J’aurais pu vous dire d’un ton très docte que déjà la comédie
grecque antique se caractérisait par des intrigues ayant toujours
trait à la vie de la cité et qu’il arrivait souvent que l’on évoque les
personnalités politiques d’alors pour les brocarder.
J’aurais pu vous dire que Germaine Tillion, alors qu’elle était
déportée à Ravensbrück écrivit une opérette comique car pour
elle résister, c’était aussi se moquer de ses tortionnaires et faire
rire ses camarades et qu’elle disait que l’on pouvait rire même
dans les situations les plus tragiques car le rire est revivifiant.
J’aurais pu vous dire combien l’Humour est un genre artistique
important au Cameroun où il permet de dire bien des choses que
la censure n’autorise pas.
J’aurais pu aussi vous dire que Valéry Ndongo est devenu une
star au Cameroun, le roi de l’humour, son maître absolu et
qu’il forme de jeunes humoristes dans une dizaine de pays du
continent depuis plusieurs années.
J’aurais pu vous parler de Žanina Mirčevska, de l’histoire et de la
situation politique de son pays la Macédoine, de son incroyable
talent et de celui irrésistible de Patrick Verchueren et de sa troupe
de comédiens
J’aurais pu surtout vous dire que la période est bien sombre et
que tous, nous sombrons dans une dépression chronique dont
il nous faut parfois difficilement tenter de nous extraire et qu’il
est important de temps en temps de se divertir, de rire et de rire
encore et que, c’est bien connu, le rire est médecin.
Oui j’aurais pu vous dire tout cela mais je souhaite tout
simplement vous inviter à partager ces moments précieux et
privilégiés avec nous. Venez vous rassasier d’une bonne tranche
de rire, venez savourer un bon moment de théâtre, venez !
Valérie BARAN
SAUTES
D'HUMOUR
16 avril > 27 avril 2013
SPÉCIAL
SAUTES D'HUMOUR
n°14
VOIR PARIS
ET MOURIR
JEUNE
Valéry Ndongo
du 16 avril au 20 avril 2013
UN CONTEUR, QUATRE FUSIBLES ET UNE VALSE À MILLE KWATTS
Après James Black, acteur pas comédien et ses rêves en cinémascope, après Bienvenue
o kwatt et ses discussions animées des quartiers de Yaoundé, cette année, avec son
nouveau spectacle, Voir Paris et mourir jeune, Valéry Ndongo conte la destinée de
quatre candidats à l’exil, au départ.
Il y a là Tazo le petit braqueur qui rêve de Paris où il entend exploiter ses talents (et
pas seulement). Il y a Sophie, guidée par les mêmes paillettes, qui a plus d’un atour
dans… son sac et ne semble pas vouloir faire de la rétention… Il y a Louis Mathieu qui
souhaite faire le voyage dans l’autre sens, quitter la France et découvrir… lAfrique
avec un grand A et beaucoup de singulier ! Enfin, Chen Zian Wou, clandestin
embarqué dans un container en partance vers une autre destinée…
Une réflexion sur l’identité (inter)nationale, sur le départ et l’exil mais si le propos
est grave, le verbe est gouailleur et prête à rire.
Voir Valéry et mourir… de rire.
Bernard MAGNIER
© CorinneIlgun
Valéry NDONGO
> " UN GARS DU KWATT
QUI RÊVE TOUT HAUT DE FAIRE DU CINÉMA "
3
VOIR PARIS ET MOURIR JEUNE > ENTRETIEN AVEC
Ce Valéry-là ne gazouille pas sur le net mais, à Yaoundé, au kwatt, il tape les divers avec ses
cotars, autrement dit au quartier, il discute avec ses potes. De tout, de rien, des filles,
de la mondialisation, de l’identité, de l’intégration, de l’autre, des autres. A intervalles
réguliers, il vient au TARMAC livrer ses réflexions. Il y a ses habitudes, surtout celle
de nous faire rire, de nous convier, l’instant d’un spectacle à entendre son camfranglais,
sa langue, savoureuse, gouailleuse, inventive. Il revient ici sur son parcours, ses premiers
spectacles présentés au TARMAC, sur son évolution à la scène, à la ville et… au kwatt.
Bernard MAGNIER
Afin de faire connaissance, pourriez-vous
nous dire quel a été votre parcours avant de
monter sur scène ?
Valéry NDONGO
Mon parcours est simplement le
cheminement d’un enfant du kwatt qui
n’a pas eu d’autre choix que de sortir ses
tripes pour trouver sa voie mais qui a quand
même eu la chance de croiser sur sa route
des professionnels dont les conseils l’ont
encouragé à persévérer. Je n’ai pas reçu de
formation académique en art dramatique,
ce que je fais en tant qu’artiste, c’est le
résultat de ma propre expérience de la vie.
Comment êtes-vous venu au "one man
show" ?
Un peu par hasard. J’ai toujours voulu
faire du cinéma. Je rêvais comme tous ceux
de mon âge de devenir une star à Hollywood
et de ravir un Oscar. Pour concrétiser mon
rêve, je me suis mis à la recherche d’une
école de cinéma, et, deux ans plus tard, j’ai
trouvé une école de théâtre à Yaoundé. Ce
n’était pas ce que je cherchais mais c’était
mieux que rien, surtout que la plupart de
mes idoles (De Niro, Al Pacino, Denzel
Washington, Delroy Lindo…) ont fait du
théâtre avant de faire du cinéma. J’ai claqué
la porte de cette école parce que les cours
étaient aux antipodes de l’art dramatique.
En 2000, j’ai assisté par hasard à
un spectacle de "La ronde des poètes du
Cameroun" au Centre culturel français
de Yaoundé à l’occasion du "Printemps
des poètes". Une longue histoire a alors
commencé avec la poésie. Les amis de "La
ronde des poètes" m’ont encouragé dans
cette voie. Le premier poème que j’ai adapté
véritablement en sketch est un poème de
Francis Bebey intitulé Musica Africa. Dès
lors, j’ai commencé à écrire des sketches. En
2002, pendant les Rencontres Théâtrales
Internationales du Cameroun, j’ai assisté à
un spectacle d’Essindi Mindja, un pionnier
du one man show au Cameroun, décédé
en juillet 2005, et, ce jour là, j’ai découvert
le "one man show". Dès le lendemain, j’ai
commencé à regrouper tous mes sketches
et à en écrire des nouveaux dans le but de
faire un spectacle.
En janvier 2004, mon premier "one
man show" était prêt et présenté au public
du Centre culturel français de Yaoundé.
Depuis lors, je fais du "one man show"
en ayant toujours une activité importante
dans le théâtre parce je suis définitivement
tombé amoureux du théâtre.
MON INSPIRATION VIENT
DU "KWATT ", DU QUARTIER
Où puisez-vous la matière de vos spectacles ?
Mon inspiration vient du "kwatt", du
"quartier" qui est considéré par les jeunes
comme leur véritable "maison". Je joue avec
tout ce qui se passe dans mon entourage et
les événements du quotidien constituent
une source intarissable de sketches. De
même que les médias offrent aussi une très
large gamme de possibilités avec l’actualité
internationale qui bouge plus que son
ombre. Je me sers de mon imagination et
de l’observation du quotidien pour enrichir
mon travail.
Comment s'élaborent vos sketches ?
Travaillez-vous seul ?
Je conçois mes sketches de deux façons.
Soit je décide de travailler sur un thème
et je regroupe tous les éléments à ma
disposition qui traitent de ce sujet (copains,
télévision, presse, internet…) pour écrire le
texte. Soit je joue d’abord le sketch avant de
l’écrire. Ça se passe presque toujours entre
copains. Parfois, j’improvise une histoire.
Parfois, l’un de mes potes sort une blague
que je trouve superbe et je décide d’en faire
un sketch. Ensuite, je trouve du temps,
généralement la nuit (simplement parce
qu’il y a plus de calme au kwatt la nuit) pour
écrire le texte. Chaque fois que j’écris un
texte, je pense à la façon de le jouer. J’essaye
d’écrire comme je parle. Les répétitions
m’aident à enrichir le jeu et même le texte.
Mon premier public, ce sont d’abord mes
potes. La famille ne me voit que sur scène.
Avez-vous quelques "modèles", quelques
repères, quelques artistes (camerounais,
français, autres) qui ont compté dans votre
parcours artistique ?
Je ne parlerai pas en terme de "modèles"
ni même de "repères" mais plus
d’appréciation. Il y a certains humoristes que
j’aime véritablement. Ils m’impressionnent
par la maîtrise de leur art, la qualité de leurs
textes et la subtilité de leur jeu. Je pense au
défunt Essindi Mindja, à Gad Elmaleh, à
Jamel Debbouze, à Florence Foresti, Anne
Roumanoff et à la nouvelle génération
d’Africains qui émergent en France :
Thomas N’Gijol, Fabrice Eboué et Patson.
Comme je le dis dans James Black, acteur
pas comédien, je suis arrivé au théâtre par
hasard, à cause et grâce à ma passion pour
le cinéma. Donc les artistes qui ont compté
dans mon parcours artistique restent les
monstres sacrés d’Hollywood : De Niro,
Pacino et Denzel Washington.
En dehors du spectacle pouvez-vous nous
dire ce qui fait rire Valéry Ndongo ?
Généralement c’est les "divers" entre
amis. Quand on est ensemble, il y a
toujours des histoires incroyables que les
gars arrivent à sortir. Tu ne sais pas d’où ils
les tiennent. Je ne suis pas le plus drôle de
mes potes mais je suis le plus malin et j’en
ai fait un métier qui me permet de gagner
correctement ma vie.
Si vous deviez faire un portrait de Valéry
Ndongo que diriez-vous de ce garçon ?
C’est un gars du kwatt qui a rêvé faire
le cinéma et qui se bat tous les jours pour
réaliser son rêve.
Après les rêves en cinémascope de James Black, acteur pas comédien,
après les discussions animées des quartiers de Yaoundé de Bienvenue
au kwatt, le nouveau spectacle de Valéry Ndongo, Voir Paris et mourir
jeune, est une occasion de rire mais aussi de dénoncer quelques
travers dans les relations entre la France et le continent africain...
Bernard MAGNIER
Comment allez-vous ? Quelles sont les
nouvelles? Les vôtres? Celles du kwatt?
Valéry NDONGO
Ça dose! Il y a la forme et les choses
waka dans le bon sens, donc on joue le jeu!
Je suis en pleine forme. Le kwatt reste égal à
lui-même et les divers s’enchaînent toujours
au rythme du levage de coude dans le bar du
secteur.
Que s’est-il passé depuis votre précédente
venue au TARMAC en 2011?
Plein de choses! Professionnellement,
j’ai eu pas mal de dates en France mais
surtout en Afrique où j’ai tourné dans dix
pays. Mon projet de création d’un réseau
d’humoristes africains vivant et travaillant
sur le continent est désormais effectif avec
le projet "Africa stand up". Un site internet
est en chantier avec en prime un accord de
diffusion sur TV5 Monde d’un "comedy
club" que j’ai créé au Cameroun pour
réunir tous les humoristes du continent qui
passent par l’académie du stand up ouverte
depuis près de deux ans maintenant. Sur le
plan personnel, je suis papa d’une superbe
fille qui répond au prénom de Crystal et qui
fêtera ses deux ans le 17 mars 2013!
POUR MOI
DIVERTISSEMENT
RIME AVEC
CONSCIENTISATION
Et Avignon… c’était comment?
Avignon a été une très belle expérience
et surtout bon tremplin qui a permis de
trouver des dates qui ont donné une longue
vie à Bienvenue o kwatt.
Voir Paris et mourir jeune… un titre qui
n’inspire pas immédiatement la gaieté et
pourtant… Pouvez-vous dire ce qu’il en est?
Voir Paris et mourir jeune commence là
Bienvenue o kwatt s’est arrêté. Ça reste
avant tout un spectacle d’humour que
j’écris pour divertir le public et mettre une
bonne humeur dans la salle et avec un peu
de chance faire jaillir quelques éclats de
rire… Mais pour moi divertissement rime
avec conscientisation. Nous vivons dans un
monde où trop de choses se passent et un
humoriste ne doit pas seulement faire rire
> " UN SPECTACLE D’HUMOUR QUI PARLE
DE L’INTÉGRATION, DE L’IDENTITÉ NATIONALE
ET DES DÉMOCRATIES EN AFRIQUE "
5
avec les histoires de paliers ou d’épiciers,
il doit prendre la parole sur les thèmes
sociaux, politiques qui engagent la vie de la
cité et qui influent sur notre quotidien. Voir
Paris et mourir jeune parle de l’intégration
(de Français en Afrique et d’Africains en
France), de l’immigration, de l’identité
nationale (c’est quoi un bon Français et c’est
quoi un Africain ?) et des démocraties en
Afrique après 50 ans d’indépendance…
La politique, l’engagement ne sont-ils pas de
plus en plus présents dans vos spectacles?
Mon tout premier spectacle d’humour,
L’histoire d’Obegue Obeg’son alias Shérif, que
je n’ai jamais joué en France, était ce qu’on
peut appeler un spectacle engagé du fait
des sujets politiques que j’abordais. Mon
premier spectacle qui s’est exporté, James
Black, acteur pas comédien, ne parle
pas du tout de sujets politiques mais,
avecBienvenue o kwatt, il y a eu un retour,
dans la dernière partie du spectacle, à des
thèmes politiques. Aujourd’hui, l’actualité
en Afrique, en France et dans le monde est
si "politiquement engagée" qu’il me semble
qu’écrire un spectacle d’humour sans parler
de cette actualité politique reviendrait à
faire la politique de l’autruche.
Les relations françafricaines ne sont
faites que de politique. Et comme l’a si
bien dit un chanteur : "la démocratie du
plus fort est toujours la meilleure". Cette
phrase explique assez bien la complexité
des rapports entre les états sur la scène
internationale. Mon spectacle suit de près
cette complexité et forcément cela influence
ma démarche artistique.
Le rire permet-il de faire passer, de faire
"mieux passer" certaines choses?
Il est clair que le rire permet de faire
passer plusieurs choses que les discours
trop sérieux ou trop suspects des politiques
et des autorités administratives n’arrivent
pas à véhiculer. Puisque le rire a cette
faculté de détendre les muscles du stress
alors il prépare mieux les gens à voir le
reflet de leur société même si l’image n’est
pas forcément reluisante.
Pensez-vous qu’il existe un humour
camerounais?
Evidemment qu’il existe un humour
camerounais ! Chaque pays a ses codes et
son mode de fonctionnement spécifiques
qui le différencient des autres. Du simple
fait que le Cameroun a ses particularités
même face à ses voisins immédiats, il va
de soi qu’il existe quelque chose de propre
aux Camerounais. Cela se retrouve dans les
codes linguistiques et culturels.
"TU CROIS
QUE JE MANGE LE VERBE
QUE TU ME CONJUGUES
DEPUIS LÀ ?"
Quelles seraient les caractéristiques de cet
humour camerounais?
Les caractéristiques d’un humour
ne se définissent pas mais se vivent. Au
Cameroun, si quelqu’un vous dit: «Tu parles
bien mais tu crois que je mange le verbe
que tu me conjugues depuis là?»… Vous
comprendrez immédiatement que vous
devez mettre la main à la poche pour donner
un billet et motiver votre interlocuteur. C’est
une phrase qui a du sens dans le contexte
camerounais parce qu’elle donne une
bonne image du langage détourné qu’on
utilise pour ne pas appeler un chat un chat
mais faire néanmoins passer clairement le
message.
Un humour qui repose aussi sur une langue
singulière, imaginative qui emprunte à la
fois au français, à l’anglais et aux autres
langues camerounaises…
En effet, ma démarche artistique
s'appuie principalement sur le camfranglais,
l’argot des jeunes du Cameroun. C'est une
langue très riche, comme en témoigne le
lexique, mais aussi et surtout un mode
de vie qui caractérise à la base les jeunes
des quartiers défavorisés pour devenir
rapidement le point de repère d'une
génération en construction d'une identité
commune.
Les Camerounais ont cette façon de
toujours jouer avec les mots en changeant
leur signification pour tourner en bourrique
leur vis-à-vis. Une foule d’exemples illustre
cet état d’esprit. Par exemple, si un kamèr te
dit: mon frère, tu es amer c’est pour te dire
que tu es très élégant, cool… Un kamèr peut
te dire: tu as le mauvais argent ce n’est pas un
reproche, au contraire c’est une façon de dire
que tu es plein aux as…
Dans mon spectacle, j'utilise cette
langue à dessein pour montrer qu'au kwatt
on participe à l'édification d'une langue
française vivante qui s'adapte aux réalités de
chaque région où elle a été imposée.
propos recueillis en février 2013
© Musée d’Orsay, RMN / Patrice Schmidt
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