LA RENCONTRE TRANSCULTURELLE ; COMMENT PENSER LES MIGRANTS
AUTREMENT
COLLOQUE DU 15 SEPTEMBRE 2008 À LA DDASS DE CAEN
Notes prise par M. Levannier et S.Ameline
On observe au niveau mondial un déplacement des populations vers l’Europe. Cela implique
une confrontation des différences qui peut être difficile car la différence fait peur et est
pourvoyeuse d’incompréhension. Les équipes et les personnes accueillies sont en souffrance.
I - Intervention de Mr Ph Bas, président de l’ANAEM (agence nationale pour l’accueil des
étrangers et pour la migration). Il faut une meilleure compréhension mutuelle entre les
résidents et les étrangers.
L’ANAEM
- assure 200 000 visites médicales avant l’entrée en France par an.
- Prescrit des actions de formation à la langue française (25 000 mais pas assez suivi) si
possible à débuter avant le départ du pays d’origine.
- Assure aussi l’aide au retour qui progresse (3 000 personnes)
- Vérifie que les emplois correspondent aux besoins.
Pour qu’une intégration soit réussie du point de vue de la personne et de la société, il faut :
- des conditions économiques, sociales et générales favorables
- régler la question des conditions de vie (environnement, famille…)
- élucider le problème de la langue / dimension culturelle.
La dimension culturelle de l’intégration : doit être une relation à double sens ;
- comprendre l’autre et pas seulement que l’autre nous comprenne.
- Ne pas nier la culture de l’autre ; on ne peut pas intégrer l’autre sans essayer de le
comprendre. Les concepts de psychologie délivrés en France ne fonctionnent pas
forcément ailleurs, tout comme le concept de famille est différent. Ce qui parait très
évident ici ne l’est pas forcément ailleurs. ATTENTION AUX EVIDENCES NON
PARTAGEES (surtout si elles ne sont pas expliquées)
La différence des uns ne doit pas se heurter à l’indifférence des autres.
- ne pas viser à propager la bonne parole, mais écouter l’autre.
II - Histoire de l’ethnopsychiatrie (C. BAUDINO, psychothérapeute et
anthropologue suisse et Mme REZNIK psychologue et psychothérapeute)
1) d’où vient-elle ? de la rencontre entre la psychiatrie, les sciences humaines et des mondes
autres (expositions universelles, zoo humains du colonialisme où des hommes furent exposés
et décrits comme des bêtes sauvages, déshumanisés avec une volonté d’hégémonie culturelle.
On est face à une difficulté de parler de l’autre : champs hybrides entre la psychiatrie et
l’ethnologie = analyser l’impact de la culture sur les symptômes, voir si les maladies mentales
étaient différentes en fonction du lieu où elles se manifestent.
2) le fondateur : Emil KRAEPELIN, contemporain de Freud, neuropsychiatre allemand, père
de la nosographie des maladies mentales. Il a pour objectif d’humaniser et de médicaliser la
folie. Il détermine 3 classifications :
la démence précoce
La paranoïa
La psychose maniaco-dépressive
Il est allé sur l’île de Java pour voir si sa nosographie y était applicable et se pose la question
de savoir si l’augmentation de la folie en Europe est en relation avec les progrès, la modernité.
Il conclut que la culture n’a pas d’impact sur les symptômes et a retrouvé sa nosographie.
Mais il faut souligner un problème de méthodologie dans la mesure où il a observé des
patients déjà européanisés. Et il a validé sa théorie car regardait avec ses lunettes.
On voit la naissance d’une psychiatrie comparée qui cherche à :
- repérer les différences dans la manifestation des symptômes à travers les cultures
- prouver la validité universelle de la classification psychiatrique des troubles mentaux
- elle admet que la culture a sur les symptômes une influence « pathoplastique » plutôt
que pathogénique.
Les rebellions anti-colonialistes sont classifiées de troubles psychiatriques et fondent les
croyances sur un statut d’infériorité d’une race par rapport à une autre. Il faut attendre la fin
du colonialisme (vers 1960) pour que l’on prenne en compte l’autre et qu’une autre vision de
l’autre s’amorce.
3) Frantz FANON, la cause des peuples colonisés (1925/1961). Il permet à l’ethnopsychiatrie
de réfléchir sur elle-même. Il dit les limites de la science psychiatrique qui n’est pas
transposable en d’autres contextes. Il veut redonner la parole à ceux qui ont été écrasés par le
colonialisme et donc remet en question la nosographie universelle.
Après la seconde guerre mondiale, naissance de la psychiatrie transculturelle qui cherche à :
- repérer les différences dans la manifestation des symptômes à travers les cultures
- intégrer des données anthropologiques à la sémiologie et à la nosographie
psychiatrique (cf les culture-bound syndrome)
- prouver la validité universelle de la classification psychiatrique des troubles mentaux.
C’est une psychiatrie « culturellement éclairée » s’adaptant à son nouvel environnement sans
changer sa conceptualisation et ses méthodes.
4) Ernesto de MARTINO (1908/1965) : pionnier de la réflexion entre psychiatrie et
ethnologie. Il a une approche multidisciplinaire ; la psychiatrie n’est pas suffisante, il faut
intégrer des champs et des compétences différentes.
L’ethnocentrisme critique : pour comprendre l’autre, il faut être bien dans sa propre culture et
voir les préjugés.
5) Henri COLLOMB (1913/1979) a fondé une équipe multidisciplinaire en Afrique et essaie
de transformer l’hôpital d’un lieu clos à un lieu ouvert. Ne pas isoler les patients de leur
famille, et fait appel aux guérisseurs locaux. Les troubles mentaux s’interprètent selon les
cultures.
6) de nos jours, Georges DEVEREUX (1908/1985) fait des recherches sur les moyens de
guérison des indiens (Arizona, Colorado) ; ces systèmes ont une rationalité propre. Il utilise
néanmoins la terminologie psychiatrique occidentale. L’ethnopsychiatrie commence à devenir
une discipline à part entière. Il s’appuie beaucoup sur les travaux de Claude Levi-Strauss.
Pour analyser toute psychiatrie, il faut envisager le point de vue anthropologique et
psychanalytique (complémentarisme).
7) Tobie NATHAN,. Il est élève de Devereux, fondent une revue ensemble puis rupture. En
1979 : 1
ère
consultation d’ethnopsychiatrie en France avec Pierre Lebovici
Il comprend que si la migration est un premier grand traumatisme, la psychologie est le 2
ème
.
Il applique le complémentarisme et s’aperçoit que les guérisseurs traditionnels sont plus
efficaces que la psychiatrie occidentale. En occident la maladie = recherche de la cause alors
que dans d’autres cultures = recherche de sens. Le savoir de l’autre est mis au même niveau
que son propre savoir.
8) L’ethnopsychiatrie : discipline qui a pour objet l’analyse de tous les systèmes
thérapeutiques sans exclusive ni hiérarchie, (…) se propose de les décrire, d’en
extraire la rationalité propre et surtout de mettre en valeur leur caractère nécessaire.
Le patient devient expert, compétent, « si vous étiez chez vous, qui iriez-vous voir ? »
Elle construit un savoir nouveau fondé sur le savoir des migrants. Il faut donc faire tomber la
barrière de la langue par un interprète médiateur culturel qui n’est pas un simple interprète. .
De plus, cela permet de sortir de la relation duale, donne la parole au patient et cherche que
tous soient d’accord. La langue est une nécessité préalable à toute relation. Elle construit
l’individu ; c’est indispensable pour que le patient puisse intervenir dans sa langue maternelle.
La souffrance est toujours mieux parler dans la langue maternelle. Il faut essayer de se mettre
à la place de… Il ne doit pas y avoir une théorie qui prime mais la co-construction d’une
théorie qui aura du sens pour le patient. Tobie Nathan se démarque de la théorie de Devereux.
Il transforme la relation de pouvoir. C’est une rupture avec le passé.
La consultation se fait en cercle (dans certaines cultures, le face à face avec un médecin est
quelque chose qui génère une angoisse +++ d’où un cercle qui évoque une communauté),
avec plusieurs thérapeutes, avec la personne et quelques référents + médiateur interprète ; les
co-thérapeutes se parlent les uns les autres en émettant des théories. Ils ne parlent pas
directement à la personne pour qu’elle ne se sente pas « bombardée » de questions. Mais la
personne entend toutes les propositions et intervient quand elle le souhaite. Il n’y a pas de
théorie préétablie à l’avance. Cette façon de faire qui rend la personne experte rompt avec la
notion de pouvoir dans la relation et le cadre freudien.
9) Marie rose MORO, élève de Tobie Nathan. Elle s’est démarquée ensuite de sa pensée avec
un versant plus psychanalytiaque et une orientation plus vers le futur (alors que Nathan = plus
vers l’origine.)
La consultation transculturelle : elle se différencie par l’application méthodologique de
Devereux. Elle a succédé au professeur Lébovici. Elle utilise le complémentarisme de
l’ethnologie et de la psychiatrie mais sans les confondre.
Concept du métissage, des Hommes, des pensées, des techniques. Elle a diversifié et
complexifié le concept de Nathan.
III – Culture, Migration et Sociétés, du culturel au thérapeutique par Isam
IDRIS, psychologue et anthropologue qui a travaillé avec Marie Rose Moro.
Qu’est-ce qu’on peut faire de cet ensemble qu’on appelle la culture ?
La clinique pousse à repenser le dispositif
Il faut un espace transitionnel pour les migrants (au sens Winnicottien du terme)
Éviter la transformation des difficultés en obstacle insurmontable. Les difficultés sont très
importantes mais doivent aboutir à du positif, à de la création = nouvelles manières d’être et
de faire. Il faut une articulation entre l’être et le faire.
Interroger les évidences. On est un sujet du monde et non un objet dans le monde.
Qu’est-ce que la culture ? Il existe environ 400 définitions, en plus des définitions décrivant
les us, pratiques et coutumes ; une culture procède du mythe fondateur. « Elle mobilise un
ensemble de représentations à l’œuvre dans la régulation des comportements humains ».
Les culturologues : toutes les définitions sont vraies ; tentative de trouve une seule définition
universelle.
Toute culture se donne pour universelle à condition :
- être capable de calmer l’angoisse de ses propres sujets, c'est-à-dire apporter des
solutions simples aux différents problèmes de la société.
- Être capable de définir ce ou celui qui lui est étranger ; distinguer ce qui est propre à
sa culture et se qui est propre à une autre culture. Par exemple, les enfants de migrants
sont-ils des migrants ? oui, mais
La culture traverse une période de crise, quitter un état pour un nouveau départ, manifestation
d’un nouveau départ, comment faire avec la nouveauté ? On ne peut pas faire comme si ces
enfants étaient des migrants ni des autochtones. Cela doit aboutir à une nouvelle
problématique.
Toutes les cultures luttent de manière systématique contre leur propre mort. Elles renoncent
parfois à leurs langues pour continuer à survivre dans d’autres langues (latin, breton…)
Que reste t-il ? Existant avant les êtres, une culture peut se résumer dans des traces qui restent
actives lorsqu’on en aura tout oublié.
Une culture ne migre pas ; ce sont des individus qui migrent avec une représentation qui leur
est personnelle de leur culture. Le noyau se passe d’une génération à l’autre, avec parfois un
trou.
3 niveaux :
acquisitions
Facade
interface élaboration
noyau
transmissions
Un Être humain n’existe pas sans culture.
Ne pas confondre culture et civilisation, qui consiste en une série de choix individuels et
collectifs de vivre la culture. La civilisation est exposée à l’arbitraire, une civilisation ne peut
calmer les angoisses des siens que dans le miroir de l’Autre. Il y a une hiérarchie dans la
rencontre de civilisations alors qu’il n’y en a pas dans la rencontre culturelle.
Il y a des guerres de civilisations, jamais de guerre de culture.
La représentation culturelle :
- construction complexe qui procède de mythe qui fonde le sens de l’existence de
chaque groupe.
- englobe la Chose, le mot qui dit la Chose
Théories étiologiques :
- les djinns
- la sorcellerie (mot africain francisé, la part imprononçable en français a été éliminée +
modification de sens
- la possession
- le mauvais œil (peur de la dualité ; nécessité d’une tierce personne)
- l’enfant ancêtre
- l’enfant sorcier
- les esprits de l’eau (ébola)
de la jungle
de la terre
- L’enfant endormi (l’enfant choisit de naître)
- L’enfant Niko Bo, à la frontière entre le vivant et le mort
La vie est articulation entre monde visible et monde invisible. Le monde visible prend
sens en relation avec les instances du monde invisible.
Ethnopsychiatrie : articulation entre les deux. Pour faire naître quelque chose de propre à
l’être humain qui a quitté son milieu d’origine.
La Chose
L’Être
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