yapplique l’œillet froid métallique. Pendant que je frémis de
la peau, je regarde ses cheveux noirs, lisses, courts. Ils enca-
drent le visage. Après chacun de ces attouchements, elle donne
àvoix haute mais pas forte, en tournant la tête de trois quarts,
des indications qu’une autre dame reporte sur un formulaire.
Finalement, dernière opération et juste pour vérification,
—je le vois bien que c’est juste pour vérification, à la
manière machinale de le faire, de se soucier d’autre chose en
même temps, mais qu’est-ce que cela change à l’affaire, rien,
il y a que je n’ai pas les yeux dans mes poches et je ne puis pas
toujours taire ce qu’ils voient —
elle tire de sa poche une montre et, la retenant par le bra-
celet de cuir noir, la colle contre mon oreille droite. «Entends-
tu le tic-tac ?». Je la regarde, comme à l’habitude, flash sur le
visage du vis-à-vis, oui, elle m’a demandé si j’ai entendu le tic-
tac. Je sais bien sûr ce qu’est un tic-tac, que les montres font
tic-tac, je l’ai lu, je l’ai entendu dire, etàla maison, dans la
salle à manger, il y a une horloge au balancier nonchalant. Elle
me demande si j’entends un tic-tac et je suis décontenancé.
Qu’on me demande, là, d’entendre quelque chose que je n’en-
tends pas. Que je n’entende pas ce que l’on me demande d’en-
tendre. Mais est-ce que j’ai bien entendu ce qu’elle m’a
demandé? Si elle me met la montre sur l’oreille, c’est pour que
j’entende le tic-tac. Et si elle me le demande expressément avec
des mots, il faut que je l’entende. Je fais des efforts. J’ausculte
l’horizon. Je voudrais attraper le son. Je n’yarrive pas. Je dis
non. Ce n’est pas un non affirmatif. Je ne sais pas si «non»
est approprié.
La doctoresse me regarde d’un drôle d’air.
Elle vérifie que sa montre fonctionne bien. Me la plaque à
nouveau sur l’oreille, plus fermement, plus fortement. Me
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