Troubles anormaux de voisinage : la fin d`une dérive ?

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En droit immobilier, spéci-
quement en matière de
construction, les tribu-
naux ont une approche protectrice
des droits de la victime, laquelle
doit souvent faire face à dimpo-
santes sociétés de construction.
C’est dans ce courant qu’est née
en jurisprudence la notion de
troubles anormaux du voisinage.
Ce concept est aujourdhui un
pilier incontournable du régime
de la responsabilité des locateurs
douvrage, à tel point que lavant-
projet de réforme du droit des
biens1 prévoit son introduction
dans le Code civil dont le nou-
vel article 630 disposerait: «Nul
ne doit causer à autrui un trouble
excédant les inconvénients nor-
maux du voisinage.»
Il était compréhensible de tenter
de rétablir l’équilibre des forces en
présence, surtout compte tenu de
la technicité d’un chantier et des
compétences spéciques néces-
saires à la preuve d’une faute impu-
table aux constructeurs. Toutefois,
nous assistons, ces derniers temps,
à une utilisation dévoyée de cette
notion en matière de construction.
L’extension jurisprudentielle
de la notion de « voisin »
La Cour de cassation a considérable-
ment accru la liste des protagonistes
susceptibles de devenir débiteurs
solidaires au titre des troubles anor-
maux de voisinage. Pour ce faire, elle a
étendu la notion de « voisin», initiale-
ment réservée au maître de l’ouvrage,
aux constructeurs qui se sont vus qua-
liés de « voisins occasionnels ».
C’est le célèbre arrêt du 22 juin
20052 qui consacre la notion de
«voisin occasionnel » : « le proprié-
taire de l’immeuble auteur des nui-
sances, et les constructeurs à l’origine de
celles-ci sont responsables de plein droit
vis-à-vis des voisins victimes, sur le fon-
dement de la prohibition du trouble
anormal de voisinage, ces constructeurs
étant, pendant le chantier, les voisins
occasionnels des propriétaires lésés. »
Il est expressément fait référence
aux « constructeurs » qui occupent
matériellement le chantier pendant
la durée des travaux. Certains y ont
vu une brèche pour les architectes
et les bureaux d’études qui assurent
plus spéciquement des prestations
intellectuelles se situant en amont de
la construction.
Cette approche était conrmée par
une décision très pédagogique du
26 novembre 20083, aux termes
de laquelle la cour d’appel de Paris
précise que la qualité de voisin occa-
sionnel s’acquiert à la suite d’une
occupation du fonds à l’origine des
désordres. Ni le bureau de contrôle,
ni le maître d’œuvre ne réalisent une
appréhension du fonds dès lors qu’ils
n’exercent aucune activité matérielle
susceptible de causer de trouble anor-
mal de voisinage. Ils ne sauraient
donc être assimilés à des voisins occa-
sionnels. Cette analyse permettait de
trouver quelque cohérence dans la
notion de « voisin occasionnel ».
Toutefois, la Cour de cassation vient
rejeter cette approche par un arrêt
du 28 avril 20114 et précise que
l’absence d’occupation matérielle du
fonds voisin ne sut pas à exclure
l’existence d’une relation de cause
directe entre les troubles subis et les
missions conées à ces derniers.
James Alexandre Dupichot, associé Marine Parmentier, associé
James Alexandre Dupichot et Marine Parmentier
sont associés au sein du cabinet Peisse
Dupichot Lagarde Bothorel & Associés. James
Dupichot est un acteur incontournable du droit
immobilier et spécifiquement du contentieux de
la construction. Marine Parmentier intervient
en matière immobilière et assure la direction
scientifique de la Gazette du Palais - édition
spécialisée Droit immobilier.
SUR LES AUTEURS
Troubles anormaux de voisinage :
la fin d’une dérive ?
La théorie des troubles anormaux de voisinage est une création prétorienne privilégiant les intérêts de
la victime qui peut engager la responsabilité sans faute d’un « voisin » si elle établit qu’il est l’auteur
d’un dommage excédant les inconvénients normaux de voisinage. Les illustrations récentes du recours
à cette notion laissent craindre une application déraisonnée en matière de construction.
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LES POINTS CLÉS
Initialement, les troubles anormaux de voisinage visaient exclusivement le maître d’ouvrage ayant
entrepris les travaux à l’origine des troubles subis par les voisins.
2005 : extension aux constructeurs considérés comme des voisins occasionnels.
2011 : extension aux architectes et bureaux d’études.
Avant-projet de réforme du droit des biens : l’action ne viserait que les propriétaires, les locataires et
les bénéficiaires d’un titre les autorisant à occuper ou à exploiter le fonds.
1 Proposition de réforme du Livre II du Code civil
relatif aux biens, par l’Association Henri Capitant des
Amis de la Culture Juridique Française, Nov. 2008.
2 Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 03-20.068, Bull. civ.
III, n° 136
3 CA Paris, 19e ch. A, 26 nov. 2008, 06/20837,
SA ALBINGIA c/ SA PAX PROGRES PALLAS
4 Cass. civ. 3, 28 avr. 2011, n° 10-14.516 et
10-14.517, publié
5 Cass. civ. 3, 21 mai 2008, n° 07-13.769, Bull. civ.
III, n° 90
6 Cass. civ. 3, 20 déc. 2006, n° 05-10.855, Bull. civ.
III, n° 254
7 Cass. civ. 3, 9 fév. 2011, n° 09-71.570 et 09-72.494,
publié
8 Cass. civ. 3, 19 oct. 2011, n° 10-15.303 10-15.810,
non publiés
Par James Alexandre Dupichot et Marine Parmentier, associés. Peisse Dupichot & Associés
© 30859552
À en croire ces arrêts, le seul fait de
participer d’une manière ou d’une
autre à l’acte de construire semble
sure pour accueillir une action
fondée sur les troubles anormaux
de voisinage.
Consciente des atteintes pouvant ainsi
être portées au droit de la responsabi-
lité et certainement face aux critiques
répétées d’une doctrine autorisée, la
Cour de cassation tente depuis peu
d’encadrer davantage cette action en
exigeant désormais que soit établie
l’existence d’une causalité entre les
troubles et les travaux réalisés.
La recherche
d’une « causalité directe »
La caractérisation d’une relation cau-
sale entre les travaux et le trouble subi
a été mise en exergue dans le cadre du
recours d’un voisin contre le maître
d’ouvrage réalisant les travaux et
l’entrepreneur missionné. La Cour
de cassation a précisé qu’il appartient
à la victime d’agir précisément contre
«l’auteur du trouble»5. En l’espèce,
l’entreprise n’ayant pas réalisé les
travaux à l’origine du dommage ne
pouvait voir sa responsabilité engagée.
La question d’une causalité directe
se pose toutefois avec plus d’acuité
dans le cadre du recours subroga-
toire exercé par celui qui a indemnisé
le voisin6.
Il est aujourd’hui acquis que cette
action est fondée sur les troubles
anormaux de voisinage et ôte donc
au subrogé la charge de la preuve
d’une faute imputable aux «auteurs»
desdits troubles.
La Cour de cassation a récemment
précisé dans un arrêt du 9 février
20117 qu’il appartient au subrogé
de démontrer que les troubles subis
sont en relation de cause directe avec
la réalisation des missions conées
aux locateurs d’ouvrage. Ce prin-
cipe a été conrmé dans un arrêt du
19octobre 20118.
Toutefois, il est permis de s’interro-
ger sur cette notion « cause directe »
bien étrange en matière de responsa-
bilité qui connaît la notion de « lien
de causalité » ou celle d’imputabilité
des désordres…
Il est dicile de voir où la Cour de
cassation veut en venir, bien que ce
dernier mouvement semble mar-
quer davantage de sévérité. Si tout le
monde semble pouvoir être le « voi-
sin occasionnel », il n’en demeure pas
moins que la victime ou le subrogé
dans ses droits devra établir que ce
sont bien ses travaux qui sont à l’ori-
gine du trouble dénoncé.
La fin d’une dérive ?
Il faut savoir raison retrouver ! C’est
dans ce sens que s’inscrit l’avant-
projet de réforme du droit des biens
qui envisage de limiter les potentiels
créanciers et débiteurs au titre des
troubles anormaux de voisinage en
précisant, au nouvel article 631 du
Code civil, que « Les actions décou-
lant (de des troubles) sont ouvertes
aux propriétaires, locataires et béné-
ciaires d’un titre ayant pour objet
principal de les autoriser à occuper ou
à exploiter le fonds. Elles ne peuvent
être exercées que contre eux».
Cette réforme marquerait la n bien-
venue d’une dérive !
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