Le Théâtre de la Vie vu par Michèle Nguyen

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Article paru dans Vis à Vie,
un magazine artistique édité par l’Atelier Théâtre de la Vie, petit théâtre implanté à Bruxelles
Le Théâtre de la Vie vu par Michèle Nguyen
Le Théâtre de la Vie et moi (1)
Il y a trois sonnettes à côté de notre porte
sur la première il y a nos noms
sur la deuxième il y a le nom d’une association
et sur la troisième, il y a Théâtre de la Vie.
C’est ma fille qui l’a collé. Elle a collé la même
étiquette à l’entrée de sa chambre. Nous
sommes priés d’y sonner quand elle nous y invite.
Ding Dong !
Quand je rentre à la maison.
Ça me rassure de retrouver cette étiquette.
Il y a chez nous
un étage pour l’enfance et pour le jeu
un étage pour tous les possibles
et tous les impossibles aussi
un étage imaginaire.
Le Théâtre de la Vie et moi (2)
« Laisse toi aller » a dit Anik, « Jai une confiance
immense en ta plume. »
Je relis son message tout comme je relisais celui
que Herbert posait dans ma loge à chaque
première. Depuis 12 ans, la même foi en ma
démarche. Le même encouragement.
Le Théâtre de la Vie et moi (3)
En décembre 1995, je suis allée au Théâtre de la
Vie voir Philippe Avron.
J’ai oublié le titre du spectacle. Mais ce dont je
me souviens très bien, c’est qu’à un moment
donné, Philippe Avron jouait au facteur et
distribuait des enveloppes dans le public. Il y en
avait une à mon nom. A l’intérieur, une carte
écrite de sa main. Des mots qui disait « Joyeux
Noël ».
Ces mots je ne peux pas expliquer l’effet. Un
véritable baume. Un cicatrisant. Puissant.
Il faut savoir qu’à ce moment là, je créais mon
premier solo dans le cadre des Scènes d’humour
de la Vénerie à Watermael Boitsfort. Tara.
Un fiasco. Personne ne riait dans la salle. Le
spectacle s’était fait descendre dès le deuxième
soir par la seule journaliste venue y assister.
Dans ma vie sentimentale, le désarroi total. Un
sentiment de vide intérieur. Je pleurais tous les
soirs avant d’entrer sur scène.
Alors, tu vois, cette petite carte blanche où
Philippe Avron avait écrit à sa façon « Joyeux
Noël », elle ne pouvait pas mieux tomber. C’était
comme une caresse du ciel, une main qui se tend.
Qui te dit : « Viens ». Noël pour de vrai.
Ce soir là, en mon for intérieur, un vœu s’est
formulé. Un vœu qui allait me porter et changer
ma vie à tout jamais. Un jour, moi aussi je serai là,
sur cette scène en bois, devant ce mur de briques
rouges, devant ce gradin droit à en attraper le
vertige. Moi aussi, je jouerai au facteur et à
chacun, je distribuerai les mots dont il a le plus
besoin.
Tu ne peux pas savoir combien j’aime jouer en
décembre au Théâtre de la Vie.
Le Théâtre de la Vie et moi (4)
Il y a une chanson que je chantais quand j’étais
petite. Une chanson que j’aimais beaucoup. Qui
me faisait rire. Et puis j’ai perdu mon chansonnier
et la chanson s’est envolée. N’est resté dans ma
mémoire qu’un couplet. Un seul. Je le fredonne à
chaque fois que je me rends à pied au Théâtre de
la Vie. « Et dans la rue Traversière, y’avait une
grand maman qui montrait son derrière pour 235
francs ».
Ainsi tout en allant au théâtre, j’entretiens mon
enfance. Si tu veux, je te la chanterai à
l’occasion…
Le Théâtre de la Vie et moi (5)
Le Théâtre de la Vie et moi (6)
Décembre 2008, Ma sœur ma juge s’installe pour
trois semaines au Théâtre de la Vie. Morane (le
régisseur avec qui je travaille en France) est là.
Cela me rassure. Je peux aller jusqu’au bout de
ma recherche. Les changements de dernière
minute ne lui font pas peur ! C’est extraordinaire
d’avoir autant de temps devant nous. C’est si
rare.
Cadeau d’autant plus précieux que le spectacle
prend tout son temps pour nous révéler son
rythme. Chaque nuit, après la représentation, je
fais des modifications dans le texte que je teste le
lendemain soir. Nuit après nuit, soir après soir, je
cherche. Morane se moque gentiment de mes
heures supplémentaires : « Coupe tes ailes et
plonge ». Mais je sais que lui aussi, la nuit, dans
son sommeil, demande à la lune de l’éclairer.
Et puis un soir de peu de monde, une chevelure
blanche rayonne doucement dans le public.
Une énergie d’amour circule dans l’air.
Une paix immense m’envahit. Je me sens portée.
Je peux plonger.
Jamais Ma sœur ma juge n’a été aussi juste.
Autant sur le fil. L’émotion du public est palpable.
Même après les applaudissements. Jusqu’à la
dernière note vibrante de la chanson d’Aurélie
Dorzée. Les autres soirs, le public s’était levé à ce
moment là, durant la chanson. Avaient quittés la
salle, un à un. Mais là, non. Tous, d’un commun
accord, écoutaient : « … Des cocons qui se font,
cocons qui se défont,… ». Instants de grâce, de
communion profonde.
La lumière s’est faite lentement dans les gradins,
j’ai reconnu le visage sous la chevelure blanche.
« Une chanson, c’est comme une personne, je
l’écoute jusqu’au bout ! ». Voilà ce que Julos et
j’ai grandi avec lui partout dans la maison. Elle
avait tous ses disques, ses livres. Sur un mur de
ma chambre, celui sur lequel se posait mon
premier regard, le matin, il y avait une étiquette
bleue qu’elle m’avait offerte à la fin d’un de ses
concerts. Une grande étiquette (dédicacée !) où il
était écrit : « Mon métier est de vous dire que
tout est possible ! »
Je ne peux regarder « mon Molière » sans
repenser au Jeu du Médecin malgré lui. C’est la
première pièce de théâtre de Molière à laquelle
j’ai assisté. En vrai. J’avais 16 ans. La compagnie
s’était installée dans notre immense hall de
gymnastique flambant neuf. Leurs tréteaux
s’imposaient insolites sur le terrain de basket.
Tout autour des murs de béton plus gris que ça tu
meurs. Une odeur de caoutchouc à t’en couper le
souffle.
Devant la scène, plus d’une centaine
d’adolescentes en uniforme rassemblées là, pour
le meilleur et pour le pire.
Cet après midi là, le pire est resté coincé dans nos
cahiers d’écolier.
Mais Molière, lui, tel un Zorro multicolore, s’était
échappé de son livre tout jauni. Il était là avec
nous et il nous secouait une à une. « Eh ! Réveillez
vous les filles. Y’a pas que le bleu marine dans la
vie ! ». Molière mettait le feu au règlement !
J’ai gardé le souvenir d’un moment magique. Un
instant de plaisir indélébile. Du jeu à l’état pur.
Celui qui transforme l’obligatoire en
extrêmement vital. Celui qui te brûle, te donne
envie de sauter sur la scène et de jouer. Envers et
contre tout. Pour le meilleur et loin, très loin du
pire.
C’est ainsi qu’à 16 ans, le Théâtre de la Vie a fait
son entrée dans mes synapses !
Le Théâtre de la Vie et moi (7)
2012 : (février) Le vent n’est pas tout seul dans
l’air
2011 : (décembre) VY
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