ses dégâts. Il est "tombé" sur le
poumon, véhiculé par le sang, il provoque une congestion, c'est-à-dire un
blocage du sang au niveau pulmonaire.
"Il est gelé le sang, il ne circule plus, c'est comme le rhume qui bouche le
nez" et à notre demande de précision "enfin pas gelé dur, mais il avait trop
senti le froid, c'avait du l'abimer".
Le froid a gelé les différents liquides circulant d'où la nécessité du
réchauffement et de 1'activation de la circulation.
Les remèdes : tisane, cataplasme, friction, ventouse, auront pour but de
"décongestionner", "faire circuler", "dégager", "tirer le mauvais sang", "faire
cracher", ou "désinfecter" selon une perception plus contemporaine de la
maladie.
La vulnéraire correspond parfaitement à ce schéma thérapeutique; elle réchauffe,
fait sortir le froid et tous ses méfaits :
"la Vulnéraire pour les rhumes, ça réchauffe, ça on en a pris! Quand vous avez
pris un coup de froid, vous mettiez ça dans la tisane, ça fait transpirer.
< Ca soigne mieux que les antibio...>
"La vulnéraire, ça décongestionne, ça aide à circuler. Je le sens comme ça fait.
On respire mieux ...".
" La vulnéraire avec du rhum et de l'aspirine, ça fait transpirer terrible. Vous
vous couchez bien couvert et le lendemain matin, ça va mieux, ça fait
réaction...".
C'est un remède qui ne soigne pas une manifestation particulière du coup de
froid, mais l'ensemble; ce que nous pourrions appeler un remède de champ (2),
c'est-à-dire un remède qui correspond à un état du corps.
Son efficacité est sans conteste : "Je l'ai beaucoup utilisée ... recherchée et
renommée, ça fait transpirer - très efficace... je l'aime tellement... très
utilisée en Chartreuse" Elle est rapide et radicale. Elle est utilisée soit en
tisane, soit en liqueur ou sous forme de grog. Avec la recommandation de bien se
couvrir ou de se coucher au chaud pour renforcer la sudation.
L'objectif est de "chauffer" le plus possible. Très souvent on lui adjoindra de
l'aspirine et cette jonction entre médecine traditionnelle et médecine moderne
ne pose aucun problème à l'utilisateur qui les utilisent comme complémentaires
"Faut y mettre de l'aspirine pour qu'elle fasse beaucoup d'effet (la
vulnéraire), ça va pas y faire tout seul.
Cependant son emploi nécessite quelques précautions qui soulignent à nouveau son
caractère de plante forte : "faut pas trop en abuser, trop échauffante"."Elle
peut faire du mal, c'est une plante très puissante". "Bonne pour le rhume, faut
pas exagérer, ça fatigue énormément le coeur. C'est le docteur qui me l'a dit,
parce que mon mari il a failli se tuer avec ça. Il était bien enrhumé. Il a dit
"tu sais pas faire les infusions, je vais m'en faire une" il en a mis une bonne
poignée (de vulnéraire) avec du tilleul, d'autres plantes et un petit verre à
liqueur d'eau-de-vie. A 2h du matin, il en pouvait plus tellement son coeur
battait". "Ca accélère le coeur, ça peut même le bloquer" a dit le docteur, pour
une infusion faut deux, trois brins de vulnéraire ou en liqueur, deux, trois
cuillerées dans l'infusion".
D'autres propriétés plus marginaux lui sont reconnus :
-couper la soif : "on suçait la racine pour lever la soif"
-vulnéraire : "dans l'alcool concentré, contre les coups, c'est un Monsieur de
Thiers (63) qui me l'avait dit, j'en fais tous les ans, c'est très bon".
- digestif : "avec du serpolet, de l'eau-de-vie ou de l'arquebuse pour les coups
de froid et la digestion des bêtes" Comme les autres plantes de coup de froid,
elle sera utilisée pour hommes et animaux ?
et surtout liqueur d'agrément "on en faisait tremper dans l'alcool pour Noël,
c'était l'occasion de boire un petit coup. C'était a façon de marquer les fêtes
d'autrefois".
Cet usage est celui qui persiste le plus aujourd'hui . Avec ou sans but
thérapeutique, on peut vous offrir la liqueur de vulnéraire dans toutes les
maisons chartroussines. Revenons à l'usage Vulnéraire. D'après le dictionnaire
"Vulnéraire" signifie capable de faciliter la cicatrisation ou la guérison des
plaies. Les informateurs "la vulnéraire, ça veut dire "qui guérit", la
vulnéraire, elle guérit beaucoup de choses".
La propriété passe d'un niveau de guérison locale à un niveau de guérison
générale. Les enquêtes ont donné lieu à une seule citation concernant ses
propriétés cicatrisantes et elle a été communiquée par quelqu'un de Thiers
extérieur au pays. Le seul usage local unanimement reconnu est celui de plante
réchauffante.
Dans les flores, l'appellation de "vulnéraire" renvoit à l'Anthillis vulnéraire,
plante de la familles des papillionacées ayant les propriétés de vulnéraire au
90
sens classique du terme. Celle-ci pousse dans les prés autour des villages.
Curieusement une relation est faite entre cette "vulnéraire du bas et "celle du
haut", comme nous l'avons vu précédemment, elle lui sert d'indicateur.
Quelles sont les indications de la Vulnéraire chez les auteurs de pharmacopée
classique ?
Nous n'avons trouvé aucune indication sur cette plante dans les différents
ouvrages consultés (Leclerc - Lemery - Fournier - Rolland). Le seul auteur la
mentionnant est Mme Rivière-Sestier in "Remèdes populaires en Dauphiné", elle
l'a dit : "très active dans tous les cas de refroidissements ... fort efficace
dans les rhumes et les bronchites, c'est également un excellent digestif ...".
Elle n'apporte aucun élément sur son mode d'action. L'étude des propriétés d'un
autre Millepertuis, le Millepertuis perforé, le plus commun, ne nous apprend
rien sur l'action du Millepertuis nummulaire. Le Millepertuis perforé, n'est
jamais cité comme remède de coup-de-froid, mais par contre, est très remarqué
pour ses propriétés vulnéraires en utilisation externe.
S'agit-il d'endémisme vrai ? pour Millepertuis La réponse nécessiterait de plus
larges investigations que celles menées jusqu'à maintenant.
Ces différentes recherches qui nous ont permis de mieux connaître la Vulnéraire
à travers sa cueillette et ses usages, ne nous ont apporté aucun élément sur
leurs origines. L'explication des vertus exceptionnelles de la vulnéraire est à
rechercher en Chartreuse même dans le chemin qui mène de la cueillette à la
liqueur.
6. MAIS D'OU VIENT LA FORCE EXCEPTIONNELLE DE CETTE PLANTE ?
"Peut-être parce qu'elle vient des hauteurs"
Le Millepertuis nummulaire est une plante du domaine montagnard, domaine peut
fréquenté qui éveille toujours méfiance et admiration et auquel l'on accède
qu'après plusieurs heures de bonne marche. Comme le dit E.R. Bellot pour le
Génépi, ce Millepertuis vient de l'espace sauvage par opposition à l'espace
domestique et la montagne lui confère de sa grandeur et de sa dimension
mythique. "Les hauteurs c'est un climat rigoureux et hostile, source des coups
de froid mais également de leur antidote : la Vulnéraire qui se cache dans les
rochers pour capter la chaleur et plus elle pousse en altitude, plus elle se
rapproche du soleil et plus elle peut lui ressembler..
Petite, cachée et difficile à cueillir
La montagne, symbole de la grandeur produit dans des endroits presque secrets
une toute petite plante d'une efficacité remarquable. Tous les récits de
cueillette n'ont pas manqué de s'attarder sur les maintes difficultés auxquelles
doit faire face le cueilleur : il doit connaître les "coins", être capable de se
déplacer entre falaises, crevasses et rochers et savoir la cueillir. De plus, la
cueillette est interdite, ce qui ne fait que renforcer sa force. Cette
interdiction inquiète peut les chartroussins, ils l'ont toujours cueillie et
continuent de le faire. N'est-ce pas d'ailleurs spécialement pour eux qu'elle
pousse ! Mais sa petite taille n'est qu'apparente "C'est une vivace, on ne peut
l'arracher, ses racines sont trop profondes et incrustées dans le rocher, une
fois, j'en ai vu une (racine) après un orage qui avait éclaté le rocher". Elle
substance. "Son parfum vient du rocher, elle secrète un acide pour creuser le
rocher et c'est ce qui donne son parfum".
En première analyse, sa valeur repose sur une série d'oppositions :
- plante qui vient du "sauvage"/plante qui soigne l'humain
- plante qui vient du "froid'Vplante qui apporte la chaud
- plante de petite taille/plante de grande efficacité
- plante à grande racine qui perfore le rocher
- plante qui pousse dans l'immensité
- plante difficile à cueillir/plante la plus recherchée de tout le massif et
interdite de cueillette
Mais cette première approche, que l'on pourrait qualifier d'imprétation
écologique, au sens scinetifique de terme, ne suffit pas à expliquer sa force,
il convient de poursuivre la recherche dans le contexte symbolique et
l'environnement humain de la vulnéraire.
Millepertuis, plante solaire, (plante du 15 Août)
"Par sa floraison tardive située autour du 15 août, la Vulnéraire est l'une des
dernière plantes de la montagne à fleurir et fait cadeau des cîmes avant les
rigueurs de l'hiver. Elle fleurit au plus fort de l'été montagnard, avant les
premières neiges qui peuvent survenir dès la fin août. C'est un peu comme si
elle avait accumulé tous les bienfaits du soleil du bref été pour les opposer
aux rigueurs hivernales prochaines. Comme tous les Millepertuis, sa morphologie
fait penser au soleil "image réduite ... de la roue solaire et de ses rayons
chaleureux. Comme lui d'un or lumineux, comme lui ouvert à la saison bénéfique
des nuits courtes et des longs jours chauds où la terre ensemmencée commence à
fructifier et le végétal à livrer ses dons" (A)
A la différence des autres plantes solaires, son apogée n'est pas au solstice
d'été (le 24 juin). A cette date la Vulnéraire est encore souvent recouverte de
neige, l'été montagnard étant tardif. Elle semble dotée de la force particulière
accordée aux herbes de la Saint-Jean qui sont plus que toutes autres bénéfiques
aux êtres humains. On peut faire le parallèle entre les rituels magico-religieux
(5) qui entourent la cueillette des herbes de la Saint-Jean et les récits
auréolés d'aventure et de mystère de la cueillette de la Vulnéraire.
De même que le Millepertuis perforé est l'herbe de la Saint-Jean ne pourrait-on
appeler le Millepertuis nummulaire l'herbe de la Sainte-Marie. En effet, la date
de cueillette est toujours précise. "On va la cueillir dans les rochers au 15
août". Est-ce que le 15 août, fête religieuse très respectée dans ce massif
christiannisé depuis longtemps, conférerait à la plante un peu de sa sainteté et
donc de sa force que l'on pourrait qualifier de surnaturelle ? ou plus
prosaïquement le 15 août est un des seuls jours chômés respectés dans le bref
été laborieux du paysan montagnard et qui permet aux hommes d'aller faire une
expédition en montagne ?
Ce caractère sacré est à relier à son appellation locale. Tous les chartroussins
la nomment vulnéraire des "Chartreux", du nom de l'ordre religieux que Saint
Bruno a créé au Xlème siècle dans ce massif. Cet ordre ermite, rigoriste est
très présent dans la vie locale et les chartroussins y sont très attachés. Ce
sont ces moines qui fabriquent le très célèbre "élixir de Chartreuse", liqueur à
la-composition secrète qui "ne renferme pas moins de 130 plantes et douée de
propriétés médicinales merveilleuses" nous dit la publicité. Tous les
chartroussins y reconnaissent, sans conteste, le parfum de la vulnéraire.
L'image de marque de cette liqueur bâtie sur le secret de sa fabrication et le
9?
mystère monacal réjaillit sur l'ensemble des plantes médicinales de la
Chartreuse et en particulier sur la vulnéraire.
Localement le nom d'usage de la plante sera le nom patois : venerelle ou
venerella qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher du terme vénération même
l'éthymologie ne nous le confirme pas.
si
A l'issue de cette "expédition" dans les montagnes de Chartreuse à la recherche
de la vulnéraire, celle-ci nous apparaît comme étant une parfaite illustration
des relations que l'homme a su nouer avec son milieu (6)
Bien au-delà de toutes les listes de principes actifs de la pharmacopée
classique, l'utilisation de la vulnéraire est le fruit de la rencontre entre la
représentation que le Chartroussin se fait du corps assailli par le "froid" et
sa perception de son environnement qui lui offre la plante salvatrice..
(1) Voir à ce sujet les travaux de E.R. BELLOT "Pharmacopée populaire de la
région de Champsaur", Mémoire de D.E.A. anthropologie 1987.
(2) Comme l'explique P. LIEUTAGHI in "L"Herbe qui renouvelle" p. 96 et suivantes
(3) cf A. JULLIARD in "Savoir les plantes pour le plaisir de soigner" p. 77 in
Mémoire vivante - Dires et savoirs populaires.
(A) in J. BRABANT. Plantes médicinales et pensée traditionnelle en BasseNormandie p. 313.
(5) in J. BRABANT -iden
(6) cf P. Lieutaghi in l'herbe qui renouvelle.
94
DE LA MENTALITE PRIMITIVE AUX SAVOIRS DES REMEDES'
José DOS SANTOS
Décrire les conséquences positives que l'on peut mettre sur le
compte d'une approche des pharmacopées vernaculaires en termes
cognitifs serait une tâche bien plus facile si l'on pouvait se
référer à un nombre suffisant de recherches ayant adopté ce point
de vue, dont il suffirait alors de recenser les acquis
directement imputables aux mérites de l'approche.
Tel n'est malheureusement pas le cas ni au niveau international,
où les recherches cognitives ont de préférence été consacrées à
d'autres savoirs que ceux qui se manifestent dans les
pharmacopées vernaculaires. Quant à la littérature d'orientation'
cognitive en langue française, (minoritaire à l'intérieur du
champ ethnologique), elle n'a jusqu'à présent, que très peu
abordé leur étude.
Cela nous contraindra à un important détour, à travers l'histoire
de nos disciplines, rendu d'autant plus nécessaire que le lecteur
français est peu familier avec l'orientation cognitive où
prédomine largement la littérature anglo-saxonne,. Il permettra
de rappeler quelles notions et quelles orientations ont fait
obstacle à l'émergence des questions cognitives, de montrer
comment elles continuent, aujourd'hui encore, de jouer ce rôle.
On pourra peut-être ainsi mieux comprendre pourquoi
l'anthropologie européenne a tant de difficulté à faire siennes
les questions et les méthodologies cognitives, y compris,
paradoxalement, lorsqu'elle se consacre au domaine des savoirs
vernaculaires.
Ce travail préliminaire devrait nous amener à considérer, dans un
deuxième temps, les méthodes et les résultats obtenus par
l'approche cognitive, sur des objets qui, pour être proches des
pharmacopées vernaculaires (tels que les classifications
botaniques, ou des maladies), n'en posent pas moins des problèmes
différents, et ne sont donc pas transposables tels quels à
l'étude des pharmacopées.
Cependant, ce second volet dépasse de beaucoup ce que l'on peut
prétendre dire, de façon suffisamment étayée, dans le cadre de
ces quelques pages. Il en résulte que les préoccupations de type
cognitif, plutôt que d'être présentées sous la forme "bilan et
programme", apparaîtront plutôt comme le point d'appui de
l'examen critique d'un certain nombre de textes anthropologiques
fondateurs. Mais ce qui est donc le critérium de la critique,
renvoie, parfois directement, aux nouvelles orientations, soit
sur un mode conjectural, soit, dans une prudente mesure, sur
celui de l'indication programmatique.
Ce dernier caractère, cependant, on se gardera d'en faire une
lecture trop statique, car aucun "programme", formulé à un moment
où le corpus de recherches est encore insuffisant, ne saurait
sortir inchangé de l'épreuve de la pratique, quand bien même
celle-ci se donnerait pour but de le réaliser.
L'orientation cognitive en anthropologie
Pour situer, d'un mot, ce qui distingue l'orientation "cognitive"
des autres modes d'approche des faits culturels, on soulignera
qu'il s'agit, tout d'abord, d'une reprise en de nouveaux termes,
de questions qui sont, pour l'essentiel, fort anciennes ; mais on
tente de les traiter à des niveaux de formulation et de
méthodologie qui recèlent, eux, un important renouvellement.
T
La question de fond est, bien sûr, celle de la connaissance :
comment les hommes savent ce qu'ils "savent", c'est à dire
comment ils apprennent, élaborent, échangent leur savoir.
Cette question n'est pas du ressort exclusif de l'anthropologie
sociale et culturelle, tant s'en faut. Les philosophes l'ont
inscrite au centre de leurs préoccupations depuis les premiers
pas de leur discipline.
Mais ils trouvent un nouvel angle d'intervention dans le débat
scientifique, voire technologique, à travers les sciences de la
cognition, qui réintroduisent la question de la connaissance,
parfois sous un mode naïf, mais sans doute dans un contexte
nouveau et stimulant, en prise avec le développement des
disciplines issues des mathématiques, de la théorie de
l'information, et de la biologie. (1)
Cela est vrai aussi des psychologues, chez lesquels le renouveau
d'intérêt pour les questions du savoir a suscité la création
d'une branche spécialisée, la "psychologie cognitive". (2)
Les sciences de la vie, et la neurologie en première ligne, ont
également rejoint ce questionnement. Si les fonctions
essentielles du système nerveux sont celles de mise en relation
de l'organisme avec son environnement à travers un processus dont
l'enjeu est une certaine adéquation globale des réactions du
premier au second, et des actions à déclencher pour maintenir
cette adéquation, alors, on peut, à l'intérieur de cette réaction
globale, appeler "cognition" les processus d'appréhension
adéquate du monde extérieur et du corps propre, par le système
nerveux, et le cerveau en particulier. Comme l'écrit F.J. Várela,
"en pratique, presque toute la neurobiologie (y compris son
immense corpus de données empiriques) a été infiltré par le
corollaire cognitiviste du traitement de l'information" (3)
Les anthropologues se posent les questions à un niveau différent
: ils doivent partir des faits sociaux et culturels, qui sont des
pratiques observées, des discours, des productions culturelles
diverses, pour tenter de repérer ce qui, en eux, relève d'un
savoir, c'est à dire d'une appréhension adéquate des objets
qu'elle définit et manipule.
La question cognitive, sous ces formes excessivement abstraites,
mais non équivalentes, que nous avons évoquées - "comment pensent
les hommes", ou "comment la pensée des hommes forme-t-elle un
savoir" - est donc très loin d'être nouvelle pour
l'anthropologie. On peut affirmer, non sans paradoxe, qu'elle est
à la fois la question constitutive de l'anthropologie naissante,
présente, en filigrane, tout au long de son histoire, et
cependant une question neuve. (4)
Mais une certaine anthropologie l'a perdue de vue pendant presque
un demi-siècle. Il y a à cela des raisons en quelque sorte
objectives, qui tiennent aux difficultés intrinsèques à la
question de la connaissance, et des raisons d'un autre ordre,
plus contingentes, qui proviennent des orientations adoptées par
les anthropologues, de leur façon de traiter la culture, des
notions et des méthodes utilisés.
Les difficultés intrinsèques découlent de l'impossibilité de
déterminer de façon absolue ce qui, dans l'ensemble d'une culture
1 D. ANDLER, "Progrès en situation d'incertitude", Le Débat, 47, Nov.-Dec.
1987, pp.5-25
2 G. TIBERGHIEN, "Psychologie cognitive, science cognitive .et cognitivisme",
in DEMAILLY A. et LE MOIGNE J.L., Sciences de l'Intelligence, Sciences de
l'Artificiel, Lyon, P.U.F., 1986, p.226.
3 F.J. VÁRELA, Connaître, les sciences cognitives, tendances et perspectives,
Paris, Seuil, 1989, p.49
U S. A. TYLER, Cognitive Anthropology, New York, Holt, R. & W., 1969, p.2
3
ou bien dans un domaine de pratiques, dans un système de
représentations, est de l'ordre de la connaissance, par
opposition à ce qui appartiendrait à d'autres registres (5)
("types" ? "catégories" ?), ceux de l'illusion, de l'imaginaire,
des affects, de la fiction, de la "croyance", etc., sans produire
une théorie de la vérité, de la connaissance vraie.
Or la question transcendantale ainsi rencontrée, (6) outre
qu'elle n'a pas trouvé de solution satisfaisante dans son champ
propre, (celui de la métaphysique), il n'appartient pas à
l'anthropologue de la poser. Ce dernier serait donc, pour
l'essentiel, devant une alternative qui semble lui imposer de
choisir soit, "d'importer", en provenance de la philosophie, une
conception de la vérité qu'il adoptera comme étalon général pour
toutes les cultures - avec le risque ethnocentrique évident que
ce choix contient ; soit, d'adopter la position relativiste sur
la connaissance et la vérité, et se mettre ainsi dans
l'impossibilité de distinguer ce qui, dans chaque culture, est du
savoir, à l'intérieur de l'ensemble de la pensée et par rapport
(opposition) à ses autres types de produits, si ce n'est dans les
termes locaux, propres à chacune. (7)
Ces points de vue locaux sur la vérité, (et la démarche,
nécessaire, qui consiste à se placer, d'abord de ces points de
vue là), s'ils ne sont pas dépassés, de quelque façon, par une
théorie de l'adéquation du savoir à ses objets qui les inclut
tous, aboutissent à interdire toute comparaison. Ils conduisent à
faire l'hypothèse de 1*intraduisibilité fondamentale des
cultures, c'est à dire, à saper la possibilité même de
l'anthropologie. (8)
L'examen de la justesse d'une telle alternative et des conditions
méthodologiques de son dépassement, nous conduiraient, cependant,
bien au delà du cadre de notre propos.
Mais on ne peut complètement l'éviter sans courir le danger de
perdre de vue ce qui fait la spécificité des faits d'ordre
cognitif par rapport à l'ensemble des faits de culture, ou se
mettre dans l'impossibilité de poser la question cognitive aux
faits culturels dans leur ensemble.
Dans la première perspective,l'analyse privilégiera les processus
d'organisation des objets du monde extra-mental, de la réalité
extérieure à la subjectivité humaine. Dans la seconde, la
question cognitive est posée à tout fait culturel quelle que soit
sa nature. Il s'agit alors de déterminer quels processus
5 On verra que ce pluriel est indispensable, en rencontrant certains singuliers
fort dangereux, exemple "la pensée mythique", ou "la pensée sauvage". Mais
n'anticipons pas sur ce qui suit...
6 Question que M. Foucault pense éviter, en proposant, avec son "archéologie
du savoir", un parcours sur "l'axe pratique discursive-savoir-science", "au
lieu de parcourir l'axe conscience-connaissance-science (qui ne peut être
affranchi de l'index de la subjectivité)", propre à "l'histoire des idées". M.
FOUCAULT, L'archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 239
7 Et c'est précisément le problème que Foucault ne peut , en dernière anaivse,
éviter : pourquoi appeler certaines "pratiques discursives" des "savoirs", s'ils
ne sont pas "la part de vérité" qu'elles véhiculent, si leur rapport à des
sciences qui pourraient "éventuellement" être constituées à partir d'eux "r.'est
pas nécessaire ", ? ibid. p.237 sq.
Les "positivités" ne peuvent inclure la part d'erreur (que la suite peut
révéler), et constituer des savoirs, que parce qu'elles sont des pratiques
discursives de type positif, constituées par des énoncés "indexés" à la vérité
historiquement définie, en un lieu culturellement déterminé.
8 Cf. Dan SPERBER, Le savoir des anthropologues, Paris, Hermann, 1982, pp.
59 sq.
A
cognitifs interviennent dans la production des faits culturels
(pratiques, discours, savoir-faire ou mythes).
Quel que soit le point de vue, cependant, la "question cognitive"
introduit nécessairement une contrainte, qui est celle de définir
l'adéquation entre les discours et les pratiques et leurs objets.
En l'absence de tout critère d'adéquation, le traitement d'un
ensemble de faits culturels en termes de savoir n'est rien
d'autre qu'un usage abusif de ce terme, usage dont les
motivations demeurent obscures. Pourquoi, en effet, parlerait-on
de "savoir", si l'on est prêt à y inclure l'usage mytho-poïétique
du langage, le discours poétique, voire le délire, en
s'interdisant de poser les critères qui les distinguent ?
On gardera en mémoire cette contrainte, pour le développement qui
suit, , même si on renonce à en explorer toutes les conséquences
dans le cadre limité que nous nous sommes donné.
La démarche cognitive : une définition minimale
Ce qui doit retenir l'attention ici, c'est la préoccupation
d'ensemble : les questions relatives au savoir, dans quelque
domaine d'objets qu'il se constitue, de quelque type qu'il
relève, (depuis le savoir-faire pratique peu ou pas verbalisé,
aux grandes constructions, orales, écrites, savantes ou non), au
lieu d'être tantôt complètement laissées de côté, tantôt réduites
au statut de domaine restreint et secondaire, vont désormais
occuper le devant de la scène. '
Nous sommes donc tentés de donner ici une définition minimale de
l'approche cognitive : une orientation qui interroge les faits de
culture en ternes de savoir, ou cognition ; qui voit en celle-ci
un aspect présent dans la plupart des faits culturels, mais un
aspect nettement distinct des autres modes de fonctionnement de
l'esprit humain. (9)
Enfin, une approche qui se donne pour but de cerner ce que les
individus et les sociétés tiennent pour vrai (ou correspondant à
la réalité), en procédant de sorte à permettre sa mise en
relation avec nos propres conceptions de la vérité et de la
réalité.
9 Définition minimale à plus d'un titre : tout d'abord, elle ne suit pas TYLZ?.
qui identifie "culture et cognition" : "les cultures sont des organisations
cognitives des phénomènes matériels", o.p. cit. pp.3, 13 . Ensuite, elle ne
suppose pas, avec la plupart des auteurs réunis dans le volume édité par lui.
que "l'anthropologie cognitive est une science formelle". (Je souligne).
5
Un ancêtre encombrant : la mentalité primitive
Parmi les formations conceptuelles (on pourrait les appeler des
complexes notionnels), qui sont devenues des obstacles
épistémologiques à une prise en considération correcte des
savoirs des "autres", on rappellera celle de la "mentalité
primitive", dont Lucien Lévy-Bruhl a été, pendant près de trente
ans, l'ardent défenseur.
Ses thèses, d'abord énoncées en 1910, (10) réitérées en 1922 dans
l'ouvrage auquel la notion fournit le titre, "La mentalité
Primitive", qui ne connut pas moins de quinze éditions depuis sa
publication jusqu'en 1976, développées en 1925 dans "La
mythologie Primitive", puis dans une série de travaux jusqu'à sa
mort, en 1939, se résument, pour l'essentiel, en l'affirmation de
l'existence d'une "mentalité" radicalement autre, propre aux
"primitifs". Il ne faut pas chercher dans les textes de LévyBruhl une définition conceptuelle de ce qu'est une "mentalité",
pas plus que chez ceux qui l'ont suivi dans l'utilisation de
cette notion. "Orientation de l'esprit", "façon de penser",
"habitudes mentales", laissent dans le vague la définition exacte
de cette entité, comme seront d'ailleurs contraints de le faire
tous ses utilisateurs successifs.
A son propos, on se contentera de décrire un ensemble fort
divers, de représentations, de "croyances", dé pratiques
rituelles, qui manifesteront la présence, chez les "primitifs",
d'un mode de fonctionnement mental radicalement différent du
"nôtre", fondé sur la "participation", le caractère "magique",
"mystique", "mythique". Vues sous l'angle négatif, ces
caractéristiques de la "mentalité primitive" sont ce qui explique
"leur" incapacité à produire une science, une philosophie : elle
est prélogique, irrationnelle, affective.
On est, aujourd'hui, plus détachés de l'oeuvre de Lévy-Bruhl que
ne l'ont été les générations qui nous précèdent. Elle n'est plus
connue, bien souvent, qu'à travers ses critiques, et l'influence
qui fut la sienne pendant plusieurs décennies, fait désormais
partie d'une sorte de refoulé, forcément honteux, (forcément) mal
analysé, des ethnologues.
Aussi peut-on imaginer qu'il ait développé sa théorie de la
"mentalité primitive", faute de disposer des informations sur les
savoirs empiriques dans les cultures pré-industrielles. On
trouverait ainsi dans la méconnaissance de ce qui est devenu,
pour nous, un acquis infiniment plus présent, en quelque sorte
évident, le fondement d'une thèse qui fait des "autres" des êtres
incapables de raison, donc de savoir,.
Or il n'en est rien. La documentation qu'utilisait Lévy-Bruhl lui
fournissait, en même temps qu'une énorme masse de préjugés, une
information de première main, et fort intéressante, sur les
savoirs du monde naturel, de la technique, de la thérapeutique
parmi les "primitifs" qui lui fournissent l'essentiel de son
argumentation.
Il n'ignore pas que "Les Australiens, par exemple, pour se rendre
maîtres des animaux dont ils se nourrissent, kangourous, émous,
opossums, rats, oiseaux, poissons, etc., avec le peu
d'instruments et d'armes dont ils disposent, ont eu besoin d'être
renseignés très exactement sur leur habitat, leurs moeurs, leurs
migration saisonnières, et d'une façon générale toute leur façon
de vivre. C'est souvent pour eux une question de vie ou de mort.
10 L. LEVY-BRUHL, Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures,
Paris. PUF. 1910
6
Ils y appliquent une patience d'observation, une finesse de
discernement,, une mémoire parfois prodigieuses." (Il)
Il utilise les travaux de Wirtz sur les Marind-Anim, (12) qui
écrit : "Leur connaissance des plantes et de l'usage qu'on en
peut faire est vraiment prodigieuse." Mais, coupe Lévy-Bruhl,
"inutile d'insister sur ces faits bien souvent signalés",
(remarque à laquelle on reconnaît qu'il n'y voit pas un
signalement isolé de savoirs d'exception), car "la richesse même
des particularités concrètes (...) a pour conséquence une action
inhibitrice qui rend malaisé à l'indigène de passer de l'image
spéciale à une idée générale, comme nous le faisons si
facilement. (...) Ils sont ainsi peu portés à comparer pour
classer, et pour substituer aux images spécifiques proprement
dites des idées générales et abstraites, moins riches de détails,
mais plus maniables. Admirablement renseignés, de leur point de
vue, ils en savent certainement plus sur les plantes et les
animaux de leur région, que nos paysans sur la flore et la faune
de leur canton. Mais ce savoir reste collé à ses objets
particuliers, et par suite, inorganisé, non systématique,
fragmentaire." (13).
Le point essentiel, où Lévy-Bruhl écarte des données qui
paraîtront bientôt décisives, (14) est ici celui du rapport
existant entre d'une part ces savoirs empiriques, et de l'autre
les représentations, les "croyances", les "mythes" qui leur sont
associés, et qui semblent devoir constituer, à eux seuls, tout le
champ de la "mentalité primitive". En est exclue, par conséquent,
l'étude de "ses rapports avec les techniques des sociétés
inférieures (invention et perfectionnement des outils et des
armes, domestication des animaux, construction des édifices,
culture du sol, etc.)" (15)
Et c'est moins le choix que fait Lévy-Bruhl, de laisser de côté
les savoirs de la nature, qui nous intéressera ici, que la
relation qu'il tente d'instaurer entre les deux domaines
d'activité intellectuelle que l'on désignera, en abrégé, comme
celui des. savoirs et savoir-faire d'une part, et celui des
mythes, des croyances, des rites, d'autre part. Ces derniers sont
les manifestations d'une pensée autre : la pensée pré-logique.
Les premiers, par contre, ne méritent pas d'être considérés comme
de "la pensée". Comme le dit très clairement Lévy-Bruhl, à propos
des Groenlandais, "il n'est pas douteux que, en poursuivant les
occupations nécessaires à leur subsistance, (ils) ne raisonnent
et n'adaptent des moyens, parfois compliqués, aux fins qu'ils
recherchent. Mais ces opérations mentales ne se détachent pas des
objets matériels qui les provoquent, et elles cessent aussitôt
que leurs fins sont atteintes. Elles ne sont jamais pratiquées
pour elles-mêmes, et elles ne nous paraissent pas, pour cette
raison, s'élever à la dignité de ce que nous nommons proprement
"pensée"." (16) Ainsi, de façon on ne peut plus claire," comme "le
penseur" imbu du triomphalisme de la "raison théorique" qu'évoque
Bourdieu, il "trahit sa conviction secrète que l'action ne trouve
son accomplissement que lorsqu'elle est comprise, interprétée,
exprimée, en identifiant l'implicite à 1'impensé et en refusant à
11 L. LEVY-BRUHL, La mythologie primitive, Paris, PUF, 1925 (1963), p. 49
12 WIRTZ P., Die Marind-Anim von holländisch-Sud-Neu-Guinea, 1922, à qui
se référera également C. Lévi-Strauss, 1962, p. 85.
13 L. LEVY-BRUHL, ibid., p. 50
14 On remarquera que même sur le point précis des classifications, qui vont
devenir l'objet privilégié sinon exclusif de certains courants ethnoscientificue
Lévy-Bruhl se met dans l'impossibilité d'en percevoir l'importance.
15 L. LEVY-BRUHL, La mentalité primitive., Paris, (1922) Retz, 1976, p.30
16 ibid., p. 32
7
la pensée tacite et pratique qui est inhérente à toute pratique
sensée le statut de pensée authentique".(17)
Ces deux domaines s'opposent tour à tour comme le monde de
l'expérience ordinaire à celui de l'expérience "surnaturelle",
comme le domaine des activités profanes et quotidiennes à celui
des représentations mythiques, à la fois "mystique" et sacré. Ils
seraient, plus que deux parties différentes mais constitutives
d'un même ensemble, deux ordres différents de réalité,
pratiquement étanches l'un à l'autre, à ceci près que dans l'un
comme dans l'autre, rêve et réalité seraient tenus pour
équivalents, se tiendraient mêlés sans possible discernement la
faible raison pratique et le tout puissant irrationnel.
Le rationnel et le pré-logique : le "grand partage"
Voilà des positions dont l'intérêt - si on les prend dans leur
formulation d'ensemble et dans leurs conséquences les plus
évidentes - semble n'être plus désormais que celui d'une histoire
de l'anthropologie française. Ce n'est plus à Lévy-Bruhl que l'on
se réfère depuis bien longtemps, pour ce qui est de
l'anthropologie des savoirs et de la pensée du mythe.
Néanmoins, ses descriptions de la "mentalité primitive"
reposaient sur un certain nombre de postulats implicites dont il
n'est pas sûr que la théorie anthropologique ait fait le tour
complètement. (18)
C'est tout d'abord l'idée selon laquelle, à côté et en dehors de
la "mentalité moderne" ou "scientifique", il en existerait une
autre (et une seule) qui serait propre aux sociétés "primitives".
L'idée n'est pas neuve, mais c'est avec Lévy-5ruhl que la
caractérisation des différences entre ces deux "mentalités"
acquiert les contours qui feront référence, qu'ils soient tenus
pour acquis, ou deviennent les points d'achoppement des
discussions.
On décrira l'opposition entre les deux "mentalités" comme
l'analogue de celle qui oppose le "pré-logique" ou l'irrationnel,
au logique et au rationnel, la pseudo-"pensée" du concret et de
la pratique, à la pensée capable d'abstraction ; le sensible, le
domaine de l'affectif, à l'intellectuel.
La première serait caractéristique de la "mystique", de la magie,
du mythe, tandis que de la seconde, par contraste, seraient
emblématiques la science et la philosophie.
Le cadre général de ce que J. Goody appellera "le grand partage",
la dichotomie Eux/Nous qui servira de matrice à tant d'études sur
le "mode de pensée" des "autres", est ainsi sinon inauguré par
Lévy-Bruhl, (19) du moins établi par lui sur un mode
systématique.
Cette matrice dichotomique, soumise pourtant à une critique
intense, n'a pas cessé pour autant de se reproduire, fût-ce au
17 P. BOURDIEU, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p.62. Les soulignés
sont de l'auteur.
18 Comme le signale D. Sperber, "sa notion de mentalité prélogique (...) en
dépit des critiques nombreuses (...) est encore très souvent acceptée, fût-ce
implicitement." Dan SPERBER, "La pensée symbolique est-elle pré-rationnelle
?", in M. IZARD et P. SMITH, La fonction symbolique, Paris, Gallimard, 1979,
p.18
19 Car il sert, bien avant sa formulation systématisée, le propos de la plupart
des Européens au contact avec les sociétés différentes, comme d'ailleurs, à
l'intérieur même des sociétés européennes, pour qualifier la culture de ceux
qui apparaissent alors comme "nos primitifs". Voir aussi ce qui est dit cidessous de Durkheim et Mauss.
8
prix des déformations et des déplacements que lui imposeront les
modifications du champ ethnologique dans son ensemble.
J. Goody en suivra les avatars depuis Lévy-Bruhl (1910), jusqu'à
Lévi-Strauss (1962), de Horton (1967), à Sahlins (1976).
Par ailleurs, et pour n'évoquer ici que quelques exemples, elle
est présente, quoi qu'on en ait, chez Leroi-Gourhan, qui revient
sur le rapprochement, que faisait déjà Lévy-Bruhl, entre les
"primitifs" contemporains et les hommes de la préhistoire, pour
souligner qu'en partant des uns comme des autres, on avance vers
l'homme moderne comme on passe de la pensée mythologique et de
l'expression irrationnelle à la pensée rationnelle.
"Si, pour nous représenter ce que pouvaient être les façons de
penser et de sentir de ces hommes préhistoriques, nous nous fions
à l'analogie, ce sont évidemment les "primitifs" (...) qui
fournissent le meilleur terme de comparaison (...). Or, leur
mentalité, comme on sait, était intensément mystique. Nous devons
donc admettre que celle des sociétés préhistoriques ne l'était
pas moins", écrit Lévy-Bruhl. (20)
Ce que rappelle de très près la position de Leroi-Gourhan, qui
écrit, quarante ans plus tard : "Sur l'organisation de la pensée
primitive, (...) ce qu'on en sait est en faveur d'un processus où
l'opposition entre les valeurs s'ordonne dans une logique de
participation qui a fait un moment considérer le raisonnement des
primitifs comme "pré-logique". La pensée primitive paraît se
mouvoir dans un temps et un espace constamment remis en
question." (21) Quelles que soient, par ailleurs, les différences
entre leurs positions (et elles sont d'importance), car LeroiGourhan se donne les moyens d'une véritable analyse des processus
par lesquels se construit un "outillage de la pensée", la matrice
dichotomique reste impliquée dans la démonstration, sans critique
suffisante.
C'est elle, encore, que mobilise, sur un plan différent, G.
Devereux. Pour lui, le caractère "primitif" ou "pré-iogique"
prend valeur de "primaire" au sens freudien (d'autres auraient pu
écrire "archaïque"). L'ethnopsychiatrie (ou la psychanalyse),
vient ainsi rabattre la primitivité historique dans la
prinitivité psychique, comme si le psychisme propre au "primitif"
devenait le lieu originaire des processus psychiques archaïques.
"Une situation de ce genre" (il s'agit d'une scène du Cratyle)
"n'est psychologiquement concevable que s'il y a éruption
temporaire du "processus primaire" (Freud),ou de la "mentalité
pré-logique" (Lévy-Bruhl)" (22), écrit Devereux, pour qui il
semble que cette "mentalité" est donc douée des propriétés du
"processus primaire" : elle serait refoulée, aurait une économie
énergétique semblable etc. L'homme "civilisé" (23) serait donc
par rapport au primitif ce que le Moi conscient est par
opposition à l'inconscient.
Cette équivalence, il la réaffirmera encore, à propos des modèles
d1inconduite et des "matériaux que les individus troublés
synthétisent et expriment dans leur comportement": "Ces matériaux
20 L. LEVY-BRUHL, La mythologie primitive, op. cit., p. 145
21 A. LEROI-GOURHAN, Le geste et la parole, Paris, Albin Michel, 1964,
p.291-292. On remarquera en passant que ces notions "participation", espace
et temps remis en question, etc., sont propres à Lévy-Bruhl, et lui
permettent précisément de fonder l'incapacité des "primitifs" à produire des
classifications "comme les nôtres". En effet, comment classer un monde "fluide"
où chaque chose peut devenir toute autre chose ?
22 G. DEVEREUX, Essais d'ethnopsvchiatrie générale, Paris, Gallimard, 1970,
p.26
23 Moderne ? occidental ? pourquoi pas le Blanc ? Ou peut-être, comme on le
verra, le Blanc unbbànncuùttTrié ?
9
étant foncièrement irrationnels, ils s'articulent aisément avp.c
des modes de penser et de sentir qui relèvent du processus
primaire (Freud) et de la pensée pré-logique (Lévy-Bruhl)". (24)
Ce qui est impliqué dans ce rapprochement, on l'aura perçu, c'est
l'équivalence entre Phylogenese et ontogenèse : le développement
de la "pensée" de l'espèce humaine suit les mêmes stades que
celui des processus psychiques individuels, on va du primitif au
moderne comme de l'enfant à l'adulte. On aura, sans s'en douter,
fait du "primitif" contemporain l'équivalent, du point de vue de
la "pensée", de notre ancêtre préhistorique, cet autre nous-mêmes
encore enfants.
Ces liaisons et ces déductions sont à la fois très anciennes, et
très insidieusement présentes. Durkheim et Mauss écrivent que
"l'état d'indifférenciation complète"... (il est question des
Sioux, des Bororos, des Bakaris), "ne diffère pas très
sensiblement de celui qui, maintenant encore, à chaque
génération, sert de point de départ au développement individuel".
(25)
A en croire P. Tort, ces analogies présentent un caractère
paradigmatique, et s'imposent encore dans le débat de 1975 entre
Chomsky et Piaget. (26) Mais il est vrai que pour ce dernier, le
rapprochement entre pensée "primitive" et pensée de l'enfant date
de ses tout premiers écrits et se maintient au long de son
oeuvre, ce qui montre, s'il en était encore besoin, à quel point
cette matrice analogique est fondamentale. (27)
Pensée mythique, pensée magique, et pensée naturaliste ou
empirique : un autre dilemme
Ce qui précède montre que la matrice dualiste que systématise
Lévy-Bruhl se joue sur un registre double lui aussi. Comme
s'opposent, d'un côté, "leur" "mentalité" - "mystique",
"magique", prélogique"- et la "nôtre" -"scientifique",
"rationnelle" -ainsi s'opposent, d'un autre côté mais sur un
mode analogue, "ce que sont, pour les primitifs, les puissances
invisibles dont ils se sentent entourés de toutes parts, les
songes, les présages qu'ils observent ou provoquent, les
ordalies, la "mauvaise mort", les objets extraordinaires apportés
par les Blancs, leur médecine, etc.", d'une part, (28) et leur
rapport empirique, technique et pratique, au monde et aux objets
naturels, d'autre part.
D'un côté, donc, les formations mythiques, les symbolismes, la
pensée "mystique" : domaine propre et matière première de la
"mentalité primitive" ; d'un autre côté, comme un en-deçà de la
pensée, les savoirs naturalistes, techniques ou pratiques,
connaissances concrètes qui semblent sans lien, sans rapports, et
pour ainsi dire sans conséquences ni pour ce qui structure la
mythologie, ni pour la formation des instruments de la "pensée".
C'est ce qui le fonde à laisser de côté, comme on l'a vu pour
commencer, savoirs de la nature, techniques, et, de fait,
jusqu'au domaine de l'empirie en entier. Il n'est donc pas pour
nous étonner, si les classifications naturalistes sont elles
24 ibid., p.37
25 E. Durkheim et M. Mauss, "De quelques formes primitives de classif icaticn'1,
"L'année sociologique", 1903, p.16-17. in Marcel MAUSS, Oeuvres, II, Paris,
Minuit, 1974, p. 29
26 P. TORT, La raison classificatoire, Paris, Aubier Montaigne, 1989, p. 546
sq.
27 Cf. notamment J. PIAGET, Le langage et la pensée chez l'enfant, (1923),
Paris, Denoël, 1984, p.16
28 L. LEVY-BRUHL, La mentalité primitive., op. cit. p.30
10
aussi écartées du domaine où s'exprimerait une possible "pensée
primitive".
11
Les "primitifs savent bien" de nombreuses choses ; connaissent
d'innombrables faits naturels et leurs relations. Comme LévyBruhl l'écrit plaisamment à un moment donné, "ils savent fort
bien que les arcs ne se reproduisent pas comme les animaux et les
plantes, et que, pour en avoir de neufs, il leur faut les
fabriquer. Mais peu importe." (29)
Tout cela semble appartenir à un espace d'évidence dont il n'y a
rien à dire, sauf à poser le problème (préjudiciel, il est vrai),
que Wittgenstein oppose à Frazer : "Le même sauvage qui,
apparemment, pour tuer son ennemi, transperce l'image de celuici, construit sa hutte en bois de façon bien réelle et taille sa
flèche selon les règles de l'art, et non en effigie." (30)
On aurait tort de penser que ce second découpage-est de moindre
portée que le premier. Certes, comme l'a montré M. Détienne,
"l'invention" de la "pensée mythique" et sa mise en opposition
Quelle avec la raison scientifique fonde, de Lévy-Bruhl à LéviStrauss et au delà, à la fois le formalisme quasi-linguistique et
le symbolisme, deux figures pourtant si éloignées en apparence.
(31) L'importance du rôle qui lui est assigné dans la
construction de l'altérité de la pensée des "autres", réside en
ceci que c'est à travers lui que l'on rejette en dehors du champ
de recherche les activités (empiriques, techniques), raisonnées,
et permet ainsi de ne point trouver de "raison" dans le domaine
préalablement choisi pour son caractère en apparence le moins
raisonnable.
Mais la tradition ethnologique française hérite, (et est
tributaire...), dans le développement de ces questions, d'un
autre courant, celui de "l'école sociologique", qui s'est parfois
opposé directement à Lévy-Bruhl, mais se donne, surtout, des
orientations nettement distinctes.
L'article que publièrent en 1903, dans "L'année sociologique", E.
Durkheim et M. Mauss, intitulé "De quelques formes primitives de
classification", représente fort bien cette autre composante, et
a le mérite, ne l'oublions pas, d'une certaine antériorité.
La question que se posent Durkheim et Mauss à propos des
"classifications primitives", est celle de savoir "ce qui a pu
amener (les hommes) à disposer leurs idées sous cette forme et où
ils ont pu trouver le plan de cette remarquable disposition."
(32) S'ils pensent, suivis en cela par Lévy-Bruhl plus tard,
qu'on "ne saurait exagérer l'état d'indistinction d'où l'esprit
humain est parti" (33), s'ils pensent trouver "parmi les peuples
les moins évolués que nous connaissons (...) une confusion
mentale encore plus absolue que dans la plupart des sociétés
anciennes, c'est que, "au début, les conditions les plus
indispensables de la fonction classificatrice font défaut à
l'humanité" (34). On ne sera donc pas surpris si "il y a
d'innombrables sociétés où c'est dans le conte étiologique que
réside toute l'histoire naturelle, dans les métamorphoses, toute
la spéculation sur les espèces végétales et animales, dans les
cycles divinatoires, les cercles et carrés magiques, toute
prévision scientifique." (35).
29 L. LEVY-BRUHL, La mythologie primitive, op. cit., p.111
30 L. WITTGENSTEIN, Remarques sur le Rameau d'or de Frazer, Paris, L'Age
d'Homme, 1982, p. 16.
31 M. DETIENNE, "L'invention de la Mythologie", Paris, Gallimard,1981,
notamment pp. 208 sq.
32 E. DURKHEIM et M. MAUSS, op. cit., p.18
33 ibid., p. 15
34 ibid. p. 17
35 ibid., p. 15
12
Mais l'essentiel de leur propos est ailleurs. Il s'agit de
démontrer que lorsqu'il y a tout de même classification, malgré
cette absence de véritable "fonction classificatrice", "la
classification des choses reproduit la classification des hommes"
(36). "La société", selon eux, "n'a pas été simplement un modèle
d'après lequel la pensée classificatrice aurait travaillé ; ce
sont ses propres cadres qui ont servi de cadres au système." (37)
Or "les choses sont avant tout sacrées ou profanes, pures ou
impures, amies ou ennemies, favorables ou défavorables. (...) Les
différences et les ressemblances qui déterminent la façon dont
elles se groupent sont plus affectives qu'intellectuelles" , "et
c'est cette valeur émotionnelle des notions qui joue le rôle
prépondérant dans la manière dont les idées se rapprochent ou se
séparent. C'est qui sert de caractère dominateur dans la
classification." (38) Au lieu, donc, que ce soient des
caractéristiques intrinsèques aux objets qui servent de critères
classificatoires, ce sont donc des caractères d'une autre réalité
qui produisent, à l'insu des intéressés, les "classifications".
A vrai dire, la position de Durkheim et Mauss oscille entre deux
pôles. D'un côté, ils sont poussés vers la reconnaissance de la
communauté d'inspiration, de mouvement vers une classification
logique, entre la pensée des "primitifs" et la science. Ils vont
nettement dans ce sens lorsqu'ils écrivent que "de telles
classifications sont donc, avant tout, destinées à reiier les
idées entre elles, à unifier la connaissance ; à ce titre, on
peut dire qu'elles sont oeuvre de science et constituent une
première philosophie de la nature." (39)
Mais, d'un autre côté, avouent-ils, "elles ne sont pas l'oeuvre
d'une logique identique à la nôtre. Des lois y président que nous
ne soupçonnons pas." (40)
Faute de pouvoir dépasser-cette ambivalence, c'est la force de
leur hypothèse sociologisante qui l'emportera : en s'imaginant
classer des objets naturels, les hommes "primitifs"
projetteraient en fait sur eux leur propre organisation sociale.
L'orientation que proposent Durkheim et Mauss a eu une postérité
plus nombreuse, et bien plus prestigieuse, que celle de LéwBruhl. A ce dernier, on opposera très vite des critiques qui
sembleront décisives, même si elles sont loin de déraciner ce qui
en fait le noyau le plus fondamental. Il deviendra courant, entre
autres, d'opposer à ses thèses celles de Durkheim et Mauss, tant
ces dernières auront bénéficié, au delà de leur mérite
intrinsèque, et de leur convergence avec le courant
ionctionnaliste, de la qualité et de l'immense prestige - en un
not, de l'autorité - des travaux de ces deux auteurs.
Mais, à l'analyse, on aperçoit qu'elles contribuent dans une
iarge mesure, ensemble avec celles de Lévy-Bruhi, à faire écran
et obstacle à la prise en considération des savoirs de la nature
en tant que savoirs, à la fois empiriques et expérimentaux,
intellectuels et pratiques.
S'ils n étaient, en erfet que projection des cadres sociaux sur
le domaine, hétérogène, des objets naturels, s'ils
n'appartenaient qu'au domaine indifférentiable de l'émotion,
26 ibid., p. 20
37 ibid., p. 83
38 ibid., p. 86-87
39 ibid. p. 82. C'est ce pôle que l'on citera le pius volontiers aujourd'hui,
mais l'oubli de son complémentaire souligne l'insuffisance de la lecture,
construit une image idéale de ces grands ancêtres, qui "oublie" le contexte
exact, et conduit à l'anachronisme. Cf. l'utilisation que fait C. Lévi-Strauss ae
leurs textes dans "La Pensée Sauvage".
A0 ibid. p. 30
13
pourquoi songerait-on à chercher, dans ces produits d'une
"mentalité pré-iogique", une pensée organisatrice du monde, un
contenu cognitif, ou encore les procédures, (par ailleurs peutêtre originales), à travers lesquelles ceiui-ci se constitue,
s'échange, se vérifie, se modifie ?
Cela sembie d'autant moins nécessaire, que sont laissés de côté,
comme chez Lévy-Bruhl, délibérément et de façon strictement
complémentaire, tous ces domaines apparemment infraintellectueis, que sont, comme on l'a vu, les savoirs inscrits
dans ies activités quotidiennes, dans la pratique.
Comme l'écrivent encore Durkheim et Mauss, ies classifications
mythologiques, ou magico-reiigieuses "se distinguent très
nettement de ce qu'on pourrait appeler les classifications
technologiques. Il est probable que, de tout temps, l'homme a
plus ou moins nettement classé les choses dont il se nourrit
suivant les procédés qu'il employait pour s'en saisir : par
exemple en animaux qui vivent dans l'eau, ou dans les airs, ou
sur la terre. Mais d'abord, les groupes ainsi constitués ne sont
pas reliés les uns aux autres et systématisés. Ce sont des
divisions, des distinctions de notions, non des tableaux de
classification. De plus, il est évident que ces distinctions sont
étroitement engagées dans la pratique dont elles ne font
qu'exprimer certains aspects. C'est pour cette raison que nous
n'en avons pas parlé dans ce travail où nous cherchons surtout à
éclairer un peu les origines du procédé logique qui est à la base
des classifications scientifiques."(Al)
Ainsi s'éclaire pour conclure, de façon plus complète, le point
nodal du malentendu persistant dans 1'ethnologie de langue
française, quant au statut des savoirs de la nature dans les
sociétés autres, au nombre desquelles il faudra bien compter les
sociétés paysannes européennes.
La sur-vaiorisation des faits mythico-religieux, des symbolismes,
de ia magie, comme domaine d'élection pour la saisie (la
compréhension) des cultures conduit, si l'on y cherche, mutatis
mutandis, les équivalents fonctionnels de notre Culture, à
conclure aux altérités radicales. Peu importe d'ailleurs, que
ceiies-ci partagent les cultures entre elles, ou bien
s'inscrivent en tant qu'entités hétérogènes et disjointes
coexistant dans la même culture : les "mentalités".
Son complément nécessaire qui est le rejet, en dehors du champ de
la "Pensée", et, par voie de conséquence, du domaine légitime de
l'étude ethnologique, de ces faits en apparence si modestes, si
universellement présents, et si complexes, que sont les
classifications naturalistes, achève de clore le champ de la
"primitivité", en mettant hors-jeu les cultures primitives chaque
fois qu'un champ de commune activité intellectuelle pourrait
paraître se dessiner.
Aussi, par un curieux glissement qui consiste à rechercher en
priorité dans la pensée qui s'exprime dans les mythes et les
rites, (élevée par là-même au rang de lieu privilégié.sinon
uniaue de "leur" pensée), l'ancêtre de la pensée scientifique
moderne ou, dans une perspective moins directement
evolutionniste, du moins ce qui, dans les "autres" cultures,
semble tenir la place fonctionnelle qu'occupée, dans notre
Culture, par la Science, on négligera les savoirs praticoempiriques de la nature.
Ces derniers sont, dans nos propres configurations culturelles,
considérés comme des domaines radicalement hétérogènes par
rapport à la science, ne jouant vis-à-vis d'elle que des rôles
*+l ibid. p. 82, note 225. On comparera avec ia position de Lévy-Bruhl, cidessus note U
14
négatifs, (pré-notions, préjugés, ou savoirs définitivement
"collés" à leur objet, marqués par l'indignité épistémologique
qui n'est que le reflet de l'indignité sociale de ceux qui les
détiennent, savoirs manuels, en quelque sorte...). Il n'est donc
pas étonnant que leur prise en considération en tant que savoirs
ne se soit faite que très tardivement, et incomplètement :
pourquoi n'en irait-il pas de même (et peut-être a fortiori),
pour les "cultures primitives" ?
De ia "mentalité primitive" à la "mentalité populaire"
Ce malentendu pré-existe à l'ethnologie, car déjà il marque tout
le travail des folkloristes, dont la préférence ira presque
toujours à cette catégorie de faits que l'on peut appeler des
curiosa, Íes croyances bizarres, les contes et légendes remplis
de monstres et de symboles, (où Lévy-3ruhl n'était ni le seul ni
le premier à voir la présence, au sein de "notre" civilisation,
de la "pensée mythique", ou "mentalité primitive"), et lorsqu'il
s'agit de médecine populaire, aux pratiques étranges, aux remèdes
immondes ou mystérieux.
I. Chiva considère que "le moment où l'on s'est mis à penser le
populaire français en même temps et sur le même mode que le
primitif" (...) "correspond à la création du musée" des Arts et
Traditions Populaires, en 1937. (42)
Il se peut que le transfert des schémas d'analyse soit plus
ancien que cela ; il pourrait, à l'enquête, s'avérer que la
constitution de l'altérité sous le mode "mentalité primitive"
soit strictement contemporaine de la prise de conscience des
cultures paysannes comme "autres", justifiant ainsi, l'une,
l'entreprise ethnographique à l'extérieur, et l'autre le regard
folklorique sur nos propres sociétés.
Mais le domaine rrancais, et européen continental, reste investi
par une vision caractéristique. Si l'on compare même les
meilleurs recueils français de savoirs populaires sur les
plantes, par exemple, à la fin du siècle dernier, avec les
travaux des tout premiers ethnobotanistes américains, on est
contraint de reconnaître dans les premiers un univers de
superstitions savantes, (l'idée que se font ces notables de leur
culture), sur un objet à peine défini, tandis que les seconds
élaborent un champ scientifique qui déjà systématise ses
méthodes, et accumule les résultats avec régularité.
Travaux de notables noyés dans le préjugé de caste, ils donnent
une image pitoyable du savoir des autres, et l'on est contraint
de lire entre les lignes ce que la réalité de leur objet a pu y
faire entrer comme de force. De là naît, pour ce qui est de "nos
primitifs", l'impression que traduit quelqu'un comme Lévy-âruhl,
lorsqu'il envisage ies savoirs des autres": que ce sont des
savoirs en vrac", "où (les connaissances) demeurent simplement
juxtaposées,, sans ordre", où "elles forment une sorte d'amas ou
de tas."'(A3)
En 1924 A. Van Gennep fait un parallèle étroit entre "l'animisme"
contenu dans "les croyances" qui véhiculent "des conceptions
primitives encore normales dans les milieux ruraux" avec ceiui
•4^. .L. CHIVA, 'Entre livre et musée, émergence d'une ethnologie de ia
France", in CHIVA I. et JEGGLE U., Ethnologies en miroir, Paris, M.S.H.
1937, p. 12.
-*3 L. LEVY-3RUHL. La mythologie primitive, op. cit., p. XIV
15
des autres peuples, primitivité qui renvoie, sur l'axe temporel,
comme il se doit, "aux origines mêmes de l'humanité". (44)
Quant à Lévy-Brühl, il affirme, en 1925, l'identité de nature
entre la pensée mythique qui s'exprime dans les contes et
légendes folkloriques et les mythes des "primitifs" : "Si l'on
admet l'étroite parenté de notre folklore avec les mythes et les
contes des primitifs (et elle ne parait pas contestable), c'est
donc un même mentalité qui s'exorime en lui et en eux", écrit-il.
(45)
Le lien entre "primitif" et "populaire" n'est donc pas fortuit,
il est, au contraire, consciemment repris dans la trame intime
des études folkloristes. Selon le Van Gennep du "Manuel de
Folklore'1 de 1943, "l'important est que la mentalité populaire
n'évoiue pas dans le même pian que la mentalité scientifique
parce qu'elle utilise en majeure partie le raisonnement
analogique et le raisonnement par participation qui sont à la
base des croyances, des symboles et des rites, comme l'a bien
montré Lévy-5ruhl". Si au lieu du présent, on se penche sur le
passé pius ou moins lointain ("mérovingiens ... gallo-romains"),
"le plus qu'en puisse conclure par analogie, en utilisant les
documents ethnographiques, est que nos prédécesseurs raisonnaient
de préférence selon les principes de la "participation", comme le
font les "sauvages" et les "primitifs" actuels." (46)
Mais ce lien n'est pas nouveau, non plus, au moment où écrit Van
Gennep. Il suffit de suivre la généalogie de la notion de
folklore qu'il propose, pour constater que l'équivalence
"primitif/populaire" remonte bien plus foin. Ainsi, P. Sébillot
écrit-il en 1886, (un demi siècie avant la création du Musée des
A.T.P.), que "la nouvelle science (du folklore) peut être définie
: une sorte d'encyclopédie des traditions, des croyances et des
coutumes des classes populaires ou des nations peu avancées en
évolution. I...) C'est l'examen des survivances qui, remontant
parfois jusqu'aux premiers âges de l'humanité, se sont conservés,
plus ou moins altérés, jusque chez les peuples les plus
cultivés." (47)
Le transfert de l'interprétation en termes de "mentalité
primitive" du domaine exotique vers le folklore domestique se
fera par simple transposition des schémas d'exclusion vers les
faits "populaires" . Exclusion du savoir empirique en tant que
savoir au profit du mythe, du conte, de la "légende, du rituel, du
merveilleux ; exclusion de la raison, de la logique, au profit de
la "participation" mystique, de l'affectif, du pré-logique.
Mais ce transfert s'accompagne d'un important déplacement. Des
mythologies comme désordre de la pensée mystique - ou comme
pensée "scandaleusement" (48) insensible à la contradiction - ou
encore, si l'on considère les savoirs empiriques, de leur
découverte en tant que "tas", "amas" ou fatras informes (Lévy3ruhl), on passera directement vers l'intuition de leur
"cohérence". On passera sans transition de la pensée mythique
comme désordre dominé par l'affectif aux cohérences quasiparfaites des symbolismes.
Par 1 opération du symbolisme, la pensée - primitive, ancienne,
populaire, au choix - sera dotée des propriétés symétriques et
44 A. VAN GENNEP, "Le Folklore ; croyances et coutumes populaires
françaises", (1924) in A.V.G., Coutumes et croyances populaires en France,
Paris, Le Chemin Vert, 1980, p. 47
45 L. LEVY-3RUHL, La mythologie primitive, op. cit., p. 314
46 A. VAN GENNEP, Manuel de folklore français contemporain, Paris, Picare,
1943, pp. 16, 95
47 ibid., p. 39
48 M. DETIENNE, op. cit., p. 17
1AQ
16
inverses, pour devenir pensée originelle, sagesse totalisante,
communion cosmologique. Par ce simple renversement de signe, la
"mentalité primitive", auparavant définie par la carence
(logique), acquiert la propriété opposée : elle est hypercohérence. Le mépris de la contradiction y était la règle :
1'élimination de toute contradiction comme pure apparence y
devient procédé central. Elle devient, écrit M. Détienne, comme
la pensée qui s'exprime dans les textes d'Hésiode après que
semblable renversement de valeur ait été pratiqué par Cornford au
sein des études de la mythologie, "une pensée mythique homogène,
rigoureuse, cohérente". Désormais, c'est "un langage symbolique
que l'on reconstitue, où il faut toujours chercher "la cohérence
derrière sa négation". (49)
Simpie renversement de signe, le passage du fatras pré-logique à
ia "cohérence symbolique", n'a pas besoin de mettre en oeuvre ni
analyse ni concepts intermédiaires. Ainsi, certains "recueils" de
"médecine populaire française" allient-ils la fragmentarité des
faits (que seules permettent de classer des catégories externes,
médicales), à l'affirmation d'une cohérence qui ne peut être
qu'"immémoriale" et "immuable" dans le temps "d'un éternel
présent", pour utiliser les termes mêmes de M. Bouteiller (car sa
temporalité est celle du mythe), et remarquablement uniforme dans
l'espace, à travers les frontières culturelles. (50) "Quand on
recense les reliquats (de la médecine populaire) dans différentes
provinces, on se trouve en présence d'un remarquable uniformité.
En effet, ces vestiges relèvent des mêmes origines culturelles,
sociales, religieuses..." car là "jouent les normes de la Pensée
mythique qui tend à rationaliser le Cosmos, à établir des
rapports, identifier les semblables, concilier les contraires,
résoudre les antinomies (Lévi-Strauss)".(51)
Vers un nouveau programme : la "pensée sauvage''
II nous faudra donc revenir au contexte dans lequel
interviendront, en 1962, les thèses de Lévi-Strauss dans "La
Pensée Sauvage", dont les tâches essentielles consistaient à
opérer la rupture avec le double aspect du malentendu européen
(et pas seulement français), concernant la pensée et les savoirs
de la nature dans les sociétés dites primitives.
Dans la mesure où l'entreprise de Lévi-Strauss supposait tout
d'abord que l'on réimportât dans le champ de l'ethnologie ces
savoirs si proches de la pratique, et des techniques, qu'on les
plaçait en quelque sorte en dessous du seuil de cuituralité, "La
Pensée Sauvage" atteint son but.
Sa portée reste nettement moins évidente, si on considère que
l'auteur prétendait également briser le carcan dichotomique qui
oppose "mentalité primitive" à "mentalité scientifique"," celui du
"Grand Partage".
Par certains côtés, on devra l'admettre, l'ambiguïté du propos
s ' aggravant de lectures qui restaient elles-mêmes prisonnières du
schéma que pourtant on était sensé éliminer, comme l'illustre
clairement l'usage qu'en fait M. Bouteiller dans le texte que
l'on vient d'évoquer, ces thèses viennent renforcer la croyance
en un "grand partage".
49 ibid. p.219, sq.
50 M. 30UTEILLEE, Médecine populaire d'hier et d'aujourd'hui, Paris,
Maisonneuve et Larose, 1966, p.226.
51 ibid. p. 330
17
Nous n'entrerons évidemment pas dans le détail d'une critique qui
a été menée de façon systématique. (52) et n'est peut-être pas
achevée. (53)
Sur un point au moins, ce texte, qui signale aux lecteurs
français (bien au-delà des cercles restreints, américanistes ou
africanistes notamment, pour lesauels cela est bien entendu moins
neuf), un corpus de littérature ethnographique qui sera le
matériau à partir duquel se développera l'anthropologie
cognitive, jouera un rôle qui n'était peut-être pas dans son
dessein.
Four ce qui est de la dichotomie entre ies "mentalités", il tend
à remplacer ia "mentalité primitive" par une "pensée sauvage" qui
n'en a certes pas tous les attributs, mais se retrouve instituée
en tant qu'entité, insérée dans un paradigme d'oppositions
duelles avec une "pensée de l'ingénieur" ; or il est clair qu'il
s'agit, dans un cas comme dans l'autre de fictions dangereuses
qui anticipent sur une ethnographie du "bricolage", où est censée
se déoioyer la "pensée sauvage", comme sur l'ethnographie,
presque entièrement manquante, de l'activité cognitive de
l'ingénieur. (54) De fait, sous cette formulation nouvelle, le
schéma dicnotomique a été au principe d'égarements de même nature
que ceux qu'induisaient ses formes précédentes.
Inversement, non sans quelque paradoxe, en proposant un emploi
excessivement large du qualificatif de "scientifique", (55) et en
étendant à "l'efficacité symboiiaue" la conception scientifique
de l'efficacité, Lévi-Strauss ouvre ia voie à toutes les dérives
cuituralistes et "symbolistes" qui on pu se réclamer de
32 On se référera ici, bien sûr, aux travaux de J. GOODY, notamment La
Raison Graphique, la domestication de ia pensée sauvage, Paris, Minuit, i?7? ;
avant lui, celui de J. DEEHIDA, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967.
53 II reste intéressant de signaler, dans la suite de ce que nous écrivions
auparavant, que la littérature ethnologique dent se sert Lévi-Strauss ocur sa
démonstration, provient, pour une écrasante majorité, du monde anglo-saxon,
et remonte, pour nomDre d'études et non des moins importantes ni des
meilleures, à la fin du siècle dernier et au début du nôtre. C'est dire le fessé
temporel qui s'ajoute au fossé théorique que nous avons indiqué, et n'en est
peut-être qu'un aspect de pius.
5A Cette dernière est justement appelée à constituer la base empirique de la
construction de certains systèmes experts, et de l'intelligence artificielle
appliquée aux domaines de l'ingénierie. Mais l'enquête ne cesse de montrer
combien la forme de pensée attribuée par Lévi-Strauss à "l'ingénieur" relève
de l'image a priori.
55 Ecrire que "L'homme du néolithique ou de la proto-histoire est donc
l'héritier d'une longue tradition scientifique", même si l'on distingue "deux
modes distincts de pensée scientifique" (je souligne), revient à assimiler
science et raison, ce qui est remplacer un mot par un autre, et accroître les
risques de confusion, d'autant que dans le type de "science" qu'est ie
"bricolage" on doit inclure la "pensée mythique", et même la pensée
mythologique, la science des mythes teile que la pratique l'auteur. Cf. La
18
l'effacement des distinctions nécessaires, tout en perpétuant une
approche dualiste des phénomènes cognitifs. (56)
On comprend mieux, aussi, que le texte de la Pensée Sauvage ait
non seulement autorisé une lecture symboliste, mais que, étant
donné le contexte que l'on vient d'évoquer, il ait permis à un
certain folklorisme qui s'essoufflait, de se survivre, en lui
apportant, fût-ce en partie par contre-sens, une très nécessaire
caution théorique.
Du problème de l'adéquation du savoir, à la question de
l'efficacité
Ce que l'approche par la "pensée mythique" laissait de côté, de
Lévy-sruhl à Durkheim et Mauss, et de ces derniers aux
successeurs des folkloristes dont Van Gennep n'est peut-être pas
le dernier, c'étaient, en premier lieu; les classifications
populaires des objets naturels. (57) Aujourd'hui encore, les
études des classifications naturalistes - voire, plus largement,
les recherches sur la perception des objets naturels - restent en
ethnologie de la France,.extrêmement peu nombreuses.
Or, les questions sur lesquelles les recherches anglo-saxonnes
sur ces thèmes ont permis de déboucher, au delà de l'étude
détaillée de chaque cas concret, sont celles du statut cognitif
de ces classifications, par rapport à leur détermination
culturelle. De la variation constatée d'une culture à l'autre,
dans le mode de classification des objets, on en vient à
s'interroger sur les processus classificatoires eux-mêmes, et sur
leurs éventuelles bases communes au delà des frontières
culturelles.
La combinaison entre diversité et généralité des procédures de
classification ouvrait ainsi, la voie à une interrogation sur les
critères de l'adéquation entre les taxonomies, et une certaine
réalité botanique ou zoologique ; c'est à dire, sur le statut
cognitif des organisations conceptuelles vernaculaires étudiées.
(58)
Mais les "classifications" ne peuvent être tenues pour
"instrumentales" qu'en un sens métaphorique. Elles sont un
"outillage mental", certes, mais elles restent soit, largement
non conscientes, en tant que systèmes qui parfois n'existent
qu'au niveau de la langue, soit très partiellement maîtrisées par
chacun des individus, dont la pensée du monde extérieur est tout
autant déterminée par ces classifications, que véritablement elle
ne les manipule.
5ó II n'est peut-être pas de texte de Cl. Lévi-Strauss, mis à part "La Pensée
sauvage", qui ait exercé une influence aussi large, ni engendré, hélas, une
descendance aussi contestable, que son article de 1949 sur "L'efficacité
symDolique", repris dans Anthropologie structurale (Paris, Pion) en 1958 (pp.
212-234). Sous l'apparente simplicité des formulations l'auteur y pose des
questions qui resteront capitales pour la compréhension de son oeuvre, nais
n'en représentent pas moins de décisifs points d'incertitude : définition de
"fonction symbolique", de ses rapports avec "l'inconscient", situant
l'anthropologie structurale dans un certain rapport avec la psychanalyse ;
utilisation des résultats des rechercnes neuropnysiologiques pour fonder le
rapport entre psychisme et physiologie, dans le sens d'une détermination des
effets du premier sur la seconde, pour n'évoquer que les plus évidents. Tout
ceci est passé, par l'opération d'une lecture outrecuidante, pour làa
démonstration de l'efficacité physique de la structure du récit mythique,
démonstration que ce texte ne produit pas.
57 Voir ci-dessus notes 14, 15, 16
19
Aussi, si la question cognitive est posée à travers les
classifications, elle l'est en termes de perception, plutôt qu'en
ternes d'action sur le monde, en termes d'adéquation de la
perception à l'objet perçu, qu'en termes de capacité à concevoir
et à utiliser des instruments matériels.
Cette seconde question, est celle de l'efficacité, et de la
pratique. Et bien que les deux ne soient que les versants
différents d'une même problématique de fond, perception (dont la
classification) et usage (efficace; exigent des modes de
traitement spécifiques, bien qu'ils se déterminent mutuellement,
car il n'existe pas de "percenticn pure'1, qui ne soit, d'une
facen ou d'une autre prise dans ie réseau des pratiques, ni de
"simpie pratique" qui ne serait tributaire des schemes perceptifs
qu'elle actualise.
La logique de l'usage, la description du mode d'ajustement des
moyens par rapport aux buts - un caicul de l'efficacité - voilà
sur quoi débouche l'approene cognitive dès qu'elle dépasse la
perception de l'objet en lui même.
Or, là encore, la théorie des "mentalités" a dressé des obstacles
considérables.
Comment, en effet, tirer les conséquences de la boutade de
Wittgenstein, remaraue beaucouD olus sérieuse au'il n'v paraît ?
(59)
Comment s'opère, dans le fonctionnement mental d'une même
personne, la séparation entre les situations qui sont
justiciables d'un traitement magique, et celles qui appellent une
démarche empirique ?
Autrement dit, parce qu'on peut supposer que ce type d'arbitrages
n'a pas lieu selon la seuie improvisation individuelle, tant il
est vrai que tous les "sauvages" construisent leurs abris selon
les règles de (leur) art, (60) la question est donc de déterminer
comment chaque culture définit les domaines respectifs de
pertinence de chacune des stratégies d'action qu'elle reconnaît.
La question est ainsi posée, de ia définition de champs
spécifiques de savoir, avec leurs fonctions propres de vérité et
d'efficacité, et leurs propres procédures de .
validation/réfutation, questions distinctes, mais toujours
ouvertes, bien-qu'elles ne trouvent de réponses que dans la
stricte dépendance du champ sociai où les savoirs s'exercent.
Mais elle en appelle une autre : celle du mode de coexistence, au
sein au même processus pratique, du calcul d'efficace empirique,
et des pratiques discursives qui associent le commentaire
réfiexif, l'interprétation sociale, la projection symbolique.
Or, nous l'avons suffisamment vu ci-dessus, ni les théories des
"mentalités" ni le privilège attribué à la pensée mythique ou
"symbolique", si elle devait devenir prototype de toute pensée
"primitive", ne conduisaient à poser, encore moins à résoudre,
ces questions.
Quei est le rapport entre l'efficacité empirique d'un instrument
(aDri, outil, remède...), et son "efficacité magique" ? Plus
exactement, quei rapport y a-t-il entre l'efficacité empirique
des instruments et les manipulations symDoiiques qui les
accompagnent ? Revenons un instant, pour mieux situer cette
question par rapport à ce qui précède, aux analyses de LévyBruhl.
"Les armes dont on se sert à la guerre, écrit-il, sont fabriquées
avec tout le soin dont les indigènes sont capables : elles
témoignent souvent d'une grande ingéniosité qui les rend
59 Voir ci-oessus note 30
60 Et, qui plus est. que tous ies différents "arts" tiennent compte des icis ae
ia physique, de la resistance des matériaux, etc.
20
redoutables et meurtrières. Mais leur efficacité ne tient pas
seulement, ni surtout, à leurs qualités visibles et matérielles.
Elle dépend essentiellement de la vertu mystique qui leur aura
été conférée par des "médecines ou par des opérations magiaues."
(61)
En écrivant ces lignes, et tant d'autres dans le même sens, LévyBruhl ne produit pas une remarque en quelque sorte marginale sur
la question du statut de l'efficacité de l'instrument, du geste
et de ia parole dans les "sociétés primitives". Il place, bien au
contraire, un jalon indispensable dans la construction d'une
théorie de la "pensée primitive".
Il lui importe, dans ce but, grandement, de souligner que ies
effets pratiques de l'utilisation d'un instrument, d'une arme,
que l'on peut, de notre point de vue de "civilisés", décrire
seion des enchaînements purement physiques, qui révèlent une
adéquation parfois extraordinairement rigoureuse de la conception
de l'instrument à sa fonction, de son mode d'emploi pratique aux
exigences concrètes de l'action, ne renvoient en aucun cas à un
savoir indigène de la situation où intervient l'usage. Les effets
adéquats apparaissent ainsi, comme par surcroît, car la théorie
indigène ne penserait jamais que les paramètres "mystiques" ou
irrationnels de l'action.
La cause, le mal et le remède
Il en va , bien sûr, du remède comme de tout instrument matériel
: "si ies indigènes attribuent quelques vertus aux remèdes euxmêmes, elle tient uniquement à ce qu'ils sont les véhicules du
pouvoir magique". (62)
Les qualités techniques, et le soin lui-même qui les produit,
sont ici donnés comme secondaires : ce n'est "pas seulement ni
surtout" à eux que l'on doit l'efficacité, par ailleurs
indéniable, des instruments. Plus tard, Lévy-3ruhl en arrivera à
suggérer que les éléments matériels, plus que secondaires,
peuvent être perçus comme superflus.
"Ainsi, écrit-il, pour ne citer qu'un exemple, chez les Indiens
Cuna (...), un remède ne procurera pas la guérison, si, en
1'employant, on ne récite pas la formule qui s'y rapporte. Rien
ne ies sollicite d'observer comment les effets de remède varient
seion que la dose a été plus ou moins forte, ou suivant l'âge et
l'état au malade, etc., ni, à pius forte raison, d'en faire une
étude expérimentale. A quoi servirait-elle ? Il faut, et il
suffit, qu'au moment voulu la formule mvthiaue soit récitée."
(63)
La question qu'on peut dès lors se poser à propos des techniques
et donc, en particulier, des pratiques thérapeutiques, n'est pas
celle de savoir pourquoi les "primitifs" jugent nécessaire
d'accoler au remède matériel des formules magiques, mais bien
celle des raisons qui rendraient nécessaire l'utilisation des
remèdes matériels en plus des formules magiques.
L'arme et ie remède et, encore plus, leur soigneuse et
"redoutable" élaboration, deviennent ainsi des objets paradoxaux.
Le soin, l'attention, le perfectionnisme technique qui président
à leur conception, à leur mise au point pratique, semblent
gratuits, et pour ainsi dire sans connexion avec ces autres
aspects de l'action qui paraissent, aux yeux de l'ethnographe,
monopoliser le champ de la conscience : ies formules, la magie.
61 L. LEVY-3RUHL. La mentalité primitive., op. cit. p. 321. Nous soulignons
62 L. LEVY-BRUHL. ibid., p. 396. Nous soulignons.
63 L. LEVY-3RUHL. La mythologie primitive, op. cit., p» 43. Nous
soulignons.
21
Plus encore, il devient impossible de rendre compte des processus
cognitifs, intellectuels et pratiques, impliqués dans le calcul
et la production d'un instrument, dans l'élaboration et le choix
d'un remède, processus qui intègrent, de façon si serrée, les
contraintes du matériau, de la fonction et de l'usage, alors même
que ce "primitif" croirait que tout cela n'est rien, au regard
des conditions magiques de son effectuation.
Comment les remèdes, à la fois en tant qu'ensembles organisés des "pharmacopées"- et, pour chacun d'entre eux, en tant que
figure individuelle complexe (un "espace de propriétés", (64)
pourraient-ils être l'objet de quelque intérêt, si le tout de
leur raison d'agir se trouve ainsi en dehors d'eux mêmes, dans le
système des représentations symboliques qui oppose le mal et ses
causes ? Pourquoi s'intéresser au remède, si ceiui-ci bascule
soit du côté des déterminants symboliques des causes du mal, soit
du côté d'une erapirie où tout est trivialement évident ?
Nous avons pourtant de bonnes raisons de penser que l'étude des
remèdes et de ieurs usages, en permettant de tester la question
cognitive à plusieurs niveaux simultanément, est seul à même
d'ouvrir vers le dépassement des difficultés rencontrées dès que
l'on s'enferme dans l'antinomie du mal et de ses causes.
En effet, l'organisation de l'ensemble des remèdes (on hésitera à
parier de "système" avant inventaire...), les caractéristiques de
chacun d'entre eux, les qualités qui rendent compte de son usage
en tant que tel, c'est à dire de sa sélection dans un monde
d'objets dont certains seulement sont pertinents par rapport au
problème que pose le mal, renvoient à un ensemble de processus
cognitifs, et entre autres à des classifications d'objets
naturels, qui interviendront, par conséquence, dans les pratiques
de "gestion" du mal, à commencer par l'identification et par la
caractérisaticn de ce dernier.
Mais le choix du remède parmi les possibles, les modalités de son
utilisation, et l'évaluation indigène de son efficacité, ne sont
nullement le point aveugie de pratiques qui s'effectueraient, au
pire "parce que c'est ainsi", au mieux parce que c'est évident
que l'on mange ce qui est comestible .et que l'on se soigne avec
ce qui guérit...
On peut voir dans l'évitement du problème de l'efficacité l'une
des sources du blocage que constate (en 1984) M. Auge à propos de
la façon dont Sigerist "fonde son analyse des médecines
archaïques sur deux distinctions (entre causes et symptômes d'une
part, magie et empirisme de l'autre) que l'anthropologie la plus
récente n'en finit pas de redécouvrir sans parvenir à les
dépasser."
On suivra donc M. Auge pour dire que "la tâche de
l'anthropologie'' n'est pas "de faire la distinction, à
l'intérieur des sociétés primitives, entre magie et empirisme",
si par là on entend qu'il s'agirait d'en faire des domaines
séparés de réalité ; mais on ne peut le suivre lorsqu'il définit
cette même tâche comme consistant à "reconnaître, dans n'importe
quelle société et indépendamment du degré d'efficacité objective
de sa médecine, la Dart "magiaue" (sociale) de toute maladie."
(65)
Car il place ainsi en dehors du champ de i'antnropologie le
problème de "l'efficacité objective" de chaque médecine, c'est à
dire, d'une Dart, la définition (toujours sociale), de ce qui est
64 j.R. DOS SANTOS, "Espace des maux, espace des remèdes : étude d'une
pharmacopée locaie européenne en termes d'espace d'attributs", communicaticn
au 1er Colloque Européen d'Ethnopharmacoiogie, Metz, Mars 1990, sous Dresse.
65 M. AUGE et C. HERZLICH, Le sens du mai, Paris, EAC, 1984, p.43. Nous
soulignons.
->n
ou n'est pas efficace, et de ce qu'est l'efficacité elle-même, et
d'autre part la définition de l'objectivité, c'est à dire les
modalités, socialement reconnues, d'objectivation du savoir du
remède.
Ce sont donc deux questions différentes, que celles de la vérité
et de la rationalité dans ces savoirs, ou plus précisément, des
modalités de décision sur la véracité des propositions produites
à l'intérieur d'un savoir donné, d'une part, et des places qu'y
occupent les séquences rationnelles (ou logiques).
Or, tout au long de leur texte, les auteurs considèrent
"l'efficacité telle que la définit la médecine moderne", comme
l'équivalent de toute efficacité objective, et la vérité telle
que la définit la pensée scientifique à son propre usage, comme
résumant tout critère possible de vérité, sans voir qu'ainsi ils
importent les postulats d'un discours scientiste auquel, par
ailleurs, il n'est pas certain qu'ils souscrivent.
Lorsqu'ils écrivent que "la question première des anthropologues
n'est donc pas celle de la vérité ou de l'efficacité de la
médecine africaine en tel lieu ou telle époque, (...) mais (...)
celle de sa dimension sociale" (66) ils pensent sans doute
exclusivement à l'évaluation que peut en faire le médecin
occidental.
Or dans l'exercice pratique de chaque médecine, la mise en jeu
des thérapeutiques engage toujours au moins une définition, plus
ou moins explicite, diversement formalisée et plus ou moins
consensuelle de l'efficacité possible, légitime, à laquelle se
mesurent les résultats des actions entreprises. Et plus
probablement, plusieurs définitions concurrentes, voire
contradictoires, de l'efficacité et de ses raisons y
coexisteront-elles, parce que le discours de l'efficacité est
toujours un discours fonctionnel, pris dans des enjeux éminemment
pratiques, et non seulement (mais parfois sans doute aussi), dans
un débat théorique indigène.
La description des conditions d'efficacité des savoirs ne peut
pas être laissée à la seule charge des sciences occidentales,
auxquelles on abandonnerait le jugement de tout autre savoir
possible. Leur propre critère d'efficacité n'est pour
l'anthropologie des savoirs qu'un type de rapports parmi
d'autres, (particulièrement puissant il est vrai, pour certaines
sciences), entre une situation et sa définition, les buts que
l'on se donne, et les résultats que l'on obtient, ou tout
simplement, entre une situation donnée, et-ce qu'on y fait.
Autrement dit, dans le cas de la médecine, les sciences
occidentales concernées, constitueront des savoirs de référence,
mais entreront forcément dans une perspective comparatiste, au
même titre que d'autres savoirs, à partir du moment où les
questions que se pose l'anthropologue ne se confondent pas avec
celles de ces sciences.
Par contre, l'accent mis sur les causes et l'explication des
maladies tend à rejeter dans l'ombre les éléments matériels
(actes, remèdes) que l'on mobilise dans une situation donnée, que
ceile-ci soit ou non l'objet d'une interprétation de type causal.
C'est d'autant plus regrettable que, comme le montre suffisamment
N'. Sinàzingre, les deux ensembles de faits sont indépendants, du
moins dans certains cas, comme celui de la société Sénoufo, peutêtre plus largement représentatif que l'on ne l'aura d'abord cru.
"La causalité fonde sa propre cohérence, tout ccmme
l'interprétation dispose de la sienne propre", écrit N.
Sindzingre. "Quant à la thérapeutique, (
) elle n:est pas un
application de la causalité, celle-ci n'étant pas évaluée selon
f\h
i h-i ri rv. 1 Q
23
des critères d'efficacité thérapeutique". Dans ces conditions, si
"l'efficacité - reconnue - de la biomédecine occidentale
n'affecte pas la pensée causaie puisque celle-ci n'a justement
pas cette efficacité, mais l'explication, pour fonction première"
(67), il en résulte bien que les modes pratiques d'intervention
sur la maladie restent en dehors du champ de ces analyses. De
même, d'ailleurs, que les procédures de "reconnaissance" de
l'efficacité des médecines présentes dans ces situations
"pluralistes", dont la biomédecine, n'est qu'un sous-ensemble.
Il en découie qu'il n'y a aucune raison d'opposer les questions
de "vérité et d'efficacité" et les "dimensions sociales" d'une
pratique, à condition d'accepter de se confronter à la tâche qui
consiste à déterminer ce qui, dans cnaaue "savoir" est de l'ordre
du savoir. (68)
Le problème qui se pose, dans un tel contexte, est celui de
fonder une méthodologie adéquate au traitement des savoirs
empiriques, des techniques et des pratiques, en tant qu'espaces
de pensée, qui reste attentive à ce que le contenu cognitif des
savoirs ne soit pas dilué dans la problématique des
"représentations" et du "symbolique", tout en n'oubliant pas que
ces derniers (niveaux, processus, ou dispositifs) interviennent
toujours - mais de manières différentes selon les domaines - sur
(dans) les processus proprement cognitifs.
Peur ce qui est des pharmacopées, (trop souvent restituées comme
s'il s'agissait de listes de remèdes), parce qu'elles sont des
assemblages structurés d'objets matériels, elles permettent
d'étudier ensemble, la perception de ces objets et leur usage, de
saisir, dans la perception de l'objet l'empreinte de l'usage, et
dans ce dernier les contraintes imposées par la perception. A
condition que l'on accepte de considérer que les arbitrages
pratiques dans le choix des remèdes, l'évaluation de leur
efficacité, de tous les points de vue disponibles (indigènes et
externes), ne sont ni les fruits d'étranges "mentalités", ni
objets trop modestes, si on les compare aux discours
interprétatifs proliférants, mais si "beaux", qui enchantent
ceux-ià mêmes qui eussent voulu y résister.
José R. Dos Santos, Mars 1990.
67 N. 5INDZINGRE, "La nécessité du sens", in M. AUGE et C. HERZLICH,
op. cit., pp. 93-122.
68 Ce qui ne revient pas à rallier une conception naïvement réaliste du savoir.
mais à reconnaître, que dans ces thérapeutiques, comme dans tout savoir cui
se revendique comme savoir de l'empirie, dès lors qu'il est question de "vérité
factuelle", il s'agit d'établir, selon l'expression qu'utilise G.-G. Graneer à
propos des sciences de l'empirie, "un canevas informationnel imposé à
l'expérience qui permet", (...) de ramener "ainsi vérité et fausseté
élémentaires à des constats de présence ou d'absence". Ce qui revient à
reconnaître qu'"ainsi la vérité "factuelle" même se trouve (...) subordonnée à
la projection d'un cadre de pensée, projection toujours révisable et susceptible
de progrès (...) et qui joue à chaque étape constituée d'une science, le rôle
d'une délimitation transcendantale, quoique provisoire, de l'objet." G.G.
GRANGER, Pour la connaissance philosoDhiaue, Paris, Odile Jacob, 1988, oc.
257-258.
Nous serions enclin à suggérer qu'il en est ainsi, fondamentalement de tennt
savoir
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24
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IV - REGARDS SUR UNE PHARMACOPEE VEGETALE "POPULAIRE"
LA PHYTOTHERAPIE PARTAGEE
Capucine CROSNIER
I - LA MEDECINE AU XlXème SIECLE ET AU DEBUT DU XXème.
Au XIXème siècle, le recours au médecin était très rare dans les campagnes,
notamment dans les régions isolées comme le Morvan : "le médecin ne rentrait
dans les maisons que quand c'était la désolation, que lorsqu'on était mourant!
C'était quelque chose de voir rentrer un médecin dans une maison... Aujourd'hui,
quand il rentre on ne fait même plus attention". La méfiance d'une part et
surtout le manque d'argent d'autre part justifiaient la résistance des paysans à
l'égard de la médecine officielle. Seuls les cas d'extrême urgence se soldaient
par l'appel du docteur : "Il'fallo êtr' presqu'à la mort" (Mme M., 86 ans). De
nombreux témoignages s'accordent sur le fait que "le médecin veno' pas souvent
dans les maisons". Cette attitude des ruraux révèle l'écart quasiment
infranchissable qui séparait le monde médical et le monde paysan. La distance
semble liée à une différence de classe fort affirmée, portant en elle-même les
oppositions sociales qui se traduisent aussi bien sur le plan matériel
qu'immatériel. Des représentations du monde et un langage bien distinct ne
semblaient pas favoriser une communication fructueuse.
Le rôle du médecin se trouvait d'autant plus limité qu'il exerçait une médecine
qui ne correspondait pas aux modes de pensée du monde rural. L'exemple que nous
fournit FORESTIER au sujet de la campagne de vaccination anti-variolique au
siècle dernier en témoigne largement : "En outre, ils s'imaginent que le vaccin
apporté en tube est capable de devenir source de maladies très graves". Les
pratiques populaires choquent évidemment les professionnels de la santé. Leur
attitude de réprobation a certainement conforté les paysans sans leur repli r-j
eux-même et n'a pu qu'affermir l'emploi des méthodes empiriques, comme le décr:'.
une ancienne femme aujourd'hui âgée de 87 ans "Il y avait une femme malade après
un accouchement, j'étais retournée la voir quelques jours plus tard. J'entre
dans la chambre. Je vois la malade qui essaie de cacher quelque chose sur son
ventre! Je lui ai demandé de me montrer. Elle n'a jamais voulu! J'ai regardé
tout de même, de force... Il y avait une sorte de coussin appliqué sur le
ventre. J'ai fini par savoir ce que c'était. Vous me croirez si vous voulez!
C'était un coussin de plumes, écoutez bien... de plumes de chouette mâle, tuée
par une nuit sans lune à minuit!... (rire). Alors j'ai dit au mari qui avait
fini par me dire ça : "Je me demande bien comment vous pouvez reconnaître une
chouette mâle d'une chouette femelle, surtout par une nuit sans lune! Et
justement... à minuit!" Alors j'ai nettoyé et j'ai fait un bandage comme il
fallait (...). Il y avait plein de choses comme cela, des remèdes à eux qu'ils
me cachaient toujours" (Mme D., 87 ans, ancienne sage-femme).
Ceci illustre les difficultés de communication tant matérielles qu'orales entre
médecin et ruraux.
L'introduction des médecins dans les campagnes fut favorisée par le biais de
l'Assistance Publique. En effet, de nombreuses familles rurales du Morvan
accueillaient des enfants de l'Assistance Publique dans leur foyer. Dans chaque
canton, un médecin était obligé d'assurer la surveillance médicale de ces
enfants issus pour la plupart de la région parisienne et par conséquent nommés
les "petits Paris".
119
La rareté de l'argent contraint donc les paysans à se passer du médecin et par
conséquent à se soigner par auto-médication ou bien auprès de guérisseurs
illégaux.
D'après PETIT, les docteurs de l'époque étaient surtout des "philanthropes" qui
pratiquaient par amour du métier et par souci de venir en aide aux malades. Ils
se faisaient souvent payer en nature quelques oeufs, de la volaille, etc.. "Les
médecins vivaient pauvrement au siècle dernier".
Rôle et enieux du savoir au sein des srouoes sociaux
2.1. ~ Les érudits
- La noblesse
Certains nobles dispensaient des soins aux habitants des communes environnantes.
D'une part, ils étaient lettrés et érudits et d'autre part, ils appartenaient à
cette catégorie sociale que BOUTEILLER appelle "les bienfaiteurs des pauvres" .
D'après cet auteur, "Châtelains et curés ne se contentaient pas de rassembler
dans leurs bibliothèque des traités permettant de soigner le prochain, ils
consignaient d'autres recettes (...), ils en inventèrent parfois" . BOUTEILLER
cite de nombreux exemples de pratiques médicales qu'exerçaient les nobles. Le
plus souvent, elles étaient à base de plantes. La pharmacopée végétale jouissait
d'un succès notable qui traduit le crédit que lui accordaient même les gens
instruits.
Le remède végétal inspire donc aux nobles le sérieux et la confiance d'une
démarche thérapeutique fiable. Présente-t-elle, aux yeux d'une population
"éclairée", les traits de la rationalité et de l'efficacité qui la font
prévaloir sur les autres médecines traditionnelles ?" Les ouvrages ne manquent
pas de souligner la facilité d'emploi des remèdes végétaux, peu onéreux de
surcroît et bien sûr efficaces puisqu'ils "soulagent" et "guérissent". Les
titres des livres de médecine désignent d'emblée le statut social des lecteurs :
Manuel des Dames de Charité, le Médecin des Dames, etc.. Ils indiquent par
ailleurs le public destiné à recevoir les soins : auprès des pauvres.
Plusieurs témoignages mettent en avant le rôle de certains nobles auprès des
personnes souffrantes. "La Demoiselle du Château était un peu docteur. Elle
donnait des conseils ... Elle nous avait dit aussi que la feuille de chou
soulageait les rhumatismes. Il fallait l'appliquer et elle séchait" (Mme M., 86
ans, Glux-en-Glenne). Une certaine rivalité pouvait s'instaurer entre tous ceux
qui contribuaient à améliorer la santé du peuple : médecins et amateurs
"bienfaiteurs". "Mademoiselle de Verclaux soignait par les plantes, mais elle
savait aussi vider la vésicule, ... Oh, le docteur ne l'aimait pas. Non ! (id)
!"
Comme le savoir des prêtres, celui des aristocrates s'enveloppe de mystère :
"Monsieur .^. avait travaillé chez le comte de Chavanne. Là-bas, lui, il avait
appris des secrets ..." (M. G., 81 ans, agriculteur). Ces "secrets" confèrent un
certain pouvoir, de plus, ils démarquent globalement deux groupes : celui qui
les possède et celui qui n'y a pas accès. Certains considèrent comme "secrets",
des savoirs qui sont transmis hors du groupe domestique, familial ou social.
Les membres du clergé
Nous savons que le clergé bénéficiait de nombreux acquis livresques en matière
de médecine. Pendant longtemps, il a transmis les connaissances les plus
lointaines, héritées de l'Antiquité, jusqu'à nous, par l'intermédiaire de
générations de moines copistes pendant le Moyen-Age. Il nous semble que
l'irruption de l'imprimerie n'ait pas bouleversé la tradition et que le clergé
ait maintenu, au fil des ans, son intérêt pour la médecine, notamment par les
plantes.
La mission des prêtres consistait non seulement à éduquer le peuple pieusement,
nais aussi a lui procurer une aide charitable.
Les prêtres jouaient un rôle important puisqu'ils délivraient des ordonnances :
"Il y avait un curé à Gien-sur-Cure, qui faisait des ordonnances, encore en
1929", nous rapporte un ancien pharmacien.
Le prêtre prescrivait aussi des cataplasmes, des ventouses, des piqûres ..."
Sous le sceau du secret, les préparations à base de plantes dans certaines
abbayes ou monastères sont d'autant plus des remèdes et qui guérit une fouie de
maux. Quelques années se vendaient encore le fameux "onguent de la Pierre qui
Vire",
Dans les campagnes, les prêtres "guérisseurs" jouissaient d'une grande
popularité, et les récits décrivant les multiples guérison abondant.
"Une vieille dame avait un ulcère à la jambe qui ne se refermait pas. Le curé
d'Pouques lui a donné une bouteille, un liquide avec des plantes. Et l'ulcère
s'est refermé ! ...Il y avait aussi un vieux monsieur qui avait des boutons. Il
avait aussi tout essayé. Rien n'y faisait ! On lui disait d'aller voir le curé,
mais il était contre les curés, il ne voulait pas y aller ! ... Mais un jour en
désespoir de cause, il y est allé. Et il a été guéri ! Le curé d'Pouques, il
était toujours à quatre pattes dans les banquettes (5) à chercher des herbes
( ...).
Mais après sa mort, c'était fini, il n'a rien dit à personne ! Ce n'est
pas chic de sa part d'un curé de ne pas laisser son secret ! ... Surtout de la
part d'un curé !" Même si le secret de la préparation appartenait à un seul
individu, il devait être transmis à quelqu'un et par là même profiter à
l'ensemble des habitants. En effet, si la population respecte le secret, en
contre-partie, elle en attend quelque chose. La préparation serait-elle d'autant
plus efficace qu'elle est mystérieuse ?
Mais quand on allait voir quelqu'un qui soignait par les plantes, on ne le
payait pas. On lui donnait une bouteille de goutte ou bien autre chose (Mme M..
71 ans, anc. agricultrice, Domecy-sur-le-Vault).
Dans un petit village de Cote D'or, Menetreux, le curé avait une réputation
notoire à vingt kilomètres à la ronde. En 1921, encore, le curé ne soignait
qu'aux plantes à Menetreux". Il y avait des sacs, des sacs de plantes partout.
D'ailleurs quand on rentrait chez lui, ça sentait bon les herbes. On lui disait
ce que l'on avait, et hop, il prenait une poignée de ça, une poignée de ci, ...
et vous donnait la tisane". Les habitants du village dressent le portrait d'un
homme qui était plus un éherboriste qu'un prêtre". " Il a commencé, l'abbé
Janiau, au début c'était minime. Puis, il a étudié, il a fait des essais, même
sur nous ! Ca a donné de bons résultats. Il trouvait tout ça dans les livres. Il
s'est perfectionné ... C'était vraiment un herboriste ! Il avait un carnet de
recettes, il avait toujours dit : Après moi, ce sera fini".Nous on ramassait des
plantes pour lui ! Il avait une recommée terrible. Il y en avait un qui marchait
171
avec une béquille, il est venu le voir ... Après, il marchait sans rien ! ...A
la fin, c'en était plus un curé, c'était un herboriste !. L'abbé Janiau
s'appuyait très certainement sur différents ouvrages de médecine végétale : "il
avait beaucoup de livres. Et puis tout ça, ça a été dispersé. Il avait des
livres d'herboristerie, de toutes sortes de choses. Il faisait ses recettes luimême ...
Cet exemple illustre parfaitement le cas de nombreux curés de campagne qui
exerçaient leur devoir à travers des activités philanthropiques, et parfois
marginales comme dans le cas présent - trop peut-être par rapport à une certaine
norme :" ce n'était plus un curé". Savoir livresque et expérience personnelle
ont conféré à cet abbé un pouvoir médical certes, mais surtout social.
L'admiration et la sympathie des paroissiens pour l'abbé Janiau révèlent à quel
point ils adhéraient à sa démarche thérapeuthique et l'importance du crédit
qu'ils y accordaient. Foi dans un abbé ou foi dans un herboriste ? Les deux
aspects paraissent ici mêlés, la force du remède végétal redoublant certainement
d'efficacité dans les mains d'un religieux.
Curieusement, les prêtres sont très nombreux à avoir joui de ce privilège et de
la remarquable réputation qui l'accompagne. Ils ont bénéficié de la confiance de
la population locale qui leur témoignait sans doute plus de sympathie qu'aux
autres notables des campagnes : instituteurs, médecins, nobles, ... La médecine
"par les plantes" est donc en ce sens populaire, car elle se voit le plus
souvent exercée par des hommes qui, de par leur fonction et leur mode de vie,
ont pu acquérir une certaine popularité.
Les prêtres n'étaient donc pas les seuls membres du clergé à effectuer et
diffuser des préparations. "A Avallon, il y avait la soeur Haubert qui se
soignait que par les plantes. Elle avait fabriqué un apéritif, le sien, hein !
Après il s'est vendu dans les pharmacies (...). C'était un dépuratif, on le
mettait d'abord dans du marc, puis dans du vin blanc. Elle faisait aussi une
pommade pour les furoncles, l'eczéma ..'., on en attrapait beaucoup, surtout
après la guerre. Car on mangeait n'importe quoi"
De modestres communes possédaient leur couvent et "les soeurs ramassaient tout
plein de plantes pour faire des tisanes"
Les prêtres et leurs proches ont profondément marqué la mémoire collective par
leurs pratiques ou leurs savoirs quand ils jugeaient bon de les divulguer.
Ainsi, les "bonnes du curé" ont-elles participé à l'instruction des femmes en
campagne : "une bonne du curé venait de Dijon, exprès ... Une fois par mois.
Elle venait nous faire des cours de couture, de cuisine, d'hygiène, de médecine
.. Elle nous apprenait certaines choses"
Ce type d'enseignement participe du mouvement de la fin du XIXème siècle,
s'assignant le devoir d'éduquer les populations rurales, principalement par
l'intermédiaire des femmes, maitresses de la sphère domestique. Bien que ce
courant de "modernisation" des campagnes soit né d'une volonté laïque certaine,
le corps ecclésiastique semblait y contrubuer en grande partie. Son rôle ne se
limitait pas à l'éducation religieuse, mais il consistait aussi à dispenser une
formation domestique. Il forgeait alors de nouveaux modes de "savoir-vivre" dans
les campagnes, calqués sur le modèle urbain.
- Les instituteurs
Les instituteurs, à la base de la transmission du savoir scolaire occupent une
place privilégiée dans notre enquête. Beaucoup d'entre eux dispensaient un
enseignement de sciences naturelles où ils abordaient le thème des plantes
médicinales.
Les enseignants s'appuient sur des observations et des expériences qu'effectuent
les élèves, puis sur une leçon et se soldent par des exercices d'application.
Les élèves apprennent à reconnaître les fleurs pectorales, les propriétés de la
"tisane des quatre fleurs", la préparation d'une infusion et la récolte des
fleurs. Les auteurs encouragent vivement l'instituteur à faire récolter par ses
élèves toutes les espèces pectorales, au profit de la coopérative scolaire.Ce
comité a eu un rôle important notamment auprès de l'Education Nationale puisque
E. PERROT avait insufflé une nouvelle dynamique pour la récolte des plantes
médicinales en France, en sollicitant en partie les écoles pour réduire
l'importation de ces plantes.
Par ailleurs, leur collecte contribue du même coup à relancer l'économie
nationale. De nombreux témoignages confirment le ramassage d'espèces médicinales
diverses : "quand on allait à l'école, surtout pendant la guerre, on ramassait
des plantes médicinales avec l'institutrice. On en récoltait aussi en dehors ae¿
heures scolaires et on lui rapportait ... les plantes étaient vendues par
l'école de Saint-Martin-du-?uy ... Nous, on les mettait à sécher dans le grenier
de l'école. Il y avait de l'Armoise, ' des fleurs de Sureau et d'Ortie blanche ...
Ailleurs, "mon beau-frère, lui, il ramassait beaucoup de pian-noir (8) pour
l'école et du Sureau. Nous on ramassait des fougères mâles pour la maîtresse et
du seigle ergoté, on le prenait dans les tas de seigle, il était différent des
autres, on le triait"
La première moitié du XXème siècle mêlait plantes médicinales et enseignement.
Peu à peu, cette rubrique s'efface, peut-être en même temps que les activités de
ramassage de plantes préconisé par PERROT. Les espèces médicinales s'af f icr.er.t
encore dans les manuels scolaires du milieu du siècle mais se font de t en discrète dans les cours de botanique.
Certains informateurs nous ont montré leur herbier. "C'est le Maître qui nous
l'avait fait faire, il y a une cinquantaine d'années. On apprenait à reconnaître
les plantes et leurs utilisations". Dans cet herbier, la priorité est donnée aux
descriptions botaniques. En revanche, une ligne ou deux suffisent à expliquer
íes emplois médicinaux, par exemple, pour la Bryone dioïque : "racine purgative,
drastique, vermifuge, diurétique, pectirante - N.B : plante à utiliser avec
précaution". La saison et le lieu de la cueillette y figurent brièvement. Ce
-ravail de collecte d'échantillon et d'approche du végétal se veut
ostensiblement "scientifique". Il sensibilise surtout les élèves à la science
botanique sans vraiment conduire à l'approfondissement du remède végétal qu'ils
connaissent pourtant de par les pratiques domestiques.
Les ouvrages scolaires de la fin du XIXème siècle apportent aux lecteurs des
enseignements assez riches sur l'utilisation des plantes médicinales sous ur.t
approche qui se targue d'être "scientifique", alors qu'elle plagie le
"populaire" ... Puis, progressivement, la botanique, discipline "pure",
dépouillée de toutes idées de pratiques empiriques, évince la botanique médicale
certainement jugée trop "populaire". En revanche, elle est alors confiée aux
pharmaciens.
- Les autodidactes
Si vous aviez vu comment elle tournait ses lettres ! Pis pas une faute ! Cette
démarche personnelle traduit bien la nécessité de l'acquisition d'un savoir
différent de celui qui a été transmis par le groupe domestique, notamment à une
époque charnière où apparaît l'école laïque, publique et obligatoire (1881-
123
1882). Il est clair qu'au début du siècle, la formation scolaire, quoique
rapide, ait privilégié de nouveaux modes d'apprentissage comme la lecture.
L'instruction revêt encore ce caractère rare et précieux d'autant qu'elle se
diffuse difficilement. Elle appartient surtout à l'élite que forment les
notables. C'est auprès d'eux que s'instruisent de nombreux autodidactes :
"Mon grand-père était resté à Avallon avec un vétérinaire, pendant quatre ans.
Il l'aidait. Et il avait été élevé chez un curé qui lui avait appris tout
d'sorte de médecine, qu'était aussi un peu rebouteux. Il connaissait les •
prières. C'est avec ces gens là qu'il a appris tout ça. Il s'est instruit. Il
est devenu "vétérinaire" de la région ! Il était agriculteur, mais il portait
toujours un grand sac avec lui quand il partait, avec plein d'sorte de plantes.
Il cultivait d'ia Camomille, d'ia Menthe ... Il ramassait des feuilles de
Cassis, des queues de Cerises, des "éponges de grint-cul" (9) ... Il avait des
paquets de Coquelicots ... Ca séchait partout ici. Le grand-père faisait ça pour
rendre service. Il était réputé pour ça. Il était connu. On venait le soir, on
lui demandait conseil".
"Etre autodidacte" relève donc d'une double démarche : s'instruire tout en
maitrisant l'objet et les moyens de son propre apprentissage. Ceci traduit
l'autonomie de l'individu vis-à-vis du groupe. Cependant, comme en contrepartie, l'autodidacte diffuse communément son savoir autour de lui. Il met alors
ses connaissances théoriques en pratique, passage qui nous semble s'appuyer sur
l'expérience antérieure des pratiques transmises oralement. L'autodidacte, même
s'il puise dans un répertoire nouveau, obéit bien souvent à la logique du
groupe. Il s'agit dans le cas présent de soigner par les plantes, selon des
modalités d'usages adoptées par l'ensemble des paysans : cueillette des plantes
spontanées ou cultivées dans la région, préparation sous forme de "tisane" au
sens large regroupant les infusions, décoctions et macérations suivies
d'ebullition, de lavement, de cataplasme, parfois d'onguent et de sirop. Est-ce
probable que les agriculteurs eussent accordé autant de crédit à un autodidacte
prônant d'autres méthodes que les leurs.
D'un côté apparaît le caractère inné, le "don", point de départ de la démarche,
cet de l'autre l'acquis, livresque dans le cas présent, achèvement d'une
vocation certaine. S'instruire prend alors une dimension particulière dès lors
qu'elle est voulue et prise en charge par l'individu lui-même. On ne témoigne
pas la même admiration devant un autodidacte que devant un médecin ou
vétérinaire, s'alimentant pourtant eux aussi aux sources livresques et garants
d'un savoir scientifiquement reconnu. La ligne de partage entre les statuts se
superpose à celle qui démarque les savoirs.
Les autodidactes détenaient-ils un savoir à caractère plutôt populaire que
savant ? La frontière entre ces deux domaines nous apparaît ici encore
difficilement saisissable. Certes, la plupart des gens dans le Morvan avait
accès à une littérature populaire, destinée à tout public, notamment aux
habitants des campagnes (almanachs, revues, Médecin des pauves, etc...). Les
autodidactes pouvaient donc les consulter, mais la plupart d'entre eux se
procurait une littérature spécialisée souvent obtenue par la vente par
correspondance ou plus rarement dans les librairies, mais qui semblaient alors
peu fréquentées par le monde rural. Nous avons rencontré un des derniers
autodidactes de la génération du début du siècle et qui a accompagné le
développement de la vulgarisation de la science. "Il y avait bien sûr les
colporteurs qui vendaient d'tout'sorte (...). J'achetais des livres de médecine
par corerspondance, ça se faisait beaucoup. J'ai appris beaucoup de choses dans
les livres, dans les revues. Des livres, il y en avait plein l'armoire ! Il y
avait beaucoup d'autodidactes autrefois, des gens qui s'intéressaient à autre
chose et qui cherchaient eux-mêmes (M. G., 80 ans, anc. agriculteur).
i •:
A
Il est clair que la science médicale reconnue comme telle s'infiltrait peu à peu
dans le monde rural par le biais de pratiques conseillées par le médecin, et par
la littérature à caractère scientifique qui touchait d'abord les autodidactes et
les instituteurs devenus alors des agents de diffusion remarquables du fait de
leur bonne intégration dans le milieu rural. Aujourd'hui encore, on assiste à ce
même phénomène. Madame J., à St-Martin-du-Puy m'a été signalée pour détenir un
savoir important en phytothérapie qu'elle avait hérité de sa mère, puis enrichi
par des lectures appropriées. Cette femme qui "donnait des conseils aux autres",
possède plusieurs ouvrages de vulgarisation actuelle de Mésségué, de Sélection
Reader Digest ... Ces connaissances ont glissé vers un savoir plus moderne
qu'illustre par exemple son savoir sur l'emploi du Bouleau contre la chute des
cheveux, du Thym comme antibiotique, etc..
A Montsauche, un amateur éclairé en botanique, (M. R., 71 ans, anc. maçon) a
fait ses débuts vers ses 13 ans grâce à l'instituteur du village, avec qui ii
hercorisait "le ieudi et le samedi soir". Il lui apportait des plantes pour la
détermination. Maçon de métier, cet autodoaacte a étonné plus d'un des memores
de la société de Botanique de France, venus le rencontrer sur place par
l'intermédiaire d'un Professeur du Museum National d'Histoire Naturelle qui
possédait une maison de campagne dans le même hameau. M. R. a fréquenté la
Société de Sciences Naturelles d'Autun quelques temps, mais il n'a pas pu
poursuivre le sorties qu'elle organisait puisqu'il ne possédait qu'un vélo, il y
a environ une quarantaine d'années. "Il fallait déjà faire les quarante cinq
kilomètres pour aller à Autun! Là-bas, c'était des messieurs, ils avaient leur
voiture". Cette anecdote souligne l'enthousiasme des autodidactes, dont le prix
de l'acquisition de leur savoir n'avait aucune commune mesure avec celui de ces
"messieurs". Notre botaniste des champs maitrise parfaitement la manipulation de
la flore non illustrée (13) et la taxonomie linéenne au point de faire rougir
les meilleurs naturalistes!.
Quel a pu être l'impact réel de tels autodidactes dans leur milieu rural :
validation d'un savoir populaire par la connaissance scientifique du végétai,
modification de la perception populaire, ... Même s'il est évident que de tels
individus, plus largement représentés qu'il n'y paraît, ont joué un rôle minime
dans la société "traditionnelle", ils ont certainement insufflé de nouveaux
modes d'appréhension du végétal, à dominante scientifique.
Refaire cependant, une littérature populaire féminime se développe dans le
tournant du siècle. De nombreux ouvrages traitant de l'économie familiale et
domestique apparaissent sur le marché. Bien souvent, ils rassemblent des notions
pratiques sur la cuisine, l'hygiène et la santé, la couture, l'entretien d'une
maison, etc.. domaines réservés à la femme. Plusieurs informatrices ont sorti
de leur placard ces livres de "jeunes filles". Mme M., 81 ans, à Montsauche se
souvient que sa soeur se plongeait fréquemment dans ces ouvrages et connaissait
beaucoup de remèdes pour lesquels elle était connue. Elle soigna un petit garçon
qui avait des coliques avec des "grinte-cul" (15), une petite fille souffrant
d'une entérite par des décoctions de feuilles de "plantain à côtes" (16), et
l'informatrice elle-même qui a été sauvée par une recette à base d'une
macération de feuilles de Noyer que sa soeur avait trouvée dans un livre de
famille (17). L'informatrice avait été déclarée "perdue" après une opération de
la péritonite. Bien d'autres personnes avaient bénéficié de conseils et de soins
à base de plantes délivrés par cette autodidacte, qui de par son instruction
livresque avait gagné la confiance de ceux qui l'entouraient.
2.3 - Les euérisseurs
En Morvan, l'appellation "guérisseur" désigne à la fois le rebouteux ou
"gogneux" qui soigne par différentes manipulations exercées sur le corps humain,
le charmeur qui recourt aux prières, l'herboriste -officiel ou non-, le
"guérisseur par les plantes", et le "sorcier" qui joue non seulement avec les
forces maléfiques mais parfois bienfaisantes.
Les rebouteux
Certains rebouteux possédaient des livres mais s'en servaient-ils ? "Il y a
quelques années, je suis allée voir un reDouteux près d'Autun. On a parié des
plantes... Il m'a montré le même livre que celui que j'ai" (M. M., anc. maréchal
ferrant). Il s'agit du Médecin des Pauvres. Quelques témoignages confirment
l'utilisation des plantes par les rebouteux : "A Roussillon, il employait la
feuille de chou pour remettre les nerfs" (Mme G., 71 ans). "Vers MoulinsEngilbert, un rebouteux faisait un onguent avec de l'axonge et le la Reine-després". (M.P., anc. médecin). Parfois même, "il vendait aussi des plantes (...)
Les rebouteux, et quelques bonnes femmes bricolaient des trucs dans leur coin
qu'ils vendaient en douce" (id).
Les charmeurs
Nous ne nous étendrons pas sur les procédés qu'emploient les charmeurs.
Simplement, nous signalons, d'après une information collectée par VINCK (de),
aua tous les charmeurs ne se contentaient pas de formuler des prières mais
utilisaient également des remèdes végétaux. Ils alliaient ainsi les modes
thérapeutiques magiques et naturels : "Mme Laisne a connu à Beuteau, dans son
enfance (elle a 30 ans, aujourd'hui), deux charmeuses qui donnaient aussi des
baumes à base de plantes" (18).
Les guérisseurs Dar les plantes
Ces guérisseurs semblaient assez nombreux et plusieurs témoignages révèlent leur
importance. Certains d'entre eux préparaient divers mélanges de plantes pour les
tisanes, d'autres possédaient le secret d'une fabrication médicale, onguent ou
pommade : "Pas loin d'ici, un vieux Monsieur soignait par les plantes. Il en
avait des sacs en toile de jute! Les gens allaient le voir quand ils avaient
quelque chose" (Mme M., 71 ans, anc. agricultrice).
"Au Perron, à la sortie de Saulieu, Monsieur Perrot fabriquait un onguent.
C'était l'onguent du Père Perrot. On achetait ça. Il fallait aussi prendre du
papier brouillard, ça se trouve toujours dans les pharmacies... Vous posez le
papier brouillard sur le phlegmon, vous massez avec l'onguent. Il se dissout à
travers le papier. Le lendemain, l'inflammation a disparu" (M.M., anc. maréchal
ferrant). D'après certains informateurs, la femme de Monsieur Perrot était
originaire de Normandie, et aurait pu lui transmettre le secret "parce qu'en
Normandie, ils étaient forts sur ces choses là!" A la question de l'influence de
la littérature sur la formation des savoirs naturalistes populaires, se
superpose bien sûr celui de la circulation et la diffusion géographique des
savoirs.
126
"Il y avait un Monsieur de Côte d'Or, du côté de Montbard, il avait un onguent
qu'il préparait... avec du Plantain. Mais il venait de loin! Il faisait les
foires, les ventes de bêtes... J'avais une jument qui avait la "taupe", le nal
du garrot, quopi... On ne pouvait pas mettre le collier, le pus a coulé pendant
dix-huit mois! Pis, j'ai rencontré ce Monsieur... Monsieur Bourgoin à la foire
de Brassy. Il m'a dit qu'un jour il passerait... Et il est venu. Il a percé le
mal avec une flamme puis il a donné de la pommade avec du Plantain bouilli, et
du beurre de mai qu'il parait. Mais je ne sais pas. C'est un secret. Lui, il a
su ça de ses grands-parents" (M.D., 66 ans, agriculteur).
Comme le montrent ces deux derniers témoignages, il existait deux catégories de
"guérisseurs par les plantes". Alors que certains possèdent un savoir étendu sur
les plantes médicinales, d'autres ne maîtrisent parfaitement que l'emploi de
quelsues plantes pour une préparation unique et secrète mais qui leur donne
pourtant accès au même titre de "guérisseur".
2.4 - Les professionnels officiels de la santé
Les herboristes
Les herboristes officiels apparaissent moins nombreux que les guérisseurs
amateurs. Ces derniers étaient-ils plus sollicités par la population locaie, qui
prêtait moins attention aux herboristes plutôt installés dans les villes ? "A
Autun, c'était la pharmacie qui était une herboristerie, ils étaient herboristes
de famille, mais c'est fermé maintenant (Mme L., 91 ans, anc. couturière).
Certains venaient même exercer sur les lieux publics : "Autrefois, on trouvait
• '.n herboriste sur le marché d'Autun...
Selon ANGELIAUME, pour exercer la profession d'herboriste, "il faut subir avec
succès devant une faculté ou une école de Pharmacie un examen qui prouve que le
candidat connaît exactement les plantes médicinales (...). Le degré
d'instruction varie depuis le Certificat d'Etudes jusqu'à une licence. Il
n'existe aucun enseignement officiel. Le candidat possédant son diplôme
d'Herboriste peut s'installer, fonder une officine sans posséder aucune
connaissance professionnelle" (19). Cependant, l'auteur précise que l'on peut
être dispensé du Certificat d'Etudes Primaires. Il n'existe pas de programme,
"tout se borne à une reconnaissance de plantes pour laquelle la mémoire du
candidat est mise à contribution et elle seule" (20).
On en déduit aisément que l'herboriste devait chercher par ses propres moyens
les informations qui lui permettaient d'employer les plantes médicinales à
dessein. Si la démarche de l'herboriste s'apparente à celle des autodidactes ou
des "guérisseurs", elle s'en différencie pourtant par la nature même de
l'activité : "lherboriste ne vivait que de ça (...) Il ramassait toutes sortes
d'herbes. Il avait des bocaux pleins de fleurs. Il y avait aussi avec des
feuilles de Ronces... de tout! C'était dans les années 1918-1920, à Cussy."
(M.D., 76 ans, anc. agriculteur). Dans le cas de l'herboriste, le savoir est
professionnel, alors que celui des "guérisseurs", étant marginal, ne leur permet
pas de vivre, ou subsidiairement : "on leur donne ce que l'on veut" (Mme M.,
anc. agricultrice). Le savoir qui se monnaye, qui constitue la "force" de
travail de l'individu, s'oppose au savoir qui s'échange sur la base du "don" et
du "contre-don".
127
Les pharmaciens
Les pharmaciens occupaient une place privilégiée pour diffuser des recettes à
base de plantes. Le témoignage d'un pharmacien à la retraite révèle le rôle
multiple du pharmacien à la fois herboriste, préparateur et conseiller : "Mon
arrière grand-père cultivait lui-même ses plantes à la sortie de Saulieu... Il y
a cent ans environ. Il cultivait le Datura ou Stramoine pour fabriquer une
poudre anti-asthmatique, de la Belladone pour une teinture, de la Tanaisie, de
la Guimauve, de la Mauve, de la Menthe, la "Mentha piperata", de la Mélisse, du
Groseiller et du Cassis pour faire du sirop, de l'Anis vert pour la poudre qui
parfumait les poudres pour l'estomac, de l'Angélique, de la Valériane, de la
Sauge... Il faisait aussi sa farine de Lin à la maison avec un moulin à farine
de Lin. Des gens lui amenaient aussi des plantes, les bûcherons lui ramenaient
de grands sacs d'écorce de Bourdaine. Les commis pâtissiers gardaient les queues
de Cerises qu'ils mettaient dans les tartes, les gêteaux et puis ils les lui
rapportaient... C'est diurétique. C'était surtout des griottes du Morvan...
(...). Les instituteurs avec les enfants de l'école lui ramenaient aussi des
plantes, encore pendant la dernière guerre (...). Des gens lui amenaient aussi
des baies de Genièvre. Il faisait une huile de Genièvre qui rentrait dans la
composition d'une pommade pour l'eczéma. C'était obtenu par calcination. (...).
Il récoltait lui-même des plantes sauvages, le "picólo", la Bourdaine, comme
dépuratif, la Bourrache, la Drosera... Il faisait des petits pots avec la
Drosera. Mon père disait encore qu'il y en avait à la queue de l'étang de
Bordeau à Champeau - Saint-Léger-de-fourches. Mon père coupait aussi des
branches de Frêne le long des routes et nous, on était gamin, on effeuillait.
C'est fébrifuge, anti-goutteux, anti-rhumatismal (...). On récoltait aussi la
Myrtille. Mon grand-père la cueillait lui-même, vers Saint-Didier, mais
maintenant c'est étouffé, on n'en trouve plus. Il ramassait des Orties blanches,
de la Chélidoine. On la mélangeait aussi avec du miel pour le garder l'hiver :
on faisait des mellites diverses (...). Par ici les gens utilisaient la feuille
de Saule pour les cors. Et puis, il y avait aussi la Reine-des-Prés,... et
d'autres plantes comme la Ciguë pour faire des pommades pour les bêtes, on en
faisait des emplâtres sur les pattes des animaux, peut-être les moutons... je ne
sais plus. Il faisait aussi une teinture d'Eglantine, de "grinte-cul" pour
calmer les règles...
Mon grand-père faisait donc encore toutes ses préparations lui-même, il avait un
vieux fourneau ici... (...). Il faisait des macérations, des distillations, des
sirops..."
Homme de terrain et de science, ce pharmacien alimentait son savoir de l'écrit :
"C'est un "Formulaire de Poche" de 1826 qui lui servait. Mais on a aussi utilisé
un "Formulaire de Rappel", qu'un morvandiau, Monsieur BOUCHARAT, Professeur à
Paris, avait écrit!" (M.B., anc. pharmacien).
Les pharmaciens prescrivaient des remèdes, à la place du médecin puisque la
consultation de ce dernier était trop cher pour les gens de la campagne.
Un livre de pharmacologie très répandu était et est encore de nos jours, compte-tenu de nombreuses rééditions et réactualisations- le livre de DORVAULT
que l'on trouve dans la plupart des pharmacies du Morvan (21).
Le pouvoir que conférait le livre au pharmacien se superposait à celui que lui
octroyait déjà son statut. Il est probable que les pharmaciens aient diffusé
dans les campagnes, des recettes médicales, à base de végétaux, facilement
accessibles à tous. Il nous faudrait alors comparer nos données populaires avec
les données sceintifiques.
12b
Les médecins
Les médecins exerçaient bien sûr une médecine officielle, mais qui recourait
aussi à l'emploi des plantes médicinales, contrairement à de nombreux préjugés.
En effet, le prix élevé des médicaments incitait les habitants à se replier sur
les formes de soins les moins onéreuses. Bien des médecins l'avaient compris et
mettaient à la portée des gens des solutions à bon prix. Comme nous l'avons
signalé.plus haut, le médecin ne rentrait pas facilement dans les maisons. Il
lui fallait alors conquérir la confiance des paysans. C'est pourquoi bon nomore
d'entre eux, de par leurs entreprises, devinrent des figures locaies et
jouissaient d'une certaine popularité.
Mme M., 86 ans, à Glux-en-Glenne, se rappelle que "le Docteur Signé nous faisait
ramasser de l'Arnica, et puis le pharmacien«aussi... On avait une bosse grosse
comme un oeuf. Avec ça, ça disparaissait au bout de deux heurs!".
A Epinac, un autre témoignage confirme les pratiques phytothérapeutiques des
médecins de la première moitié de ce siècle : "au début de la Sécurité Sociale,
il y avait une organisation des mines qui s'occupaient des soins. Nous, on ne
payait pas. Le Docteur soignait les rhumes, les bronches. Il donnait des
mélanges de plantes en cornet. C'était le Docteur SIMMONOT, il envoyait chercher
des pétales de coquelicots pour la coqueluche. Il faisait faire ça il y a peutêtre même encore vingt ans". Les plantes rapprochaient alors la médecine
officielle de la médecine populaire.
Toutefois, les médecins combattaient vigoureusement tous ceux qu'ils appellent
les charlatans et qui sont guérisseurs, herboristes, sorciers, etc.. Les thèses
de médecine du début du siècle (ABORD, BIDAULT), abondent dans ce sens ; comme
en témoigne aussi l'une des chansons d'un recueil de 1860, "le sorcier
Guignolin" (22), qui fait l'éloge de la médecine par les plantes. Le botaniste
Guignolin est le "bienfaiteur" des "gens qui cherchent la santé", mais ne saurs
résister au monopole et au pouvoir des médecins... L'auteur ne manque pas
d'accuser les "médecins à la loi barbare" .car "on peut tuer avec diplôme".
Au vu de quelques registres de pharmacie du début du siècle, de nombreux remèdes
étaient a base de plantes, indigènes ou exotiques. Ces médicaments jouaient non
seulement le rôle de soulager et guérir, mais ils confortaient ceux qui les
employaient dans leur confiance dans le remède végétal.
- La femme
Les femmes jouent un rôle central dans la pharmécopée familiale puisqu'elles
"savent", mais de plus "pratiquent", contrairement aux hommes qui affectent de
se tenir à l'écart de "ces choses de bonnes femmes". Néanmoins, leur savoir lié
aux plantes médicinales s'avère aussi très riche. Si la majorité des
autodidactes est représentée par les hommes, il n'emp che que les femmes
s'intéressaient aussi à la littérature, quoiqu'elles ne pouvaient toujours s'y
consacrer pleinement : "une femme, avec tout ce qu'elle a à faire..." (Mme P.,
71 ans).
Au début de ce siècle, le livre a certainement eu un impact prépondérant auprès
des femmes, avec la diffusion non seulement des ouvrages de colportage, mais
aussi des livres de "jeunes filles". Ce type de littérature a contribué à
maintenir la femme dans son rôle, celui de la prise en charge de la santé de ses
proches. C'est dans la nature même de l'enseignement que les choses se
modifient. Les notions d'hygiène, les conseils de prudence, l'apologie du
docteur et de l'usage des médicaments favorisent.la transformation du statut de
la femme "qui soigne". Peu à peu, l'écrit l'apprivoise aux médicaments et au
médecin, même si toutefois quelques pages sont consacrées à l'emploi des plantes
médicinales. Un glissement de fonction s'opère progressivement : la femme
surveille, réconforte et donne les premiers soins aux malades, mais la mission
de guérir, à la fois la plus délicate et la plus prestigieuse incombe à présent
au médecin. Le livre généreux qui permet l'accroissement des connaissances est
aussi le forgeron de ces sociétés où le rôle officiel de quelques uns 1'emporte
sur la libre polyvalence de chacun.
3. Le savoir des plantes : un patrimoine familial
La famille est le lieu de transmission du savoir oral, légué de génération en
génération. Les connaissances sont réactivées et intégrées à la vie quotidienne
lors des tâches domestiques, agricoles ou artisanales. "Je suivais ma grand-mère
partout. Je l'aidais à ramasser les herbes, les herbes à lapin, les herbes pour
se soigner, pour manger,..." Le savoir s'est aussi enrichi par l'apport de la
littérature, notamment de colportage, qui circulait dans les campagnes comme
l'illustre ouvrage du Médecin des Pauvres. Mais, l'évolution de la société du
XXème siècle a entraîné une transformation du groupe social et familial.
L'héritage du savoir qui s'appuyait sur ces structures s'est vu menacé. Les
modes de vie et les façons de penser ont égélement participé à la rupture de la
transmission. "Tout a tellement changé, c'est incroyable ! C'est pas imaginable
! D'ailleurs quand je raconte ça aux jeunes, ils ne veulent pas y croire ! Ils
ne s'y intéressent même pas...Voyez, les plantes, je leur en cause même pas, ils
se moqueraient".
A. La transmission du savoir
Le savoir populaire semble s'être transmis jusqu'au début du siècle tout en se
;r.caifiant progressivement au fil du temps. Les auteurs de cette époque le
rappellent souvent. Cette transmission s'opère selon quatre agents principaux
qui sont "l'hobservation", la "participation", et moins fréquement le "dit" et
"l'écrit". On peut penser que le fonds commun des connaissances populaires
accompagne ainsi la succession des générations , et incorpore bien sûr de
nouvelles connaissances par l'apport de l'écrit, ou d'étrangers de passage.
L'"observation : "On apprenait rien de spécial, on regardait faire, pi'c'était
comme ça qu'on savait"
La "participation" : "Je suivais ma grand-mère partout. Ah ! Elle, elle aurait
pu vous en dire des choses...je l'aidais à ramasser les herbes, des herbes pour
les lapins, pour se soigner, pour manger...Il fallait aider à tout en ce temps
là, quand on était gamin. Maintenant je fais des choses comme elle. Je ne sais
pas pourquoi. C'est comme ça"
Le "dit" : "C'est la maman d'un prêtre qui lui faisait faire ça et qui me l'a
dit" "C'est un homme qui avait l'habitude des bêtes qui m'avait enseigné". Très
certainement 1'"écrit" a-t-il lui aussi joué un rôle important dans la nature de
cette transmission. Les enquêtes ont montré que bien souvent les paysans qui
possédaient les livres détenaient un statut particulier, se rapprochant du
guérisseur du vétérinaire. Quelques soient les modalités de cette transmission,
celle-ci répond à des impératifs économiques et des habitudes culturelles, qu'il
s'agisse du domaine médical, alimentaire ou domestique. Elle s'inscrit au sein
des activités quotidiennes où des rapports divers d'échangent entre les hommes,
130
les femmes, les enfants et le milieu. Très justement F. BRABANT parle ici de
"transmission vécue". Il s'agit véritablement d'une connaissance qui transite à
travers le réel et le pratique. Dès le plus jeune âge, les enfants apprennent
les plantes par le biais de jeux attrayants comme le lancer de "pignaloups"
(fruits de la bardane), de ballon de "paquôte" (primevère)...La perception
sensorielle du végétal, passant aussi par les jeux alimentaires, participe à la
découverte et la connaissance de la flore. Les enfants accompagnent leurs
parents pour aider aux champs, dans les bois, s'occuper des animaux, etc..Ils
traversent aussi les campagnes pour aller à l'école. Autour des travaux
agricoles et forestiers s'établit une sociabilité qui repose aussi sur l'échange
et le partage des connaissances. Dans cette région essentiellement rurale,
l'homme est profondément lié à son milieu, par nécessité non seuleument
économique mais aussi écologique puisque de son adaptation dépendra son bienêtre. D'ailleurs, ces aspects économiques et écologiques ne forment qu'un tout
dans cette société recherchant le maximum d'autarcie dès lors que l'homme est
bien intégré à son milieu, ce qui présupose bien le connaître.
Si l'isolement de certaines régions comme le Morvan, faisant obstacle aux
pressions extérieures, semble avoir contribué aux maintiens des traditins
populaires, soulignons aussi l'endogamie importante qui a certainement conduit à
une consolidation et à une continuité du savoir local. En effet, la réalité
montre qu'un brassage important de gens d'origine diverses ne privilégie pas le
maintien des pratiques. D'ailleurs n'assistons-nous pas à une diffusion
considérable du savoir médiatique au détriment du savoir populaire, même si
parallèlement d'autres actions cherchent à le réanimer, quette bien souvent à le
réduire au folklore. La famille était le lieu même de l'affermissement du savoir
la maison abritant sous sont toit en général trois, voire quatre générations !
Celles-ci s'entraident mutuellement et forment une unité domestique
reproductible. La plupart des activités de la vie quatidienne font appel au
savoir, ainsi sans cesse réactivé par le besoin de la pratique. La transmission
s'effectue donc à travers des structures sociales "traditionnelles". Elle
s'inscrit dans le cadre des différentes tâches domestiques, agricole et
forestières. Les acteurs sociaux de cette transmission sont aussi ceux qui
pratiquent. Enfin ce savoir et ce savoir-faire reflètent une bonne adaptation au
milieu.
Aujourd'hui se produit une véritable rupture de la transmission dans de nombreux
domaines, rupture qui parait d'autant plus brutale qu'elle est subie :
Maintenant c'est une autre vie, un autre monde, on a voulu tout changer. C'est
guère mieux ce qu"'ils ont fait. "Ils" ont voulu le progrès...". La
transformation de notre société du XXème siècle, a entrainé une distabilisaticn
de l'économie rurale, accompagnée de la déstructuration du groupe domestique et
villageois. Le processus de la transmission s'appuyant sur ces structures est
ainsi profondément menacé. Non seulement la chute démographique remet en cause
la cohérence du système, mais de plus la pénétration grandissante d'une culture
dominante, moderne, ébranle les fondements d'une société traditionnelle et
l'investit alors de nouvelles valeurs. Aussi, la modification du mode de vie
s'accompagne-t-elle d'une transformation des pratiques et ainsi d'une
disparition progressive du savoir. "Avant, les gosses allaient à l'école à
pieds. Aujourd'hui, c'est en voiture. Ils ne connaissent plus rien, même pas où
ils vivent". Aujoud'hui certains usages liés aux plantes sont maintenus ou bien
abandonnés en fonction du jeu des diverses influences. Si, depuis le début du
siècle, les progrès de la médecine et le développement du corp médical ont
contribué à l'emploi des médicaments au détriment de celui des plantes, avant le
renouveau actuel, la Sécurité Sociale a certainement exercé une profonde
transformation dans les modes de soins, sourtout à la campagne. Déjà en 1930,
les premières lois sur les assurances sociales concernaient les salariés de
l'industrie et du commerce, instituant pour les milieux agricoles un régime
spécial. En 1945 et 1946 est créé un régime spécial s'étendant à l'ensemble de
la populaire : "Mais après, avec la Sécurité Sociale c'était plus facile de
131
prendre des médicaments" (St-Martin-du-Puy). Beaucoup invoquent aussi la gestion
actuelle du milieu. "Maintenant, c'est tout pesticide, insecticide. J'irais plus
en ramasser des plantes, moi, maintenant" Les pratiques actuelles en médecine
humaine sont peu nombreuses au regard de l'important recueil d'indications
thérapeutiques reccueilli. Fréquemment dans les maisons, on a encore recours à
la petite bouteille de fleurs d'Arnica pour les coups ; ou bien au flacon de
pétales de lys macérés dans l'alcool pour les coupures. Ainsi ces deux
préparations renouvelées tous les 1, 2 ou 3 ans, correspondent-elles à des soins
externes, sans gravité. Quant aux usages internes, ils sont aussi représentés
actuellement avec les plantes calmantes : Tilleul, Camomille, ou pectorales :
Tussilage, Guimauve, Mauve, Violette, etc..., anti-tussives : Sureau, contre ies
maux de gorge : Ronce, Serpolet, digestives : Menthe, Camomille, etc..Les
plantes sont généralement récoltées, séchées et stockées chaque année. Ces
diverses utilisations relèvent d'une pharmacopée de base limitée à des soins
courants pour lesquels, en grande majorité, on ne consulte pas le médecin, donc
pas de prescription de médicaments. Cette autosuffisance thérapeutique semble se
définir par quelques caractéristiques. Les plantes récoltées sont très communes,
excepté l'Arnica mais on localise très bien ses stations. Et par ailleurs les
soins répondent à des maladies dont on perçoit facilement les symtômes et
"faciles" à grérir parce que déjà la confiance s'est établie entre le malade et
la plante à travers une longue expérience positive. Enfin les maux soignés
actuellement s'apparentent aux domaines pathologiques où l'on a reccueilli le
plus d'indications, soit les affections externes (plaies, traumatismes, etc...),
ou les fonctions digestives, ou encore les voies respiratoires",
l'automédicamentation est donc pratiquée pour les maux les plus fréquents et les
plus ordinaires. En cas de complication, on préfère se placer sous la
responsabilité du médecin. Aujourd'hui le savoir-faire lié aux soins compliqués
ou bien dont on doute de l'essicacité au regard des médicaments de synthèse, est
abandonné.
L'utilisation du végétal en médecine vétérinaire est encore répandue
aujourd'hui. Ces pratiques se justifient peut-être par une souci d'économie, les
frais n'étant pas remboursé, ou par l'urgence du soin, la dispersion de
l'habitat et la difficulté de circulation ne permettant pas une arrivée rapide
du vétérinaire souvent bien occupé. Elles recouvrent de nombreux domaines
pathologiques. Continuité d'un savoir-faire ancien, se perpétuent les
applications de sacs d'avoine ou de "pousso' de foin", les fumigations, vapeurs
d'Arnica, pour digérer par exemple,... pratiques très certainement médiévales.
Cependant le maintien d'une pharmacopée traditionnelle de longue date n'empêche
pas l'emploi de médicament de synthèse. Parfois même, recherchant l'addition des
efficacités, on associe le remède végétal et le médicament prescrit par le
vétérinaire.
On ramasse encore quelques plantes alimentaires, mais certainement beaucoup
moins aujourd'hui que dans la première moitié de ce siècle, la deuxième guerre
mondiale marquant alors l'apparition d'une ère nouvelle, avec de nouveaux
comportement alimentaires. Il est toujours coutume de ramasser au printemps, la
salade de pissenlit, la "première", la "meilleure", la Porcelle enracinée,
l'ornithogale des Pyrénées, 1""Asperge des bois", le fleurs d'Arnica puis ies
petits fruits, et l'hiver les salades d'eau rassemblées sous le nom de
"cresson". On observe cependant une diminution importante de l'activité de
cueillette de plantes alimentaires, parce que souvent le rapport à la nature
n'est plus le même. Celle-ci est beaucoup moins fréquentée qu'autrefois en
raison de la faible population. Le mode de gestion du milieu a aussi beaucoup
évolué. La fauche des prairies ne se pratique quasiment plus, entrainant une
homogénéisation de la flore, les biels, sont nettoyés mécaniquement, ainsi
dénudés de leur végétation. L'entretien des fontaines et des sources est peu à
peu abandonné. D'autre part, le drainage dans certaines zones, le désherbage
chimique a condinné le ramassage de certaines plantes. La taille mécanique de la
132 -
A L'OMBRE DES SAVOIRS EN FLEURS.
Capucine CROSNIER
I Les vestiges d'une médecine ancienne.
Plusieurs aspects de la pharmacopée végétale populaire témoignent
survivance d'une médecine ancienne, souvent héritée du Moyen-Age.
certains végétaux, effacés de la médecine officielle, révèlent le
archaïque de certaines pratiques médicales encore en vigueur dans
partie du XXème siècle.
de la
L'emploi de
caractère
la première
Le cas des céréales est à ce titre intéressant, et illustre le prolongement de
la médecine médiévale jusqu'à nos jours. Comme le rappelle LIEUTAGHI le mot
"tisane" est issu du latin "ptisana" qui signifie bouillon d'orge. Dans
1'Avallonnais cette céréale est utilisée en mélange contre la constipation
"faire bouillir ensemble des racines de Chiendent, celui qui trace, des grains
d'Orge, du bois de réglisse et des graines de Lin. En boire un jour sur deux.
C'est pas bon au goût !. L'Avoine était abondamment employée". Une informatrice
rapporte que dans le Val de Loire "on faisait tremper des grains d'Avoine dans
un bol d'eau le soir, on buvait l'eau le lendemain. C'était destiné aux gens qui
travaillaient dur, qui ne buvaient pas assez.
Mais, c'est surtout en application directe sur.le corps que sont vantées les
vertus de l'Avoine, dans les cas de "douleurs", de refroidissement, de fièvre,
ou de bronchite. L'Avoine arrosée de vinaigre est chauffée dans une grande
marmite, puis mise dans un sac en toile posé sur des "douleurs", rhumatismes, ou
bien sur la poitrine. Ce cataplasme a pour but de réchauffer le corps, voir de
le faire transpirer. A l'Avoine, se subsistent parfois la "bouffe" ou "ball£"
d'Avoine (enveloppe du grain), le foin, ou encore le "pousso" de foin. CAZIN",
médecin de campagne au XIXème siècle rapporte que l'Avoine entière cuite avec du
vinaigre traitait les points de côté pleurétiques et les lumbagos. Si cette
forme de soins encore fréquente au début du siècle, a disparu des pratiques
contemporaines, elle a persisté jusqu'à ces dernières années en médecine
vétérinaire, notamment dans le cas de refroidissement des bovins.
Le recours aux plantes dites inférieures ou Thallophytes dans la classification
des végétaux, c'est à dire qui n'ont ni racine ni tige, ni feuille, indiquent là
aussi une survivance de pratiques lointaines. Les Vesses de loup, champignons
communs dans les bois en été et en automne, traitent les engelures : "Mettre de
la poudre de Vesses de loup sur les engelures des mains et des pieds". Les
spores qui s'échappent à maturité sous forme de poussière avait donc une action
bienfaisante. Plusieurs lichens sont employés pour soigner les plaies et plus
particulièrement les hémorragies, indication peu courante dans les ouvrages de
pharmacologie. De même l'homme a décelé certaines vertus médicinales parmi
d'autre végétaux plus évolués, telles les Mousses et les Fougères. L'usage des
mousses semble peu reconnu par la médecine savante. Pourtant au XIXème siècle et
au XXème siècle il demeure pas moins que plusieurs d'entre elles, notamment la
"mousse de charmille", posséderaient la propriété de stopper l'hémorragie et
d'apaisser les coupures. La Capillaire rouge (Asplennium trichomanes), peu citée
à travers la littérature médicale, est employée dans le Morvan pour la
fabrication de sirop contre la toux. Elle jouissait des mêmes vertus que la
Capillaire de Montpellier (Adiantum capillus veneris) qui était d'après Fournier
"très employée autrefois dans les affections pulmonaires".
Autre empreinte de la médecine ancienne, l'usage du Bédegar ou galle de
l'Eglantier, qui se développe à la suite d'une piqûre d'un insecte hyménoptère
sur les bourgeons, est connu pour lutter contre certaines affections externes :
C'est une petite mousse sur les branches d'églantiers, sauvage, le song des
chemins. On en trouve toute l'année. On utilise la petite mousse fraîche. Le
soir on fait bouillir cette petite mousse environ 1/4 d'heure dans le lait, puis
on la retire du lait. Le lendemain, on fait chauffer le plus possible le lait
m
Le rituel de cueillette.
En médecine populaire, la plante ne réduit pas à des principes actifs, au
contraire elle sublime l'univers vivant. L'acte thérapeutique, depuis la
cueillette des plantes jusqu'à l'administration du remède s'inscrit dans une
relation au cosmos, au surnaturel, ou encore au religieux et obéit à un certain
rituel. La cueillette de plusieurs espèces végétales se déroule
à des moments précis, au solstice d'été, à l'aube, à midi ou encore à minuit.
Un sirop est préparé dans le Châtillonnais à base de Pissenlit dont on cueille
"deux mains jointes" de fleurs en plein soleil". Le moment le plus ensoleillé de
la journée paut correspondre à un potentiel maximal des substances fabriquées
par la plante. Cet argument est encore invoqué dans l'interprétation des
cueillettes de la Saint-Jean, certaines personnes allaient cueillir des herbes
tôt le matin le jour de la Saint-Jean. Ces herbes sont différentes selon les
régions, selon lesquelles les traditions semble plus ou moins persistantes.Dans
le Bazois, par exemple "le Sureau se cueillait à la Saint-Jean. On prenait les
fleurs de Sureau à la rosée, on faisait sécher les fleurs pour les tisanes pour'
la gorge. Les noix vertes sont également ramassées le jour de la Saint-Jean, ou
bien même de la Saint-Madeleine, le 22 juillet "quand elles sont en lait". Dans
d'autres cas la plante n'est plus que le support des forces de la Saint-Jean :
"...Recueillir la rosée du matin de la Saint-Jean sur une plante le matin, la
mettre sur des verrues. Mon mari l'a expérimentée". Actuellement demeure
l'ambiguité quant à l'origine du rite de cueillette que sous tend la croyance
aux propriétés magiques que détenus par certains végétaux la nuit de la SaintJean. Certains auteurs, comme DELATTE réfutent la thèse communément admise selon
laquelle le culte de la Saint-Jean, le 24 Juin, corresponderait à la
christianisation du rituel de cueillette le 21 Juin. Les pratiques dites
magiques encore fréquentes à la fin du début du siècle, semblent pour le plupart
tombées en désuétude aujourd'hui. De même les différents rituels de cueillette
ou de préparation disparaissent ou s'effacent peu à peu traduisant ainsi
l'évolution de l'acte médical un contexte où sont bouleversés ces modes de
pensée dits traditionnels. Ce type rituel d'après Lévi-Strauss assigne aux
gestes et paroles une "fonction s'ajoutant à leur usage pratique et qui parfois
la supplante" et" connote de façon globale un système d'idées et de
représentations
Protéger l'environnement du corps
Il ne suffit pas de protéger le corps des maladies, encore faut-il le mettre à
l'abri des agression diverses biologique et climatiques Pour écarter tout
danger, différentes pratiques ont pour but de protéger non seulement le corps
mais son environnement. Pratique encore très actuelle, le bouquet de Buis béni
aux Rameaux protège l'espace domestique et ses habitants d'une façon générales
contre tout ce qui pourrait entraîner le désordre dans l'ordre établi. Ainsi les
causes qui sous-tendent ce rite sont-elles fréquement l'incendie, l'orage, les
maladies...et un besoin "de protéger la maison" contre toutes sortes de
malheurs. "Quand il y avait un orage, le grand-père sortait arroser le foin, les
bâtiments avec du buis trempé dans de l'eau bénite".
La démarche adoptée ici consiste à interpeller une puissance divine invoquée
lors de la bénédiction du Buis, une puissance surnaturelle, seule réponse
possible à un danger émanant de forces perçue également comme surnaturelles,
venant bouleverser l'ordre humain. Par son aspect "semper virens" toujours vert
évoquant la vie éternelle et investi d'une force religieuse, le Buis est chargé
de force divine qui permettent d'annihiler les forces malignes.
Si le houx est toujours perçu comme une plante bénéfique, la perception du Gui
varie en fonction des témoignanges. Selon certains le Gui porte malheur quand on
l'accroche dans les maisons, selon d'autres, il porte bonheur particulièrement à
la première personne qui passe sous le bouquet au Nouvel An. Il s'agit de la
\%A
seule forme de protection individuelle rencontrée. L'Herbe de Saint-Roch, la
Pulicaire dysentérique est rammassée le matin même de la Saint-Roch, fête du
Saint, patron du Bétail qui se déroule le lendemain de l'Ascension. Les bouquets
de fleurs sont bénis à l'église puis accrochés dans les étables, les maisons
pour protéger le bétail des maladies, ainsi que dans les maisons pour protéger
la famille de toutes maladies et malheur. Religieuse cette pratique se traduit
par la célébration de messes qui se déroul encore dans le village de St Loup de
la Salle en Saône et Loire Mais très certainement comme de nombreuses fêtes issues d'un fond de rites païen, cette manifestation est investie de croyance
anciennes. Toutefois, le pouvoir surnaturel de la plante est interprétée par
l'Eglise qui en donne une forme d'explication. Les pratiques dites magiques
encore fréquentes à la fin du début du siècle, relevées par les auteurs de
l'époque, semblent pour le plupart tombées en désuétude aujourd'hui. De même
Autre exemple contemporain qui a survécu à l'érosion des coutumes paysannes dans
le village Bourguignon à St Loup de la Salle, celui de l'Herbe de la Saint-Roch.
Cette plante est la Pulicaire dysentrique ou à défaut la Pulicaire commune. Elle
est ramasée le matin même de la Saint-Roch, fête du saint, patron du bétail et
qui se déroule le lendemain de l'Ascension. Les bouquets de fleurs sont bénis à
l'église puis accrochés dans les étables, pour protéger le bétail des maladies,
ainsi que dans les maisons pour garantir la famille de toutes maladies et tout
malheur.
Religieuse, cette pratique se traduit par la célébration de messe qui se
célèbrent encore à St Loup de la Salle. Très certainement comme de nombreuses
fêtes, issues d'un fonds de rites païen, cette manifestation est investie de
croyances anciennes. Le pouvoir surnaturel de la plante est ici interprétée par
l'Eglise qui en donne une explication lors du discours du prêtre à l'ouverture
de la messe : la plante assure un rôle bénéfique dans le domaine du biologique
(maladies) et dans celui de l'irrationnel, du désordre (le ou les malheur(s).
Mais ces catégories ne sont qu'une aux yeux de la population locale où la
rupture d'équilibre est fondamentale, qu'elle agisse ou non sur des plans
différents. Rappelons ici que les sorciers jouaient un grand rôle dans les
campagnes et provoquaient le "malheur" : vache qui ne donnait plus de lait, mort
d'animaux, portes qui s'ouvraient seules.la nuit et entrainant la fuite, voire
disparition des poules et des vaches...Une informatrice rapprochait ce dernier
cas avec l'emploi fréquent de 1'"Herbe à la fourchette", qui n'est "pas une
bonne plante",donc "il faut s'en méfier". Il s'agit du Géranium Herbe -àRobert.Remarquons que la survivance de la tradition des bouquets suspendus fut
certainement plus vivace que d'autres rites de protection humaine. Et comme
d'indignait ce curé de Glux-en-Glenne village du Sud du Morvan les avaient plus
de foi dans le bouquet de Plantain accroché dans les étables qu'au "Bon Dieu" !
Les croyance populaires semblent persister plus longtemps en médecine
vétérinaire qu'en médecine humaine. Dans ce dernier cas, l'Eglise aurait-elle
une influence notable ?
La Joubarbe des touts, ou "l'Herbe à la Tonne" évoquant bien sûr le tonnerre,
protège précisément de l'orage, du tonnerre, mais surtout de la foudre, danger
menaçant la maisonnée entière, l'étable avec le bétail, les granges avec les
récoltes. Ces trois bâtiments sont souvent attenants dans l'architecture
morvandelle. Le risque portait donc sur l'ensemble de l'espace domestique.
Perchée sur les toits de chaume, la Joubarbe disparut avec l'abandon de la
technique de couverture végétale. On la trouve encore cultivée dans certains
jardins. Les ardoises et les tuiles supprimaient du même coup, l'usage
protecteur et l'usage médical de la plante. Les diverses études médicales de la
fin du siècle dernier et du début de ce siècle attestant encore de nombreux
emplois médicinaux de la Joubarbe des toits. Précisément dans les cas de
brûlures, rejoignant par la même la représentation d'une plante liée au fer.
Plantes "décoratives" et Dratiaues relieieuse
17R
Souvent présentées comme "décoratives", diverses plantes sont fortement
investies du religieux. Leur représentation symbolique se traduit par des usages
bien précis, se déroulant au moment des fêtes religieuses, et portant en elle
les caractères d'ordre divin ou surnaturel. Aux Processions, les croix dans les
hameaux et les bourgs, sont décorées d'Aubépine, plante dédiée à la SainteVierge sur le reposoir de la croix, les petites filles jettent des pétales de
rose, deux plantes qui rappellent la Passion du Christ, par la présence des
épines.
La grande Marguerite, à dominante blanche comme l'Aubépine, nous parait aussi
chargée de sens religieux qui nous échappe quelque peu ici. On la rencontre à la
fois au moment des Processions, et à la fois sur l'autel des églises, comme
plante "décorative".
Le Houx participe aux rites d'épousailles, sur la table des mariés, aux rites de
protection, parte-bonheur au NouvelAn, et aux rites de commémoration des morts.
Dans certains villages, on déposait du Houx sur les tombes à la Toussain. Cette
plante au feuillage persistant est aussi exceptionnelle par se fruits rouges
qu'elle porte très longtemps à l'aisselle de ses feuilles, symbolisant aussi la
fécondité. Seuls les pieds pourvus d'organes femelles, frudifient ce qui
entourait encore la plante de mystère.
Ces divers types de protection et rites religieux recourent au végétal comme
médiateur auprès des forces naturelles. Plantes magiques, elles gagneront leur
efficacité symbolique à travers l'accomplissement du rite, soit sous la
responsabilité des femmes pour le Buis, le Houx, l'Aubépine, la Rose..., dont le
rôle est cristallisé autour de l'espace domestique restreint, et soit sous celle
des hommes "les Croiselles" de Noisetier", qui gèrent plutôt l'espace agricole,
zone de clutures, et parfois bâtiments d'élevage, avec par exemple la protection
de la Pulicaire dysentérique.
Soulignons la souplesse de cette division sexuelle qui se traduit différemment
dans des situations particulières ou extrêmes. "Il y avait bien des femmes qui
les mettaient les "crouvottes",...quand le mari ne pouvait pas ou n'était pas
là.
2.2.La Théories des signatures
L'idée de la Nature messagère évoquée par Pline, fut également en vogue auprès
de la Chine et du Monde arabe. On pensait que la plante délvrait un message et
se faisait ainsi l'écho d'une manifestation d'ordre divin. Ce concept qui a sous
tendu de nombreuses pratiques au Moyen-Age, a été par un médecin suisse,
Paracelse (1493 - 1541). Celui-ci affirme que toute plante indique par sa
morphologie, sa couleur, etc.. les organes et maladies qu'elle soigne. Cette
théorie des signatures ou des correspondances s'illustre par de nombreux
exemples, parfois confirmés par l'expérimentation sientifique. On reconnaît
ainsi les vertus de la grande Chélidoine, dont le suc de couleur jaune, rappelle
les maladies hépatiques, telle la jaunisse, et de la Pulmonaire officinale dont
les feuilles portent la marque d'alvéoles, employée dans le traitement des
affections pumonaires. Plusieurs pratiques recueillies auprès d'informateurs
semblent s'inspirer de cette médecine ancienne fondée sur les analogies. Par
exemple, la ronce, plante astringente est employée comme adoucissante lorsqu'on
l'applique, enduite de corps gras jouant le rôle d'emollient, pour faire sortir
des épines. On ne peut que rapprocher l'épine et la ronce, végétal porteur du
mal et du remède. Les racines de Sceau de Salomon ou d'Iris cultivé soignant les
cors traduisent également l'application de la théorie des signatures par la
ressemblance des excroissances des parties souterraines et de celle des cors. Le
Chou rouge appliqué en cataplasme contre les douleurs rappelle par la couleur de
ces feuilles les rhumatismes violacés. Les baies de Sureau écrasées et posées en
cataplasme sur un hématome corespondent-elles à une théorie des signatures ou
17Í,
bien à un glissement d'usage des feuilles en cataplasme sur les coups ? De
nombreuses pratiques ouvrent les portes à l'exercice de l'imagination...
Les fleurs de l'Ortie blanche sont employées pour soigner le mal blanc : "Faire
cuire légèrement les fleurs dans l'eau, les appliquer sur le mal blanc, ça tire
bien le pus". On pourrait encore deviner la théorie des signatures à travers
l'usage de ces même fleurs dans les cas de pertes blanches ou leucorrhées
:"Préparer une infusion de fleurs et faire un lavage interne. Répéter pendant
plusieurs jours". La plupart de ces exemples illustre en grande partie'des
savoirs concernant les affections externes, ou bien présentant des signes
pathologiques externes. L'exemple de la Vigne est également éloquent : "quand on
taille la Vigne en mars, il y a la sève qui revient... Elle pleure... Ca coule
de la branche comme des larmes. On ramassait ça dans une bouteille. Ca se
servait quand on avait mal aux yeux. On en frottait la paupière...Cest pour les
conjonctivites, le mal aux yeux. Ca se conserve dans la bouteille pendant bien
six mois. Après ça moisit". Ce témoignage attesteillustre le rapprochement entre
les "larmes de la Vigne" et les sécrétions lacrimales.
Le courant de la théorie des Signatures irrigue encore la mémoire collective
comme le souligne une femme de la Bresse :" On fait une préparation avec les
feuilles de cette plante, l'Agripaume cardiaque, qui pousse le long de la
maison... On met les feuilles dans l'eau-de-vie. On recommence tous les ans. Je
me suis coupée jusqu'à l'os quand j'étais jeune. On m'avait mis cette feuille
sur la coupure. La feuille en séchant brûle la peau. Elle vous laisse les
marques sur la peau, comme des nervures ! Mais ça évite l'infection et ça
ressoude".
2.3 La magie des nombres
Le symbolisme des nombres a marqué de nombreuses pratiques, y compris
thérapeutiques. Le nombre de fleurs ou de feuilles à utiliser se substitue bien
souvent à la posologie pondérale, référence des professionnels de la santé. Bien
souvent, le nombre est un moyen mnémotechnique dans le savoir faire. Ainsi
l'infusion de fleurs de Grande Camomille pour le soins des yeux se prépare à
base de "trois têtes par tasse".
"La Camomille c'était surtout pour se laver les yeux il fallait toujours mettre
un nombre de fleurs impair. Voyer 1,3,5,7,9 ainsi de suite, selon la force qu'on
veut d'une tisane. C'était comme ça. On dissait et on faisait ça". La répétition
du nombre aide à la reminiscence : " Envelopper la plaie dans une feuille de
Cyroglosse. Faire un pansement avec une gaze. Changer la feuille trois fois par
jour pendant trois jours". L'importance du nombre revêt un caractère quasi
magique, et s'entour de certains rites qui lui confèrent d'autant plus de
pouvoir. On vante ainsi l'infusion de feuilles de Ronce contre les maux de gorge
en insistant sur le fait que "la ronce à sept feuilles, c'était la meilleure;
"sept", fallait pas le prononcer. On disait : un nombre impair plus fort que six
et moins fort que neuf".
Pour certains il faut de préférence utiliser la "cinq feuilles" Selon une autre
variante " fallait qu'elle ait trois feuilles pour les tisanes pour la gorge"
III Conception du corps, de la maladie et du remèdes
La vision du "mal"
"Prendre le "mal"
L'expression"prendre le mal" personnalise la relation intime entre le corps et
le mal qui l'habite. On "prend un rhume","une maladie",... et on élabore alors
un dispositif pour le chasser du corps. C'est ce mal pris par l'homme, que la
plante doit "prendre" à son tour. "Vous mettez une feuille de chou sur votre
1 77
rhumatisme, la nuit par exemple... Et ben le matin, elle est toute sèche. Elle
vous prend votre mal"..."Vous mettez une jeune feuille d'Aulne sur votre oeil
enflammé, larmoyant, quand on a de la conjonctivite. Vous laissez la feuille
toute une nuit. La feuille tire tout le mal, tout le pus".
"Faire mûrir le mal"
La maladie semble faire partie de toutes ces choses de la nature, comme les
plantes et les animaux qui naissent, grandissent, parviennent à maturité et
dépérissent... Pour éradiquer le mal, il faut alors "le faire mûrir", stade
incontournable dans certains cas. Ainsi, pour soigner la rougeole "on donnait de
la Bourrache en tisane aux enfants quand ils avaient la rougeole. Ca leur
faisait sortir les boutons plus vite...parce qu'il faut que ça sorte ! Il faut
les faire sortir !" Pour traiter les boutons de mal de blanc ou panaris : " vous
mettez une feuille de Sceau de Salomon avec de la crème. Ca vous fait mûrir le
mal et ça tire tous le pus". "Vous faites cuire légèrement des fleurs d'Ortie
blanche dans l'eau, vous les appliquez sur le mal blanc. Ca tire le pus". On
retrouve dans cette indication la théorie des signatures, le blanc , couleur du
remède est aussi celle du mal. Ce principe de maturation du mal sous-tend le
traitement du rhume : "pour le rhume, on prenait des tisanes, mais pas de
tisanes "anti-grippe" ! Non, des tisane pour aider à mûrir le rhume. Pour se
réchauffer aussi. On prenait ça et après ça aidait à tousser. La toux était plus
grasse, parce que sinon c'était une tux sèche. Ca ça vous tombe sur la poitrine.
C'est un mélange Pâquerette. Tussilage. Bouillon blanc. Pensée sauvage,
Violette, Bourrache, Coucou"
"Chasser le mal"
Toujours considéré comme une entité, la mal doit aussi être "chasser" selon
certaines conception populaires.
L'emploi de plantes révulsives, souligne cette démarche. La flagellation
d'Ortie, par exemple, lors d'un choc traumatique peut éviter la congestion
cérébrale, "pour que le sang ne monte pas à la tête". L'application d'Ail sur la
plante des pieds "chasse la fièvre". Les colliers de gousses d'Ail chassent les
vers qui remontent et qui étouffent les petits enfants".
Outre ces pratiques interventions s'appliqueant à la surface du corps, il existe
également des traitements internes qui repoussent la maladie : "L'infusion de
Petite Centaurée, ça chasse la fièvre".
"Faire passer le mal"
L'expression "faire passer" s'utilise surtout dans le cas des affections de la
peau. Cette locution s'emploie également dans le traitement des maladies par les
"charmeurs" qui conjurent le mal par une prière. Ainsi dit-t-on du sujet des
verrues : "Moi, ce que j'ai beaucoup utiliser aussi, on se mettait ça, et ça les
faisait passer,...la Chélidoine, on disait "l'herbe aux verrues".
"Soigner le mal par le mal"
Pour se débarasser de certaines affections, il faut repousser le mal par le mal.
Le second annulera le premier. Ce principe préside au traitement des rhumatismes
par exemple. "Mon mari avait des rhumatismes. Alors on a enduit sa peau avec du
beurre et on l'a frotté avec des Orties. Ca faisait une multitude de petits
138
boutons...Bien sûr, ça le brûlait fort, mais après il sentait plus rien ! On
calme les brûlures par une action réchauffante : "Pendant la guerre de 14, il y
avait une vieille institutrice qui me disait de mettre un cataplasme d'eau-devie sur la brûlure.Il faut brûler la brûlure, Autre témoignage : qu'elle
disait". "Je m'étais brûlée à la soude caustique. J'ai coupé un oignon et j'ait
frotté la brûlure, ça fait une acidité...On dit que quand on s'est brûlé, il
faut rebrûler avec un oignon, de l'eau vinaigrée...C'est pareil avec une piqûre
de guêpe, on met un oignon, du vinaigre". Selon le même principe l'effet du
froid sera annihiler par son semblable : "Quand on avait des engelures, et quand
il y avait de la neige, on en mettait dessus...Oui, c'était du froid sur du
froid..."
3.2 La théorie des humeurs
Héritant très certainement des principes de la théorie des humeurs, les
pratiques suivantes illustrent d'anciennes conceptions de la maladie, et du
remède.
"Tirer l'humeur" est une action recherchée dans les cas d'infection. Il semble
que celle-ci ait survécu à l'évolution médicale notamment dans le domaine des
affections cutanées. Les cataplasmes feuilles de Pas d'Ane, Tussilage, "tirent
l'humeur des furoncles, et des abcès". On fabrique même des préparations dans ce
même but : "Mettre des feuilles de Sceau de Salomon dans l'alcool pour mettre
sur les panaris, ça tire le mal". Ces feuilles seront encore appliqués fraîches
sur les infections pour" tirer le pus". Passées sous l'eau bouillie et posées en
cataplasme sur les plaies, les feuilles de Plantain "sèchent et "tirent
1'inflammation".
Les plantes "tirent" également ce qui est perçu comme étant de l'eau en
exès dans le corps. "Quand on a les genoux enflés, des douleurs, il faut se
bander le genou la nuit avec un cataplasme de Boutons d'or hachés. Le genou
enfle, ça fait transpirer le genou, ça .tire le mal. L'eau finit par sortir".
"Attirer le mauvais sang" s'emploie dans divers cas, affections externes ou
internes. En nous parlant de la Rue une informatrice du Charoláis rapporte que
"ça attire tout le petit sang, le sang battu. La Rue, on la hachait vert...Alors
une fois hachée, ont la met dans de la graisse blanche, du saindoux, de la
graisse de cochon...Je me souviens d'un Monsieur, il labourait avec des boeufs.
Il y a un boeuf qui lui a marché sur le pied, il avait écrésé le pied. C'était
bleu ! C'était écrasé, enfalmmé, bleu, violet, vilain comme tout ! Le pauvre, il
avait souffert. Il était venu chez nous. On avait haché de la Rue, on y
mélangeait toutes les trois heures". La même personne nous dira aussi que
l'Arnica, sur les coups mange le sang battu". D'autres préparations tel le
cataplasmes de "blanc de poireau cuit dans de la graisse blanche, appliqué en
emplâtre tiède" sont employés pour "mûrir un abcès et attirer le mauvais sang"
Dans certains cas de traitement interne apparaît le même concept. Pour fortifier
par exemple, on prépare une boisson à base de Germandrée Petit- Chêne macérée
dans du vin blanc, à raison d'une poignée ou deux de la plante par litre.
L'informatrice dit que "ça mangeait le chti sang, c'est-à-dire le sang mauvais,
imour".
Les révulsifs
Les révulsifs provoquent une irritation locale pour drainer le sang d'une région
malade vers les téguments afin de soulager les inflammations ou les congestions.
La pharmacopée populaire a longtemps conservé l'usage des cataplasmes de Lin qui
139
ont un but réchauffant et les sinapismes de Moutarde qui créent une irritation
ainsi qu'une dilatation des vaisseaux.
les révulsifs constituant une ressource thérapeutique précieuse pour des
affections diverses. L'exemple le plus courant demeure celui des problèmes
respiratoires, tels que le rhume, les bronchites, ou encore les
bronchopneumonies.. Une informatrice nous donne une interprétation de l'effet
d'un sinapisme : Les cataplasmes de farine de Moutarde, quand vous aviez un bon
rhume, ça vous enlevait la chaleur. Parce que ça brûle la gorge, quand vous
commencez un rhume. Alors, ça vous faisait du bien, ça tirait la chaleur. On
n'aimait pas ça nous les gosses...Et on le faisait le plus chaud possible".
Ainsi, les éléments semblables s'attireraient, chaleur du corps et du remède,
puis s'annuleraient à travers leur rencontre. Pour les migraines, la farine de
moutarde agissait sous forme de bain. On faisait...des bains de pieds par
exemple, si on avait le sang à la tête, des migraines. Ca tirait le sang au
pieds...Vous en mettiez...une poignée...dans l'eau chaude...mais tout de suite,
vos pieds rougissaient. Vous savez le sang descendait d'un seul coup...Ca
dégage, puis les gens qui sont surtout portés à avoir des congestions, vous
savez on est des fois congestionné, ...ou des coups de soleil, le sang monte à
la tête...On en faisant beaucoup. Autre forme de révusifs, la flagellation
d'ortie était un moyen de rétablir l'équilibre du corps après le traumatisme
d'un choc important comme l'illustre l'anecdote suivante. "Un voisin s'est
trouvé écrasé sous un tombereau qui s'est renversé sur lui. Il a dit à son fils
qui était avec lui de le battre avec des orties. C'est ce qui l'a sauvé !"
Les cures.
En médecine populaire, certaines pratiques médicinales s'opèrent sous forme de
"cure", terme qui semble recouvrir dans l'esprit des informateurs, autre chose
que la stricte définition qu'en donne le dictionnaire Larousse : "traitement
médical ¡ensemble de moyens employés pour obtenir la guérison d'une maladie".
Les personnes rencontrées vivent la cure non seulement comme soin curatif, mais
aussi comme procédé préventif, notamment à travers l'emploi des dépuratifs. Le
sens de "Cure" se rapprochait ainsi de son origine étymmologique "cura" en
latin, soit "soin, traitement". La Petite-Centaurée par exemple prenait sous
forme de cure, en infusion dépurative" à l'automne et au printemps" d'une durée
de "quinze jours ou trois semaines". Comme l'Herbe à l'Ache,
la Livêche officinale était employée "pour se dépurer" : Faire une décoction de
l'Herbe à l'Ache et la boire en cure, à jeun, pendant 5 à 6 jours. Ici tout le
monde se purgeait comme ça" . La cure dépurative prend l'aspect d'un rituel,
elle est fixée dans le calendrier annuel, à des saisons charnières, printemps et
automne, et obéissant à des règles précises quant au moment de la prise du
médicament le matin, à jeun et quant à la durée -un nombre déterminé de jours ou
deux semaines, la période maximum dépassent rarement trois semaines, soit 21
jours -. Certes les dépuratifs méritent à eux seuls une recherche particulière,
comme l'a fort bien menée LIEUTAGHI dans son remarquable ouvrage "L'herbe qui
Renouvelle". Mais il semble utile de rappeler que les cures dépuratives
dépassent très certainement le nettoyage du corps et rappellent les rituels de
purification. On préconise encore la cure dans le domaine des affections de la
peau pour nettoyer le corps dont les manifestaions extérieurs sont la marque
d'un "encrassement". Les infusions de Pensée sauvage sont recommandées en cure "
quand on est jeune, qu'on a des boutons sur la figure". En Morvan, la Livèche
officinale macérée dans un litre de vin blanc se boit le matin en cure de huit
jours pour lutter contre les ántrax, la furonculose, ou encore "pour se dépurer"
La Bardane se révèle utile dans le traitement de l'eczéma : "Boire des
décoctions de racine, surtout à l'automne en cure".
Les cures sont recommandées dans d'autres pathologies, tel le mauvais
fonctionnement des intestins. "Les sommités fleuries de Petite Centaurée séchée
sont prises en infusion, en tisane deux ou trois tasses par jour, pendant cinq
un
ou six jours. On renouvelle si besoin... En cure de cinq ou six jours, c'est
généralement très efficace".
Les cures de printemps et d'automne se sont pas uniquement l'apanage des
dépuratifs. Ces moments de l'année semble propices à d'autres traitements : "on
fait infuser une pincée de queues de Cerise aigre, cueillies ou achetées. En
faire une cure pendant quinze jours. Prendre une tasse à jeun le matin, et une
tasse au coucher, généralement au printemps et en automne. Le père et la mère
faisaient la cure ça soigne la rétention d'urine"
Une médecine d'avant garde ?
Certaines pratiques relèvent de thérapeutiques relativement nouvelles dans
l'histoire du développement de la médecine. Ainsi, quelques remèdes semblent
s'inspirer de la gemnothérapie qui utilise les bourgeons et d'autres jeunes
tissus végétaux, riches en hormones de croissance. Celles-ci augmentent ou
réorientent l'efficacité de la plante. "On prend les feuilles et les bourgeons
d'extrémité, nous explique une femme âgée de l'Auxois. On utilise la plante,
fraîche ou sèche en infusion pour les douleurs dans les genoux ou autres,
surtout dans les épaules. On prend la tisane cinq à six jours, parfois plus. Il
existe encore quelques personnes qui font cette tisane. J'ai connu ce remède par
ma propre grand-mère qui souffrait beaucoup des circulations. Il y avait souvent
une bouilloire sur le coin de sa cuisinière et elle en buvait un verre plusieurs
fois par jour". La médecine populaire semblait aussi connaître la démarche
homéopathique, comme l'indiquent quelques exmeples. Dans les cas de chute ou de
choc, il est recommandé de "prendre trois gouttes de teinture d'Arnica et de les
diluer dans de l'eau. Boire. Le refaire à une heure d'intervalle". Les
forestiers du Morvan, avaient également un remède homéopathique contre
"l'allergie à la forêt". "Contre les démangeaisons des bûcherons, faire bouillir
de la sève de trois essences de bois de la région, par exemple de Chêne, de
Hêtre, de Bouleau, de Charme,...dans de l'eau. Recueillir le liquide brunâtre le
diluer dans très peu d'eau, verser dans un compte goutte et absorber le premier
jour : une goutte, le deuxième jour : .deux gouttes, le troisième jour : trois
gouttes, le trentième jour : trente gouttes, le trente et unième jour : vingtneuf gouttes, le cinquante neuvième jour : une goutte.
VI Du corps à la plante
4.1 Le port des plantes sur le corp
Comment interpréter ou expliquer le port sur le corps, de plantes ou d'organes
végétaux pour se prévenir ou traiter diverses affections ? Le cas de l'usage du
Marronier d'Inde par exemple interroge. Il est conseillé de mettre un Marron
d'Inde dans sa poche contre les rhumatismes ou encore d'en mettre trois contre
les hémorroïdes. Doit-on rapprocher ce mode d'utilisation, a priori
difficilement explicable dans l'état actuel de nos connaissances, des : "Je mets
des feuilles de Marronnier dans l'eau-de-vie pour frotter les rhumatismes; ça
c'est une recette qu'une dame polonaise m'a donnée". "Le docteur Bizot, qui
était né entre 1886 et 1887 donnait de Maronnier pour la circulation".
Dans le Charoláis, on portait sur soi le bédégar contre le mal de dents: "Les
boules d'Eglantine...C'est tout en mousse...Il fallait en mettre un dans sa
poche quand on avait mal aux dents, quand on avait une rage de dents, quand on
avait les dents gâtées". Aurions- nous perdu aujourd'hui ce contact étroit avec
la plante fraîche, à l'état naturel, voire vivant ? En effet plusieurs
témoignages attestent l'emploi d'espèces végétales en application directe sur
les parties du corp à traiter. On préconise dans le Morvan de "mettre de la
menthe fraîche si possible dans un sac, le poser sur la poitrine de la personne
qui est oppressée qui ne peut plus respirer".
141
Un dicton célèbre corrobore l'idée d'efficacité de l'application de plante sur
le corps : "Si l'homme savait les vertus de l'Artemise (Aremoise commune), il en
mettrait dans sa chemise".
L'application plus localisée de plante fraîche peut déclencher des réactions
physiologiques rapides. Ainsi, "on mettrait une tige de persil aux bébés quand
ils étaient constipés, et ça leur déclenchait les selles". Pour soulager les
maux de gorge par exemple, il fallait "prendre un morceau de thym dans le
jardin, le sucer avec un morceau de pomme ou de miel. Ca faisait seulement
depuis la guerre, la seconde, qu'on voit ça en infusion".
Empoyées en friction sur certaines zones corporelles les plantes soulagent
certains maux. Par exemple on se frotte les gencives par exemple avec du "bois
de Réglisse", plus exactement la racine, pour soigner les douleurs, ou bien
encore avec des feuilles de Menthe "sauvage" pour les fortifier.
4.2 La médecine des odeurs.
Le port du collier d'Ail représente l'une des pratiques les plus courantes du
port de plantes odoriférantes sur le corps. Son action vermifuge passait pour
souveraine. "Les mamans faisaient des chapelets d'Ail qu'elles mettaient au cou
des enfants, parce que les oxyures remontent. Et ils n'aiment pas ça l'odeur de
l'Ail, alors ils ne remontaient pas. Et les gamins toussaient ! "Les gousses
d'Ail nous précise-t-on, étaient épluchées puis enfilées sur un cordon. L'action
de la plante est ici expliquée ici par la puissance de l'odeur de la plante,
concept cher à la médecine médiévale. Cette thérapeutique était également en
vigueur dans d'autres types d'affections. "Quand il y a eu la diphtérie à
Bazoile, on tettait un collier d'Ail autour du cou".Par ailleurs les émanations
d'odeurs de la plante, ravivées par des frictions sur le corps se révèlent d'un
grand secours dans la lutte contre les insectes. Pour repousser les moucherons,
il était coutune de "se frictionner le visage, les bras, les jambes avec des
feuilles de Chêne fraîches... Au printemps, il y a souvent beaucoup de
moucherons dans les champs". Certains préféraient la décoction de fleurs" d'An'
rel'" la - camomille matricaire- que l'on mettait dans une bouteille et dont on
se frictionnait" pour éloigner les moustiques, quand on allait aux champs, au
jardin, arracher les pommes de terre".
La protection contre les insectes se situait également au-delà des limites
physiques du corps, sétendant ainsi aux espaces.
Le lit par exemple était entouré de pratiques préventives. "On mettait des
feuilles de Noyer pour éloigner les puces, sous le lit, ailleurs, là ou il y en
avait". Dans la Plaine de Saône était utilisé le hièble, plante toxique : "le
Hièble, ça pousse dans les bons champs. Ca sent fort. Les vieux mettaient ça les
feuilles, avec les feuilles de Turquie", c'est les feuilles de Maïs". En effet
comme dans d'autres régions de culture comme la Bresse "la paillasse était en
feuilles de Maïs, posées sur le sommier, dans le temps, il n'y avait pas de ça !
On accrochait le Maïs sous le toit par quatre. Ca s'entortillait comme ça, les
feuilles faisaient des ressorts et ça ne s'aplatissait pas. On secouait la
paillasse tous les jours pour que ça ne se tasse pas". Le choix des matériaux
employés pour la confection des matelas ou paillasses reposait sur certaines
propriétés des plantes. Ainsi préferait la Fougère, le plus souvent la Fougère
mâle, pour les paillasses des bébés parce que" c'est sain".
Dans d'autres domaines que médical, l'odeur qu'exalent certaines espèces
végétales jouait le rôle de révulsif. Des bouquets de menthe étaient accrochéd
dans les greniers pour éloigner les insectes et les souris. Des feuilles de
Tanaisie commune de Noyer, de Sureau Hièble ou bien des bouquets de Pyrètre
étaient placées dans les nids de poules contre les poux et les puces. De petits
sacs de plantes étaient posés dans les armoires. Froissés de temps à autres ils
142
réactivaient l'émanation, de fleurs de Sureau ou de feuilles de Tabac pour faire
fuir les mites.
A.3 Frictionner le corps
Diverses affections sont traitées par le frictionnement du corps avec des
plantes fraîches, ou de préparation ma'cérées. Mode thérapeutique générant par
les mouvements de friction, une nouvelle forme d'énergie au corps semble
correspondre à des maux qui au contraire présentent des symptômes d'apathie ou
de blocage de flux sanguins ou d'énergie. Il conviendrait donc de rétablir ces
désordres en redynamisant le corps par l'action et la plante médiatrice. Ainsi
se flagelle-t-on avec des Orties fraîches pour la circulation du sang, les
douleurs ou rhumatismes," ça échauffe," ça fait circuler de sang".On se
frictionne avec de la racine de Tamier commun contre les coups, les douleurs et
les tours de rein, ce qui lui valu à la plante le nom populaire d'Herbe aux
femmes battues. Pour "redonner des forces", un vin de Sauge est utilisé : "Ma
mère, nous raconte l'informatrice, avait acheté de la Sauge chez le pharmacien,
parce qu'il n'y avait pas beaucoup de Sauge à Aluze... Elle faisait cuire la
Sauge dans ce vin et elle frottait avec pour redonner des forces. Elle laissait
cuire dix minutes. C'était une femme qui l'avait dit..."Quand j'étais sortie
d'une pneumonie avec une rougeole. Je prenais même des bains avec de la
moutarde. J'étais quasi mourante, vers onze ans comme ça. Bon, la Sauge, c'était
pour me redonner des forces dans les jambes, que je ne tenais plus dessus".
A.A Cataplasmes
Les cataplasmes sont aussi l'expression d'un rapport étroit au végétal, les
plantes fraîche étant appliquées, entières ou malaxées sur le mal. L'exemple le
plus cité et peut être le plus courant .encore de nos jours demeure celui du
Chou. L'application de ses feuilles est le remède d'une foule de maux : uicère
de la peau, entorses, mal blanc, abcès, blessures, douleurs articulaires,
rhumatismes, arthrose, coliques, circulation mal aux jambes...Plusieurs adeptes
de ce cataplasme trempant les feuilles de Chou dans l'eau bouillante ou les
passent au four, notamment dans le cas des affections internes. On posait aussi
des feuilles fraîches de Cresson de fontaine sur les articulations douloureuses.
D'autres cataplasmes agissent dans le domaine des affection respiratoires, telle
l'application d'orties dioïque sur la poitrine contre les bronchites. Dans le
Morvan, où le Pavot oeillette était utilisé pour la fabrication d'huile pendant
la guerre, le mal de gencive était soulagé par l'application de graines
d'oeillette placées dans un linge chaud sur la joue ou sur la gencive.
Les dartres se soignent en Bazois par des cataplasmes d'écorce de Sureau noir :
On prend la troisième écorce du Sureau, sous le deuxième qui est verte. On râpe
cette troisième écorce et on la met en cataplasme sur les dartres".
Une informatrice nous rapporte qu'autrefois certaines femmes s'appliquaient "des
masques de beauté pour la peau avec des fraises écrasées".
A.5 Substances associées.
La pharmacopée utilisait autrefois les trois règnes, végétal, animal, et
minéral. En médecine populaire subsistent ici et là des pratiques associant
substances végétales et animales, notamment avec l'emploi de différents corps
gras jouant le rôle ou d'excipient d'adoucissant dans les préparations. Pour
143
faire sortir une épine par exemple, ou guérir les furoncles, on enduit-on une
feuille de Ronce de crème de lait de vache ou de saindoux, voire à défaut du
savon. L'action émolliente du corps gras se conjugue avec la vertu astringente
de la Ronce, très riche en tanin. Certains liront à travers ces remèdes la
survivance de la théorie des signatures, l'aspect de la crème ou du saindoux
pouvant évoquer celui des panaris, anthrax, et furoncles, également soignés par
des feuilles de Plantain recouvertes de crème et appliquées en cataplasme.
Certains d'entre eux à base de plantes broyées,sont liées par un corps gras. Les
cataplasmes de Cerfeuil haché, incorporé à de la graisse blanche ou du saindoux
pour faire passer le lait en fin d'allaitement, les graisses d'origine animale
servant d'exipient aux pommades, comme l'atteste le témoignage suivant". Prendre
un morceau de lard gros comme un savon? y piquer le maximum de grains d'Avoine
sur toutes les faces en laissant dépasser une partie des grains. Mettre le feu,
le lard qui fond. On le récupère. Ca fait une pommade tonique. C'est un remède
d'un vieux charbonnier, c'était très utilisé dans les bois".
Plusieurs onguents préparés pour le soin des brûlurs associaient corps gras
ainsi que plante dont la connotation symbolique est à souligner. En effet, dans
le Morvan, la joubarde des Toits, dénommée herbe à la Tonne, avait pour but de
protéger de l'orage et de la foudre, donc du feu. Elle est employée dans la
fabrication d'une pommade contre les brûlures, cuite dans du saindoux. Certaines
recettes mêlent également des éléments imprimés du symbolisme religieux :
Olivier, Buis, cire : par exemple pour cet onguent pour les brûlures, comme près
de Beaune :
"panne, huiLe d'olive, cire, beurre. Fondre la panne. Pour 15 cuillières de
graisses, 15 cuillières d'huile, 1 noix de beurre et de cire.
Mettre une branche de buis. Quand elle est grillée, l'onguent est cuit.
Appliquer sur les brûlures. Remède connu par les grands parents"
D'autres onguent étaient fabriqués pour traiter des affections diverses, comme
la pommade de la "mère Mondange" dans le Bassin Minier à base de racines
scrofulaire noueuse cuites plusieurs heures voire une journée dans du saindoux
pour le traitement des hémorroïdes. Ces pommades sont des remèdes déjà élaborées
tant par le savoir-faire que le temps de préparation requis,et la plupart
d'entre eux ne fait pas partie de la pharmacie familiale ordinaire. Ce savoir
peu commun conférait un certain prestige à celui qui le détenait et le mettait
en pratique. Bien souvebnt, ces préparateurs sauvages dont la cuisine tenait
lieu d'officine essemaient autour d'eux des petits pots d'onguent précieux.
Parfois se mêlent les traitements à base de plantes et de subsistances animales,
l'un et l'autre règne se retrouvant associés comme ils le sont dans la nature.
La pharmacopée populaire ancienne prêtait non seulement des propriétés médicales
aux organes des animaux mais aussi à leurs excréments. Quelques vestiges de
cette médecine ont subsisté jusque dans la première partie du XXème siècle : "
Le Sureau, il y a trois écorces. La première elle est grise, puis après il y a
la deuxième, elle est verte. Et avec celle-ci, on fait une pommade pour les
brûlures... Ma mère avait mis son pied dans du marc de café brûlant. On lui a
retiré son bas et on a dit : "Tu fais lever la vache, tu enduis le pied de bouse
de vache". Elle a dormi avec ça la nuit. Le matin on lui a mis de l'huile de
ricin mélangée à la deuxième écorce de Sureau. En douze jours son pied était
guéri".
4.6 Les bains
Les bains thérapeutiques étaient surtout réservés aux enfants, très certainement
pour des raisons matérielles, telle la taille des bassines ou baquets dont
disposaient les foyers. Les adultes, quant à eux, s'entouraient d'un drap imbibé
de l'infusion. Pour conbattre une congestion pulmonaire, nous relate une femme
du Morvan, "préparer un bain avec une infusion de Tilleul. On le fait bouillir
un peu. Faire prendre un bain au malade ou bien l'envelopper dans un drap trempé
dans le tilleul, ça fait tomber la fièvre. Je l'ai fait à un de mes enfants, la
144
fièvre est tombée au bout de deux heures". De même ce bain possède la propriété
de calmer les personnes agitées ou insomniaques.
Il était coutume de soigner certaines parties du corps, touchées par des
inflammations diverses. Les bains de Sureau semblent soulager efficacement les
entorses,les oedèmes, les piqûres de guêpes ou moustiques, les blessures
diverses tout en prévenant l'infection. Les quantités anti-inflammatoires du
Sureau sont très souvent salutaires pour les hématomes et les problêmes de
circulation provoquant la turgescence des tissus. Les bains apparaissent*aussi
comme une forme thérapeutique privilégiée pour le traitement des hémorroïdes.
"Ma mère prenait beaucoup de Petit Chêne (Germandrée) pour les
hémorroïde.C'était calmant et décongestionnant; ça la soulageait. Elle devait
faire des décoctions d'un quart d'heure environ, pour faire des bains, peut-être
une fois par jour...". Le Millepertuis perforé, feuilles et racines, connaissait
même utilisation. Un informateur du Bassin Minier relate que son grand-père
souffrait terriblement d'hémoroïdes et éprouvait un grand soulagement en prenant
des bains de siège dans une source d'eau vive, bordée de Ficaire. Dans cette
même région "les gamins disaient que leurs grand-parents se lavaient tous les
matins avec des orties dans la cuvette d'eau pour les douleurs".
Les soins des yeux semblent également bien s'accomoder de bains thérapeutiques.
Les bains de fleurs de Bleuet, Camomille, matricaire, Melilot officinal,
Millepertuis, Myosotis, Petite Pervanche, Rose, Violette, sont cités pour le
traitement des maux d'yeux et de l'inflammation, ainsi que la grande Camomille,
la guimauve officinale, la Mauvée musquée, le Plantain majeur et le Sureau noir
qui soignent de plus les orgelets. La Centaurée de Montagne cultivée dans les
jardins à la fois plante médicinale et ornementale se substitue parfois au
Bleuet. Bon nombre de fleurs sont de couleur bleue, pouvant rappeler, à travers
la Théorie des signatures la couleur de l'iris.
4.7 Les fumigations
Les fumigations sont également la marque d'orchaîsme médical et semblent avoir
disparu en grande partie au XIXème siècle. Cependant certaines pratiques ont
perduré jusqu'au début du XXème siècle. Au delà de l'aspect strictement
Thérapeutique, cette forme de soin rejoint peut être la pensée symbolique, à
travers notamment les fumées rituelles de purification.
Les fumigation sont le plus souvent connues pour traitement des affections
respiratoires. En effet, de nombreux témoignages soulignent la fréquence de ce
type de soin dans les cas de rhume, soignés par des fumigations de Serpolet, de
Thym. "Aspirer une forte décoction de Thym pour un rhume de cerveau,... une
bronchite" conseille-t-on dans l'Auxois. Le choix des espèces végétales sera
effectué en fonction du type de rhume. "Pour les rhumes de poitrine ou une
faiblesse des bronches", on procède dans le Bassin Minier à "des" fumigations
avec des décoctions de fleurs de Bourrache. Il fallait respirer sur la
Bourrache".On précise dans le Morvan qu'il s'agit d'un vieux remède purifient
l'air ambiant que respire le malade. Les fumigations jouait un grand rôle parmi
les formes d'administration de sudorifiques, très en vogue depuis le Moyen Age
pour combattre les fièvres. La fleur de Sureau servait à préparer des bains de
vapeur dans le cas de bronchite et de gros rhume. On faisait bouillir une grosse
poignée de fleur de Sureau dans un récipient à col large, genre fait-tout. Le
malade assis sur son lit mettait le récipient fumant contre ces jambes, et s __ e
penchait sur la vapeur répandue. On mettait un drap de lit sur la tête du
malade, cela faisait une espèce de tente et provoquait une sudation importante".
L'asthme était combattu par les fumigations d'aucalyptus : "Faire bouillir des
feuilles dans de l'eau et respirer les vapeurs...On fait bouillir les feuille
dans de l'eau pour assainire la pièce, dans les cas de rhume...et de
tuberculose". Aussi les fumigations ne visent-elles pas seulement sur le corps,
mais L'expression souligne le rapport étroit à la plante : il faut "respirer sur
les fleurs de Sureau parfois même de l'écorce de l'arbustre. Ce traitement était
145
préconisé des le début de la grippe et des états fébriles "pour faire suer"
..."Pour suer il y avait le Sureau, la Bourrache et la Reine des prés". On
utilisait également la Sauge officinale parce que" ça dégageait, ça faisait
transpirer". Les fumigations concernent d'autres domaines pathologiques. Elles
agissent par exemple sur la lactation. On fait un" feu de javelle, sarments de
vigne la femme se met devant. La fumée qui s'en dégage a une action sur le lait
de la femme". Une pratique voisine était en effet autrefois connue des érudits
comme le note CAZINÍ-):"
levret se servait contre les engorgements lymphatiques et laiteux des mamelles
de la lessive de cendres de genêt ou de sarment qu'il considérait comme un des
plus puissants résolutifs". Par ailleurs les fumées de genêt à balai traitaient
les engelures, à notre connaissance la médecine classique ne s'y est pas
intéressée. Pour soigner les hémorroïdes, il était d'usage de "râper l'écorce du
Sureau, la faire bouillir, poser les fesses au-dessus de la fumigation". La
seconde écorce du Sureau a en effet des propriétés
La Mercuriale annuelle, est connue depuis hippocrate pour les qualités
purgatives. Constantin la conseille également" aux femmes enceintes et à toutes
vieilles gens, qui coustumièrement ont le ventre chiche et constipé". "Pour les
gens très constipés, rapporte une femme du Bassin Minier, on fasait une
décoction de mercuriale, sur le sceau hygiénique, on allait sur le sceau.
C'était la vapeur qui était émolliente. C'était le traitement d'un dame née en
1834". Cette forme thérapeutique permet peut-être d'obtenir un effet plus doux
de la plante comme le souligne CAZIN :"la coction diminue aussi cette activité,
et de purgative que cette plante était, elle devient par cette préparation
simplement laxative.
146
MAUX ET REMEDES
Capucine CROSNIER
I. Les affections externes.
1.1 Les olajes, lésions et rhumatismes
Les plaies et coupures.
L'importance des plantes médicinales soignant les affections externes traduit la
fréquence des lésions auxquelles est exposée la population agricole et
forestière des régions rurales. La majorité des plaies est traitée par des
cataplasmes de plantes fraîches macérées, sous forme de pétales ou feuilles
entières se rappelant le stade vivant du végétal. L'aspect souvent lisse,
parfois charnu des feuilles symbolise une peau saine et donc la reprise d'une
coupure ou la guérison de plaies diverses. On applique ainsi sur les coupures
des feuilles de Plantain passées dans l'eau bouillie, de Géranium Herbe-àRobert, de Bouillon blanc et de Chèvrefeuille des bois. Il est encore indiqué
d'employer des feuilles de Géranium ornemental dont on appose le côté velouté
sur la plaie, ou de Scrofulaire noueuse avec laquelle "la coupure est reprise en
une nuit". Contrairement à toutes ces plantes utilisées fraiches, les
alcoolatures permettent le soin des plaies à tout moment. Outre la célèbre
préparation à base de Lys blanc, il existe les macérations alcooliques de
feuilles de Sceau de Salomon, de fleurs de Millepertuis, perforé de sommités
fleuries de Lavande, ou encore de feuilles d'Agripaume cardiaque. Le souci des
jardins ou le Millepertuis perforé macérés dans l'huile, s'applique sur les
plaies, (cf. Pharmacie végétale). Rappelons l'influence favorable des lichens et
des mousses sur les coupures et les hémorragies.
Les épines et corps étrangers.
On remédie aux plaies causées par l'intrusion d'une épine ou d'un corps étranger
par des compresses de pétales de Lys blanc macérés dans l'alcool, de peau
d'Oignon, ou encore de feuilles de Ronce enduite de crème fraîche. Les bains
pris dans une infusion de fleurs de Sureau noir ont une action émolliente qui
favorise l'expulsion de l'épine. Celle-ci s'obtient encore par des cataplasmes
de mie-de-pain trempée dans une infusion de fleurs de Bouillon blanc et mélangée
à ces mêmes fleurs.
Les ulcères.
Les cataplasmes de feuilles de Bouillon blanc, de Chou ou encore de Geranium
Herbe-à-Robert sont prescrits dans le soin des ulcères. Une préparation dite
secrète à base de Scrofulaire noueuse et de Linaire striée jouissent également
d'une grande renommée dans l'Ouest du Morvan. Se laver les plaies avec des
infusions de Millepertuis aurait également un effet bénéfique.
Les oioûres d'insecte.
Les bains ou les cataplasmes de fleurs de Sureau noir ou de Séneçon calment
l'inflammation dues aux piqûres d'indectes. L'oignon demeure le remède classique
des piqûres de guêpe ou d'abeille que l'on tient à sa portée. Quand on allait
dans les vignes on avait toujours un Oignon dans sa poche. On était toujours
piqué par les guêpes. Il y avait plein de guêpes dans les raisins. Alors on
passait un Oignon, on le coupait...et on passe l'Oignon dessus. C'est le jus, ça
empêche d'enfler et ça calme la douleur. Le Persil, également à portée de main,
est recommandé pour apaiser les piqûres : "écraser le Persil dans les mains pour
le faire juter et appliquer..."On procède de même avec le Poireau, l'Oseille
147
cultivée ou l'Oseille sauvage. La feuille de Plantain s'applique en cataplasme.
Enfin, la décoction de Thym frais en usage externe serait d'un grand secours
dans le cas des piqûres de Taon.
Les brûlures.
Les brûlures se soignent le plus communément par l'application d'une préparation
à base de plantes et de corps gras. Le remède le plus courant est la macération
de fleurs de Millepertuis Derforé dans l'huile. On lui substitue parfois celles
de Lys blanc. Des onguents sont également préparés à base d'Avoine, de Buis ou
de Joubarbe des toits. On recourt encore à l'huile seule de Colza ou de Navette
qui était cultivée dans le Morvan pendant la seconde guerre mondiale.
Autre remède connu dans tout le domaine français, les cataplasmes de Pomme-deTerre passe pour souveraine dans le soulagement des brûlures. Coupé en deux, le
tubercule s'emploie en friction sur la lésion. Râpé, il se pose en cataplasme.
Les eneelures.
Estimé pour ces vertus adoucissantes, le Bouillon blanc s'emploie dans le
traitement des engelures : "Infuser des fleurs dans quelques litres d'eau. On y
fait un petit bouillon. Laisser tiédir, y mettre les pieds. Faire des bains tout
le temps que les engelures persistent". Un autre informateur en donne la
préparation suivante : "Dans un litre de lait bouillant ajouter une poignée de
feuilles de Bouillon blanc. Laisser infuser, quand le lait est tiède, on pose
sur les engelures". Autre médication populaire, les bains répétés dans une
infusion de feuilles, branches ou racines de Céleri ont une action bienfaisante.
Suivant le mode opératoire on prescrit aussi les feuilles de Noyer. La Reinedes-Prés est encore mise à contribution pour ce type d'affection "Tous les soirs
au retour de l'école on trempait les pieds dans une décoction de Reine-des-?rés
pour les engelures".
En friction, les tubercules d'Oignon ou de Tamier commun exerceraient un effet
bénéfique. L'application de poudre de Vesse de loup calmeraient également les
engelures.
Les COUDS et hématomes.
Dans les contrées d'altitude la préparation classique des coups et hématomes est
la teinture d'Arnica des Montagnes ; sur les coteaux calcaires, on emploie
l'Inule des Montagnes. Cependant en l'absence de ces remèdes, on recourt à
d'autres espèces végétales. Les fleurs de Reine-des-Prés infusées sont
appliquées en cataplasme tout comme celles du Séneçon et du Sureau noir. Celuici est encore utilisé pour ses baies que l'on pose écrasées sur la lésion. Les
pommades à base de Souci des Jardins et de Millepertuis perforé ont un effet
bénéfique. Enfin, les macérations alcooliques d'Aurône mâle, de Lavande ou de
Balsamite possèdent aussi des propriétés résolutives.
Les entorses.
Baigner l'entorse dans une décoction de Lierre grimpant, dans une infusion de
feuilles de Noyer, de fleurs de Bouillon blanc ou de Sureau noir atténu
l'inflammation et soulage la douleur. Les feuilles chaudes de Chou, de Lierre
grimpant ou de Buis s'appliquent en cataplasme. En friction, on emploie
l'alcoolature de Lavande, ou la racine de la Grande Consoude. Cette plante dont
le nom signifie
aurait également la propriété de ressouder les os.
148
1.2. Les infections et maladies de la peau.
Les plaies purulentes, mal blanc et panaris.
Les cataplasmes de feuilles de Morelle noire enduite de crème, de Sceau de
Salomon, de Sedum spectabilis ou de Sedum telephium ainsi que les compresses de
fleurs de Sureau noir infusées ont la réputation de soigner les boutons'et
plaies purulentes.
Les espèces végétales couramment citées pour le soin du mal blanc ou du panaris
sont le Lys blanc et l'Oignon. Le premier est réputé pour l'action de ses
pétales macérées dans l'alcool et appliqués en cataplasme. Du second on emploie
les "épluchures" ou enveloppes, éventuellement passées au four, ou
bien le tubercule entier cuit, écrasé et posé dans une mousseline sur le
panaris. Les cataplasmes de Bouillon blanc ou de fleurs infusées de Guimauve,
officinale de Sureau noir ou d'Ortie blanche y exercent aussi une action
émolliente. Les applications de feuilles de Chou de Chèvrefeuille des Bois, de
Plantain, de Poireau, de Sceau de Salomon, de Rumex sanguineus contribueraient
aussi à éliminer le mal, tout comme celles des pétales de Rose ou de Rose
tremiere. Une jolie Orchidée, la Listère à feuilles ovales, connaissait l'emploi
médicinal de ses feuilles qui sont conservées dans l'eau-de-vie pour soigner en
cataplasme le mal blanc.
Les furoncles et ántrax.
Les traitements cités ci-dessus sont utilités dans le cas des furoncles et
ántrax. Une femme-de la Bresse nous cite encore l'usage des feuilles de Lierre
terrestre : "On les coupe en petits morceaux. On mélange avec une cuillière de
crème, du savon râpé, de la mie-de-pain. On pétrit jusqu'à obtenir une pâte que
l'on applique sur les furoncles. Le remède est encore utilisé". Par ailleurs, on
indique aussi la Vigne dans l'Auxois : "Mettre du miel sur une feuille de Viene
et appliquer sur les ántrax, les furoncles, ça tire le germe". Dans le Morvan,
on fait également des cataplasmes de feuille de Tussilage. La furonculose se
soigne aussi par des médications internes : cure de décoction de Bardane ou de
macération de Livèche officinale dans un litre de vin blanc, à boire le matin
pendant 8 jours.
Les boutons.
les "boutons" font l'objet de traitement dépuratifs. Ils désignent souvent des
formes d'acné : "La Pensée sauvage...boire ça quand on est jeune qu'on a des
boutons sur la figure. La prendre en cure". Le vertueux Pissenlit contribue à
remédier aux problèmes " d'encrassement du corps". Son utilisation dans divers
domaines pathologiques témoignent de cette action ! " Mettre une cuillière à thé
de Racines dans un quart de litre d'eau. Laisser macérer une nuit à froid. Le
lendemain bouillir quelques secondes et laisser refroidir. Tisane à boire
refroidie : une demi-tasse après le petit déjeuner. On doit suivre le traitement
au moins quinze jours. La tisane est utilisée pour soigner les crises de foie,
les maux et d'estomac et d'intestin, les éruptions de boutons, l'eczéma... La
recette est utilisée depuis plusieurs générations de mère en fille.
Les maladies de peau : eczema, psoriasis, impétigo
Là aussi sont citées les cures de décoction de racines de Bardane ou de
Pissenlit pour lutter contre l'eczéma. Dans le Basin Minier on rapporte que "la
Mère Mondange" faisait des pommades avec les racines de la Scrophulaire noueuse
que l'on passait sur l'eczéma et "deux jours après c'était guéri" précise-t-on.
149
Les applications
psoriasis "parce
Le Chèvrefeuille
passe les fleurs
de décoction d'écorce de Chêne résorbaient 1'eczema ou le
qu'il y a beaucoup de tanins c'était ce qui brûlo les maux".
des bois aiderait à la régression de l'impétigo sur lequel on
infusées.
Les verrues.
Qui n'a pas entendu louer les mérites de l'Herbe à la verrue, la grande
Chélidoine, dont on applique le suc jaune des feuilles ou des tiges fraîches,
sur les verrues ? D'autres espèces riches en suc sont également citées :
l'Euphorbe Reveille-matin, la Joubarbe des toits, le Sédum acre. Toutefois leur
emploi n'est pas sans danger, comme le souligne une femme du Maçonnais : "c'est
un Géranium sauvage, il y a du lait dedans qu'on met sur les verrues. Certaines
personnes l'acceptent, d'autres non pour les quelles ce n'est pas conseillé. Ca
a de petites fleurs roses, ça pousse dans les murs, dedans, il y a un liquide un
peu orangé, ça a des feuilles vertes. C'est poison !" Il s'agirait
vraisemblablement du Géranium herbe à Robert.
En Auxois, un informateur recommande le blanc de Poireau : "Fallait frotter.
J'en ai jamais eu de ma vie ! "En Morvan, une autre technique sur laquelle on
peut émettre toute réserve consistait à inciser la verrue et à y introduire du
jus d'Ortie. Enfin, on frottait aussi des verrues avec les fleurs de
Millepertuis.
Les cors.
Donnant naissance aux actuels pansements thérapeutiques pour le traitement des
cors, les feuilles de Saule sont le remède populaire des cas. Appliquées
fraîches ou macérée 8 jours dans l'alcool, elles sont douées de propriétés
Coricides.
Les feuilles de Joubarbe des Toits ont une action équivalente soit cueillies,
placées directement sur le cors et renouvellées chaque jour, soit attendries
dans du vinaigre : "Macérer les feuilles pendant trois jours dans du vinaigre de
vin. Appliquer les feuilles sur les cors. On fait des applications pendant 8
jours. Les cors deviennent blancs et disparaissent". On devine la Théorie des
signatures à travers l'emploi de cataplasmes de racines fraîches et écrasées de
Sceau de Salomon ou d'Iris cultivé. D'autres espèces se prêtent aux mêmes soins.
Ainsi, frotte-on le cors avec une gousse d'Ail pilée ou bien des fleurs et des
feuilles fraîches de Chèvrefeuille des bois. Les bains de pieds dans une
décoction d'écorce de Chêne se révéleraient aussi très utiles. Les fleurs de
Souci des Jardins broyées et placées sur les durillons les feraient disparaître.
1.3. Les affections oculaires
Les bains oculairs dans le chap, (pahrmacie végétale)
I.A. Les soins du corps.
L'Ortie blanche et la Saponaire officinale étaient recherchée : en guise de
shampooing "La Saponaire ça mousse bien. Une poignée de fleurs, feuilles et
tige, tout est bon ! On la trouve sur les vieux murs ou le long des chemins".
Afin de rendre les cheveux brillants, certains se rinçaient la tête avec une
infusion de Thym ou une décoction de feuilles de Noyer. Ces dernières étaient
encore macérées dans l'eau-de-vie pour en mettre sur les cheveux tous les jours
ce qui "donnait des cheveux brillants et qui ne tombaient pas".
Quelques femmes soucieuse de conserver la blondeur de leur chevelure
effectuaient le dernier rinçage avec une décoction de Grande Camomille.
150
1.5. Les "douleurs".
Les douleurs et rhumatismes.
les douleurs désignent le plus souvent les affections rhumatismales dont sont
atteintes de nombreuses personnes exposées au froid et à l'humidité, conditions
de vie courantes dans des régions comme le Morvan par exemple. Les infusions de
rrêne, de Reine-des-Prés, de Cassis, de Céleri, de Millepertuis perforé ou
encore de Lierre Terrestre endiguent les douleurs le plus souvent apparentées
aux rhumatismes. On enveloppe également les parties atteintes de feuilles de
Bardane parfois trempées quelques minutes dans du lait bouillant ou de feuilles
de Chou passées au four. Certains se frictionnent d'alcoolature de Millepertuis
perforé. Les cataplasmes de racines de feuilles de Cresson des Fontaines, de
feuilles et fleurs d'Ortie blanche, ou encore d'Avoine chauffée et arrosée de
vinaigre atténuent les souffrances. On recommande encore de baigner les zones
corporelles éprouvées avec une infusion de fleurs de Sureau.
Dans le Brionnais on confectionne encore un onguent apprécié :"on ramasse les
fruits de Laurier sauce qu'ont met dans l'huile. Les vieux se frictionnaient
avec ça, quand ils avaient des rhumatismes". Les fleurs de "Bruyère"
vraisemblablement le Callune fause-bruyère sont utilisées en usage interne, en
infusion et en usage externe en friction : "Mettre des fleurs de Bruyère dans du
vin rouge. Laisser macérer. Ca calme les douleurs, les rhumatismes. Nous
citerons enfin parmi les témoignages des plus courageux les flagellations
d'Ortie blanche ou d'Ortie dioïque. Le traitement implique aussi une hygiène de
vie adéquate. Les paillasses de Maïs ça faisait du bien pour les rhumatismes ,
ça faisait du bien au dos. Les vieux se sentaient bien avec ça. La diététique
populaire conseille de manger les jeunes feuilles d'Ortie dioïque en salade afin
de réduire ou de se préserver les douleurs. En revanche, on déconseille
fortement de manger de l'Oseille, car "ça peut déclencher une crise pour ceux
qui ont des rhumatismes ou de la goutte".
Mal aux reins sciatiaues et lumbagos.
A ces maux ne correspondent que des remèdes externes dont le but est de chauffer
la zone douleureuse. Pour le mal au reins, par exemple il était d'usage de
"récupérer de la graine de foin, le pousso de foin, de la faire chauffer dans
une marmite avec quelques gouttes de vinaigre, et de la mettre autour des reins
dans un linge. Sur les sols calcairs, certains arrachaient la racine de Tanier
commun qui passait pour un "remède miracle". "Les vieux se frottaient les reins
avec, ils faisaient un ou deux tours avec une ceinture de flanelle contenant la
racine". Une pommade à base de Scrofulaire noueuse aurait également guéri des
lumbagos.
Les frictions d'Ortie dioïque obéissent à la règle "guérir le mal : par le mal".
"Quand on a un lumbago, rien de tel que de se passer, se taper avec des Orties
dessus, ça échauffe". On dit encore qu'il faut dans les cas de sciatique" se
frotter avec une bonne touffe d'Ortie quelques, feuilles jeunes, pour que ça
forme une grosse plaque rouge qui réchauffe et soulage la douleur".
151
II La digestion
"Ouvrir l'appétit"
Il est nécessaire "d'ouvrir l'appétit" chez les enfants qui mangent peu ainsi
que chez les personnes âgées et les convalescents. Le plus souvent sont employés
des plantes amères aux propriétés aperitives bien connues. Dans les contrées
calcaires on récoltait la racine de Gentiane jaune qui, macérée dans du vin
blanc était administrée le matin ou avant chaque repas à raison d'un petit verre
à liqueur. A cette préparation s'ajoute la liqueur de Germandrée Petit-Chêne
dispute la renommée de plante aperitive. Le vin de Pêcher est également vanté
pour ces vertus aperitives. Parmi les amères, citons encore la Grande Camomille
: "La Camomille bien sûr c'est amer. On prenait ça en apéritif...La Camomille
faut la prendre avant de manger. Faut la démarrer à l'eau froide, on y porte à
ebullition à peine...On y laisse comme ça. J'en prends encore beaucoup, moi de
la Camomille !... C'est parce que c'est amer, ça creuse, ça donne de
l'appétit...C'est apéritif. C'est pas bon à boire non plus".
"Pour digérer"
Les liqueurs président au rang des remèdes digestifs. Elles conjuguent l'utile
et agréable et se consomme à la dose d'un petit verre après le repas. Elles
mettent à l'honneur de nombreuses espèces végétales tant vantées pour leurs
vertus médicinales que gustatives :
L'Aurône mâle, la Tanaisie commune, la Verveine odorante, la Germandrée PetitChêne, le Genévrier, le Millepertuis perforé, l'Angélique, le Pêcher, le Nerprun
purgatif ou encore l'Aspérule odorante (cf chap, pharmacie végétale).
Les infusions digestives sont aussi très nombreuses et témoignent d'une des
préoccupations majeures, la digestion. Très largement citée pour ses vertus
digestives, la Grande Camomille occupe une place sans égale parmi les tisanes.
Il est recommandé de préparer l'infusion à raison de trois "têtes", ou fleurs,
par tasse et de la boire à la fin du repas. La Grande Camomille est encore
utilisée de nos jours et cultivée dans de nombreux jardins, comme la Menthe et
la Mélisse officinale, toutes deux également fort utiles à la digestion. Les
fleurs de Millepertuis perforé jouissent de la même notoriété. L'infusion des
fleurs de Polygala amer ou des tiges fleuries de Sauge officinale, de Romarin,
de Thym, ou encore de Serpolet
sont pareillement employés usitées pour rétablir le bon fonctionnement de
l'estomac. Les infusions de graines de Fenouil, Composées familière des jardins,
apportent un bien fait notable. On se procure également à la pharmacie les
graines d'Anis vert "pour digérer" et celles d'Anis étoile pour-lutter contre
"les ballonnements et les gaz".
L'emploi de certaines plantes condimentaires et alimentaires est préconisé : "Le
Cerfeuil, on en met dans les plats, ça aide à digérer". La Doucette ou Mâche à
la réputation d'être "bonne à l'estomac" et la Mâche des Fontaines "d'aider à
digérer".
Les dents et les gencives.
La Guimauve officinale était d'un grand secours dans le cas de dentition des
enfants. Son immense succès, au n vu des nombreuses attestations d'emploi se
justifie par sa teneur importante en mucilages notamment au niveau de la racine.
La Guimauve officinale est l'une des piantes les plus émollientes de la flore
française. Les mères donnaient "à mâchouiller aux bébés" un "bâton de Guimauve",
racine débarrassée des radicelles et de l'enveloppe externe. En bain de bouche
152
tiède les fleurs de cette jolie Malvacée soulagent les maux de dents, les abcès
bucaux et "décontractent la gencive lors de la sortie des dents de sagesse. Les
Mauves possèdent des propriétés adoucissantes et calment en gargarisme ou en
cataplasme obtenu à partir des fleurs infusées les abcès dentaires. Le Pavot
Oeillette, cultivé pour l'extration d'huile connaît un usage médicinal lors des
maux causés par les dents de sagesse. "Prendre des bains de bouche tièdes avec
une décoction de graines de Pavot...Ne pas avaler". Les vertus narcotiques du
Tabac le font employer pour faire passer le mal de dents : "Mâchouiller une
chique de Tabac".
"Pour l'estomac"
le Millepertuis perforé est tenu en grande estime dans les soins de l'estomac.
Il est largement utilisé sous forme d'infusion de ces fleurs, de vin, de
liqueurs, ou encore de macération obtenue à raison de "5 à 6 branches dans 1
litre d'huile d'olive pendant un mois. En prendre 2 cuillère à soupe le matin
pour l'estomac."
On exalte aussi la vertueuse Grande Camomille aux propriétés stomatiques fort
réputées. Il est préconisé de ne pas dépasser la dose de 3 fleurs par infusion.
Le Pissenlit a la réputation de soulager les maux d'estomac, soit en décoction
(racines) ou encore en infusion (feuilles). Une autre pratique consiste à
"mâcher A à 5 tiges de Pissenlit dans la journée, la plante fraîche". En
infusion les sommités de Serpolet ou de Thym, sont stomatiques, tout comme ies
graines d'Anis. Particulièrement recommandées contre l'aérophalgie les fleurs de
Sureau noir dissipent les aigreurs d'estomac. La plante entière de Petite Mauve
en infusion aurait raison des maux d'estomac. Les acidités de l'estomac
s'estompent avec du charbon de bois : "Vous avez...dans les arbrisseaux, vous
avez de la Bourdaine. Mon père employait ça pour les acidités de l'estomac. Il
avalait du charbon de bois à longueur d'année. Il le réduisait en poudre, puis
il le mélangeait à l'eau. Et il 1'avalait...Comme vous en avez en pharmacie".
La célèbre Germandrée Petit-Chêne exercerait une influence heureuse dans le cas
d'ulcère de l'estomac.
"Pour le foie"
Nour retrouvons ici le précieux Pissenlit dont la médecine populaire use avec
profit. La célèbre cure de Pissenlit en salade avait la renommée d'être non
seulement dépurative mais aussi "bonne pour le foie". Certains en consomment les
feuilles en tisane "Faire bouillir des feuilles de Pissenlit, laisser refroidir
et ajouter du sucre. Boire froid. Quand il" fait chaud, on le boit comme du thé,
c'est bon à la santé, ...C'est pour le foie". Une autre recette nous est
rapportée :
Une cuillère à thé de racines dans un quart de litre d'eau. Laisser macérer une
nuit, à froid. Le lendemain, bouillir quelques secondes et laisser refroidir.
Tisane à boire refroidie : une demi-tasse avant le petit-déjeuner et la deuxième
demi-tasse après le petit déjeuner a traitement à suivre au moins quinze jours.
Tisane utilisée pour soigner les crises de foie, les maux d'estomac, d'intestin
les éruptions de bouton, l'eczéma, (la recette est utilisée de mère en fille
depuis des générations.
Le Pissenlit connaît encore une autre forme d'emploi thérapeutique : citées plus
haut "Mâche A à 5 tiges de Pissenlit dans la journée, la plante fraîche. C'est
utilisé pour le foie, l'estomac, les intestins, mais aussi la circulation du
sang". Certaines plantes comme le Thym et le Serpolet, utilisés cités pour
l'estomac, voient leur champ d'utilisation s'étendre aux affections du foie.
Plusieurs autres espèces viennent au secours de ceux qui "souffrent du foie".
153
Achillée Millefeuille , Fumeterre officinal, Millepertuis perforé (fleurs en
infusion). On emploie encore des plantes dont l'usage s'effectue avec
circonspection comme la Grande Chélidoine "pour le foie et la vésicule
biliaire", ou le Liseron des champs "pour ceux qui souffrent du foie".
L'informateur rappelle que cette plante est un purgatif violant contre la
constipation en particulier. Prendre une tasse en infusion le soir, à boire
après du bouillon de légume. En traitement externe, le Chou se montre encore
utile : "Passer au fer à repasser la feuille de Chou pour qu'elle soit bien
chaude, et la placer vers le foie".
"Pour l'intestin"
La soyeuse Guimauve officinale s'emploie avec succès pour les propriétés
adoucissantes de ses fleurs de Lin sont préparées de la sorte :"Faire tremper
les graines en infusion. De même, réputées pour leurs qualités émollientes, les
graines toute la nuit sans chauffer. Boire le liquide le matin". La petiteCentaurée rétablit le fonctionnement des intestins : "elle est récoltée dans les
bois, dans les coupes de 2 ou 3 ans, début juillet quand les sommités sont déjà
bien épanouies...Elles sont prises en infusion, en tisane 2 ou 3 tasses par
jour, pendant 5 à 6 jours. On renouvelle si besoin. C'est une plante assez
commune et réputée...J'ai connu ça par les parents, par la grand-mère. En cure
de 5 à 6 jours, c'est généralement très efficace". Les macérations de racines de
Pissenlit sont encore mentionnées pour soulager les maux d'intestin, tout comme
le charbon de bois qui précise-t-on "protège des ferments". Sur la côte
viticole, il est conseillé de " manger du Réglisse pour les intestins".
Sous forme de lavement, les infusions de Mauve exercent une action bénéfique.
Coliques et maux de ventre.
La liqueur de feuille de Noyer, appelée ou Brou de Noix, passe pour souveraine
contre les coliques et maux de ventre, point, précise-t-on, que "les vieux
disaient qu'ils avaient mal au ventre pour avoir leur eau de Noix !". Il est
conseillé de n'en boire qu'un petit verre ! La "goutte de Coing", la liqueur de
Millepertuis et la liqueur de Tanaisie commune s'emploient également dans
pareils cas.
Préparation plus prosaïque s'il en est, l'infusion était administrée aux
enfants. "On faisait une tisane de poir'viro des myrtilles, quand les gosses
avaient la colique. On faisait sécher les fruits sur une tôle puis on les
gardait dans un sac". La tisane de Serpolet procurait un soulagement aux enfants
qui avaient mal au ventre. On faisait boire aux bébés qui avaient la colique
"une cuillère à café tiède d'une infusion de feuilles de Sauge officinale". Les
"grint cul" ou cynorrhodons, fruits de l'Eglantier consommés sous forme de
tisane endiguent les coliques. De manière identique Pareillement agissent ies
décoctions de racines de Coucou ou Primevère officinale, ainsi que les infusions
de fleurs de Grande Camomille. Maître des remèdes en soin externe, le Chou
appliqué sous forme de cataplasme de feuilles tiédies se montre d'un grand
bienfait.
Les constipations.
Mauves et Guimauve officinale sont réputées comme laxatifs doux. Si les
premières se consomment sous forme de tisane obtenue par l'infusion des fleurs,
la seconde s'emploie en lavement préparé à partir de la décoction des racines.
A chaque
terrains
connues.
utilisée
terroir, ses remèdes...Ansi, le Morvan riche en milieux humides et
siliceux recèle de Bourdaine, arbustre aux propriétés laxatives bien
L'écorse, séchée pendant au moins un an, y était donc couramment
en décoction contre la constipation.
154
La jolie Chicorée sauvage aux fleurs bleues azur est vantée pour son action
laxative.
Les graines de lin, en macération pendant une nuit ou en décoction pendant 1
heure à 1 heure et demi, sont également d'un usage courant. On peut aussi "cuire
du Son et boire l'eau de cuisson. Divers compositions médicinales conjuguent les
qualités de plusieurs espèces. L'une d'elle propose de "faire bouillir ensemble
des racines de Chiendent, des drains d'Orge, du bois de Réglisse et des -graines
de Lin. En boire un jour sur deux...C'est pas bon au goût". Une autre consiste à
"faire un bouillon de Pruneaux, Figues et une poignée de Seigle, bien lavés". On
conseille de manger des Framboises, de l'Oseille des Jardins, du Pissenlit de la
Mâche des fontaines, petit cresson des sources du Morvan, ou encore le renommé
Pruneau.
Si la consommation des tiges cuites de la Rhubarbe est connue pour son effet
laxatif, la préparation obtenue dans le même but à partir de l'infusion de ses
racines reste plus discrète. Attention, l'usage de cette plante n'est pas sans
danger et invite à la plus grande prudence. Les récits populaires rapellent la
toxicité importante de la plante :"pendant la guerre, il y a des gens qu'ont
voulu manger les feuilles, ils en sont morts". En cas extrême, on conseillait
aux "gens très constipés", le recours à la Mercuriale vivace dont les seules
fumigations en bain de siège exerçaient une influence ramarquable "décoction de
Mercuriale sur le seau hygiénique. On allait sur le seau, c'était la vapeur qui
était emoliente. C'est le traitement d'une dame née en 1834 !".
Pour enrayer la constipation des bébés, on mettait une tige de Persil et ça leur
déclenchait les selles".
Les purgatifs.
"On se purgeait deux fois par an, au printemps et à l'automne. Il faut une
cuillère à café d'écorce de Pian Noir, la Bourdaine, pour une tasse. On net du
sucre pour le boire, le matin à jeun".
Les décoctions de Capillaire, de feuilles de Livéche officinale ou encore de
racines de Pissenlit sont réputés purgatives, tout comme le Nerprun purgatif,
nommé à dessein.
Contre la diarrhée.
Les qualités de la Carotte sont encore mise à profit de nos jours pour mettre un
frein aux coliques. Pour les bébés, on coupe la lait des biberon avec l'eau de
cuisson des Carottes". Pour les plus grands, il faut" récolter l'eau de couisson
et en boire en petite quantité au cours de la journée. Continuer pendant deux ou
trois jours si besoin. L'infusion de Pensée sauvage se prête aussi aux soins
anti-diarrhéique prodigués aux bébés. L'Eglantier occupe encore une place
privélégiée dans ces traitements, ingéré sous forme de gelée ou bien de
décoction : "Prendre les fruits de l'Eglantier, les "gratte cul" le long des
haies, quand ils sont mûrs. Même secs, ils gardent leur propriétés. Faire
bouillir les fruits jusqu'à cuisson et boire le bouillon sucré. Par ailleurs
plusieurs tasses d'eau de cuisson du Riz rétablissent un transit normal.
Les vertus anti-diarrhéiques du Cognassier étaient estimées. On conservait les
parties du fruit non utilisé lors de la fabrication des gelées. : Faire bouillir
des trognons de Coings séchés avec les pépins, qu'on gardait dans une boîte en
fer. Boire la tisane". D'autres y subsituaient les épluchures de Coing.
D'autres espèces nous ont été citées, telle la Reine-des-prés, infusion des
fleurs, ou encore le Prumellier, écorce en décoction ou compresses.
Oxvures, vers et taenia.
Les qualités vermifuges de l'Ail l'ont fait prescrire couramment contre les
oxyures et les vers. Il était porté en collier, composé de gousses épluchées et
enfilées sur une cordelette. On le consommait encore sous forme de macération
dans du lait pendant une nuit, bue à jeun le matin.
Les graines de Cucurbitacées du jardin. Courge ou Potiron constituaient le
remède classique des infestations de l'intestin par les vers ou oxyures. Les
graines décortiquées étaient le plus souvent enrobées de miel avant d'être
prises à jeun le matin.
Pris à jeun le rhyzome de Fougère mâle en décoction permettait de se débarrasser
du taenia et les feuilles de Serpolet en infusion des oxyures.
III. Fonctions urinaires.
Pour les reins.
La Reine-des-prés brille par l'étendue de ses pouvoirs thérapeutiques et
notamment par léclat de ses dispositions à rétablir les fonctions rhénales. On
l'emploie avec succès pour les "reins bloqués" et autres maux de reins. La
tisane de stigmates de Maïs en effet divrétique semblable, "Pour les reins" on
recommande encore la décoction de feuilles de Frêne, l'infusion de Prêle des
champs ou encore l'Avoine : "La paille d'Avoine, c'est pour les reins. Les
docteur en buvait tous les matins. Et il nous disait : "Prenez de la paille
d'Avoine pour les reins"...C'était pour uriner, j'avais eu un problème après un
accident".
Pour la retention d'urine "on fait infuser une pincée de queues de Cerises
aigres. En faire une cure de 15 jours : prendre une tasse à jeun le matin et une
tasse au coucher, généralement au printemps et en automne". La médication la
plus usitée en cas de retention d'urine semble la décoction de rhizome de
Chiendent.
On rapporte que dans le cas de calcul des reins, on buvait des décoction de
feuilles de Frêne.
Pisi au lit.
De la région de Mâcon une recette nous a été transmise par une soeur dont la
communauté fabriquait diverses préparations médicales :
<<Faire temper les baies d'Eglantier la veille dans très peu d'eau. Faire cuire
jusqu'à consistance épasse en remuant constamment. Environ 7 heures. Passer au
tamis fin et mettre en pot. En prendre une cuillerée à café le matin à jeun et
une le soir au coucher. Suivre le régime alimentaire indiqué. Délicieux au goût.
Efficace.>>
"Pour la prostate".
Le Chiendent est le remède classique de la prostate, (rhizome en décoction). La
décoction des feuilles de Frêne aurait par ailleurs une action bienfaisante.
IV. Infections urinaires. inflammation de la vessie.
La Reine-des-prés soignerait les infections urinaires et les cystites (infusion
des sommités fleuries) et le Chiendent, les inflammations de la vessie (rhizome
en décoction). L'emploi de la Petite-Centaurée rétablirait le fonctionnement de
la vessie a raison d'un traitement de 2 à 3 tasses par jour d'infusion des
1 E^f,
sommités fleuries pene .nt 5 à 6 jours. On atteste également l'utilisation des
pédoncules de Cerise en infusion pour combattre les cystites.
IV. Affections des voies respiratoires.
Maux de gorge.
L'abondance des citations concernant les soins prodigués lors des maux de gorge
témoignent de 1'occurence de ces affections. Celles-ci transforment la
redoutable Ronce en amie précieuse de l'homme en lui apportant un soulagement
efficace. Prises en gargarisme ou en infusion, ses feuilles riches en tanin
exercent une action astringente sur les tissus. Alors que certaines recommandent
la Ronce "qui rampe, qui traine, pas celle qui fait des buissons et des fruits",
d'autres conseillent la Ronce pourvue ae "3, 5 ou 7 feuilles" qui corespondent
en réalité aux folioles de la feuille.
"Les enfants après l'école, le iong des chemins cueillaient des feuilles de
Ronce, la Ronce rampante au sol, sur le talus. Une bonne poignée dans une
casserole en infusion contre les maux de gorge et la toux. On prend la plante
sèche ou fraîche? Le séchage se faisint sur des claies à Houblon dans le
grenier. On fait cela le temps que dure la toux ou le mal de gorge". Une
informatrice utilise aussi les fleurs et les feuilles en tisane. La boisson est
communément sucrée avec du miel, voire de confiture de mûre ce qui ajoute un
effet de synergie. Le breuvage composé de confiture de mûre délayée dans un
verre d'eau chaude adoucit la gorge. On conseille par ailleurs de manger de la
confiture de mûre, ainsi que celle de Myrtille. Le mélange de feuilles de Ronce
avec celles du Cassis ou de Framboisier s'emploie également: "Hacher deux tiers
de feuilles de Ronce et un tiers de feuilles de Framboisier. Laisser fermenter 2
jours dans un torchons. Puis boire en infusion". A défait de feuilles de Ronce,
on peut se gargariser avec l'infusion de feuilles de Framboisier. Dans certaines
contrées, l'infusion de sommités fleuries était couramment utilisée. L'infusion
de Thym ou de Serpolet passe pour efficace. Une variante consiste à "prendre ur.
morceau de Thym dans le jardin, le sucer avec un morceau de pomme ou de miel.
Les gargarismes préparés avec l'infusion des fleurs de Sureau résorbent les
inflammations de la gorge. Les qualités adoucissantes de la Guimauve officinale
(fleurs, racines, des Mauves (fleurs) du Bouillon blanc (fleurs, feuilles)
consommés en tisane, dissipent les douleurs de la gorge. On obtient le même
effet avec des Amandes cuites dans du lait pendant une vingtaine de minutes et
que l'on boit en plusieurs fois. La décoction de racines de Chiendent était
également un des remèdes populairesdes maux de gorge. Les infusions de Lierre
terrestre en plante entière, et de Violette pour ses fleurs, de Capillaire ainsi
que la décoction de racines de Réglissesont également réputées.
Les sirops préparés avec des fleurs de Coquelicot ou des cynorrhodons sont
appréciés des enfants. En liqueur, les bourgeons de Pin sylvestre avaient un
effet remarquable.
A l'extérieur, on peut appliquer sur la gorge des cataplasmes d'Oignon chauds,
cuits légèrement et écrasés, ou de peaux d'Oignon "cuites au four", ou encore de
Pomme-de-Terre cuites écrasées et très chaudes.
"Contre l'enrouement"
L'infusion des fleurs d'Epine-Vinette permettrait de recouvrir rapidement la
voix, on dit la plante "excellente contre l'enrouement". D'un usage plus
courant, le Thym en infusion serait efficace à son tour. Un traitement assez
long s'effectue avec les feuilles de "Marguerite Sauvage" : "Mettre les feuilles
à cuire. On les sort. On suce quatre petites feuilles. On y fait pendant deux
semaines".
157
Mal d'oreille.
Le Millepertuis perforé macéré dans l'huile d'olive voire cuit dans l'huile
vient à bout des souffrances des oreilles. Quelques gouttes sont versées dans le
conduit auditif. Pour les enfants, un coton imbibé de 3 gouttes est appliqué
dans l'oreille. On recommande aussi de "faire macérer quelques fleurs de
Camomille dans de l'huile d'olive au bain-marie et d'en verser quelques gouttes
dans l'oreille". Un informateur relate que sa mère était soignée avec de l'huile
de Noix tiède introduite dans l'oreille et qu'elle en contestait fort
l'efficacité !
L'Ail calme des douleurs et les otites : "On mettait une gousse d'Ail chaude
dans l'oreille de l'enfant".
Une autre pratique nous est indiquée : "Mettre un morceau de Frêne vert, dans la
cheminée ou dans le poêle. Laisser dépasser une extrémité du bout de bois.
Recueillir la sève qui s'en écoule. Faites-la tiédir et mettre quelques gouttes
dans l'oreille". Enfin, le blanc de Poireau enroulé et placé au creux de
l'oreille serait efficace pour le mal d'oreille et l'otite. L'infusion composée
de Serpolet et de fleurs de Mauve ou de Guimauve aurait raison des abcès
purulents de l'oreille : "On la passe sur l'oreille, ça fait percer et vider
l'abcès".
Rhume de cerveau.
"Les fleurs de Sureau" sont employées contre le rhume de cerveau. Il faut faire
macérer dans l'eau bouillante et laisser bouillir quelques instants. On
l'emploie en inhalation. J'ai connu ce remède de ma grand-mère". Les inhalations
de Thym sont fort appréciées.
Pour déboucher le nez.
L'Achillée sternutatoire, la bien nommée, a une effet immédiat. "On fait sécher
la plante, on la met dans une toile. On en respire un peu pour éternuer quand on
a le nez bouché".
Les plantes de la toux.
Il était d'usage de composer un mélange pectoral, appelé curieusement la "
Tisane des quatre fleurs" alors que celle-ci comptait généralement huit espèces
•choisies parmi les suivantes : le Bouillon blanc, la Bourrache, le Chiendent, le
Coquelicot, la Guimauve officinale, les Mauve, la Pensée sauvage, la petite
Pervenche, la Pulmonaire officinale, la Primevère officinale, le Tussilage, le
Serpolet et la Violette odorante. Chacune de ces fleurs s'emploie aussi
séparément en tisane. Les infusions de fleurs de Bourrache étaient recommandées
"pour les poumons".Elles "facilitent l'expulsion des crachats". De même "on
faisait une tisane de fleurs de Guimauve quand on avait un gros rhume. C'était
pour les poumons, quand on était pris comme ça sur la poitrine".
Le Lierre terrestre s'emploie utilement en infusion pour "toutes les maladies
pulmonaires et la toux . Pour soulager les voies respiratoires, l'infusion de
petite Mauve et celle de bourgeons de Sapins connaissaient un succès notable.
L'abondance des espèces employées reflètent fidèlement la fréquence des toux,
plus ou moins graves. On cite également les infusions de feuilles d'Hysope et de
Sauge officnale, de Ronce, de Serpolet, de Thym, de fleurs de Tussilage, de
Sureau noir, de Primevère officinale et de Chèvrefeuille des bois. Remèdes des
enfants, les sirops étaient préparés à base de Radis Noir, de Bouillon blanc, de
158
Coquelicaot ou encore de Capillaire. Remède des tous petis l'infusion de Pensée
sauvage à raison <<d'une pincée de fleurs par tasse>> est indiquée <<pour les
bébés qui ont des plaies et qui toussent>>.
Les plantes des affections des bronches.
Dans les cas de rhumes de poitrine ou de faiblesses des bronches, la Bourrache
officinale exerce une action favorable : "Prendre les fleurs en infusion pendant
3 ou A jours. Je prenais cela quand j'étais enfant. J'étais sujette au coup de
froid. L'infusion me faisait du bien et me guérissait la toux, la bronchite.
L'infusion s'employait aussi en fumigation : "il fallait respirer sur la
Bourrache". Certains effectuaient dans le même but un mélange de fleurs de
Bourrache officinale, l'Hysope et de Tilleul. Ce dernier, recherché pour ses
propriété apaisantes pouvait se consommer seul. Le Serpolet, le Thym, en tisane
ou fumigation "dégage les bronches" et soigne les bronchites". Dans certains
cas, on faisait même infuser le Serpolet dans du lait. La Guimauve officinale,
les Mauves ou encore le Tussilage "adoucissent". La Pulmonaire officinale dont
des feuilles rappelent les bronches par les dessins alvéolaires qu'elles portent
est employée pour ses fleurs en infusion.
Les fleurs de Violette odorante de fleurs de Primevère officinales et de
sommités fleuries de Marrube en infusion sont appréciées attesté pour leur
influence bienfaisante sur les bronches. Les infusions de Lierre terrestre et de
bourgeons de "Sapin" sont également fort prisées dans le traitement de la
Bronchite.
Pour soigner les rhumes de poitrine "boire plusieurs fois par jour des infusions
de Serpolet si possible avec les rameaux fleuris". "Pour se fortifier les
bronches, faire cuire un petit rameau de Serpolet avec les légumes de sa soupe".
Nombreux sont les cataplasmes élaborés dans le soin de la bronchite. La moutarde
seule ou accompagnée du Lin constituait un révulsif actif : "Diluer dans de
l'eau de la farine de Lin et de la farine de Moutarde. Plonger un linge dans le
mélange et le mettre en cataplasme...On achetait les farines chez la
oharmacien". La farine de Lin en cataplasme avait la reputation de "réchauffer"
et de "faire cracher". L'Avoine ainsi que la graine du foin, appelée le "gréné",
étaient d'un usage courant. La pratique consiste à faire chauffer l'Avoine
arrosée de vinaigre, ou le "Gréné", dont on dit "qu'on le fait ressuer". Les
grains sont ensuite "mis dans un linge sur la poitrine".
Plus rare, mais néanmoins attesté, le cataplasme d'Ortie dioïque, aux propriétés
révulsives bien connues, soigne aussi la bronchite.
Les plantes sudorifiques notamment le Sureau noir jouaient un rôle important
dans ce type d'affection. "La fleur de Sureau servait à préparer des bains de
vapeur dans le cas de bronchite et de gros rhume. On faisait bouillir une grosse
poignée de fleur de sureau dans un récipient à col large, genre fait-tout. Le
malade assis sur son lit mettait le récipient fumant entre ses jambes, et se
penchait sur la vapeur répandue. On mettait un drap de lit sur la tête du
malade, cela faisait une espèce de tente et provoquait une sudation abondante".
Le Pissenlit s'utilisait en sirop et la Capucine en macération (cf pharmacie
végétale)
La Coqueluche.
Les sirops de Radis Noir, de Raifort ou de Navet sont les formes de médication
les plus usitées. L'infusion de fleurs de Coquelicot ou de Capillaire atténue
aussi le mal.
L'asthme.
159
Quelques remedes nous ont été signalés "pour l'asthme" comme les infusions de
Serpolet, de Gui, de fleurs d'Hysope ou de Coquelicot. Les fumigations
d'Eucalyptus avaient un rôle bénéfique. Une informatrice rapporte que sa mère
allait respirer profondément sous un Chêne pour se calmer quand elle sentait
venir la crise.
Pneumonie et congestion plunonaire
Nous retrouvons le concept de chaud et du froid dans l'interprétation
étiologique des maladies pulmonaires". Une fois, ...c'était l'été, il y en a un
il a bu de l'eau froide. Il a eu de la fièvre et il a fait un genre de
pneumonie". Cette personne, rapporte l'informateur, a été soignée par des
infusions de Bourrache officinale. Les tisanes de racines de Reine des Prés
dissiperait les troubles dues à la congestion pulmonaire. Dans ce cas, on
procède également à la préparation d'un bain apaisant :
" Préparer un bain dans une "infusion" de Tilleul. On le fait bouillir un peu.
Faire prendre un bain au malade ou bien l'envelopper dans un drap trempé dans le
"Tilleul" ; ça fait tomber la fièvre. Je l'ai fait à un de mes enfants, la
fièvre est tombée au bout de 2 heures". Rappelons l'emploi quasi systématique
des cataplasmes de farine de Moutarde pour toute affection dans ce domaine
pathologique. •
Tuberculose.
Il était d'usage d'assainir les pièces où vivait la malade avec des fumigations
de feuilles d'Eucalyptus. Deux témoignages révèlent les emplois d'infusion de
Gui et encore de fleurs de Chèvrefeuille.
V. Les problèmes du coeur, du sang et de la circulation.
"Pour le coeur".
Panacée indéniable, l'Aubépine jouit d'une popularité sans conteste dans le
traitement des problèmes cardiaques. Malgré l'importance des témoignages les
indications restant assez vagues : "pour le coeur", "pour les personnes
cardiaques", "pour les palpitations", pour le risque d'angine de poitrine" .
On le recommande avec prudence : "L'Aubépine pour le coeur, il ne faut pas en
prendre beaucoup, il faut en mettre peu pour en faire une tisane. Et il ne faut
en prendre pas longtemps". Certains suivent le traitement 15 jours par mois,
notamment en cas de tachycardie, "quand le coeur bat anormalement". On tire
aussi un bon parti des propriétés de l'Aubépine sous forme de liqueur (cf
pharmacie végétale). Autre plante citée principalement dans le Morvan où elle
croît généreusement, le Genêt à balai s'emploie "pour le coeur", à raison de á
ou 5 fleurs séchées par tasse. Là encore, il est conseillé d'en user avec
modération, tout comme le Gui indiqué à son tour dans les maladies de coeur.
Dans le cas de "battement de coeur après les repas" l'infusion de Grande
Camomille apporte son concours à travers ses propriétés digestives et calmantes.
Les problèmes du sang.
Les soins accordés à l'état du sang sont en grande partie tributaire des saisons
et de leur impact sur le corps humain d'où la nécessité de cure pour entretenir
un bon fonctionnement : " Parce qu'au printemps, on est travaillé par le
changement de saison, tout ça , ça vous retourne le sang. La pensée sauvage, en
cure c'était pour ça , pour le sang". En même temps qu'il fallait remettre en
160
ordre le corps et ses rapports avec le sang, il était d'usage de "fortifier le
sang. Ma mère en donnait aux enfants au printemps, pendant plusieurs jours".
Le printemps est la saison du nettoyage. "Nettoyer le sang" est la motif sans
cesse répété pour justifier les cures printanières.
Les dépuratifs.
Voir complentair avec bouton.
La circulation du sang.
L'infusion de feuilles de Cassis favorise la circulation du sang et est
couramment prescrite en médecine populaire. Remède à large spectre
thérapeutique, l'Aubépine est préconisée "pour la circulation, le coeur, ia
tension".
Son emploi est parfois préventif : "On buvait de l'Aubépine pendant 4 à 5 jours
pour la circulation un peu en prévention". L'Armoise commune et la Méiisse
officinale en infusion sont surtout les plantes de la circulation féminine. La
mauvaise circulation, affection courante et recouvrant divers maux, trouve dans
la pharmacopée végétale bon nombre de remèdes à base de l'infusion :
- des feuilles de Noyer, Prêle,
- des fleurs de Violette odorante, Sureau noir
- des sommités fleuries de Fumeterre officinal, Origan marjolaine, Reine-desPrés, Serpolet, Verveine officinale.
Les lourdeurs des jambes sont combattues par l'application de feuilles de Chou
en cataplasme, par les infusions d'Armoise commune ou de Mélilot officinal par
les bains de pieds pris dans une infusion de fleurs de Sureau noir. Dans le cas
d'oedème on baigne la partie atteinte dans une décoction de feuilles de Noyer.
La macération de baies de Genevier dans l'alcool consommée à petite dose
soulagerait également ces douleurs.
Les hémorroïdes.
Les souffrances dues aux hémorroïdes sont soulagées par des bains de siège que
l'on effectue dans une décoction de feuilles et racines de Millepertuis perforé,
soit dans une décoction de feuilles de Bardane, dans une infusion de fleurs de
Sureau noir ou de Germandrée. Petit Chêne : "Ma mère prenait beaucoup de Petit
Chêne pour les hémorroïdes. C'était calmant et décongestionnant, ça la
soulageait". Elle devait faire des décoctions d'un quart d'heure environ pour
faire des bains peut être une fois par jour". Un autre témoignage confirme le
bienfait des bains de siège : "Mon grand-père souffrait terriblement
d'hémorroïdes. Il éprouvait un grand soulagement en prenant des bains de siège
dans une source d'eau vive, bordée de "boutons d'or".
Jean-Marie Pelt a affirmé récemment que les eaux de ruisseaux que dévalaient les
pentes se chargaient par osmose de la propriété antihémorroïde de la Ficaire".
On utilisait en fumigation l'écorce du Sureau Noir : "Râper l'écorce du Sureau.
La faire bouillir. Poser les fesses au-dessus de la fumigation". Des pommades de
fabrication familiale étaient élaborées à partir de tubercules de Ficaire ou
encore de racines de Scrofulaire noueuse :
"Faire cuire longtemps les racines plusieurs heures ou une journée dans le
saindoux, sur la cuisinière à charbon. Recueillir le dépôt. On le mettait dans
des pots en grés, puis dans des pots de crème Simon. La mère Mondange en
distribuait partout. Elle est morte il y à 25 ans : elle n'avait pas donné ie
161
secret de sa fabrication. Cette plante, mon père l'appelait "herbe de la mère
Mondange".
Une autre pratique populaire consiste à mettre un Marron d'Inde, voire trois,
dans sa poche. Le Marron d'Inde comme les racines de Ficaire peuvent évoquer à
travers la Théorie des Signatures l'aspect des hémorroïdes.
La tension.
L'Ail est le médicament populaire de la tension et se consomme sous diverses
formes. Comme aliment tnérapeutique, on le prépare en soupe : "Vous mettes une
Pomme-de-terre, et une tête d'Ail. Fallait enlever le germe. Vous faites cuire
votre soupe et vous écrasez tout. C'était recommandé pour la circulation du
sang, pour la tension". Dans certaines contrées l'Ail occupait une place de
choix au sein des pratiques alimentaires : "Le matin on fait le pain "docé",
frotté avec l'Ail et recouvert de beurre". "Dans le temps, on mangeait de l'Ail
bien plus que maintenant. Tout le monde en mangeait ! A quatre heure, on en
mangeait avec le fromage". D'autres simplement "mâchonnent de l'Ail, le matin à
jeun". On pouvait aussi "faire macérer de l'Ail en morceaux dans de l'alcool
fort et prendre un verre à jeun tous les matins". On recommande également les
infusions de fleurs d'Aubépine, de feuilles d'Olivier, de Sauge officinale de
Gui. Dans ce dernier cas "il faut 30 feuilles de Gui, qu'on cueille sur les
boules de Gui, sur les pommiers. Vous faites bouillir dans un verre d'eau
environ 10 minutes. On met la décoction dans un litre et on remplit de vin
blanc. On boit un verre à liqueur tous les matins ; ça fait baisser la tension.
C'est une recette que ma soeur m'a donnée à Auxonne".
Les réeles.
L'Armoise commune, dédiée à Artemis, est une plante féminine par excellence. Sen
usage dans domaine de circulation de sang s'étend à celui des régies difficiles
ou douloureuses. La plante aurait un effet régulateur important, ce qui lui
vaudrait d'être employée tant pour "faire revenir les régies" que pour réguler
le flux menstruel dans le cas par exemple le "trop de sang aux régies". Les
femmes procèdent à l'infusion de la plante fleurie de préférence ou à défaut de
ses feuilles sèches ou fraîches. Son emploi mérite prudence car elle a la
reputation d'être abortive. Autre plante compagne des femmes, la Mélisse
officinale "soulage les maux de ventre" et les douleurs" au moment des régies.
L'usage le plus répandu est l'infusion des sommités fleuries ou des feuilles
mais de Mélisse. Toutefois une informatrice nous rapporte une autre préparation
:"Je mettais des fleurs de Mélisse dans du vin blanc. J'y donnais un bouillon,
je laissais infuser. Quand c'était encore chaud, j'en buvais un bol. J'allais me
coucher et pis tiens, j'étais saoule ! Et ça faisait transpirer".
La Reine-des-Prés aurait la propriété de dissiper les souffrances et la capacité
de "faire repartir les régies" (sommités fleuries en infusion).
Ces maux fréquents ont développé un véritable évantail thérapeutique. Plusieurs
autres espèces préparées sous forme d'infusion nous sont citées : Houblon
subspontané (cônes), Ortie blanche (fleur), Grande Camomille (fleurs), Bourse à
Pasteur (feuilles et fleurs), Maïs (stigmates), Osier rouge (écorce râpée).
La farine de Lin s'applique en cataplasme sur le ventre. Certaines macérations
alcooliques sont consommées pour leurs vertus thérapeutiques, telle la liqueur
d'Arquebuse ou d'Aurône mâle ou de Sureau (cf pharmacie végétale).
La Ménopause.
16?
Outre les plantes citées pour les "problèmes de circulation", certaines espèces
ont la réputation d'agir favorablement sur les indispositions dues à la
ménopause. L'infusion de Pensée sauvage est recommandée "pour la circulation au
moment de la ménopause", et celle de sommités fleuries de Reine-des-Prés ou de
feuilles de Sauge "pour le retour d'âge".
Les pertes blanches.
La seules plante maintes fois citée pour soigner les pertes blanches est l'Ortie
blanche, dont l'usage peut-être sous-tendu par la Théorie des Signatures ia
couleur et la forme des fleurs souvant évoquer celles du mal. L'infusion des
fleurs est administrée en lavement.
Pour les accouchements.
Les qualités émollientes de la Guimauve officinale permettent d'adoucir les
tissus : "ça servait pour les accouchements, en bains de siège. On prenait toute
la tige avec les fleurs...Je tiens ça de ma grand-mère". On conseille aussi de
"faire cuire du son dans de l'eau. La future maman doit prendre un bain de siège
avec l'eau de cuisson".
L'allaitement.
En cataplasme, certaines espèces ont une action efficace sur la lactation. Ainsi
"pour stopper la montée de lait" fallait-il "appliquer un bandage de feuilles de
Bardane sur les seins". On préparait aussi des cataplasmes de Cerfeuil haché,
incorporé à la graisse blanche ou du saindoux pour faire passer le lait en iir.
d'allaitement. Le Persil, écrasé et appliqué sur la poitrine ou bien consommé
comme condiment possède les mêmes propriétés. A ce sujet une anecdote se rácente
dans le Morvan où les jeunes mères quittaient foyer et enfant pour s'employer
comme nourrice auprès des petits parisiens : "On mettait du Persil haché dans le
potage des nourrice quand on ne voulait pas qu'elles soient nourrices ou qu'er.
était jalouse d'elles".
"Faire tomber la fièvre"
La gravité de l'état encouru par une augmentation élevée de température semble
avoir généré l'emploi de plusieurs espèces fébrifuges. L'infusion de fleurs de
Bourrache officinale fait suer abondamment passe pour souveraine "pour toutes
les fièvres.
Parmi d'autres plantes à effet sudorifiques nous sonteités la Reine-des-Prés
(sommités fleuries en infusion) et surtout le Sureau noir (bain de vapeur obtenu
par l'infusion des fleurs).
L'infusion de fleurs de Petites Centaurée est d'un emploi fréquent : "on disait
que ça coupait la fièvre. C'était vrai !" On dit du Millepertuis perforé qu'il
fait sortir la fièvre" (sommités fleuries en infusion).
La Guimauve officinale ou mélangée à des queues de Cerise préalablement
décoctées ainsi qu'à des fleurs de Violette blanche "l'aide à guérir".
Divers traitements complètent les précédents : infusion de feuilles de frêne,
infusion de fleurs et feuilles de Lierre terrestre, infusion de tiges, fleurs et
feuilles de Thum décoction de racines de Bardane, décoction d'écorce de
Bourrache, décoction de racines de Valériane. Pour réduire le degré de
température des enfants ont leur mettait de l'Ail en cataplasme sur la plante
163
des pieds. Enfin rappelons que le vin chaud additionné d'un peu d'alcool était;
consommé en cas de fièvre "pour faire suer".
Plantes calmantes.
L'infusion de fleurs d'Aubépine "calme les nerfs" et permet de "lutter contre
l'insomnie". Les racines Valériane s'utilisent en décoction "pour les états
nerveux", notamment auprès des personnes âgées "qui avaient la tremblotte et
même dans le cas de "crise de nerfs". En revanche, on calmait les enfants agités
dans un bain préparé avec l'infusion de fleurs de Tilleul. Celle-ci consommées
au coucher est l'une des tisanes les plus répandues hier et aujourd'hui. La
Reine-des-Prés serait parmi ces innombrables propriétés, un sudorifique éprouvé.
Les feuilles d'Oranger, achillée à la Dharmacie ou bien même cueillies sur les
arbustres cultivés dans le sud de la Bourgogne, ont la même réputation.
Les infusions de fleurs de Coquelicot en mélange avec des fleurs de Violette cr.r
le pouvoir de "faire dormir". Toutefois, le Coquelicot de part ses vertus
narcotiques exige une utilisation rigoureuse.
LES PANACEES.
•Capucine CROSNIER
Le concept de panacée a connu plusieurs vagues de gloire. Au fils des remous de
l'histoire botanique et médicale une panacée peut ainsi sombrer dans l'oubli le
plus profond après une heureuse période de popularité. Beaucoup d'auteurs ont
combattu cette notion de panacée, y compris dans les ouvrages de littérature populaire, tel le Médecin des Pauvres. Le lecteur y apprendra qu'il "n'existe aucune panacée universelle qui guérit à elle seule toutes les maladies" (-). Toutefois, les enquêtes ethnobotaniques ont montré qu'il existait un nombre de
plantes qui, comme le souligne P. LIEUTAGHI, "occupe une place notable dans la
pharmacopée" et se positionne au rang des "médicinales majeurs". Selon les régions se dégage en effet un cortège restreint d'espèces végétales auxquelles
sont attribuées de nombreuses indications thérapeutiques.
Ainsi la reconnaissance populaire de panacées ne serait-elle pas tout à fait erronnée... Il apparait que conformément aux témoignages des informateurs, les
plantes perçues comme des panacées se révèlent être de grandes médicinales. Par
exemple, regardons par ordre décroissant les espèces végétales qui possèdent le
nombre le plus important de propriétés thérapeutiques, dans le Morvan : le Sureau noir, la Reine des prés, la Guimauve officinale, le Serpolet, la grande Camomille, le Millepertuis, le Frêne, l'Oignon, l'Ail, le Noyer...Par ailleurs,
les plantes utilisées les plus souvent citées par la population sont : le Lys
blanc, le Tilleul, l'Ortie, le Sureau noir, la Bourrache, officinale l'Arnica,
des Montagnes la grande Camomille, la Guimauve officinale, la Reine des
près...Il s'avère que ces médicinales majeures font partie des végétaux les plus
communs, sauvages ou cultivés, ou bien encore dont on connaît exactement les
sites de cueillette, comme l'Arnica des Montagnes par exemple. Les deux grandes
espèces médicinales du Morvan, le Sureau noir et la Reine des prés présentent
des analogies d'usages assez nombreuses..On peut alors s'interroger sur le fondement même de ces pratiques et de la perception de ces deux espèces. Elle sont
en effet bien différentes tant d'un point de vue botanique, le Sureau étant une
caprofoliacée et la Reine des Prés une rosacée, que d'un point de vue ainsi que
pharmacologique puisque la première est classée parmi les plantes "à hétérosides
coumariniques" et la seconde parmi celles "à hétérosides phénoliques". Toutes
les deux, présentes le long des chemins, humides pour la Reine des prés, offrent
un port assez élancé et une inflorescence en corymbe claire (blanche à jaune).
De plus la Reine des prés est extrêmement répandue dans le Morvan, non seulement
dans les fossés, mais aussi dans les bas-fonds où elle s'étend généreusement. Le
Sureau colonise volontiers les bords de chemins et les alentours des maisons. Il
jouit d'une popularité qui s'imprègne pourtant de méfiance : "Nous, quand on
était gosses, on n'avait pas le droit de monter dans le Sureau, c'était interdit. . .C'était comme ça, ma mère nous l'interdisait. Tout le monde..." Il nous
est également rapporté qu'on craignait de toucher à un Sureau, de le déplacer ou
le détruire. Ces diverses croyances témoignent d'une place privilégiée accordée
à cette espèce.
Le Sureau noir s'emploient dans de nombreux domaines pathologiques. Parmi les
affections externes. Il soigne en bains "les tallures, les oedèmes, les piqûres
d'insecte. "On utilise pour" désenfler, et le plus souvent à partir de
l'infusion des fleurs éviter l'infection". Le fait grand bien dans les cas de
foulures et d'entorses, atténue la transpiration des pieds, réduit les oedèmes
et enflures diverses. En bains oculaires, il soulage les conjonctivites et orgelets. En compresse, les fleurs soignent les coupures, les coups et les hématomes
165
ainsi que les furoncles et les boutons purulents. Dans le cas des affections interne, le Sureau Noir employé en bain ou en cataplasme exerce une action apaisante et anti-inflammatoire sur les rhumatismes. En fumigations, il soulage les
maux de dents, en gargarisme les maux de gorge et en inhalation les rhumes de
cerveau et les bronchites. En bain de pieds, il apaise les problèmes circulatoirs que présententrévèlent par exemple des jambes lourdes ou des pieds gonflés. En bain de siège, il dissipe les hémmoroïdes. En fumigation il est apprécié pour son action sudorifique dans les cas de grippe et les états fébriles. Le
Sureau noir agit également dans le domaine des problèmes féminins, tel "le mal
de ventre" au moment des règles : "Mettre un petit verre d'eau-de-vie de grains
noirs de Sureau dans de l'eau-de-vie. Pour les femmes, tous les mois c'est radical !". La plante en infusion aurait la propriété de faire passer les aigreurs
d'estomac.
Rappelons enfin que l'on fabrique une pommade pour les brûlures avec la seconde
écorce du Sureau Noir et que l'on prépare des cataplasmes avec la troisième
écorce pour les dartres.
Toutes ces indications confirment le large spectre thérapeutique de cette grande
médicinale, tout comme celui de la Reine des prés à laquelle on reconnait aussi
de multiples vertus.
La Reine des prés exerce également un effet favorable dans le champ des affections externes. On applique les fleurs' infusées sur les hématomes dans les régions rudes comme le Morvan, "tous les soirs, au retour de l'école, on trempait
les pieds dans une décoction de Reine des prés pour les engelures". Mais, c'est
surtout dans les cas de "douleurs" et rhumatismes que la Reine des prés était
couramment administrée : "Faire infuser le haut de la plante en fleurs et en
boire souvent. Il y en avait toujours une gamelle sur le feu, toute prête". La
plante possède une action anti-inflammatoire. Les infusions des sommités fleuries sont réputées souveraines "pour les reins", comme nous le relate une femme
du Charoláis : " quand on pioche dans les vignes, quand on a mal aux reins, des
courbatures qu'on ne peut pas se relever, on prend des tisanes de Reine des
prés. J'avais mal aux reins, à piocher. Je sentais quelque chose dans le basventre, comme les reins bloqués, j'ai bu de la Reine des prés". La plante jouit
d'une grande popularité comme diurétique.
L'infusion combat les infections urinaires et les cystites. Elle se montrerait
utile dans les cas de diarrhée. Dans le domaine des affections respiratoires,
infusions des fleurs est recommandée contre le rhume, et celle de fleurs et de
racines contre les congestions pulmonaires. On vante également les mérites de la
Reine des prés dans les problèmes circulatoires, notamment féminins, "pour les
douleurs des règles", et "pour le retour d'âge". En infusion, les fleurs, voire
les racines, auraient une action sudirifique remarquable notamment dans les cas
de fièvre. Les tourments de l'insomnie seraient déjoués grâce aux tisanes préparées avec les sommités fleuries. Ce vaste potentiel médicinal ne nous étonnera
pas. C'est en effet à partir de la Reine des prés que l'on a découvert
l'aspirine !
Parmi les autres grandes médicinales, citons le Chou qui depuis l'antiquité est
un remède universel. Outre ses vertus alimentaires, cette panacée est mise à
profit dans les soins des entorses et surtout des "douleurs", du rhumatisme à
l'arthrose. On l'emploie avec succès comme cicatrisant des plaies ou des ulcères. On connait également les vertus de la Grande Camomille, compagne des jardins. Précieuse tisane de la pharmacopée familiale, elle est fort prisée pour
son action aperitive et tonique dans le domaine digestif. Calmante, elle facilite le sommeil. Analgésique, elle soulage la douleur. En compresse, elle combat
166 ,
les infections de la peau et les conjonctivites. Sans oublier qu'elle se fait
aussi l'amie des blondes !
La Menthe, se montre bénéfique dans le cas des troubles digestifs. La tisane de
Menthe poivrée, au goût relevé, fait partie des habitudes régulières après les
repas. On l'utilise également dans de nombreux cas comme stimulants du système
nerveux. Le Lierre terrestre est fréquemment utilisé comme expectorant remarquable dans les affections des voies respiratoires, surtout pour "décrocher les
rhumes" ! Réputé pour ses propriétés vulnéraires, on l'apprécie aussi dans le
soin des plaies, des furoncles ou même des yeux. Les Mauves sauvages, comme la
Mauve musquée, ainsi que la Guimauve officinale sont des plantes adoucissantes
par excellence. Leur richesse en mucilage leur ouvre un large éventail d'emplois
thérapeutiques, principalement dans les maladies inflammatoires des voies respiratoires, digestives et urinaires. Elle soulage encore les maux de dents, les
inflammations de la peau et des yeux...
167
LA PHARMACIE VEGETALE
Capucine CROSNIER
La pharmacopée domestique privilégie les fabrications familiales qui permettent de faire face à l'urgence de certains
soins. Ces remèdes présentent l'avantage de leurs disponibilité, facilité et rapidité d'emploi que n'ont pas d'autres
formes d'utilisation de plante comme les infusions ou encore
les cataplasmes.
LES SIROPS.
Les femmes fabriquaient des sirops que les enfants semblaient
préférer aux tisanes et qui de plus se conservaient le temps du
traitement du rhume ou de la toux.
De Bouillon blanc.
"Vous faites une bonne infusion de fleurs de Bouillon blanc et
vous filtrez. Vous y ajoutez un sirop de sucre, c'est adoucissant pour la toux des enfants".
De Radis noir.
"On coupait des Radis noirs en rondelles quand les gamins
avaient des toux, des coqueluches. On laisse macérer. On récolte le jus. On y met du sucre et ça doit encore macérer".
Certains ajoutent "deux rondelles de citron et de la carotte
pour donner du goût".
De Navet.
" Prendre un Navet, creuser un trou au milieu, en haut. Mettez
du sucre candy pour tirer le jus du Navet. Prendre une à trois
petites cuillères à chaque toux, quand on a la coqueluche".
De Coquelicot.
Dans les cas de coqueluche et de maux de gorge, on administrait
aux enfants du sirop de Coquelicot.
LES LIQUEURS.
168
Conjugaison de l'alimentaire et du médicinal, les liqueurs sont
des remèdes populaires prisés.
Les liqueurs digestives.
D'aurône mâle
De la famille des Armoises, l'Aurône mâle, couramment baptisée
Arquebuse, était très souvent cultivée dans les jardins por la
fabrication de liqueur. "On y mettait trois ou quatre branches
d'Arquebuse dans un litre d'eau-de-vie. Après on faisait un
sirop avec un quart d'eau et une demi-livre de sucre. On laisse
macérer deux mois. Il y a un tas de propriétés...En boire un
petit verre quand on est pas bien pour digérer, le mal de
coeur, les malaises, les douleurs des règles...Même pour
dessoûler, pareit-il !".
De Tanaisie commune
La liqueur de Chartreuse, nom populaire de la Tanaisie commune,
jolie composée à fleurs jaunes qui ornemente agréablement les
jardins, jouit des mêmes propriétés que préparée avec l'Aurône
maie. Elle aide à la digestion et soigne les coliques.
De Balsamite Crête-de-Coo.
Connue pour ses vertus digestives, la macération alcoolique de
Balsamite s'emploie également en usage externe en friction sur
les hématomes.
"Prendre 13 feuilles de Balsamite, 90 morceaux de sucre, environ 500 grammes, 1 litre d'eau-de-vie de fruit ou d'alcool à
90° dédoublé, 1 écorce de Citron et 1 bâton de Vanille. On peut
encore ajouter un peu de Safran laisser macérer 50 jours et
filtrer.
...A consommer avec modération !".
D'Estragon
Herbe aromatique employee pour parfumer de nombreux plats,
l'Estragon est très apprécié en liqueur digestive.
"Cueillir l'Estragon dans le jardin. Prendre 20 grammes de
feuilles que l'on triture dans les mains pour faire sortir le
jus. Mettre pendant deux mois dans un litre d'eau-de-vie à 45°
ou 50°. Ajouter 500 grammes de sucre en poudre. Remuer le liquide de temps en temps, jusqu'à dissolusion du sucre. La liqueur est faite !...Et bonne !".
Certaines personne conseillent de laisser une petite bande dans
la bouteille pour faire beau et parfumer".
De Genévrier.
"Cueillir les baies dans les friches, à l'automne. On met les
baies entières, fraîches à macérer dans un litre d'alcool à
fruits, deux ou trois poignées. On y ajoute du sucre. On laisse
169
macérer trois mois dans le buffet. Et de temps en temps, on la
retourne.
En liqueur, après le repas c'est très digestif. Ce n'est peutêtre pas un remède, plutôt une gourmandise naturelle !". Cette
liqueur répandue dans les régions de friches et de coteaux calcairs, où croît naturellement le Genévrier, est vantée pour son
action " digestive" et bienfaisante "pour l'estomac". Certaines
recettes préconisent de mélanger des baies vertes, soit
fraîches, et baies brunes soit mâtures. En friction après le
bain des enfants cette préparation passe pour tonique. En
macération dans le vin blanc, elle "soulage les jambes
lourdes".
Menthe
La liqueur de Menthe, cultivée dans les jardins, se prépare
comme la liqueur d'Estragon. Elle est réputée pour ses
propriéré digestives.
Le Millipertuis perforé.
"Pr^r.dre un verre de liqueur de Millepertuis, çà aide à digérer'' ..C'est bon pour les maux de ventre". "On cueille le Millepertuis dans les près sur les bords de chemins, les revers,
les fossés, fin juin, début juillet. La plante est coupée, les
sommités fleuries, fraîches, en petits segments. On remplit le
litre à moitié de fleurs et l'on complète en alcool, alcool de
fruit quand on a distillé. A défaut, alcool pour fruits du commerce ; çà macère 2 à 3 mois puis on filtre. On prend quelques
gouttes sur du sucre pour faciliter la digestion comme de
l'alcool de menthe ou une cuillère dans de l'eau chaude sucrée
ou en tisane. C'est pour les digestion difficiles. Cela se fait
encore actuellement. A partir de cette macération alcoolique,
on peut obtenir une liqueur agréable par adjonction d'un sirop
de sucre"
De Verveine officinale.
"On fait la liqueur de Verveine, comme on fait l'Arquebuse.
Faut y mettre tremper la branche avant qu'elle fleurisse, Quand
elle commence a mettre en boutons. On y met plusieurs branches.
Ca fait légèrement vert, dans la goutte. C'est bon pour digérer. Ma mère et ma grand-mère faisaient tout ça...Tout le monde
avait un litre de verveine, de chartreuse ou d'Arquebuse. On
aimait avoir çà. C'était une habitude...C'est digestif".
Liqueur cordiale.
D'aubépine.
"Pour la liqueur d'Aubépine, disposez pendant 10 jours 250g de
poires à Bon Bieu (fruits) dans un litre d'alcool avec du sucre
de canne et une feuille de Mélisse...C'est pour le coeur".
L'Aubépine est en effet réputée pour son action sur les
troubles cardiaques ou nerveux.
170 .
Ligueur
tonique "pour redonner les forces".
De Germandrée Petit-Chêne.
Cette plante amère est appréciée pour ces propriétés fortifiantes. "C'était une liqueur amère comme apéritif : Vous mettez une poignée à tremper dans un verre à 45° pendant deux
jours. Après, on presse pour avoir du jus. On faisait juste un
bouillon avec le Petit-chêne dans un quart de litre d'eau, un
bon verre de 125g de sucre cristalisé. Vous laissez bouillir un
quart d'heure. Après on mélange tout. On en faisait bien du
temps de mon mari. C'était bon. Ca faisait pas de mal, c'est
pour donner des forces. C'est un fortifiant. Voyez, on mélange
l'eau, le sirop, le litre de vin et le verre d'eau-de-vie. On
peut y faire frais ou sec. On en gardait aussi beaucoup du Petit-chêne, on faisait la liqueur avec du sec".
Liqueur pour la gorge.
Les bougeons de "Pin", notamment de Pin sylvestre étaient récoltés pour la fabrication d'une liqueur "bonne pour la gorge".
"Mettre deux à trois poignées de bourgeons de Pin dans 1 litre
d'alcool à fruits. Ajouter du sucre et laisser macérer 3 mois".
Les vins.
Les vins médicinaux, comme le vin de Noix, sont également d'un
empioi répandu et...agréable ! Certains principes actifs de
plantes, insolubles dans l'eau, se dissolvent par contre dans
l'aicool.
De Noix verte.
"Cueillir AO noix vertes à la Saint-Jean. Les couper en A. Les
mettre dans du bon vin rouge pendant AO jours. Soutirer, filtrer et ajouter de l'eau-de-vie. En boire un verre pour la digestion, le mal de ventre, les coliques, pour fortifier le
sang".
De Germandrée Petit-Chêne
Recette du "Petit-Chêne" ou vin fortifiant : Faire macérer pendant 15 jours une poignée de Petit-chêne dans 1/2 litre de
goutte (eau-de-vie ou marc). Passer et faire boullir la plante
dans 1 litre d'eau. Ajouter à cette eau 750g de sucre et 31 de
vin rouge ou rosé à 12°. Boire un verre à liqueur chaque
matin".
"Vin rouge apéritif. Pour les asolescents pas bien costauds".
De Millepertuis perforé
171
"On cueille le Millepertuis dans les près sur les bords de
chemin, les revers, les fossés, fin juin, début juillet. La
plante est coupée, les sommités fleuries, fraîches, en petits
segments. On remplit le litre à moitié de fleurs et l'on
complète en alcool, alcool de fruits quand on a distillé. A
défaut, alcool pour fruits du commerce ; ça macère 2 à 3 mois
puis on puis on filtre. On prend quelques gouttes sur du sucre
pour faciliter la digestion comme de l'alcool de Menthe ou une
cuillère dans de l'eau chaude sucrée ou en tisane. C'est pour
les digestion difficiles. Cela se fait encore actuellement. A
partir de cette macération alcoolique, on peut obtenir une
liqueur agréable par adjonction d'un sirop de sucre".
De Nerprun pureatif
"On en récoltait aussi les petites cerises de nerprun pour
faire de la liqueur. Ah, ça c'était bon. On servait ça en
digestif.
On cueillait par exemple un p'tit bocal de fruits, vous
1'mettiez tremper avec de l'eau-de-vie à fruits, d'l'alcool
blanc, si vous vouliez, oui, et puis alors après, quand elle
était bien noire, quand le jus était bien noir voue en preniez
un verre, vous faisiez fondre 250 g de sucre, vous serviez à
nouveau 1 litre d'alcool blanc et un verre de ce jus de nerprun
noir. Alors là, c'est fameux !".
D'Angélique
"On introduit une branche feuillée d'angélique avant la
floraison, dans un bocal de Marc. Laisser macérer plusieurs
semaines. Quand on a une indigestion, on met 2 cuillères à
soupe de cette liqueur par bol de tisane. Cela facilite la
digestion".
LIQUEUR POUR LES MAUX DE VENTRE ET LES COLIQUES
De Coing
"C'est comme dans les campagnes, on faisait de l'eau de Coing
pour les coliques, avec la chair qu'on faisait infuser, la
chair du fruit dans l'alcool, le fruit mûr, oui, oui, oh vous
savez, y y'en avait d'une année à l'autre dans une bouteille,
dans une bonbonne, c'était des bonbonnes...y avait une
préparation, j'sais pas exactement, y devaient mettre du sucre,
de l'eau-de-vie, euh...des choses comme ça ...oui, c'était de
l'eau-de-vie- et prenaient ça contre les coliques."
De Millepertuis perforé
"Mettre du Millepertuis dans un litre d'eau-de-vie, laisser
macérer 1 mois et ajouter du sirop. C'est pas bien bon à boire,
c'est bon pour les maux de ventre. On le prenait frais le
Millepertuis. Cez ma grand-mère, on en faisait gros. On avait
de l'eau-de-vie. On avait de la vigne. Quand on avait mal au
ventre, on faisait ça. Ca faisait comme un genre de liqueur.
Pour les enfants, ça avait un goût fort."
172 -
De Sureau Noir
"1 petit verre d'eau-devie de "grain noirs" de Sureau dans
l'eau-de-vie. Pour les femmes, tous les mois. C'est radical".
De Gentiane jaune.
Le vin de Gentiane jaune, plante amère, connaissait un usage
sous forme de cure pour "le manque d'appétit", pour "fortifier
le sang", pour "avoir la forme" et comme "dépuratif".
"On arrache la racine qui est nettoyée, lavée et coupée. Vous
mettez environ 40g de racine dans 1 litre de vin blanc et du
sucre pendant 10 jours. Vous laissez macérer au frais, à la
cave, dans un endroit sombre et frais. Ca se boit un demi verre
avant les repas pour le manque d'appétit. Il faut boire le
litre".
De Gui.
"Il faut 30 feuilles de Gui qu'on cueille sur les boules de
gui sur les pommiers. Vous faites bouillir dans un verre d'eau
environ 10 minutes. On met la décoction dans un litre et on
remplit de vin blanc. On boit un verre à liqueur tous les
matins ça fait baisser la tension".
Les macérations
D'Asoérule odorante
"Prendre 60 à 65 g de fleurs et autant de sucre. Faire macérer
le tout dans un litre de vin blanc pendant 3 semaines. Filtrer,
mettre en bouteille. C'est utilisé comme apéritif et digestif".
De Pêcher
"Cueillir 100 feuilles de pêcher, les laver et les faire
macérer pendant 48 h 1/-Ü verre de "goutte".
Boire après le repas en cas de digestion difficile".
De Millepertuis.
"Avec le Millepertuis on fait une macération dans l'huile avec
100g de plantes fraîches fleuries écrasées ou de fleurs
fraîches, pour 200g d'huile d'olive. Faire macérer au soleil 15
jours en agitant souvent. Puis laisser reposer. Filter mettre
en compresses sur les brûlures, les hématomes et les plais qui
guérissent mal".
De Lvs blanc.
Remède universel des coupures, la MACERATION ALCOOLIQUE de pétales de Lys blanc a longtemps occupé une place de choix dans
l'armoire à pharmacie.
"Il faut cueillir les pétales de Lys sans pollen dessus. Vous
les recouvrez d'eau-de-vie dans un bocal. On met un pétale sur
une blessure, entouré d'un pansement. Renouveliez tous les
jours. La circulation est rapide et sans infection".
173 -
La macération dans l'huile est employée contre les brûlures.
De Lavande
On faisait tremper longtemps de la lavande dans de l'eau-de-vie
pour les coupures, ça cicatrice ; ça restait dans la bouteille
et puis, on mettait de l'alcool de lavande sur un mouchoir.
De Listère à deux feuilles
Jolie Orchidée des coteaux calcairs, la Listère à deux feuilles
s'employait en macération alcoolique (feuilles). Les feuille
s'appliquaient en cataplasme sur le mal blanc. Rappelons que
cette espèce se raréfie aujourd'hui.
D'Agripaume cardiaque
"On met la plante à tremper dans l'eau-de-vie. On le refait
tous les ans. Je me suis coupée jusqu'à la moelle quand j'étais
jeune. On m'a mis cette feuille sur la coupure. La feuille en
séchant brûle la peau. Elle laisse les marques sur la peau
comme les nervures. Mais ça évite l'infection et ça ressoude".
D'Arnica des montagnes
Autre alcoolature des plus prisées, la macération des fleurs
d'Arnica des montagnes, récoltées sur les sols siliceux
d'altitude, est utilisée en application sur les coups, les hématomes, les contusions et même les entorses. "On met les
fleurs dans l'eau-de-vie. Et quand on se cogne, on se frotte à
l'Arnica. Ca mange le sang battu".
L'Arnica des Montagnes, plante d'altitude dont on connaît plusieurs stations en Morvan, se substitue l'Inule des Montagnes
répandue sur les terrains calcairs de la côte viticole.
Signalons par ailleurs les macérations alcooliques de feuilles
de Sceau de Salomon, appliquées dur les coupures.
De Capucine
"Vous mettez des feuilles de Capucine, des fleurs et des
graines dans de l'eau-de-vie. Vous laissez macérer, j'en ai
encore un pot ici. Et on enboit deux à trois cuillères à soupe
quand on a la bronchite."
POMMADES
De Souci des Jardins
"Hacher menu daux mains jointes de tiges, de feuilles et fleurs
de Souci de Jardin. Faire fondre 500 g de saindoux ou de
graisse végétale. Y jeter la préparation hacher. Faire
grésiller doucement sans que cela brûle. Laisser reposer une
journée. Passer dans un linge fin et mettre en pots...Cela
apaisse aussi les douleurs de veilles cicatrices, et tourtes
blessures et cicartrisations."
De Scrofulaire noueuse
174 •
"Faire cuire longtemps les racines de Scrofulaire,•plusieur
heures ou une journée dans le Saindoux. Recueillir le dépôt et
le mettre dans des pots".
LOTION POUR LES YEUX
De Vigne
"Au moment de la taille, on garde dans une bouteille d'eau-desève, la sève de la vigne. Une goutte dans l'oeil, ça soulage
le mal. La taille se fait en mars-avril. Nous on dit que la
sève "pleure".
Lotion pour la peau
"Ma mère faisait, il y a encore 30 ans, une lotion avec de
l'eau distillée, seulement chauffée à 50 ou 60°, pas bouillie.
Elle y mettait des pétales de rose, les plus grosses roses, des
roses anciennes qui faisaient des boules touffues, et des pétales d'Eglantier. Elle ajoutait un tout petit peu de fleurs
d'Arnica et quelques fleurs de Lys".
175
V - UN NOUVEAU PRINTEMPS POUR LES PLANTES
L'ETHNOPHARMACOLOGIE : une nouvelle science interdisciplinaire
Jacques FLEURENTIN (a) et José DOS SANTOS (b)
a) Président de la Société Française d'Ethnopharmacologie. 1, rue des
Récollets, 57000 METZ F. Laboratoire de Phannacognosie, Université de METZ F.
b) Vice-Président de la Société Française d'Ethnopharmacologie, anthropologue.
Fondation NEMO, LASALLE F.
Savoirs thérapeutiques vernaculaires et pharmacologie moderne : un nouveau
programme scientifique
A l'origine de l'intérêt considérable dont a bénéficié ces dernières années
l'ethnopharmacologie, se trouvent trois faits majeurs.
C'est tout d'abord l'extraordinaire pertinence des indications thérapeutiques
de remèdes vernaculaires qui a frappé les scientifiques occidentaux, médecins,
pharmacologues, ethnologues.
Le second facteur est une conséquence technologique et économique de cette
première constatation. Parmi les différentes voies qu'emprunte la recherche de
nouveaux médicaments, il en est une qui commence à s'imposer en pratique,
comme un fait du bon sens : comment trouver de nouvelles substances naturelles
intéressantes dans un milieu naturel dont on sait que, pour les seuls
végétaux, il contient plusieurs dizaines de milliers d'espèces, dont chacune
peut produire plusieurs dizaines, voire centaines, de molécules différentes ?
A ces questions, l'ethnopharmacologie apporte une réponse : relevez les
utilisations efficaces des végétaux par les divers peuples, à travers le temps
et l'espace ; recherchez les raisons et les modalités de cette efficacité ;
partez de là, pour la mise au point de nouveaux produits. Voilà la démarche
dont la productivité est aujourd'hui de plus en plus largement reconnue. Le
troisième élément, enfin, concerne la prise de conscience, au niveau mondial,
à la fois de l'ampleur des problèmes sanitaires demeurés sans solution, et
même de leur constante aggravation, dès que l'on sort du domaine restreint des
seuls pays développés. Partout, l'espoir de faire partager aux peuples les
plus pauvres les avancées considérables de la médecine technologique
occidentale, a été déçu.
La prise en compte de chacun de ces ensembles de faits qui ouvrent sur autant
de problèmes non résolus, ne s'est pas faite de façon unitaire, ni immédiate.
Aboutissement de recherches anthropologiques, tendances repérables dans les
stratégies des grandes entreprises pharmaceutiques, découvertes ou nouvelles
directions de recherche dans les milieux hautement spécialisés de la
biochimie, constatations politiques et économiques, sociales, concernant les
résultats obtenus par les différents systèmes de santé, ce sont là des
événements qui se produisent dans des univers qui s'avèrent, en pratique, fort
peu communiquants.
176
La mise en relation des problèmes émergeant de ces différents domaines, pour
tenter de leur donner une formulation unifiée susceptible de conduire vers des
solutions qui tiennent compte d'un contexte si complexe, a tout d'abord exigé
une maturation qui s'est poursuivie sur plusieurs décennies, avant que
s'amorce sa formalisation au sein d'une nouvelle discipline :
l'ethnopharmacologie.
I. Mettre en relation le terrain, le laboratoire, les systèmes thérapeutiques.
L'une des tâches premières de la mise en forme à laquelle correspond la
création de l'ethnopharmacologie, consiste à faire apparaître les liens
essentiels qui existent entre les différents ordres de faits précédemment
exposés. Contrairement à ce que l'apparence laisserait croire, il s'agit là
d'une tâche difficile, d'une tâche de longue haleine, car la non-communication
entre les différents domaines n'est pas un simple épiphénomène, mais
correspond, au contraire, à un état de l'organisation des sciences et des
technologies, des politiques sociales, des rapports économiques à l'échelle
mondiale ; poser des questions en des termes qui transgressent les frontières
matérielles entre ces différents univers, c'est donc travailler sur une
"matière" qui ne relève pas de la pure abstraction, d'un discours scientifique
qui se tiendrait dans le ciel pur des idées, mais sur une matière qui résiste
à sa propre réorganisation, fût-ce en termes conceptuels.
1.1. Du terrain au laboratoire : un sens unioue ?
Prenons tout d'abord la constatation de pertinence des usages vernaculaires
des remèdes relevés sur le terrain, par l'ethnologue, généralement associé au
médecin ou au pharmacognoste. Rien ne semble imposer d'en tirer d'autres
conséquences que le simple "constat de la science chimique et pharmacologique
occidentales, des faits qui peuvent rendre compte de l'usage. Dans le cas
typique, on identifie une substance chimique dont l'action physiologique,
connue correspond à l'effet du remède observé. Une situation symétrique -mais
du même ordre- est celle où, la composition chimique du remède n'étant pas
connue, la science chimique l'inscrit à son programme, dans l'espoir de
définir, dans son propre langage, la substance active qui expliquerait l'effet
constaté.
Dans les deux cas, au delà de l'enquête ethnologique utilisée comme simple
inventaire ou "recensement", l'usage vernaculaire du remède disparaît. Ce
qu'il en reste, c'est une matière (par exemple une plante), dont l'analyse
chimique et pharmacologique prend entièrement en charge le devenir :
séparation des composants, fractionnement, étude pharmacologique.
Abandonnés, avec le remède vernaculaire, sont ies autres ingrédients, les
procédures de préparation, et surtout les modalités d'utilisation, tout ce qui
fait qu'une matière donnée est (ou devient) un remède, à savoir, une
préparation susceptible d'être utilisée avec succès dans des circonstances
données, en vue d'un but déterminé : une action thérapeutique sur le corps
humain.
Avec l'origine de l'indication, la science tend à mettre de côté tout ce qui
dépasse la matière première non élaborée (l'ingrédient, plante ou minéral,
•
177 '
etc.) : sa matière première est la substance, non l'usage. A partir de ce
premier isolement (de l'ingrédient -plante etc- par rapport à la recette et de
celle-ci par rapport au contexte d'usage) la science chimique va donc procéder
à des isolements successifs (groupe de substances, travail sur une molécule
isolée). Son propre critère de vérité s'établit ainsi : il y a efficacité si,
et seulement si l'une des molécules préalablement identifiées et isolées dans
l'ingrédient considéré produit des effets mesurables dans les conditions du
laboratoire. Dans le passage du terrain (qu'il faut faire un effort pour
imaginer dans toute sa différence par rapport au monde du laboratoire, village
poussiéreux de l'ouest africain, ou petit groupe de villages forestiers du sud
est asiatique...) et de l'ethnologie, au laboratoire et à la chimie, tout lien
avec la pratique effective est éliminé, par un processus homologue à celui qui
préside à l'isolement et à la purification chimique. On aurait tort d'imaginer
le processus qui va de ces tests en laboratoire à la production d'un
médicament, de celle-ci à sa mise sur.le marché et à sa prescription, par
exemple, sous la forme d'une boucle qui se refermerait sur elle-même, dans le
cas où ce médicament parviendrait un jour au village qui fut le point de
départ de l'information ouvrant la piste de recherche. En réalité, la boucle
ne se referme jamais. La distance entre le point de départ et le remède final
ne cesse de s'accroître ; chaque phase d'élaboration (technique, commerciale,
médicale) l'éloigné un peu plus du savoir vernaculaire où il a eu sa lointaine
origine, et de la société qui l'a produit.
Loin donc, de l'aboutissement du remède vernaculaire au médicament
technologique tende spontanément à établir le lien entre ordres de savoir,
entre systèmes thérapeutiques différents, il tend au contraire à accroître la
distance qui les sépare.
On est là devant un paradoxe considérable : c'est l'efficacité constatée au
départ au sein des systèmes vernaculaires, qui a motivé l'injection du
matériau dans la machinerie chimico-pharmacologique, mais celle-ci ne peut
aboutir qu'à la définition d'une substance dont les caractéristiques
(jusqu'aux modalités et conditions d'utilisation) interdisent dans la quasi
totalité des cas, son insertion dans les systèmes thérapeutiques
vernaculaires.
1.2. Diversité des stratégies de découverte.
Il faut, pour comprendre cela, se rappeler que la recherche pharmaceutique
développe ses stratégies de découverte à partir de sources très diverses, dont
les savoirs vernaculaires ne représentent qu'une partie limitée, bien souvent
d'ailleurs utilisée par les chercheurs sans qu'ils aient conscience de
l'origine de l'information.
Dans un article récent, le Directeur du Département des Sciences de la Vie au
CNRS, allait jusqu'à considérer l'ethnopharmacologie comme une voie marginale,
virtuellement dépassée par la synthèse de molécules préalablement identifiées
comme responsables d'effets biologiques déterminés, seule considérée comme
logique et "rationnelle" (1). La recherche pharmacologique se situerait,
(selon ce qui apparaît néanmoins comme une position pragmatique plutôt que
comme un bilan de l'état actuel des recherches), exclusivement à l'intérieur
du niveau moléculaire.
Etant donné un syndrome, la tâche du biologiste consisterait dans tous les cas
à rechercher la molécule dont l'excès ou le défaut sont responsables, puis,
178
-
éventuellement, celle ou celles qui commandent (innibent ou stimulent) sa
production. En visant ainsi à maitriser une variable d'ordre moléculaire, le
pharmacologue n'aurait que faire d'une démarche qui semblera aux antipodes de
celle-ci : constater non pas le syndrome isolé, mais le couple syndrôme-remède
; tenter d'éclairer le mécanisme d'action du remède ; reproduire (en
l'améliorant si possible) l'effet en manipulant, en modifiant le remède. En
fin de compte, il pourra parvenir lui aussi à la découverte d'une molécule
pure, ou d'un ensemble de molécules bien identifiées : ce sont le point de
départ et le cheminement qui sont différents.
D'un côté, une ingénierie biologique qui part du syndrome, comme si tout
savoir des remèdes était à son point zéro. De l'autre, une approche qui, à
l'opposé, suppose acquis non seulement un savoir des remèdes, mais tous les
savoirs existants sur les remèdes agissant sur ce syndrome : le corpus
pharmacognosique, et tous les corpus vernaculaires.
Il n'est pas nécessaire de beaucoup pousser l'analyse de ces différentes voies
pour apercevoir leur complémentarité, au delà d'oppositions qui sembleront
découler de considérations de politique de la recherche plutôt que de
positions proprement scientifiques. Si l'on accepte de traiter la question des
différentes voies de découverte dans le cadre plus restreint de la recherche
de substances d'origine naturelle ayant un intérêt thérapeutique, on pourra,
avec FARNSWORTH et KAAS, situer 1'ethnopharmacologie parmi les diverses
méthodes alternatives qui s'offrent au chercheur.
"Les trois approches fondamentales qui sont actuellement employées pour la
sélection d'inhibiteurs antitumoraux efficaces à usage humain" ... "parmi les
750 000 espèces végétales candidates" sont les suivantes :
1) sélection au hasard pour les analyses chimiques ("random selection
screening").
2) utilisation d'informations provenant des médecines vernaculaires,
("traditional medicine"), "afin de soulever des pistes à partir des
préparations indigènes" ;
3) exploitation des données expérimentales publiées qui indiquent une activité
antitumorale pour les extraits de plantes".
En comparant le rapport entre les coûts et les résultats de chacune de ces
approches, les auteurs concluent : "De ces données, il apparait que l'on
multiplierait, (si on compare avec les résultats du screening au hasard) par
un facteur deux le nombre d'espèces végétales présentant, in vitro ou in vivo
une activité cytotoxique ou antitumorale, si les plantes étaient sélectionnées
sur la base de leur utilisation en tant que remèdes supposés être des
anticancéreux.
De même, la sélection des plantes censées être utilisées comme
anthelminthiques, multiplierait la probabilité de trouver une activité
antitumorale par un facteur trois, les plantes utilisées comme poisons de
pêche par un facteur d'environ quatre, et les plantes censées être utilisées
comme poisons de flèche, par un facteur d'environ cinq" (2).
L'avantage de la démarche ethnopharmacologique lorsqu'elle est systématisée
(il s'agit ici de la recherche de corrélations entre divers types d'usages
vernaculaires), dépasse, bien entendu, le domaine des antitumoraux, seul
exploré ici de moyens qu'elle entraîne par rapport à une exploration des
propriétés des plantes qui ne tient pas compte de leurs usages connus, et
179 '
progresse selon un ordre arbitraire (ordre du recueil des échantillons, ou
listes botaniques, etc.).
Cette démarche systématique est restée, il faut le reconnaître,
exceptionnelle, jusqu'à ces dernières années, ce qui a rendu difficile une
appréciation correcte de l'apport des savoirs vernaculaires comme sources de
remèdes efficaces.
1.3. Du savoir pharmacologiaue à l'anthropologie des savoirs
Nous avons vu, ci-dessus, que le retour d'information du laboratoire au
terrain, lorsqu'elle se présente sous la forme de remèdes de haute
technologie, rencontre d'importants obstacles. Une autre retroaction manque
dans ce tableau, qui paraîtrait elle, moins difficile : c'est l'examen des
pharmacopées vernaculaires en fonction des résultats du laboratoire. Non pas
bien sûr, à propos d'un remède isolé, car on pourrait difficilement utiliser
les données de compositions chimique, d'efficacité en laboratoire des
substances identifiées, etc., mais d'un ensemble significatif de remèdes
faisant partie d'une pharmacopée vernaculaire. Le laboratoire pourrait alors
fournir à l'anthropologie des savoirs des indications précieuses en permettant
une comparaison systématique des compositions chimiques des remèdes, et des
usages que le laboratoire pourrait suggérer, avec leurs usages constatés sur
le terrain. Les exemples de ce tvpe de démarche sont néanmoins rares (et très
récents, voir ci-dessus) : c'est que le plus souvent le laboratoire ne
travaille pas pour éclairer les principes de fonctionnement d'une pharmacopée
vernaculaire, mais pour mettre au point des médicaments modernes, marchandises
extrêmement coûteuses à obtenir qui nécessitent dix ans de travaux et qu'il
faut vendre ensuite pour amortir les investissements et amorcer de nouvelles
études.
Et cependant la confrontation des contenus de savoirs d'ordres différents,
comme le sont les sciences biologiques et les savoirs vernaculaires, reste
indispensable pour faire apparaître certaines caractéristiques des uns et des
autres, et en tout premier lieu, celles, tout à fait centrales dès lorsqu'il
s'agit de savoirs, qui concernent les procédures de détermination de la vérité
ou de la fausseté des propositions, de l'évaluation de l'efficacité des
pratiques, et enfin, des stratégies de découverte.
Il est sans doute illusoire d'imaginer une étude exhaustive de la chimie et de
la pharmacologie d'une pharmacopée vernaculaire complète ; tâche gigantesque ;
mais l'exploration de sous-ensembles de remèdes, de leur composition chimique
et de leurs effets biologiques, même limitée à un nombre réduit de tests qui
n'épuiseraient pas l'ensemble des effets possibles de ces remèdes, est de
nature à jeter une lumière nouvelle sur le savoir vernaculaire d'où il
provient.
En effet, les anthropologues renoncent presque toujours à poser la question de
l'efficacité, même lorsqu'ils ne la diluent pas dans un discours sur
1'"efficacité symbolique" qui n'oppose plus aucune prise à la mesure des
effets ni à l'évaluation de l'efficacité spécifique du remède, et se soustrait
par là-même à toute possible "falsification". (3)
Or la question de l'efficacité est centrale dans tout savoir et tout savoirfaire, et pas seulement du point de vue extérieur de l'ethnologue : elle
importe, au plus haut point, à ses détenteurs et utilisateurs.
180 ""
Quelle peut-être la portée et la signification des résultats pharmacologiques
du laboratoire pour l'étude des savoirs vernaculaires, alors que d'évidence,
il s'agit de systèmes de référence si éloignés l'un de l'autre ?
Pour ne donner qu'une indication, on aura recours à un exemple extrême : on
supposera que l'examen complet par le pharmacologue donne des résultats
négatifs pour la totalité d'une pharmacopée vernaculaire. Aucun "remède", quel
qu'il soit, et quel que soit le test auquel on le soumette, ne montre
d'activité biologique. Si cela était possible, nous nous trouverions devant
une énigme singulière : comment une culture entière (imaginons-là sans
écriture) peut elle se "tromper" si systématiquement ? Ou bien avons-nous là,
un savoir dont les critères d'efficacité sont si radicalement autres,
qu'aucune méthode de test (in vitro, in vivo, clinique) ne réussit à
reproduire les effets qu'elle croit percevoir ? Mais dans ce cas, quels
peuvent être ces critères, pour que néanmoins les détenteurs de ce savoir
puissent survivre ?
Passons, d'un seul bond, à l'autre extrême : les tests pharmacologiques
confirmeraient point par point la totalité de contenus d'un autre savoir...
Situation non moins vertigineuse, comme on le voit : comment est-il possible
que des "entrées" si éloignées que le savoir vernaculaire de peuples sans
écriture et la recherche en laboratoire arrivent à produire des savoirs qui
seraient des calques, semblables à des fac-similé ?
Quitter ces exemples extrêmes, c'est sortir du monde du mystérieux, de
l'énigme, pour entrer dans celui des savoirs réels : leurs contenus (leurs
"résultats") ne coïncident que partiellement. Or ce qu'il est décisif de
déterminer, c'est, dans chaque cas, la figure exacte que dessinent les
recouvrements et les différences.
Tous les domaines d'activité (admettons par exemple et pour simplifier,
dermatologique, respiratoire, digestif...) ne sont pas dans le même rapport
d'efficacités comparés ; dans telle pharmacopée vernaculaire,
l'intelligibilité du pharmacologique rendra compte d'une plus ou moins grande
partie des remèdes de tel ou tel domaine ; dans d'autres pharmacopées, ce
seront des domaines différents qui bénéficieront de remèdes isomorphes à ceux
de la pharmacologie. Il ne s'agit pas, on l'aura assez montré, de réduire le
savoir vernaculaire au savoir pharmacologique (ni l'inverse), mais d'utiliser
ce dernier pour faire apparaître des caractéristiques du premier, qui jusque
là restaient inaccessibles. Que l'on s'interroge en effet, sur le sens d'une
distribution significativement différente des corrélations entre les contenus
vernaculaires et les résultats pharmacologiques, d'un domaine d'activité à un
autre, d'une pharmacopée à une autre ; on est confronté à des questions que
l'on ne pouvait poser en dehors de semblable confrontation. Pourquoi tel
domaine, plutôt que tel autre ? Quelles conséquences du point de vue de la
perception du mal, des remèdes ? Pourquoi se contente-t-on" de remèdes "moins
efficaces" (pour autant que le pharmacologue puisse en juger) pour tels autres
domaines ? Quid de l'évaluation (indigène) de l'efficacité ? Comment expliquer
qu'elle semble tellement plus proche de celle de la pharmacologie dans
certains domaines plutôt que dans d'autres ?
Il est inutile de mener plus avant cette exploration, dont le but se résume à
montrer
1) comment il est impossible de renoncer à poser les questions de l'efficacité
à partir de la confrontation de savoirs d'ordre différent et précisément parce
qu'ils sont d'ordre différent ;
181
2) comment l'ethnopharmacologie, si elle récupère au bénéfice de
l'anthropologie des savoirs les acquis du laboratoire, aura joué le rôle qu'on
lui impartit ; mettre en relation ce que trop souvent, on est dissuadé de
confronter : le laboratoire et le terrain.
Le produit industriel n'établit la communication ni avec le système
thérapeutique d'où il tire sa source, ni avec le savoir vernaculaire des
remèdes en tant que savoir, dont il aurait pu contribuer à éclairer les
procédés et les structures, ni même parfois avec les auteurs des travaux de
terrain ou de laboratoire.
1.4. Bilans sanitaires au niveau planétaire : la nécessaire rétroaction.
Enfin, le troisième ordre de faits évoqués en introduction, l'incapacité de la
médecine technologique moderne à améliorer significativement l'état de santé
des deux tiers de l'humanité vivant en dehors du monde développé, voire à en
atténuer la dégradation, s'il impose comme un constat massif à tous les
acteurs concernés, ne déclenche pour autant pas automatiquement une mise en
relation des données acquises dans les différents univers de la thérapeutique,
et leur mobilisation pour résoudre les problèmes posés.
On a parfois voulu voir dans l'impossibilité de communication entre le système
médical technologique moderne et les pays sous-développés, un effet simple et
direct des facteurs économiques : "on n'aurait simplement pas les moyens de
s'offrir" cette médecine. Nul n'ignore désormais le rôle que jouent les
facteurs économiques dans ce domaine comme dans tout ce qui touche au sousdéveloppement. Mais le "manque de moyens" n'explique pas à lui seul l'échec.
La médecine technologique occidentale s'est heurtée dans de très nombreux cas
à une sorte d'inadaptation fondamentale aux problèmes qu'on lui proposait.
Parmi les facteurs les plus évidents de cette inadaptation, on relèvera tous
ceux qui constituent l'environnement technologique de la thérapeutique
occidentale. En effet, le médicament moderne est un instrument à la fois très
puissant et très "pointu", avec un spectre d'indication de plus en plus
étroit. Il suppose, pour pouvoir être utilisé en accord avec ses
caractéristiques propres, (le plus souvent une molécule pure qui réagit sur
une cellule cible au niveau d'un site récepteur spécifique) une infrastructure
d'égale densité technique : des moyens de diagnostic très précis, un contrôle
de l'administration du médicament, un "suivi" minutieux des effets ; tout cela
exige, outre les moyens techniques sophistiqués, des installations, un
personnel, et... des patients, comme on n'en trouve que dans les pays
développés.
A moins que le médicament technologique ne trouve pas sa place dans le corps
social qui cherche à l'employer, et rate sa cible dans les corps malades qu'on
voudrait soigner. C'est, à chaque fois, toute une société et toute une
corporalité, qu'il faudrait produire au préalable, pour y insérer le
médicament moderne dans les conditions qu'exige son emploi rigoureux : utopie.
Nous étions partis d'une problématique d'efficacité : remèdes vernaculaires
qui attirent l'attention parce qu'ils sont efficaces. En passant vers
l'univers de la pharmacologie (et de l'industrie pharmaceutique), c'est encore
la question de l'efficacité qui semble orienter le processus : ne faut-il pas
déterminer les principes actifs chimiques de l'effet constaté, voire, décrire
d'autres effets non constaté, au niveau vernaculaire (les effets secondaires)
182
et les mettre en rapport avec des caractéristiques chimiques qui en rendent
compte ?
Cependant, le produit de ce processus de transformation (de l'usage
vernaculaire à travers le travail sur les matières utilisées), redoutablement .
efficace au sein d'un contexte bien précis, -la médecine technologique
moderne- se révèle inadapté, donc inefficace, si le problème qu'il s'agit de
résoudre est celui de l'état de santé de pays aux cultures différentes, où
n'existe ni l'infrastructure technologique ni le corps social pour lequel il a
été conçu.
On affronte ici un nouveau paradoxe : alors que les sciences modernes (et en
particulier les techno-sciences) visent à définir des propositions vraies
indépendamment de chaque contexte culturel particulier, débouchant sur une
efficacité universelle, voici que les produits parmi les plus sophistiqués de
ces technosciences sont renvoyés au statut d'objets culturellement déterminés,
valables seulement à l'intérieur du cadre social qui les a vu apparaître.
La médecine technologique manque le corps social qu'elle voulait atteindre :
mais n'est-ce pas seulement en tant que système social qu'elle échoue ? Pas
d'installations, d'infrastructures (tests, analyses, examens), le personnel
médical : n'est-ce pas là tout le problème ?
Et cela ne laisse-t-il pas le médicament lui-même en dehors de ce constat
négatif ? A supposer que le médicament technologique puisse exister sans son
contexte, ou plus encore, à supposer que l'on puisse reconstituer d'un coup de
baguette magique un contexte technologique suffisant, dans la jungle de
l'Amazonie, le remède moderne ne serait-il pas alors efficace pleinement,
n'atteindrait-il pas alors le corps malade et, dans celui-ci, la cible
moléculaire qu'on lui assigne ?
On supposera, bien sûr, qu'il s'agit de soigner des syndromes identiques à
ceux que vise le médicament technologique en occident : l'effet devrait être
le même. Mais il ne l'est pas. On est accoutumé à considérer qu'il existe une
géographie des pathologies ; 1'epidemiologic a montré qu'il existe peut-être
une écologie des maladies. Mais, s'il semblait légitime de tenir compte des
facteurs climatiques ("maladies tropicales"...), des modes de vie (régimes
alimentaires...) il n'en semblait pas moins correct -et nous le verrons,
nécessaire- de maintenir cette écologie à l'extérieur de l'Homme : ce sont des
facteurs externes qui déterminent une certaine pathologie. Le modèle implicite
est celui de l'étude des vecteurs de maladies : insectes qui ne vivent qu'en
milieu tropical par exemple.
Dans cette optique, la Biologie Humaine reste une, identique à elle-même, ce
sont les seules conditions externes auxquelles elle est soumise qui
déterminent des problèmes (maladies) régionaux différents, l'une des grandes
différences entre la médecine moderne occidentale et les médecines savantes
anciennes concerne justement cette notion de normalité biologique ; la
médecine moderne a tendance à faire entrer dans des normes biologiques
l'ensemble des individus considérant qu'ils sont tous identiques au regard de
leurs constituants biologiques ; à l'opposé la médecine arabo-persane
revendique l'unicité de l'individu considérant chacun comme un être unique
doté d'un équilibre physiologique qui lui est propre (A).
Cependant, nombre d'expériences de terrain montrent combien les effets réels
des médicaments technologiques modernes sont différents lorsqu'ils sont
employés sur des populations différentes, tout en s'appliquant à des syndromes
en principe identiques.
183 -
Sur-puissance de l'effet, effets "aberrants", absence d'effet : le remède
n'agit pas de façon "standard". A contrario, ainsi que le constatait récemment
une eminente spécialiste, les remèdes testés en fonction de la biologie de
populations autres que celles de l'Occident développé, (et cependant testés
selon les méthodes rigoureuses de la pharmacologie) peuvent ne pas agir, ou ne
pas agir de la même façon sur le corps des Occidentaux (5). Quand on connaît
d'une part les mécanismes d'adaptation d'un organisme vivant (phénomène de
tolérance ou de dépendance à une drogue ou à un médicament) d'une cellule
(résistance d'une lignée de cellules cancéreuses à la chimiothérapie) ou d'un
microorganisme (résistance aux antibiotiques) et d'autre part que l'effet
d'une molécule dépend de son efficacité pour le site récepteur mais aussi du
nombre de sites récepteurs qui varie, en fonction de l'état et des
stimulations, on comprendra qu'une molécule médicamenteuse induira des effets
disparates selon qu'elle est introduite dans un organisme régulièrement
stimulé ou au contraire vierge de tout traitement antérieur.
Si la question est posée pour des substances testées scientiquement, on sera
conduit à admettre d'autant )plus volontiers une sorte d'incertitude beaucoup
plus radicale quant à l'action des remèdes vernaculaires : ils agissent sur
"eux", cela veut-il dire qu'ils agissent de même sur "nous" ? (6).
La portée de pareille incertitude est immense. Certes, on comprend aisément
que l'industrie pharmaceutique "occidentale" soit tout d'abord préoccupée par
les problèmes de santé de son propre univers. Maladies dégénératives, maladies
liées au vieillissement, cancer, maladies liées au mode de vie occidental
(accidents cardio-vasculaires, troubles métaboliques) : toute la pathologie de
populations qui mangent (plus que) à leur faim, qui connaissent une longévité
accrue, qui vivent en milieu extrêmement pollué, dans les zones tempérées du
globe.
C'est aussi, ne l'oublions pas, la pathologie de ceux qui ont les moyens de
payer le type de soins que propose la médecine technologique. Mais, outre que
cette pathologie se manifeste aussi, avec des fréquences différentes, dans les
cultures non occidentales, bien d'autres maladies sont répandues sur
l'ensemble du globe.
Un médicament mis au point dans nos laboratoires contre telle maladie dont on
a défini les mécanismes moléculaires, devrait par conséquent être efficace
partout où cette affection se présente. Si tel n'est pas le cas, les
conséquences théoriques qu'il faut en tirer sont d'une portée considérable, en
ce qui concerne le rapport entre les modèles biologiques mis au point en vue
de représenter la "Biologie Humaine" et cette dernière : on a peut-être
construit des modèles en fonction d'une "biologie régionale", une forme
particulière de la Biologie Humaine telle qu'on peut imaginer qu'elle existe
en principe (l'hypothèse de l'unité de l'espèce humaine le suggère), en
croyant établir des vérités fondamentales valables partout et toujours.
La raison qui nous a conduits à ce long détour est désormais plus facile à
énoncer : là où on pouvait penser que les savoirs vernaculaires restaient
enfermés dans la relativité de leur vérité et de leur efficacité par rapport
aux contextes locaux, tandis que la science des médicaments aurait produit un
savoir valable partout et toujours, on se rend compte que, malgré les
différences de potentiel et de puissance qui les séparent, ils présentent en
commun des caractères de relativité, d'adéquation préférentielle à une société
située dans l'espace et dans le temps.
184 -
Aussi, la non-communication entre les sphères de l'industrie pharmaceutique
occidentale et les systèmes de santé pré-industriels, repose bien sur une
triple inadaptation : technologique, d'une part, faute de l'environnement
technologique nécessaire ; sociale, faute de disposer des institutions et des
hommes, mais aussi anthropologique - une autre civilisation peut-être
également une biologie partiellement autre.
1.5. Le programme de l'ethnopharmacologie ; mises en relation.
Le programme de l'ethnopharmacologie repose sur ce constat de carence : les
différents éléments que nous avons repérés coexistent, ils font partie de la
situation objective du monde actuel ; ils interagissent, de manière sauvage
provoquant des gaspillages, de la souffrance et des échecs que l'on pourrait
éviter. Mais on ne peut le faire que si l'on se donne les moyens de mettre en
rapport, de façon systématique, les différents univers qui entrent ici en
collision sans vraiment se rencontrer.
L'une des caractéristiques premières de l'ethnopharmacologie répond à cette
exigence de mise en relation : contrairement à bien de nouvelles disciplines,
apparues au sein de spécialités pré-existantes par différenciation, comme des
spécialités ayant des objets toujours plus restreints, l'ethnopharmacologie se
constitue selon un processus d'agrégation des compétences. Elle met en oeuvre
au niveau scientifique, la communication entre disciplines qui répond à la
diversité des domaines concernés, et à la multiplication des approches et
techniques nécessaires.
Ethnologues, botanistes, médecins, pharmacologues, historiens, linguistes et
sociologues seront associés, de façon variable selon les projets concrets,
dans ce nouveau chantier scientifique qui prend en charge la conception des
remèdes et les savoirs qui s'y attachent, le contexte de leur utilisation et
plus largement la place du remède dans les systèmes thérapeutiques existants.
L'ethnopharmacologie peut ainsi ouvrir la voie à l'échange entre ordres
différents de savoir, et contribuer à l'avènement de solutions alternatives
aux problèmes sanitaires des pays les plus démunis du point de vue de
l'économie mondiale.
2. Les différents moments de la recherche ethnopharmacologiaue
Dans la pratique effective de l'ethnopharmacologie, et cela d'autant plus que
le nombre et la qualité des travaux s'accroissent, les rapports et la qualité
des travaux concernés par le projet s'établissent sous la forme d'un réseau
d'échanges où il serait vain de chercher des préséances.
Mais il est utile, en première approche, de distinguer divers moments qui sont
des moments logiques dans la recherche ethnopharmacologique : les recherches
historiques sur les textes médicaux anciens, l'enquête ethnographique (et
ethnobotanique), enfin la pharmacologie.
2.1. La botanique : point d'ancrage de l'ethnopharmacologie
185
-
Au delà de celles qui fournissent les deux parties de la dénomination adoptée
(ethnologie et pharmacologie), et de leurs proches (respectivement
ethnographie, anthropologie culturelle, pharmacognosie, médecine), il faut
mentionner l'histoire et la linguistique du côté des sciences humaines, la
phytochimie et la botanique, parmi les sciences de la nature.
Le recours à des botanistes spécialisés s'avère donc nécessaire dès les
premières étapes de la recherche ethnologique. Si la botanique est l'alliée
naturelle de l'ethnologie dans les perspectives de l'ethnopharmacologie, elle
devient le point d'ancrage de toutes les disciplines liées à cette dernière.
Que ce soit par la somme extraordinaire des connaissances accumulées, ou par
la finesse et la précision des classements qu'elle produit, -malgré son
radical inachèvement, malgré les incertitudes et les difficultés dont les
botanistes font un de leurs objets les plus stratégiques- la botanique met à
la disposition des anthropologues, des pharmacognosies, des pharmacologues,
des linguistes ou des historiens un système de référence irremplaçable.
2.2. L'histoire : transmission des savoirs médicaux entre civilisations
La reprise des recherches sur les savoirs non-scientifiques ou préscientifiques contemporains, a entrainé également un regain d'intérêt pour les
savoirs anciens, qui ne sont accessibles qu'à travers des documents
historiques le plus souvent hérités des traditions savantes (grecques,
latines, perses et arabes, indiennes, tibétaines, chinoises...).
L'exploitation de ces sources est l'affaire des historiens, et, pour la
perspective etnopharmacologique, la contribution des historiens des sciences
s'avère, elle aussi, capitale. On conçoit l'intérêt, pour l'étude de tel type
de poison, ou pour la caractérisation de telle famille de plantes, de la
comparaison inter-culturelle que permet l'ethnographie récente ; mais on se
gardera de sous-estimer ce qu'apporte, comme possibilités de mise en
perspective des usages actuels, un examen systématique des sources anciennes
(parfois millénaires) par des spécialistes de ces sources.
Ces textes constituent un réservoir immense, encore peu exploré, de données
accumulées sur le savoir médical. Les connaissances médicales, comme celles
portant sur les pharmacopées anciennes, dans lesquelles les plantes
médicinales jouent un rôle essentiel, ne se créent pas, en bloc, de novo, mais
se transmettent de civilisation en civilisation, se transforment,
s'enrichissent d'apports originaux. Ces échanges font que les textes anciens
de civilisations"différentes dialoguent, pour ainsi dire, entre eux. Il est
donc d'autant plus intéressant de saisir les réseaux d'influences réciproques,
d'emprunts et de transformations des connaissances sur les plantes, au travers
des écrits médicaux des différentes traditions, malgré les difficultés, liées
à l'identification des espèces, toujours présentes dans ce type de travaux
historiques, quels que soient les textes étudiés.
2.3. Enquête ethnobotaniaue sur le terrain.
186
-
L'ethnologie, qui décrit usages et savoirs vernaculaires à travers l'enquête
de terrain apparaît ici comme le préalable indispensable. Mais déjà à ce
niveau la coopération interdisciplinaire s'impose, car la description qui se
voudrait la plus neutre intègre déjà les questions que se pose l'ethnographe ;
or celles-ci sont déterminées dans une large mesure par sa capacité -acquise
par la familiarité avec l'objet à décrire, autant que par la connaissance des
diverses descriptions que d'autres en ont donné- à saisir les articulations
fines de son objet, les caractères les plus inapparents, pourvu qu'ils soient
pertinents pour l'une quelconque des descriptions existantes.
La collaboration du médecin, du pharmacologue de l'ethnologue et du botaniste,
lorsqu'elle est possible, s'avérera -comme l'ont aperçu les ethnobotanistes
américains dès leurs premiers travaux- d'une très grande utilité (7). Il
restera alors à la charge de l'ethnographe de gérer les rapports entre les
différentes descriptions possibles de l'usage, et notamment à contrôler
l'effet de projection ethnocentrique du regard et de l'approche propres aux
sciences sur les savoirs qu'il étudie.
Le matériau descriptif recueilli sur le terrain apporte aux phases suivantes
une masse d'informations dont la mise en ordre fera apparaître la notion
principale d'usage thérapeutique.
En simplifiant à l'excès, l'enquête sur les remèdes vernaculaires ("ethnopharmacopée") identifiera des situations où des agents vont mettre en oeuvre
des matières (d'origines diverses, animale, végétale, minérale), qu'ils
prépareront, et appliqueront de certaines manières, sur le corps atteint.
La nature et la définition de l'événement en question, de même que les
objectifs poursuivis par ceux qui interviennent pour modifier l'état du corps
atteint, sont bien sûr à saisir tout d'abord dans les termes mêmes de ceux qui
sont impliqués dans l'action.
Mais il est clair que dans cet ensemble de faits, l'ethnopharmacologie va
consacrer une attention toute particulière à tout ce qui concerne plus ou
moins directement les matières qui interviennent dans l'usage thérapeutique.
Il lui importera, à ce titre, non seulement de déterminer très exactement
l'identité des matières utilisées, à titre d'ingrédients principaux ou
secondaires, mais également les conditions pour ainsi dire techniques de leur
mise en oeuvre. Mais que constate l'ethnologue, lorsqu'il procède à la mise en
forme des données recueillies ?
Qu'un usage -pour prendre un exemple typique, l'usage thérapeutique d'une
plante ou d'un mélange de plantes- est susceptible de connaître des
variations, et d'apparaître sous l'aspect de diverses variantes.
Des variations, car la pratique thérapeutique n'étant jamais uns science
exacte, d'une fois sur l'autre, d'une situation à l'autre, le même usage subit
des aménagements, des déformations par rapport à une forme idéale inexistante,
qui sont les produits des contraintes pratiques : on fait avec ce qui est
disponible, selon la saison, l'endroit, les personnes impliquées, leurs
connaissances, etc. La même personne décrira un certain usage d'une certaine
façon, et le pratiquera, si l'on y prend garde, de bien d'autres façons, plus
ou moins proches. Il reste une marge d'indétermination -qui est une marge de
manoeuvre- plus ou moins grande selon le cas : ingrédients qui peuvent être
présents ou non, substitutions par des "équivalents", préparations qui se
ressemblent sans être rigoureusement identiques...
187 -
Ces variations, qui sembleraient se distinguer autour d'une forme d'usage
"typique", ou idéale (ce peut être l'idéal que se donnent les utilisateurs ou
bien une simple forme théorique, induite de l'extérieur par comparaison),
peuvent donner lieu à des formes différentes, plus ou moins stables elles
aussi, qu'on appellera variantes : pour telle plante que l'on utilise pour
soigner les contusions on recueillera des recettes de macération dans l'huile
(avec des variations autour du fait qu'il soit ou non nécessaire d'employer de
l'huile d'olive, certains se servant tantôt d'un type d'huile, tantôt d'un
autre), mais on recueillera une variante qui prescrit la macération
alcoolique, elle-même pouvant mettre en oeuvre divers types d'alcool, ou des
quantités différentes, divers temps de macération, etc.
Quant à l'indication de ces préparations, elle est susceptible de se
distribuer sur une plage d'indétermination plus ou moins vaste. Certains
l'utiliseront pour les contusions à l'exception expresse de toute blessure
ouverte ; d'autres enfin, le réserveront aux seules brûlures...
L'usage, tel qu'il est ainsi décrit, ne ressemble en rien à une série de
couples linéaires "matière-utilisation" ; l'usage apparaît comme une figure
complexe, dont il est par avance bien difficile de rejeter les "discordances"
- car il faudrait disposer d'une définition essentialiste de l'usage, pour
pouvoir déterminer ce qui, dans ce vaste espace de variation, est
"l'essentiel".
Que l'on songe à ce qui semble être un élément simple d'information ; une
personne désignera, lors d'une sortie, une "plante", sous un certain nom, en
lui attribuant un usage donné. L'ethnographe ou le botaniste auront peut-être
enregistré ce même nom et ce même usage pour une autre -voire d'autres"plantes", dont il ont pu recueillir des spécimens, qu'ils ont déterminés au
point de vue botanique, soit auprès du même informateur, soit auprès d'autres
personnes. Existe-t-il un "bon usage" du nom de l'indication par rapport
auquel on peut situer les autres comme des erreurs, des confusions, des
extrapolations peu admissibles du point de vue indigène lui-même ? Ou bien
différentes espèces botaniques sont-elles perçues comme une entité végétale
unique ?
Ou bien encore les différentes personnes ne sont pas d'accord, sans que l'on
sache qui a raison du point de vue local, encore une fois, à moins qu'il n'y
ait pas, là-dessus, de point de vue local unifié ?
Ce que l'enquête permet, on l'aura compris, c'est non pas, comme trop
d'ethnologues l'ont cru trop souvent, de réduire la variation et la
discordance à un point de vue unifié qui n'est qu'un artefact, mais de définir
le degré d'incertitude en repérant l'espace de variations de chaque usage ou
groupe d'usages à l'intérieur d'une société donnée.
1. Les conditions de l'exploration pharmacologiaue des données
ethnoeraphiaues.
Voilà ce que l'enquête de terrain est en mesure de proposer au pharmacologue :
des informations sur un ensemble d'usages vernaculaires où, pour chacun, on a
déterminé les ingrédients désignés (et les possibles substitutions,
équivalences, confusions qui interviennent dans leur choix), les modes de
188
préparation et d'application et leurs variations et variantes, les indications
et leurs définitions toujours complexes, dépendantes des contextes, multiples
et variables elles aussi. Dès lors, dans ce qu'on appelle, par après, "un
usage vernaculaire", il faudra bien, pour que la recherche pharmacologique
puisse s'effectuer, découper des séquences opératoires partielles, qui
correspondent à des hypothèses quant à l'identité des ingrédients, à leur mise
en oeuvre, à l'identification du symptôme, du syndrome ou de l'affection
soignée, dont il s'agira de tester un certain nombre.
1.1. La complexité de l'usage vernaculaire : un défi. L'exemple de
Un exemple concret nous permettra d'illustrer ce processus : celui de
l'"autoune". Voici, schématiquement, l'espace de variation de l'usage
"l'antoune pour les grands froids". (8).
Espèce
1
partie
utilisée
quantité
stade
état de la
physiol. mat. prem.
3 feuil. non
précisé
fraîche
mode de
prépar.
mode
d'adminis. posol.
infusion boire
décoction.
séchée
3 tas,
infusion
décoction
Dans le cas de "l'antoune" la source principale d'incertitude vient du fait
que quatre différentes sont désignées sous ce nom, "antoune", et sont
indiquées pour le même groupe de syndromes, lui aussi complexe : "les gros
froids", les "très gros froids", les "pneumonies", les "pulmonies", les
"pleurésies"... (9)
La dominante respiratoire y est facilement discernable ; la très grande
efficacité de "cette plante", toujours reconnue par ceux qui prétendent
l'avoir utilisée ou avoir vu utiliser, inciterait à prendre l'indication au
sérieux.
Mais le fait qu'on utilise ces plantes tantôt après séchage, tantôt fraîches,
immédiatment après récolte (plante cultivée ou entretenue près des maisons, ou
dans des endroits bien repérés), et qu'on en fasse tantôt une infusion, tantôt
une décoction, augmente le nombre de séquences partielles que l'on peut
découper dans un tel "usage". A supposer que l'on décide de tester en
laboratoire l'efficacité de ces espèces pour trois affections respiratoires
différentes (pneumonie, pleurésie, bronchite aiguë), il faudrait établir 48
189
protocoles différents : U (espèces) X 2 (états mat. prem.) X 2 (modes prép.) X
3 (affections). Chacun de ces protocoles est susceptible de subir différents
tests : action sur des fractions sub-cellulaires ou des cellules isolées, sur
organes isolés, sur animal vivant ou sur microorganismes (impliqués dans les
pathologies pulmonaires) ; ces tests offrent à leur tour une très grande
variété de choix (du type de cellules au choix de l'organe cible, à l'espèce
animale etc.) ; il reste à établir le choix des traitements en aiguë ou en
chronique et les marqueurs de la guérison.
Le nombre de combinaisons théoriquement possibles entre tous ces éléments
protocolaires pour un seul usage s'élève très rapidement au dessus du millier.
Et si l'on peut, à la rigueur, envisager d'épuiser toutes les combinaisons
possibles à propos d'un usage, il est définitivemnet exclu que l'on procède
ainsi sur la totalité d'une pharmacopée. Combien, en effet, faudrait-il
d'essais différents pour tester une pharmacopée vernaculaire, même
relativement restreinte (environ deux cents espèces, ou quatre à six cents
usages différents selon la définition que l'on en donnera) comme celle que
nous avons recueillie en Cévennes ?
En pratique, le pharmacologue devra choisir un nombre restreints de protocoles
de test. La pertinence d'un tel choix repose avant tout sur la précision des
données de terrain, sur l'éventuelle possibilité de recueils complémentaires,
il exige, en un mot, la collaboration de l'ethnographe. On sait combien, en
pratique, la publication des données de terrain ne donne de celles-ci que des
squelettes réduits au minimum (et pas forcément "l'essentiel" du point de vue
de ceux, en aval, dont il est impossible d'anticiper toutes les questions). Il
est donc parfois possible de puiser dans les notes de terrain, dans les
enregistrements, voire dans la mémoire de l'enquêteur, devenu "informateur"
pour l'occasion, les détails que les compte-rendus ont ignoré.
C'est dans ces phases de test que l'on s'aperçoit vraiment de la valeur de
l'apport du médecin lorsqu'il a pu, sur le terrain, collaborer avec
l'ethnographe ; dans le meilleur des cas, il aura pu poser lui-même un
diagnostic dans le langage médical, désignant ainsi avec plus de sûreté la ou
les affections pour lesquelles les plantes ont été utilisées. Mais ces cas
idéaux restent les plus rares. Il faut, le plus souvent se contenter de la
description indigène du mal, du remède et de ses effets, car si la
collaboration d'un médecin suffisamment formé à l'ethnographie pour ne pas
perturber l'enquête par la projection de son propre savoir, ou, pire encore,
par le mépris pour ces thérapeutiques autres, n'est pas toujours acquise, bien
des usages sont, en outre, répertoriés sans observation directe. Fort
heureusement, l'ethnographe ne côtoie pas constamment des personnes atteintes
de broncho-pneumonies ou de pleurésies. Il recueille par conséquent dans la
plupart des cas, des récits concernant le mal, son devenir et ses remèdes.
Ce sont des récits qu'il faut examiner de plus près, et il est certain qu'un
contact permanent avec un terrain donné peu permettre d'y revenir à plusieurs
reprises recueillir des précisions rendues nécessaires par les contraintes du
laboratoire.
3.2. Réduire l'incertitude.
190
L'échange qui s'instaure entre le laboratoire et le terrain, pour cette
première phase de tests, conduit donc tout d'abord à la formulation
d'hypothèses quant à l'affection en cause, quant au type d'action à rechercher
et quant au protocole de test, qui ont pour objectif de réduire, de façon
contrôlée, l'éventail des choix possibles.
La littérature pharmacologique ou pharmacognosique contribuera dans un grand
nombre de cas à l'orientation des recherches, mais elle doit être maniée avec
précaution. Ce n'est, en effet pas parce que l'on a constaté telle ou telle
activité chez une plante donnéee, que d'autres activités sont à exclure ; des
essais ayant donné des résultats négatifs pour une activité donnée,
n'entraînent pas que des résultats positifs ne puissent pas être obtenus dans
des conditions de test différentes ; enfin, rares sont les espèces dont on
peut dire que leur chimie est connue de façon exhaustive, mais encore plus
rares sont celles dont la pharmacologie est complètement décrite. On est
surpris de constater la méconaissance, voire l'absence de travaux de
pharmacologie, de nombreuses plantes médicinales traditionnelles françaises.
Lorsque les données manquent totalement, ce qui est le cas surtout pour des
espèces exotiques participant de flores peu étudiées, la chemotaxonomie peut
fournir des indications permettant de formuler des hypothèses opérationnelles
: les espèces appartenant à un même genre, voire à une même famille botanique,
pourront avoir en commun un certain nombre de substances dont certaines
peuvent orienter la recherche vers un type d'activité donné. (10).
En un mot, ce que l'évaluation pharmacologique tente d'établir dans le langage
et selon les procédures propres de la pharmacologie, ce sont des rapports
intelligibles entre un extrait (caractérisé par l'identification d'une ou
plusieurs molécules pas forcément responsables de l'activité) et un (des)
effet(s) biologique(s), ce qui n'équivaut en rien à un jugement sur la
validité de l'usage vernaculaire. Celui-ci à l'évidence se déroule selon des
procédures, dans des contextes culturels qui sont radicalement hétérogènes par
rapport à la pratique de la pharmacologie et rigoureusement impossibles à
reconstituer dans le cadre du laboratoire.
1.3. Le laboratoire et la mise à l'épreuve du remède vernaculaire.
L'étude de laboratoire se propose d'éprouver l'efficacité thérapeutique du
remède traditionnel. Le pharmacologue recherchera l'effet pharmacologique d'un
extrait végétal à l'aide de techniques modernes chez l'animal, sur organe, sur
cellule isolée ou sur fraction subcellulaire. Un extrait sera réalisé en
s1inspirant le plus possible du mode de préparation traditionnel, notamment
dans le choix de la partie de la plante utilisée, fraîche ou sèche, dans le
choix du solvant, eau ou alcool, et dans le choix de la température et du
temps d'extraction. La préparation de l'extrait est une étape fondamentale
qui, par négligence, conduira l'expérimentateur à negativer la réponse
biologique. L'extraction consiste à extraire par solubilisation certaines
substances actives de la plante et à éliminer le ballast devenu alors inutile
; car si une plante est une entité botanique avec ses caractéristiques
microscopiques et macroscopiques, elle n'est en aucun cas une entité chimique
et encore moins une entité pharmacologique. C'est un extrait bien défini,
précisant la partie de la plante, le mode de préparation, la caractérisation
chimique et le protocole d'administration, qui constitue l'entité
pharmacologique.
191
L'extraction des substances actives met en oeuvre deux protagonistes : la
matière première et le solvant ; les techniques d'extraction mettront à la
disposition des scientifiques des appareillages simples ou complexes qui
favoriseront les contacts et les surfaces d'échange entre la plante souvent
réduite en poudre et le solvant qui selon ses propriétés spécifiques dissoudra
des substances hydrosolubles ou liposolubles. L'eau, l'alcool, le lait ou
l'huile sont des solvants traditionnels ; aux laboratoires ce sont
essentiellement des solvants aqueux ou hydro-alcooliques. La température et le
temps de contact sont des facteurs d'extraction qui influent fortement sur
l'activité pharmacologique : il ne viendrait à personne l'idée de préparer un
café par macération 24 heures dans l'eau froide, la tradition recommande la
percolation à chaud. L'homme du laboratoire dispose ainsi de la macération
(temps de contact important), l'infusion ou la décoction (plantes et solvant
maintenu en ebullition) et des appareils comme le soxhlet qui consiste à
percoler la poudre de plante par un solvant recyclé et obtenu par evaporation
et condensation.
L'intérêt de l'extraction est l'obtention de principe actif sous un volume
réduit facilement assimilable ou l'élimination de substances toxiques : la
toxicité de la graine de ricin est foudroyante, pourtant l'huile obtenue par
simple pression à froid des graines fournit un médicament laxatif car la
ricine toxique, insoluble dans l'huile, reste dans les tourteaux.
Cet extrait sera alors soumis à différentes techniques pharmacologiques
permettant d'évaluer l'activité thérapeutique mentionnée par les informateurs.
On s ' attachera dans un premier temps à mettre en évidence une activité
pharmacologique, sédative par exemple, anti-inflammatoire ou antalgique. Dans
un deuxième temps on évaluera les relations doses/effets et les relations
effets-temps, puis les effets secondaires. Enfin, dans la mesure du possible,
on tentera de rechercher le mode d'action de l'extrait. Ces techniques de
laboratoire exigent la compétence du pharmacologue, du chimiste, du
biologiste.
Lorsqu'il existe une coopération préalablement définie entre l'ethnologue et
le pharmacologue, lorsque des convergences suffisantes attestent de l'intérêt
de l'étude de l'espèce, lorsque les précautions élémentaires de méthodologie
de terrain et de pharmacologie ont été respectées, les résultats obtenus sont
surprenants. En effet, pour ce qui est de l'étude particulière dont il est
fait mention ici, les plantes expérimentées dans notre laboratoire ont montré
des activités thérapeutiques qui confirment, dans environ 75 7. des cas,
l'usage traditionnel dans le domaine des sédatifs, des analgésiques, des
diurétiques ou des hépatoprotecteurs.
La Mélisse (Melissa officinalis L. ) est une plante calmante de la médecine
traditionnelle française, les propriétés sédatives d'un extrait
hydroalcoolique de feuilles fraîches, obtenu par macération à froid, ont été
démontrées chez la souris ; la racine de Fenouil (Foeniculum Vulgare P.
Miller) était réputée diurétique en médecine grecque et en médecine
traditionnelle française sous forme de vin médicinal ; seuls les extraits
hydroalcooliques qui requièrent le pouvoir solvant de l'alcool sont
diurétiques chez le rat, alors que les extraits aqueux demeurent inactifs.
Chez le Romarin (Rosmarinus officinalis L.) ce sont les extraits aqueux ou
hydroalcooliques, obtenus par infusion et macération, des jeunes pousses qui
sont la partie de la plante la plus efficace, en stimulant la cholérèse, la
diurèse et en révélant une puissante action anti-radicaux libres. Dans chaque
192
cas c'est l'extrait qui représente une entité pharmacologique mettant en jeu
les rôles de la plante et du mode opératoire (11). Euphorbia hirta L., une
petite plante herbacée très communément utilisée en Afrique a montré des
propriétés antalgiques supérieures à celles de l'aspirine ou du paracematol
(12).
Comparé à des médicaments moléculaires de référence les extraits végétaux se
révèlent être dans bien des cas au moins aussi efficace. Mais l'absence
d'activité pharmacologique d'un extrait déterminé ne permet en aucun cas de
conclure à l'inactivité de l'espèce, car l'approche pharmacologique de la
plante est réductioniste par nature. Les spectres pharmacologiques d'une
espèce et même d'un extrait sont très larges et un effet biologique sur un
système est rarement isolé ; en effet chaque fois qu'un travail très
consistant a été consacré à une seule espèce, dans le cadre d'une thèse par
exemple, on s'aperçoit que celle-ci possède 3 ou A propriétés
pharmacologiques, certaines étant plus marquées, d'autres étant considérées
comme des effets secondaires, l'ensemble de ces effets ne regroupant pas
forcément les données du terrain ; c'est le cas d'Euphorbia hirta qui est
analgésique, sédative et anti-inflammatoire (12). La découverte d'une molécule
et de son site récepteur, si confortable soit-elle pour notre esprit cartésien
ne saurait masquer l'incroyable complexité entre les systèmes : la biochimie
et la pharmacologie, arrivent par empilements successifs de systèmes simples
et par le jeu des interactions multiples à approcher le complexe. Le schéma une plante un effet- est une vue de l'esprit mais dans le spectre d'activité
pharmacologique d'une espèce il est possible de hiérarchiser les effets et de
définir une entité : un extrait, un effet dominant.
I.à.
Les objectifs du travail de laboratoire
On peut classer ces objectifs en trois grands groupes :
Le premier, qui s'inscrit dans une approche fondamentale, est l'élaboration
d'une classification des extraits végétaux en fonction de leur activité
thérapeutique et de leur efficacité ; le point de départ pour le choix de
l'activité pharmacologique à rechercher, ou de l'organe cible, est indiqué par
des données du terrain (l'usage) qui seront interprétées ou transposées en
indications thérapeutiques avec les précautions que ce type de procédés
nécessitent.
Le second objectif, plus classique, consiste à approfondir la compréhension
des mécanismes d'action de l'extrait ; on fait alors appel à des techniques
pharmacologiques complémentaires, à un fractionnement éventuel et une
identification des composés de l'extrait. C'est une des voies de recherche
permettant la découverte de nouveaux médicaments à base d'extraits
("phytomédicaments"), ou de molécules contribuant à améliorer l'arsenal
thérapeutique ; il s'agit bien sûr de voies de recherche distinctes. En effet,
une molécule isolée ne présente pas les mêmes caractéristiques qu'une molécule
insérée dans son environnement chimique (l'extrait).
Le troisième groupe d'objectifs s'inscrit dans une approche appliquée : il a
pour finalité de recenser les plantes utilisées en médecine populaire,
d'estimer l'intérêt thérapeutique de ces espèces à la lumière des
193 •
connaissances non seulement phannacologiques mais également cliniques, et de
mettre à la disposition des populations les résultats de ces travaux.
La pharmacologie va en quelque sorte permettre de donner une "contribution
scientifique" à l'amélioration d'un usage pour une espèce dont l'efficacité
est démontrée. Parfois, au contraire il s'agira de mettre en garde les
populations vis à vis d'espèces toxiques, ou d'effets indésirables que la
pratique locale à faible échelle peut s'avérer incapable de détecter.
h. Du laboratoire au terrain.
On pourrait être tenté, à la vue des activités phannacologiques remarquables
obtenues par la démarche ethnopharmacologique, de promouvoir, à partir de
données vernaculaires, les usages traditionnels de nombreuses espèces. Or,
chaque plante est un cas particulier, voire unique, et doit être étudiée
individuellement. Certaines peuvent s'avérer toxiques, d'autres sont actives à
faibles doses, d'autres à des doses plus fortes, d'autres nécessitent pour
l'obtention d'une activité thérapeutique l'utilisation d'un solvant
hydroalcoolique, d'autres enfin ne sont actives que dans les solvants aqueux.
Seule l'expérimentation permettra de donner des garanties suffisantes
d'efficacité thérapeutique.
à.l.
L'Ethnopharmacoloeie : tradition et innovation
L'ethnopharmacologie, nous l'avons dit pour commencer, tente de mettre en
relation la tradition et l'innovation, pour la mise au point des médicaments
de demain. Les perspectives sont des plus encourageantes : à un moment où la
recherche pharmacologique de nouvelles substances utiles au moyen de la
synthèse chimique connaît un certain essouflement, l'ethnopharmacologie sera
en mesure de fournir aux pays occidentaux, aux côtés des biotechnologies et du
génie génétique une partie des médicaments de l'an deuxraille.La nouvelle
législation sur les spécialités à base de plantes (AMM adaptées," B.O. 86/20
bis) a déjà permis un certain assainissement du marché, évitant ainsi les
abus, le manque de sérieux et les risques toxiques liés à la vente de produits
d'origine exotique, pour lesquels toutes les garanties n'auraient pas été
apportées. Cette législation constitue un progrès considérable dans le domaine
de la phytothérapie car, tout en reconnaissant le bien fondé de la tradition,
elle instaure des contrôles chimiques et toxicologiques (pour certains types
d'extractions) et garantit en quelque sorte la conformité et l'innocuité du
produit. La législation évoluera certainement car le problème de l'efficacité
thérapeutique reste posé : on comprendra que l'activité pharmacologique est
liée non seulement au choix de l'espèce dans un premier temps, mais aussi au
choix de la partie de la plante, du mode d'extraction et de la forme
galénique. L'un des objectifs de l'ethnopharmacologie qui consiste à établir
une classification des extraits en fonction de leur activité, correspond tout
à fait à la demande actuelle, tant de la part des prescripteurs que de celle
des autorités ou des utilisateurs.
194 "
L'ethnopharmacologie ouvrira aux pavs en voie de développement des
perspectives nouvelles leur permettant de trouver dans leur environnement et
grâce à l'étude de leur médecine traditionnelle les plantes nécessaires à
l'élaboration des phytomédicaments. Aujourd'hui environ 80 % des 5 milliards
d'habitants qui peuplent la planète ont essentiellement recours aux médecines
traditionnelles, avec leurs spécialistes (tradipraticiens, sage-femmes) et
leur ensemble de pratiques populaires, pour satisfaire leurs besoins de santé
primaire. L'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) recommande aujourd'hui aux
pays en voie de développement, dont la situation sanitaire n'a cessé de se
dégrader depuis les années soixante, d'initier des programmes concernant
l'identification, la préparation, la culture et la conservation des plantes
médicinales utilisées dans leurs médecines traditionnelles. Des programmes
visant à évaluer la qualité de ces remèdes à l'aide de techniques modernes
sont également recommandés. Ces recommandations coïncident avec les objectifs
fondamentaux de la Société Française d'Ethnopharmacologie. Les nouvelles voies
de recherche, favorisant l'émancipation des pays en voie de développement dans
le domaine de la santé, devraient leur permettre de réduire les coûts
prohibitifs de l'importation de certaines classes pharmacologiques. A ce sujet
l'AMM adaptée (Autorisation de mise sur le marché) constituera sans aucun
doute un modèle, car la plupart des pays en voie de développement ne disposent
pas d'une législation prenant en considération les pratiques traditionnelles.
Aujourd'hui de nombreuses publications scientifiques démontrent l'activité
pharmacologique d'extraits végétaux, mais il faut reconnaître qu'il est
souvent difficile de comparer l'efficacité thérapeutique des plantes diverses
ou les différentes préparations d'une même espèce, car les techniques
d'évaluation varient d'une étude à l'autre. C'est pour cette raison que la
Société Française d'Ethnopharmacologie a organisé le 1er colloque européen
d'ethnopharmacologie qui fut en partie consacré aux méthodes d'évaluation
toxicopharmacologique et aux méthodes de terrain (13).
L'ethnopharmacologie répond au besoin qui se manifeste un peu partout de par
le monde, de se soigner selon des thérapeutiques qui permettent au malade de
donner un sens à son mal et de trouver dans sa propre culture les moyens de
comprendre le choix des remèdes qu'on lui prescrit.
Au sein du monde occidental lui-même la connaissance de la longue chaîne de
traditions qui va des médecines savantes les plus anciennes à la médecine
actuelle, permet de fonder une attitude qui associe le maintien des savoirs
anciens à l'ouverture sur l'avenir et débouche sur une prudence équilibrée
hautement profitable pour tous.
A.2. L'ethnopharmacologie : une nouvelle science interdisciplinaire créée par
agrégation de compétences.
L'objet que se donne l'ethnopharmacologie, on peut maintenant tenter de le
décrire comme l'étude scientifique interdisciplinaire de l'ensemble des
matières d'origine végétale, animale ou minérale, et des savoirs s'y
rattachant, que les cultures vernaculaires mettent en oeuvre pour modifier les
états des organismes vivants.
195 -
L'ethnophannacologie presentera d'emblée des caractéristiques originales, si
on la compare à d'autres domaines de recherches. Le mouvement qui voit les
disciplines scientifiques modernes se constituer au sein et sur la base de
savoirs préexistants s'analyse, si on l'examine de plus près, en un certain
nombre de processus précis : systématisation, formalisation et
professionnalisation croissantes. Une vue rapide ajouterait à ceux-là le
processus de spécialisation. En effet, dans la plupart des cas, la
constitution d'une nouvelle discipline s'opère par découpage, à l'intérieur
d'un champ plus large tenu auparavant par une discipline plus ancienne, d'un
sous-domaine toujours plus étroit de problèmes, de méthodes et d'objectifs.
Cependant, si les trois premiers processus sont toujours à l'oeuvre, certaines
disciplines se constituent non pas par spécialisation, mais à travers le
processus inverse d'agrégation de compétences. Les compétences requises pour
l'ethnophannacologie sont celles des ethnologues, des botanistes, des
pharmacologues, des médecins, des historiens, des linguistes... bref de toutes
les disciplines qui sont impliquées dans la définition présentée ci-dessus.
Les exemples de ce second type de processus sont plus rares que ceux qui
répondent au principe classique de la spécialisation, car ce dernier
représente la continuité "normale" de l'approfondissement des connaissances à
l'intérieur d'un cadre conceptuel donné, tandis que la constitution de
nouvelles disciplines par agrégation de compétences se réfère dans tous les
cas à l'ouverture de nouveaux "chantiers" scientifiques, à la définition
d'espaces de problèmes nouveaux, que les disciplines existantes ne sont pas à
même de saisir en tant que tels, bien que leurs acquis propres apparaissent
comme des conditions nécessaires à la définition des nouveaux objets, des
nouvelles problématiques, des nouvelles méthodologies, par quoi se définira ia
discipline naissante.
Ce qui définit ces "nouveaux chantiers", c'est donc d'une part la multiplicité
des compétences indispensables à l'élaboration ne fût-ce que du projet
scientifique, et d'autre part l'incapacité reconnue de chacune de ces
spécialités à assumer à elle seule ce nouveau projet.
Mais nous avons vu que tel est le gage du potentiel considérable de la mise en
relation des savoirs d'ordre si différent, d'une si immense complexité, tant
pour ce qui est de l'ordre de la connaissance elle-même, que des applications
utiles au plus grand nombre.
Société Française d'Ethnopharmacologie
1, rue des Récollets. 57000 - METZ - FRANCE.
1. - La Recherche N° spécial "50e Anniversaire du CNRS" Supplément au numéro
208, 1989.
2. - FARNSWORTH N.R., and KAAS C.J., "An approach utilizing information fron
traditional medicine to identify tumorinhibiting plants", Journal of
Ethnopharmacology, 3 (1981), p. 92.
3. - POPPER K. La logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1984,
p. 36.
196
-
h. - FLEURENTIN J. et YOUNOS C , La médecine islamique, Encyclopédie des
médecines naturelles, éditions techniques, Paris, sous presse, 1991.
5. - VERAIN A., acte du 1er Colloque Européen d'EThnopharroacologie S.F.E. Metz
1990.
6. - Il va de soi que, dès lors qu'on admet que des biologies différentielles
existent, celles-ci ne sauraient partager l'humanité en deux groupes simples,
loin de là ; on se limite dans cette formulation, à suivre la façon dont la
question est d'abord apparue, qui ne fait que suivre les découpages précritiques du sens commun.
7. - Cf. notamment ROBBINS W.W., HARRINGTON J.P., FREIRE-MARRECO B.,
Ethnobotany of the Teva Indians, Smithsonian Institution, Bull. n° 55,
Washington, Gvt. Printing Office, 1916; p. 1.
8. - Données recueillies en Cévennes méridionales, 1985, 1986 DOS SANTOS J.R.,
"Les plantes, du sang et des Cévennes", in Savoirs, Matériaux pour une
anthropologie des savoirs, n° 1, juin 1988, pp. 98-132.
9. - Ces quatre espèces sont les suivantes : Imperatoria ostruthium L.
(Peucedanum ostruthium Koch), Aegopodium podagraria L., Levisticum officinale
Koch, Ranunculus aconitifolius L.
10. - GOTTLIEB O.R., "Ethnopharnacology versus chemosystematics in the search
for biologicallv active principles in plants", Journal of Ethnopharmacoiogy, 6
(1982), pp. 227-238.
11. - FLEURENTIN J. et PELT J.M. Les plantes médicinales, La Recherche, 1990,
21, 810-818.
12. - LANHERS M.C. Contribution à l'étude ethnopharnacologique et étuüe
pharmacologique d'Euphorbia hirta L. : propriétés psychotropes, analgésiques,
anti-pyrétiques et anti-inflammatoires. Thèse Université de Metz, 1990.
13. - Actes du 1er Colloque Européen d'Ethnopharmacologie, S.F.E., Metz, 1990.
197
LES TEMPS MODERNES DE LA MEDECINE VEGETALE
Francis LAMBERT - Phytothérapeute
Véritable phénomène de société, l'enouement actuel pour la médecine "verte", qui
s'appuie sur une tradition millénaire, a fait maître de nouvelles formes de
produits pharmaceutiques. L'empirisme a cédé le pas à la science...
Le remède végétal est sans doute aussi ancien que la conscience humaine. Savoir
empirique, il se transmettait autrefois oralement et constituait l'essentiel de
la médecine populaire. Mais savons-nous qu'aujourd'hui encore les trois quarts
de l'humanité bien qu'ayant souvent accès aux thérapeutiques modernes, préfèrent
s'adresser en priorité aux plantes telles que les présentent les médecines
traditionelles ou locales... et que même dans notre société industrielle, plus
de 40% des médicaments sont d'origine végétale ?
Cependant, la tradition se perd : les progrès de la médecine et de la pharmacie,
combinés à l'avènement des sociétés urbaines, font de la santé dans les pays
développés une affaire de spécialistes. En matière de plantes, les conseillers
précieux qu'étaient les herboristes ont peu à peu disparu en France, depuis la
suppression de leur diplôme en 1941. Ont-ils vraiment été remplacés ?
Parallèlement, le savoir empirique, discrédité s'est évanoui, le pouvoir médical
est devenu tout puissant parfois au détriment d'une bonne information des gens
sur leur corps et la maladie. Tout ceci a contribué largement de ces dernières
années pour les "Médecines douces", et la Phytothérapie en particulier : on
s'inquiète à juste titre des effets secondaires de nombreux médicaments
(corticoïdes...), on dénonce l'utilisation trop massive des antibiotiques, des
somnifères, des anti-dépresseurs..., on recherche , un peu confusément parfois
des remèdes plus "naturels" et une information plus complète sur la santé.
Actuellement, près de 80% des motifs de consultation chez le médecin se passent
aisément de l'arsenal des médicaments classiques. Preuve s'il en est que la
Phytothérapie mérite de retrouver une place de choix à côté des autres
thérapeutiques existant aujourd'hui.
Du bon usage des plantes médicinales.
Attention aux plantes toxiques (tout ce qui est naturel n'est pas forcément bon
m)
Apprenez à reconnaître les plantes les plus toxiques, pour éviter tout risque
d'accident. Les enfants, en particulier, peuvent être attirés par des baies
sauvages (Belladone, Bryone, Douce-Amère...) qui ressemble à des fruits
comestibles. Attention également aux surdosages en thérapeutique, qui peuvent
être dramatiques avec certaines plantes comme la Digitale, ou des huiles
essentielles telles que les huiles essentielles de Sauge, d'Hysope...
D'une façon végétale, se méfier des erreurs de dosage même avec des plantes
réputées peu toxiques ; leur action sur l'organisme peut en être totalement
modifiée. Par exemple, le Tilleul, pris à trop forte dose, empêche de dormir.
Certaines plantes doivent s'employer en cures discontinues si on les consomme
sur une trop longue période, le Fumeterre peut engendrer une anémie brutale, la
reine-des-Prés peut entraîner des hémorragies...Avec ce type de plantes, on
conseillera des cures de 2 à 3 semaines, espacées par 2 semaines d'arrêt. Faire
bouillir ou non les plantes à tisane ? Cela dépend surtout de la partie de la
plante utilisée. En général : On fait bouillir (décoction 10 à 15 mn) les
racines, écorces, tiges, fruits, et graines ; On ne fait pas bouillir (infusion
5 à 10 mn) les fleurs et les feuilles, sauf parfois pour l'usage externe ou pour
des raisons d'aseptie (bains d'yeux par exemple).
Certains principes actifs des plantes sont détruits par l'ébulition (Reine-desPrés, plantes aromatiques...).
Employer des plantes fraîches ou sèches ?
198
La gemmothérapie.
C'est une branche de la phytothérapie qui utilise les organes végétaux en voie
de croissance (bourgeons, jeunes pousses, radicelles...). Ces parties de plantes
possèdent des propriétés particulières, parfois très distinctes de celles de la
plante adulte. Leurs principes actifs sont extraits dans un mélange d'alcool, de
glycérine et d'eau et sont commercialisés sous le nom de Macérats glycérines,
dilués au 1/10.
Souvent associés à des préparations plus classiques de plantes, les remèdes
gemmothérapiques ont beaucoup accru le champ d'action des plantes médicinales.
C'est ainsi que le Cassis, dont les feuilles adultes sont diurétiques et
antirhumatismale, devient, grâce à ses bourgeons, le grand remède
gemmothérapique de l'allergie (par stimulation des glandes surrénales).
Beaucoup d'autres plantes (Marron d'Inde, Bouleau, Sequoia, Ronce, Chêne...)
sont maintenant utilisables en gemmothérapie dans des affections aussi diverses
que l'arthrose, les rhinopharyngites, les cystites, les fibromes, l'eczéma, les
troubles veineux...
Relancer la production Française.
Alors que le marché des plantes médicinales et aromatiques est en pleine
expansion, 80% des plantes consommées en France sont importées. Les pays à main
d'oeuvres bon marché ou a économie planifiée font la loi, en imposant des cours
très bas à la production, pour une qualité générale médiocre. Les agriculteurs
français, souvent isolés, ont du mal à rentabiliser leur production. Pourtant
les possibilités de relance sont réelles : des projets menés dans plusieurs
régions françaises montrent qu'il est possible, en regroupant des producteurs
(coopératives, CUMA), en mécanisant les cultures et en valorisant la qualité des
plantes, de reprendre une part importante de ce marché dans les années à venir.
La phytothérapie moderne une médecine de terrain qui utilise le totum des
plantes.
Alors que les médicaments classiques tendent de plus en plus à la dissociation,
à l'action d'une substance isolée et purifiée sur un symptôme bien précis, la
phytothérapie préfère employer la plante en l'état ou son extrait total, dont
l'action est plus globales et mieux tolérée par l'organisme. En effet, la plante
est un ensemble synergique complexe, équilibré, dont l'effet ne peut être
assimilé à celui d'un ou plusieurs de ses constituants isolés. C'est
l'expérience clinique qui a montré cette différence et qui permet aujourd'hui
d'élargir et préciser le champ d'action des plantes médicinales en thérapie.
D'autres part, des travaux récents ont montré qu'on peut employer les plantes
dans le cadre d'une véritable Médecine de terrain, ou on ne se contente pas de
lutter contre les syptôtmes d'une maladie mais où on cherchera également à en
traiter les causes. Souvent, celles-ci sont liées à un déséquilibre des systèmes
neuro-végétatifs et endocriniens. On assiciera donc dans le traitement
phytothérapique des plantes à visées symptomatique, des plantes agissant sur le
terrain neuro-endocrinien du malade et des plantes de soutien des organes-cibles
associés (foie, rein, peau, intestin, pancréas). Le développement actuel de ce
type de thérapeutique est très prometteur.
Aujourd'hui les médicaments à base de plantes font l'objet d'études
biochimiques, pharmacologiques, toxicologiques et cliniques avant de recevoir
l'A.M.M., l'Autorisation de Mise sur le Marché. Ces expériences révèlent ou
confirment des propriétés thérapeutiques très souvent connues de nos ancêtres.
199
Les "remèdes de bonne femme" sont passés dans le champ de la science, depuis
l'étude systématique des composantes de la plante ("screening"), jusqu'à la
phytothérapie informatique. Celle-ci permet de mesurer une soixantaine de
paramètes sur des serums sanguins de patients. L'ordinateur dégage alors un
profil biologique, avec concordance des plantes à prescrire.
Selon une récente enquête de la SOFRES :
Récolte et conservation des plantes : Quelques conseils
Soyez certain de bien identifier les plantes que vous récoltez vous-même. Aidezvous en cela d'une flore illustrée. En cas de doute, prenez l'avis d'un
spécialiste.
Ne récoltez que des plantes, en bon état, poussant dans des endroits non pollués
(évitez les bords de route, les zones industrielles, les terres agricoles
cultivées intensivement).
Faites vos cueillettes par temps sec, les plantes se conserveront mieux.
Cultivez vous même si possible quelques espèce dans votre jardin : vous
constituer plus facilement une petite herboristerie familiale de'basé^*Respectez
les époques optimales de récolte en fonction des parties de plantes utilitées.
On récoltera ainsi :
- l'écorce et le bois en hiver
- les parties souterraines en automne ou au début du printemps - les tiges en
automne
- les feuilles avant la floraison de la plante
- les fleurs un peu avant leur plein épanouissement
- les sommités fleuries pendant la période de floraison
- les bourgeons à la fin de l'hiver
- les fruits et graines à maturité.
- 12 millions de Français utilisent des produits à base de plantes pour se
soigner.
- 27% de la population adulte fait aujourd'hui confiance à la médecine par les
plantes.
- 61% des Français la jugent aussi efficace que l'allopathie.
- 87% disent qu'elle est plus naturelle.
- 64% disent qu'elle est mieux tolérée.
- 69% des utilisateurs achètent ces produits en pharmacie.
- 47% des achats de produits de phytothérapie en pharmacie font suite à la
délivrance d'une ordonnance par une médecin.
- 64% des consommateurs sont des femmes.
200
Lexique des propriétés des principales plantes médicinales
Adoucissantes :
ces plantes ont la propriété de ramollir les tissus et de calmer l'inflammation.
Certaines sont dites aussi émollientes.
Ex. mauve, guimauve, bourrache, bouillon blanc...
Amères :
dites encore aperitives elles stimulent l'appétit et facilitent la digestion en
agissant sur les glandes et organes digestifs.
Ex. gentiane, houblon, chicorée sauvage...
Antispasmodiques :
elles apaisent les contractions douloureuses des muscles et des organes.
Ex. camomille, mélilot, menthe, mélisse...
Aphrodisiaques :
elles auraient une action stimulante sur les fonctions sexuelles.
Ex. céleri, canelle, gingembre, safran...
Béchiques :
elles calment la toux et les irritations des voies respiratoires;
Ex. capillaire, tussilage, violette, hysope...
Calmantes :
dites encore sédatives, elles diminuent l'excitation du système nerveux et
facilitent le sommeil.
Ex. tilleul, passiflore, valériane, saule, oranger...
Candiotoniques :
elles stimulent les contractions cardiaques, régularisent et ralentissent le
rythme. Toutes sont très toxiques si les doses sont excessives.
Ex; digitale, scille, muguet...
Carminatives :
elles favorisent l'expulsion de la bile.
Ex. artichaut, boldo, camomille, romarin...
Cholérétiques :
elles excitent et augmentent la sécrétion biliaire.
Ex. romarin, pissenlit...
Dépuratives :
elles favorisent l'élimination des déchets de l'oganisme
Ex. fumeterre, bardane, pissenlit, salsepareille...
Digestives :
elles facilitent la digestion.
Ex. sauge, serpolet, verveine...
Diurétiques :
elles augmentent la quantité d'urine.
Ex. queues de cerises, chiendent, frêne, bouleau...
Emménagogues :
elles régularisent les règles.
201
Ex. absinthe, armoise...
Fébrifuges :
dites encore antipyrétiques et antithermiques, elles font baisser la fièvre.
Ex. camomille, chardon béni saule, petite
centaurée...
Galactogène :
elles favorisent la sécrétion du lait maternel.
Ex. cumin, fenouil.
Laxatives :
elles facilitent l'évacuation de l'intestin.
Ex. bourdaine, psyllium, rhubarbe, guimauve...
Pectorales :
les plantes pectorales rassemblent les espèces qui soulagent les maladies
bronchiques et pumonaires. Outre les plantes béchiques, on y trouve des plantes
qui facilitent l'expectoration, c'est-à-dire le fait de cracher.
Ex. bouillon blanc, eucalyptus, tussilage...
Purgatives :
ce sont des plantes laxatives utilisées à plus haute dose ; elles sont souvent
irritantes pour l'intestin.
Ex. séné, cascara, boudaine, scammonée...
Stomachiques :
elles facilitent le travail de l'estomac.
Ex. camomille, menthe, verveine, oranger, romarin...
Tonicardiaques :
elles aident au travail du coeur et des artères.
Ex. aubépine, genêt à balai, mélisse, menthe...
Toniques veineux :
elles ont une action favorable sur la tonicité des parois verneuses.
Ex. hamamélis, vigne rouge, marrons d'Inde...
Vermiguges :
elles provoquent l'expulsion des vers intestinaux : ascaris, oxyures, ténias.
Ex. courge, ail...
Vulnéraires :
elles facilitent la guérison des contusions.
Ex. arnica...
202
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