1
Adaptation de l’agriculture sahélienne aux changements climatiques : une
approche par la modélisation stochastique
Adaptation of Sahelian agriculture to climate change: a stochastic modeling approach
Abdoulaye Diarra
Institut International d'Ingénierie de l'Eau et de l'Environnement (Fondation 2iE)
Résumé
L’objectif visé par cet article est d’étudier la réponse de l’agriculteur sahélien face à des
sécheresses de plus en plus récurrentes prévues par le GIEC, d’évaluer les pertes occasionnées et
enfin de s’interroger sur les façons de remédier, au moins partiellement, aux effets négatifs. Nous
avons montré, à partir d'un modèle stochastique, que l'impact d'une augmentation de la fréquence
de mauvaises années de production reste très couteux pour l'agriculteur sahélien. Lorsque le
risque de mauvaises années est multiplié par 3,5, l'agriculteur voit sa richesse baisser de 34% par
rapport à sa richesse initiale et ce malgré une réorganisation des systèmes de cultures vers des
spéculations plus résistantes à la sécheresse. Nous avons ensuite montré que le paysan est prêt à
payer 21% de sa richesse soit 44862 FCFA par an pour éviter toute forme de risque dans
l’exercice de son activité agricole. Il est donc disposé à contribuer au financement de technologie
comme l’irrigation pour garantir un certain niveau de revenu. Enfin, nous avons montré, qu'une
information sur le risque de mauvaise année, transmise de façon précoce aux agriculteurs permet
de limiter de manière significative leur perte de richesse et de réduire les aides alimentaires.
Mots-clés : changement climatique, adaptation, assurance climatique, information climatique,
risque, sécheresse, Sahel, Burkina Faso
Summary
The purpose of this paper is to study the response of Sahelian farmer faced with the increasingly
frequent droughts envisaged by the IPCC, to assess the losses and finally to consider how to
address, at least partially, the negative effects. Using a stochastic model, we have shown, that
using a stochastic model, the impact of an increased frequency of bad years of production is very
expensive for the Sahelian farmer. When the risk of bad years is multiplied by 3.5, the farmer sees
his wealth going down by 34% from its initial wealth, despite a reorganization of crop systems to
speculate make them more resistant to drought. We showed that the farmer is willing to pay 21%
of its wealth (44.862 CFA francs per year) to avoid any form of risk in the performance of its
agricultural activities. He is willing to finance technology such as irrigation to ensure a certain
level of income. We showed then that information on the risk of bad years, handed to farmers at
an early can significantly limit their loss of wealth and reducing food aid.
Keywords: climate change, adaptation, weather insurance, climate information, risk, drought,
Sahel, Burkina Faso
2
Introduction
D’après le dernier rapport du GIEC (IPCC, 2007), il faut s’attendre en Afrique de l’Ouest à des
conditions climatiques plus difficiles (sécheresses, températures plus élevées) et à une baisse de la
disponibilité de la ressource en eau. Dans la zone sahélienne, le processus de changement
climatique se traduira par une augmentation de la fréquence des épisodes de sécheresse.
Les enjeux sur le secteur agro-pastoral et partant la sécurité alimentaire sont donc importants
pour les pays sahéliens : l’agriculture est essentiellement pluviale et la population agricole atteint
50 à 80% de la population totale selon les pays ; le secteur agropastoral contribue entre 25 et 30%
de leur PIB ; enfin, la consommation de réales contribue entre 80 et 85% des besoins
caloriques de la population (OCDE/CSAO, 2008). Face à ces enjeux, il devient important
d’anticiper la réaction des agriculteurs dans un contexte de changement climatique afin de trouver
les mécanismes nécessaires pour limiter les effets du changement.
L’objectif visé par cet article est donc d’étudier la ponse de l’agriculteur sahélien face à des
sécheresses de plus en plus récurrentes, d’évaluer les pertes occasionnées et enfin de s’interroge
sur les façons de remédier, au moins partiellement, aux effets négatifs à partir de la littérature et
des résultats d’un modèle stochastique.
1. Importance du risque de production dans le contexte sahélien
De nombreux économistes se sont penchés sur le risque. F. Knight (1921) est l’un des premiers à
raisonner dans les cas d’incertitude et d’absence d’information complète. Il fait la distinction entre
le risque qui implique la connaissance de probabilités numériques objectives, et incertitude, les
résultats sont incertains et les probabilités inconnues. Les auteurs comme Newbery et Stiglitz
(1981) confortent cette idée en distinguant les risques systémiques et les risques non systémiques (ou
spécifiques). Les risques systémiques renvoient à des événements qui se répètent dans le temps,
avec des probabilités qui peuvent être analysées de façon à obtenir de bonne estimation des
risques actuariels. A l’inverse, les risques non systémiques se caractérisent par des antécédents peu
nombreux ou consignés de façon imparfaite, de sorte qu’il est difficile d’estimer des probabilités
objectives ou une distribution de résultats.
Les risques sont également classés selon leurs sources. Dans le domaine agricole plusieurs
classifications ont été établies. Huirne et al. (2000) et Hardaker et al. (2004) distinguent deux
grands types de risques en agriculture. Le premier est le risque d’exploitation, qui comprend les
risques de production et de marché, le risque institutionnel et le risque personnel. Le deuxième
grand type est constitué des risques financiers, qui résultent de différentes méthodes de
financement de l’activité d’exploitations agricoles.
Il ressort de ces différentes classifications que l’agriculteur reste un secteur susceptible de
connaitre plusieurs sources de risque. Cependant, les risques les plus importants en agriculture
restent les risques prix et production (OCDE, 2009). Le risque de production est dans une large
mesure déterminé par les conditions météorologiques et les maladies des plantes et animaux. Le
risque prix trouve sa source dans les marchés des intrants et des produits.
L’agriculture des pays sahéliens est en majorité pluviale et par conséquent très pendante des
conditions pluviométriques. Selon, Lecaillon et Morrison (1984), l'eau conditionne et explique
environ 50% des fluctuations de la productivité et des potentialités agricoles des pays sahéliens).
D’après le dernier rapport du GIEC, les économies des pays en développement paieront le plus
3
lourd tribut, soit entre 75 et 80 % du coût des dommages causés par le changement climatique,
du fait de leurs fortes dépendances des ressources naturelles en particulier des rendements de
l’agriculture. Le graphe ci-dessous présente la variabilité des rendements dans le sahel Burkinabé,
en occurrence dans la province de Yatenga.
Figure 1: Evolution des rendements des cultures de mil, maïs et Sorgho dans le Yatenga
Source : La Direction Générale des Prévisions et des Statistiques Agricoles (DGPSA), 2008
Les rendements agricoles ont connu une forte variabilité ces dix dernières années comme l'atteste
le graphe ci-dessus. La variabilité des rendements dans le Yatenga diffèrent suivant les cultures.
Avec un coefficient de variation de 56,4%, le maïs est la production la plus variable, ensuite nous
avons le sorgho avec un coefficient de 25,4% et enfin le mil avec un coefficient de 21,6. Le faible
écart entre le risque de production du sorgho, culture sensible au stress hydrique, et le mil,
culture plutôt résistante au manque d'eau, s'explique par la culture du premier dans les bas fonds
humides contrairement au second. Concernant le maïs, culture exigeante en eau, il est cultivé
autour des concessions « champs de case » ; ce qui explique sa forte variabilité.
2. Les instruments de gestion des risques restent limités dans le sahel
Les stratégies de gestion des risques peuvent être classées en trois catégories (Holzmann et
Jorgensen, 2001) : les stratégies de prévention, destinées à réduire la probabilité de survenue d’un
événement néfaste, les stratégies d’ajustement, qui visent à alléger l’impact de l’événement
lorsqu’il s’est produit. Les stratégies de prévention et d’atténuation sont axées sur le lissage du
revenu, tandis que les stratégies d’ajustement sont axées sur le lissage de la consommation.
Les principaux types d’instruments et de stratégies varient selon les agriculteurs et leur niveau
d’information, les canismes du marché et les mesures gouvernementales. Les exploitants
peuvent donc choisir parmi la panoplie des instruments disponibles, la combinaison d’outils la
mieux adaptée à leur exposition au risque et à leur degré d’aversion au risque. Les deux
principaux instruments de marché servant à la gestion des risques en agriculture dans les pays de
l’OCDE sont les marchés à terme, qui répondent au risque de prix, et l’assurance qui répond
principalement au risque de production. Cependant, ces instruments sont quasi-inexistants dans
les pays sahéliens et pour faire face aux risques les agriculteurs doivent développer des stratégies
leur permettant de limiter les effets du risque de production et du risque de prix.
-
200
400
600
800
1 000
1 200
1 400
1 996 1 997 1 998 1 999 2 000 2 001 2 002 2 003 2 004 2 005
Années
Rendements(kg/ha)
MAIS
MIL
SORGHO
4
3. Prise en compte du risque dans les modèles agricoles
Plusieurs approches sont possibles dont deux sont souvent utilisées dans les modèles
d’exploitation agricole: le modèle à risque limité et le modèle espérance-variance. Les modèles à
risque limité ont pour but d’imposer à un problème donné des contraintes supplémentaires qui
expriment que la probabilité de réalisation de l’ensemble des autres contraintes du programme
soit supérieure à un seuil donné. Les pionniers en la matière sont Charnes et Cooper (1959).
Parmi ces modèles, on peut citer ceux dans lesquels on admet que l’entrepreneur maximise la
valeur moyenne de son revenu, mais en imposant la contrainte que sa probabilité de ruine soit
faible.
Le modèle espérance-variance est l’application directe des travaux de Bernoulli (1738) puis Von
Neumann et Morgenstern (1947), ainsi que Friedman et Savage (1948) sur la maximisation de
l’utilité espérée. Pour Meyer (2002), la maximisation de l’utilité espérée est devenue le paradigme
classique pour analyser le comportement économique en situation d’incertitude. Une valeur
approchée de la fonction d’utilité espérée est obtenue par son développement limité à l’ordre 2 en
série de Taylor (Freund, 1956) qui peut s’écrire en termes d’équivalent certain (EC) par la
formule :
 
    (1)
Cela donne une valeur approchée de la prime de risque égale à la moitié de l’aversion absolue au
risque, multiplié par la variance de toutes les possibilités de richesse finale : les préférences
(coefficient d’aversion au risque) et la variabilité (variance de la richesse) sont les principaux
déterminants des coûts associés au risque du consentement maximum à payer pour un certain
résultat. Cette approche a été utilisée dans notre étude pour décrire le comportement de
l'agriculteur sahélien en univers incertain.
4. Le modèle économique d’optimisation du comportement de l’agriculteur
sahélien
La fonction d’utilité de l’agriculteur sahélien dans un contexte d’incertitude
Dans cette section, nous décrivons de manière formelle le comportement d’optimisation de
l’agriculteur en univers incertain. Nous considérons une petite exploitation agricole représentative
de la zone sahélienne du Burkina (localité de Tougou) faisant face au risque de production.
L'exploitation dispose en moyenne d'un troupeau de 4 petits ruminants (ovins et caprins), d'une
dizaine de volaille, une population de 9 individus et d'une SAU d'environ 2,9 hectares.
L'Equipment agricole reste très sommaire; quelques outils manuels. Ces informations concernent
la campagne agricole 2006. Les principales spéculations pratiquées sont le mil dans les glacis, le
maïs autour des concessions et le Sorgho dans les bas fonds. Les possibilités de travail à
l'extérieur restent également très limitées. En période de soudure la vente de tail permet de
répondre aux besoins de la famille.
Dans un contexte de variabilité climatique, l’agriculteur sahélien va donc chercher à maximiser
l’utilité de la richesse espérée (U(R)) ; la richesse étant représentée par la somme du profit, des
équipements et des animaux en fin d'année :
5
 
   
(2)
avec E(R) la richesse espérée,
2
R
σ
la variance de la richesse et A
l
1
l’aversion absolue au risque.
Dans la fonction de la richesse (R) seuls les rendements sont aléatoires. Nous faisons
l'hypothèse qu'il n'y a pas de lien entre les rendements des différentes cultures et donc que leurs
covariances sont nulles. Par conséquent, la variance de la richesse (
2
R
σ
) s’écrit :


 

 

(3)
Avec cult représentant toutes les activités de productions agricoles et sol les différents types de
sols, P
cult
le prix, X
cult
la superficie, et

le risque associé à la culture.
Plusieurs hypothèses sont posées. Premièrement, l'agriculteur connaît la distribution de
probabilité qui caractérise le risque de production sur les 22 dernières années (de 1984 à 2005).
On considère alors que chaque année observée est équiprobable et l'on affecte donc à chacune
d'elle, dans la fonction "objectif" une probabilité égale à 1/22. Ensuite nous faisons l’hypothèse
qu’il connait parfaitement sa fonction de production.
Prise en compte des réalités du monde sahélien
Dans le modèle, l’année est divisée en deux périodes : une première période qui va de Juin à
Novembre et qui se caractérise par une grande mobilisation de la main-d’œuvre familiale pour les
travaux de semis et de récolte, par une activité commerciale importante grâce à la vente de récolte
et d’animaux ; une deuxième période qui va de Décembre à Mai, qui est plutôt une riode sans
grande activité agricole.
Les contraintes usuelles sont considérées au niveau des exploitations agricoles pour chaque
période. Certaines concernent les données agronomiques (besoins et disponibilités en inputs
variables) d’autres, la dotation en facteur (terre, travail, capital), d’autres, l’état économique de
l’exploitation (flux de trésorerie).
Ainsi l’utilisation de la terre pour chaque culture (Cult) est soumise à sa disponibilité Terdispo:


 

(4)
La main d'œuvre familiale est allouée entre le travail agricole (TRAV) sur l’exploitation et le
travail extérieur (TRAVEXT) en fonction de ses besoins sur l’exploitation, des opportunités de
travail à l’extérieur et du salaire espéré. La somme des besoins en main d’œuvre des activités
culturales ne devrait pas dépasser les ressources en main-d'œuvre familiale disponibles (travmax)
pendant une période, plus la main d’œuvre salariée si besoin (TRAVSALA) et moins les
ressources en main-d'œuvre familiale cédées à l’extérieur.
1
Le coefficient absolu d'aversion au risque vaut  

'
u
représente la fonction d'utilité de
l'agent
1 / 17 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !