Francia-Recensio 2015/1
Mittelalter – Moyen Âge (500–1500)
Philip B. Baldwin, Pope Gregory X and the Crusades, Woodbridge (The Boydell
Press) 2014, XII–247 p. (Studies in the History of Medieval Religion, 41), ISBN
978-1-84383-916-3, USD 99,00.
rezensiert von/compte rendu rédigé par
Michel Balard, Paris
En dehors des ouvrages anciens, mais toujours utiles, de Norman Housley et de Sylvia Schein1, pour
lesquels le pontificat de Grégoire X ne constituait qu’une partie d’un vaste ensemble, aucun travail
récent n’avait été consacré à l’entreprise de croisade promue par ce pontife (septembre 1271–janvier
1276). C’est dire que l’ouvrage de Philip Baldwin vient heureusement combler une lacune
historiographique.
Contrairement à ses prédécesseurs qui voyaient dans la réunion du second concile de Lyon (1274) un
changement décisif dans l’organisation des croisades, l’auteur se propose de démontrer que la
préoccupation de la Terre sainte est au cœur de la politique de Grégoire X, dès le début de son
pontificat. Fort de ses talents diplomatiques et organisationnels et de son expérience qui l’a mené
avant 1271 en France, en Angleterre et surtout en Terre sainte, où il a appris son élection, le pape a
compris que seule l’union de l’Occident avec Byzance et les Mongols permettrait de sauver les États
latins de Syrie-Palestine. Après l’échec de la croisade de saint Louis, ceux-ci sont dans une situation
dramatique et ne peuvent résister à la reconquête mamelouke menée par Baybars. Certes Hugues III
de Chypre, roi de Jérusalem, a signé une trêve avec le sultan en 1272; le pape y voit le moyen de
gagner du temps pour préparer la croisade en réunissant nombre d’informations sur l’état de la Terre
sainte et en envoyant une intense correspondance aux souverains occidentaux – Philippe III roi de
France, Édouard Ier roi d’Angleterre, Alphonse X de Castille, Rodolphe de Habsbourg, roi des
Romains. Pour le financement de la croisade, il instaure une taxe de 10%, levée pendant six ans sur
les revenus des clercs. Il ne néglige pas pour autant les menaces des Mérinides contre l’Espagne
chrétienne et conçoit une vaste entreprise de croisade contre les musulmans, où qu’ils se trouvent.
Le plan du pape est résolument nouveau. Il comprend qu’il faut du temps pour organiser parfaitement
un passagium generale, mobilisant l’ensemble de l’Occident. Il veut donc envoyer des contingents de
mercenaires, des armes et des approvisionnements (passagium particulare), ce à quoi s’emploient
Charles d’Anjou avec l’appui pontifical et le patriarche Thomas Agni de Lentini, véritable maître d’Acre,
d’où le roi de Chypre et de Jérusalem est trop souvent absent. Grégoire X entend contrôler l’ensemble
des opérations dans ces deux étapes de la croisade envisagée. Il sait réfréner les ambitions
d’Alphonse X de Castille candidat au titre impérial, celles de Charles d’Anjou qui vise la reconquête de
1 Norman Housley, The Later Crusades. From Lyons to Alcazar, 1274–1580, Oxford 1992; Sylvia Schein, Fideles
cruces. The Papacy, the West, and the Recovery of the Holy Land, 1274–1314, Oxford 1991.
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Constantinople, et même celles du roi de France qui a fait vœu de croisade et se verrait bien chef de
l’expédition. L’auteur démontre que le pape n’a rien fait pour pousser Charles d’Anjou à racheter les
droits de Marie d’Antioche, contestant à Hugues III de Chypre le titre de roi de Jérusalem. Mais, trop
soucieux de diminuer l’importance du concile de Lyon dans l’organisation de la future croisade, il
n’accorde dans son ouvrage pas assez de place aux sessions du concile et à tous les mémoires qui
ont été composés à cette occasion par Gilbert de Tournai, Humbert de Romans, Guillaume de Tripoli
et Bruno d’Olmütz. Un concile qui, en voulant réaliser l’union des Églises, devait permettre à Michel
VIII Paléologue de participer à la croisade et d’échapper à la menace angevine.
Du côté de l’Occident, Grégoire X accorde à la Castille un appui constant dans les entreprises de la
Reconquista, qui revêt pour le pontife la même importance que l’expédition en Terre sainte: mêmes
indulgences pour ses participants, envoi d’argent pour soutenir le roi de Castille, tout en le réfrénant
dans ses ambitions impériales que finit par arrêter l’invasion mérinide dans le sud de l’Espagne en
1275. Alphonse X, qui s’apprêtait à envahir le nord de l’Italie est contraint de regagner son royaume,
après une entrevue avec le pape à Beaucaire. Les lettres pontificales prouvent que Grégoire X
accordait la même valeur méritoire à la croisade vers la Terre sainte qu’à celle menée par les
souverains ibériques.
Tant de préparatifs ne servirent à rien. La mort du pape en janvier 1276, la succession rapide de trois
autres pontifes, puis l’élection de Simon de Brie (Martin IV), fervent soutien de Charles d’Anjou,
détournèrent l’attention de Rome vers l’Italie et Constantinople, et firent oublier la Terre sainte.
L’analyse des registres pontificaux et des chroniques permet à l’auteur, dans un dernier chapitre, de
retracer ce qu’aurait pu être la croisade promue par Grégoire X. La liste des participants devait
comprendre Philippe III, pierre angulaire de l’expédition, les Grecs de Michel VIII Paléologue, Charles
de Salerne, fils de Charles d’Anjou, sinon le roi de Naples lui-même, Rodolphe de Habsbourg et
Ottokar de Bohême, alors qu’Édouard Ier et Alphonse X hésitaient beaucoup à s’engager. Les textes
laissent penser que le pape aurait participé personnellement à la croisade, dont le départ semblait
être prévu au milieu de l’année 1276, et la destination envisagée être la Syrie du Nord et la Palestine,
par un itinéraire terrestre, contrairement aux croisades précédentes dirigées vers l’Égypte par voie
maritime.
Fondé sur une étude exhaustive de la bibliographie et scrupuleuse des sources, l’ouvrage de Philip
B. Baldwin s’achève sur une remarque discutable: l’entreprise de Grégoire X marquerait la fin de la
croisade sous hégémonie pontificale. C’est oublier les efforts menés presque deux siècles plus tard
par Pie II pour dresser l’Occident contre la menace ottomane.
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