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Pastorale-Québec • Mars 2015
CARREFOUR
plus rien à voir dans les signes et les prodiges. Tout ce qui
compte, c’est l’accomplissement personnel d’un gentil Moïse
de banlieue américaine qui met l’Égypte sens dessus dessous
parce qu’il sent qu’il doit le faire… Et tant pis pour les losers
qui traversent son chemin au moment Monsieur Moïse
passe par là. Heureusement, les baleines ne sont pas affectées
par l’ouverture pratiquée dans la mer. Moïse devient champion
écologiste, rien de moins!
La Bible aussi a ses trucs
D’un film à l’autre, nous avons du mal à définir notre ma-
laise. Nos jugements s’articulent rarement sur la vision précise
des personnages proposée dans les écrits normatifs de notre
foi. C’est dommage, car la Bible a plus d’une nuance dans sa
palette de couleurs pour dépeindre ses personnages. Les textes
bibliques font des choix et adoptent un point de vue précis
pour présenter tel ou tel personnage. Plusieurs moyens étaient
à la disposition des conteurs pour insister sur l’action ou pour
lever un coin du voile qui masquait les motivations profondes
d’un personnage. Apprendre à reconnaître ces moyens et ces
nuances, c’est apprendre à lire un peu mieux la Bible.
Un exemple? Souvent, les personnages bibliques sont des
caricatures dessinées à grands traits. Ainsi, le Louis Cyr de la
Bible, Samson, réagit toujours de la même manière devant une
demoiselle… On relira Juges 13-16 avec de grands éclats de rire
devant sa balourdise! Parfois, d’autres personnages s’avèrent
plus complexes. C’est le cas de Moïse dans le livre de l’Exode.
»
« Dessine-moiunpersonnage…biblique! »
Un personnage biblique
à toutes les sauces: Moïse
Par Alain Faucher, prêtre
I
l y a eu jadis le Moïse héroïque de Michel-Ange, ce géant
de marbre. Il a marqué pendant des siècles l’imaginaire
de la culture occidentale. Et voici maintenant le Moïse terro-
riste caractériel! Il surgit du plus récent remake d’Hollywood,
L’Exode: dieux et rois. Au cinéma, la représentation du person-
nage biblique de Mse change comme un caon. Elle sajus-
te à toutes les nuances de « saveur du moment »; du moment
américain, bien entendu. Ainsi, dans le film sorti brièvement
sur les écrans en décembre 2014, Moïse est un chef perturba-
teur fort éloquent. Plutôt étonnant, car dans la Bible, c’est un
homme à la bouche molle qui doit faire passer ses messages
par son frère Aaron.
Dans le film, Moïse n’a rien d’un magicien qui jouerait, lors
des plaies d’Égypte, le jeu des prêtres égyptiens. Moïse ne
contrôle pas les prodiges qui accompagnent ses silences ou
les rares moments il daigne prendre la parole. Mais cela
suffit pour le faire paraître brillant à côté du stupide Ramsès.
Ce Pharaon sans envergure accumule les erreurs politiques,
architecturales, économiques et stratégiques. Moïse, lui, vit un
sain opportunisme. Sur fond de tsunami, au terme du passage
de la Mer, Moïse ramène à la maison ses 600 000 nouveaux
amis. On comprend le regard de biche affolée de l’épouse si-
dérée : qui sont ces nomades qui envahissent les abords de la
tente familiale?
D’un lm à l’autre, des recettes diérentes
Chaque réécriture cinématographique provoque la com-
paraison avec les précédentes versions. « C’était bien meilleur
dans le film d’avant », disons-nous pour atténuer le malaise
créé par la plus récente mise à l’écran. Cela ne date pas d’hier.
Mon enfance a é marqe par les Dix commandements (1956);
comme si cette grande fresque « archéologisante» était une
norme éternelle! Si ma mémoire est bonne, le Pharaon y trou-
vait une identité personnelle que la Bible ne lui avait jamais
accordée. Quant à la forme, la lecture de l’Exode allait désor-
mais s’inscrire obligatoirement dans une ambiance de film
peplum.
Puis, en 1998, un magnifique film en dessins animés, le
Prince d’Égypte, a recréé Moïse. Le voilà dépeint en athte cen-
tré sur son vécu de numéro deux d’une fratrie princière fragile.
Les teintes pastel y atténuent les aspérités du récit biblique,
au point les miracles ne sont que d’évidentes conséquences
de ses rêves. Suffit de ne jamais lâcher le morceau. Comme les
vedettes des Olympiques ou les crocodiles du Nil… Dieu n’a
PHOTO EXTRAITE DU FILM L'EXODE : DIEUX ET ROIS
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Une nuée de personnages… et de techniques
Nous avons intérêt à nous attarder aux personnages de la
Bible. Dans la recette des anciens conteurs, ce sont des « in-
grédients » qui font une réelle différence. Il vaut la peine de
percevoir les nuances dans la manière de les présenter. Cela
oriente notre lecture précise des textes bibliques, notre com-
préhension et notre actualisation. Cela nous permet aussi de
ne plus nous laisser servir n’importe quoi au cinéma, même
si le menu offert sur nos écrans a coûté 150 millions; U.S., s’il
vous plaît…
Qu’il s’agisse de Jacob, d’Éhoud, de Débora, Judith ou Es-
ther, de la mère de Jésus ou de Jean-Baptiste, les personnages
bibliques sont fascinants. Pour les échos de leur vie qui enri-
chissent notre vie de foi, bien sûr. Mais aussi parce que leur
inscription dans la Bible a bénéficié d’une multitude de pro-
cédés artistiques. En plus de nourrir notre foi, les personnages
bibliques alimentent notre contemplation croyante et notre
jubilation esthétique. Pourquoi nous en priver? C’est permis,
même en Carême…
Au chapitre 2 de l’Exode, Moïse défend les opprimés et se fait
rabrouer par ses congénères. Aux chapitres 3 et 4, il se traîne
les semelles pour se défiler des invitations divines. Il se plante
royalement au chapitre 5 devant Pharaon. Puis il devient au-
dacieux et tenace dans son concours de magie avec les prêtres
de Pharaon, ce « dieu vivant» qui ne contrôle plus rien aux cha-
pitres 7 à 11.
En Exode 4, 13-16 et 7,1, il est clair que les faits et gestes
de Moïse s’inscrivent dans une dynamique de porte-parole
divin. Il devient un prophète, littéralement « celui qui parle
pour… » Cette fonction lui confère une autorité digne d’un
dieu. Le film le plus récent aurait pu trouver dans ces passages
une justification pour son sous-titre « Dieux et rois». Mais le
film a préféré diluer toute cette dynamique de médiation pro-
phétique. Il relègue du même coup le personnage d’Aaron
dans un rôle illisible. Il est clair que les scénaristes du troisième
millénaire ne se gênent pas pour manipuler les récits bibliques
vieux de 4 000 ans. On sélectionne ce qui convient au goût du
moment. On élague. On change la ligne du temps, l’enchaîne-
ment des événements. On modifie les identités. On déplace
des péripéties. On dilue les impacts de la forte altérité qui tra-
verse la Bible d’un couvert à l’autre. On fait d’un bègue un
géant de sa propre parole. Tout le contraire d’un prophète.
PHOTO EXTRAITE DU FILM L'EXODE : DIEUX ET ROIS
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