L'Actualité rhumatologique 2014
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C 5
Le pied des
spondyloarthropathies
V. Simon, C. Huber-Levernieux, C. Piat
Résumé
Le pied est fréquemment (jusqu'à 75 % des cas) touché dans les spondyloarthro-
pathies avec une atteinte double de l'enthèse et synoviale. Dans le concept de
spondyloarthropathie sont regroupés : la spondylarthrite ankylosante, les arthrites
réactionnelles, les arthrites associées aux entérocolopathies inflammatoires, le
rhumatisme psoriasique. Le rhumatisme psoriasique a une place à part du fait
de caractéristiques cliniques propres. Le diagnostic est fondé sur l'interrogatoire
et l'examen clinique avec une atteinte classique de l'arrière-pied sous forme de
talalgie postérieure et inférieure et l'atteinte de l'avant-pied associant synovite et
enthésopathie. En cas de difficulté, l'imagerie apporte une aide au diagnostic en
particulier le couple radiographie–échographie.
Atteinte de l'arrière-pied
Enthésite calcanéenne
Clinique
La talalgie constitue un des symptômes majeurs de l'atteinte au pied. Elle est
révélatrice et inaugurale d'un rhumatisme inflammatoire dans 20 % des cas
chez le sujet masculin jeune. Elle concerne 30 à 40 % des patients atteints de
spondyloarthropathie au cours de leur évolution. Elle peut être uni- ou bila-
térale, le caractère bilatéral étant très évocateur d'une atteinte rhumatismale
inflammatoire [8]. La prévalence des talalgies est plus importante au cours des
arthrites réactionnelles que la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme pso-
riasique, les entérocolopathies inflammatoires.
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La talalgie au cours des spondyloarthropathies n'entraîne pas de réveils
nocturnes, mais un dérouillage matinal dès la mise en charge qui cède dans la
journée. Seule la durée du dérouillage matinal supérieure à 30 minutes permet
de différencier une cause mécanique ou inflammatoire. La topographie de la
talalgie est plantaire ou postérieure, parfois globale etalors évocatrice d'une
atteinte inflammatoire. La talalgie inférieure est la plus fréquente (85 %) mais
peut être associée à une talalgie postérieure (45 %) [3]. Plus rarement, une
bursite rétrocalcanéenne est responsable d'une achillodynie avec tuméfaction
locale.
À l'examen clinique, la talalgie est provoquée par la pression élective de la
partie inféromédiale ou postéro-inférieure du talon.
Selon Dougados etal., l'histoire naturelle est que la talalgie disparaît en 16 ±
14mois, parfois après 3 ans d'évolution. Une talalgie rebelle après 2 ans d'évo-
lution est notée dans 6 % des cas [10].
La talalgie constitue un symptôme révélateur de spondyloarthropathie dans
un quart des cas d'où l'importance d'évoquer systématiquement le diagnostic
et de rechercher d'autres critères de spondyloarthropathie [1].
Face à une talalgie susceptible d'être rattachée à une spondyloarthopathie,
la démarche diagnostique classique calquée sur les critères d'Amor doit recher-
cher des signes d'atteintes personnels digestifs, urologiques, ophtalmologiques,
dermatologiques, des signes rhumatologiques axiaux (fessalgies et rachialgies
inflammatoires) et périphériques (dactylite, oligoarthrite), une sensibilité aux
anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), des antécédents familiaux de pso-
riasis ou de spondylarthrite.
Selon les critères ASAS (Assessment of Spondylarthritis International Society),
en cas d'atteinte d'une enthèse avant 45 ans, notamment talonnière, le diagnostic
de spondyloarthropathie est retenu s'il existe un psoriasis ou une entérocolopa-
thie inflammatoire ou une infection préalable, ou une uvéite ou une sacro-iléite
à l'imagerie, ou la présence de HLA B27 [16]. Face à une enthésopathie talon-
nière, le diagnostic de spondyloarthropathie est également retenu si elle est asso-
ciée à au moins deux des critères suivants : arthrite, dactylite, entérocolopathie,
histoire familiale de spondyloarthropathie.
Pour le rhumatisme psoriasique, on recherche les critères du groupe CASPAR :
psoriasis actuel ou antécédent personnel ou familial de psoriasis, présence de dac-
tylite actuelle ou passée, absence de facteur rhumatoïde, signes radio logiques de
production osseuse péri-articulaire sur les radiographies des mains et des pieds.
La présence d'une talalgie au cours des spondyloarthropathies n'est pas péjo-
rative contrairement aux autres critères. Les formes enthésitiques s'intègrent
dans les formes plutôt bénignes de la maladie.
Il est parfois difficile de faire le diagnostic différentiel avec une myoaponé-
vrosite plantaire microtraumatique mécanique, d'autant plus qu'il s'agit de la
même population jeune et sportive où les critères cliniques biologiques et radio-
graphiques ne sont pas discriminants et l'échographie ou l'imagerie par réso-
nance magnétique (IRM) sont parfois prises en défaut.
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Imagerie
La radiographie standard est essentiellement le cliché de profil en charge nor-
mal au début, puis il peut apparaître une érosion rétrocalcanéenne au-dessus de
la grosse tubérosité ou postéro-inférieure à la différence de la calcanéite érosive
de la polyarthrite rhumatoïde très haute située, puis apparaissent des signes de
reconstruction périostée en spicules ou en bande et une enthésopathie inflam-
matoire irrégulière à contours flous à base d'implantation large (figure5.1).
Classiquement dans le rhumatisme psoriasique, les signes sont plus construc-
tifs qu'érosifs. Dans la spondylarthrite ankylosante, les phénomènes radio-
logiques érosifs et constructifs sont peu intenses, les signes érosifs et constructifs
plus intenses sont observés dans les arthrites réactionnelles.
L'échographie est surtout utile en mode Doppler puissance pour détecter une
hypervascularisation à la jonction os–enthèse. Il s'agit d'un examen peu coû-
teux et non irradiant [5]. Une augmentation de l'épaisseur et une diminution
d'échogénicité de l'enthèse signent la présence d'un œdème. Des zones hyper-
échogènes intratendineuses peuvent exister correspondant à des calcifications
ou enthésophytes. Les érosions définies par une interruption de la corticale sont
généralement observées dans la partie proximale de l'enthèse.
L'écho-Doppler puissance permettrait une distinction entre les enthésopa-
thies inflammatoires et mécaniques ; en outre, le nombre d'enthèses atteintes en
échographie est beaucoup plus important que dans la pathologie mécanique. En
revanche, l'échographie n'apporte pas d'information sur l'ostéite de voisinage.
L'hypervascularisation au niveau des sites d'insertion corticale des enthèses
dans les spondylarthrites est différente des causes microtraumatiques où la
vascularisation est à distance de l'enthèse voire en plein corps tendineux [5,
19]. Selon Falsetti, la néovascularisation est plus fréquente à la jonction tendon–
enthèse, dans la bourse rétrocalcanéenne, au sein des érosions postérieures du
calcanéum dans les enthésopathies inflammatoires et l'aspect d'œdème péritendi-
neux ou autour de l'enthèse n'est pas spécifique d'une atteinte rhumatismale [11].
F5.1 Radiographie de pied de prol : enthésopathie inammatoire sous- et
rétrocalcanéenne.
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Deux études ont porté sur l'échographie des tendons d'Achille. Les ano-
malies les plus fréquemment décrites sont des anomalies de la structure ten-
dineuses (56 à 80 % des patients), la présence d'érosions (13 à 55 %) et la
présence d'enthésophytes (40 à 48 %) [15]. En revanche, la présence d'une
calcification surtout distale semble non spécifique des spondyloarthropathies
puisque cette anomalie est notée chez 80 % des sujets sains dans une étude
[17]. À ce jour, les études publiées sur la valeur diagnostique de scores échogra-
phiques d'enthésites ne montrent pas de consensus sur le nombre de sites enthé-
sitiques à explorer. Le groupe d'experts de l'OMERACT (Outcome Measures
in Rheumatology) et de l'EULAR (European League Against Rheumatism)
a essayé de standardiser la définition de l'enthésite en excluant l'atteinte des
bourses séreuses et du corps tendineux (même s'ils peuvent être impliqués, ils
doivent être évalués séparément). En mode B, les anomalies définissant l'enthé-
site sont de type :
inammatoire : hypoéchogénicité, augmentation de l'épaisseur, signal en
mode Doppler qui n'a de valeur que s'il est situé à l'insertion corticale de l'en-
thèse (gure5.2). Ce signal Doppler doit être différencié d'un artéfact lié à la
surface rééchissante de la corticale ou à un vaisseau nourricier ;
structural : calcications, enthésophytes, érosions, irrégularités corticales [7].
L'anomalie qui semble le plus spécique est l'hypervascularisation de l'enthèse
en mode Doppler puissance [4].
En 2012, Feydy etal. ont publié une étude qui montre l'absence d'intérêt
de l'échographie du talon pour le diagnostic de spondylarthrite. Ils ont exa-
miné en échographie et IRM 51 patients atteints de spondylarthrite anky-
losante et 24 patients témoins. En échographie Doppler, aucune différence
significative n'était observée entre les patients atteints de spondylarthrite
(symptomatique ou non) et les témoins pour les anomalies de l'insertion
du tendon d'Achille et de la bourse rétrocalcanéenne. Un épaississement du
tendon d'Achille était plus fréquemment observé chez les patients atteints
de spondylarthrite symptomatique que chez ceux asymptomatiques. Une
hypervascularisation en mode Doppler à la jonction os–tendon a été obser-
AB
F5.2 Coupe longitudinale : hypervascularisation en mode Doppler de la
jonction enthèse achilléenne–calcanéum.
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vée chez un patient spondylarthrite et deux patients témoins et une hyper-
vascularisation sur la corticale osseuse chez un patient spondylarthrite et
quatre témoins [12].
D'Agostino etal. ont analysé une cohorte de 118 patients de moins de 50 ans
adressés pour suspicion de spondyloarthropathie devant des symptômes datant
de moins de 3 mois de type rachialgies inflammatoires, arthrites ou arthral-
gies inflammatoires, enthésite ou dactylite, uvéite antérieure aiguë HLA B27.
L'évaluation a porté sur 14 enthèses, la corrélation entre les anomalies en mode B
et le diagnostic de spondyloarthropathie était mauvaise. En revanche, une hyper-
vascularisation d'au moins une enthèse en mode Doppler s'est avérée beaucoup
plus performante avec une sensibilité de 76,5 % et une spécificité de 81,2 % [6].
Naredo etal. ont montré chez des patients atteints uniquement de psoriasis sans
symptôme articulaire qu'il existait plus d'anomalies à l'échographie des enthèses
que pour le groupe contrôle : enthésopathie 41,9 % des sites contre 18,5 % et
hypersignal en mode Doppler 2,9 %, aucun dans le groupe contrôle [20].
Dans le SAPHO, une étude de Queiro etal. sur 15 patients dont un seul avait
une douleur enthésitique et 30 témoins a retrouvé 47 % d'enthésite en échogra-
phie (tendon patellaire et calcanéen les plus fréquemment touchés) contre 13 %
des témoins [23]. L'échographie permet un suivi évolutif des enthésites talonnières.
C'est un examen cependant opérateur et appareillage-dépendants. Il semble
que la spécificité soit bonne entre les mains d'experts comme en témoigne une
étude menée sur les maladies inflammatoires colo-intestinale qui montre l'ab-
sence d'hypervascularisation Doppler chez les témoins [2].
L'interprétation des lésions découvertes doit tenir compte du contexte
clinique.
L'IRM montre une modification du signal osseux avec œdème intra-osseux
lors des calcanéites ou de l'enthèse qui apparaît avant les signes radiogra-
phiques, voire en même temps que les phénomènes cliniques. Cependant ces
lésions sont moins spécifiques que celles visualisées au niveau axial. L'IRM ne
permet pas de dépister avec certitude une lésion inflammatoire d'une enthéso-
pathie mécanique [18]. Seul le contexte clinique permet d'orienter le diagnos-
tic. Les enthésopathies mécaniques et inflammatoires ont des caractéristiques
IRM similaires sur l'os et les enthèses mais l'importance de l'œdème osseux
calcanéen au cours de la talalgie inflammatoire serait corrélée à la présence du
groupe HLA B27 [17].
Traitement
En dehors du traitement général de la spondyloarthropathie, les traitements
locaux consistent en l'adaptation du chaussage (semelles épaisses en gomme
ou en crêpe, matériau absorbant les chocs, chaussures avec un petit talon).
L'orthèse plantaire comporte une talonnette visco-élastique en biseau dont
l'épaisseur varie selon le poids du sujet et la compressibilité du matériau.
L'infiltration locale de dérivés cortisoniques à l'insertion de l'aponévrose plan-
taire est indiquée au cours des talalgies plantaires. L'étude de Dougados etal.
en a montré une efficacité dans 45 cas sur 53 [10].
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