La destruction créative du seco

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La destruction créative du seco
Pour le Secrétariat d’Etat à l’économie, le naufrage
de Swissair et les autres débâcles économiques sont
des évolutions naturelles qu’il ne faut pas contrarier.
urich, l’Unique métropole économique de la Suisse, a été traumatisée par la déconfiture de
notre compagnie nationale. Le
choc a été assez violent pour remettre en question le rôle de l’Etat dans
la prévention des crises économiques. Le
seco (Secrétariat d’Etat à l’économie), de
savantes études universitaires à l’appui,
répond sans ambiguïté : toute intervention de soutien, toute réglementation
publique retarde les adaptations dictées
par le marché et les mutations technologiques. Les entreprises doivent librement
vivre et mourir. La destruction des
structures dépassées est créatrice d’une
nouvelle prospérité. L’histoire économique de la Suisse apporte de l’eau au
moulin de cette thèse. Mais des nuances
s’imposent pour tempérer un libéralisme aussi péremptoire.
Avec Simonetta Sommaruga et Rudolf
Strahm (cf. pages 4 et 5), on conviendra
facilement que l’Etat ne doit pas s’épuiser à soutenir les canards boiteux de
l’économie. D’accord également pour
constater que l’organisation quasi soviétique du marché du fromage a généré
piètre qualité, mévente, surproduction
Z
et explosion des subventions publiques.
D’accord encore pour affirmer que la réglementation de l’horlogerie des années
trente a maintenu des structures mal
adaptées qui ont failli tuer cette industrie à l’arrivée de la montre à quartz. La
branche n’a pas dû sa survie à une intervention de l’Etat, mais à l’action novatrice de quelques patrons, le plus connu
étant Nicolas Hayek. D’accord toujours
pour conclure que les commandes de
l’armée et des CFF n’ont pas réussi à
faire survivre les camions Saurer ou la
construction de véhicules ferroviaires en
Suisse.
Le seco, par avis d’experts interposé,
déplore que la Suisse s’aligne tardivement
à l’ouverture des marchés européens. Une
réglementation trop restrictive et une fiscalité trop lourde des fonds de placements ont provoqué un exode vers le
Luxembourg. Le frein à la libéralisation
aurait empêché la Suisse de devenir, au
centre de l’Europe, une véritable bourse
d’échange de l’électricité. Faut-il donc
déplorer la non-adhésion de la Suisse à
l’Europe? Non, répond le seco.
continue en page 5
JAA 1450 Sainte-Croix
Annoncer les rectifications
d’adresses
Sommaire
10 juin 2005
Domaine Public no 1649
Depuis quarante-deux ans,
un regard différent sur l’actualité
Une initiative réclame des avocats pour les animaux.
page 2
La Constitution européenne a fait les frais du référendum.
page 3
Le livre de Sommaruga et Strahm commenté par DP.
Dernier volet consacré à la croissance et à l’emploi.
pages 4 et 5
Genève refuse d’adhérer à OuestRail.
page 6
Les AOC dans tous leurs états.
page 7
Un colloque se penche sur l’engagement des écrivains.
page 8
Schengen/Dublin
Le résultat du vote révèle une
marge de sécurité très étroite
pour la votation difficile du 25
septembre sur l’extension
de la libre circulation.
La campagne devra opposer à
la peur et à l’«émotion», la
conviction calme et la prise
de responsabilité.
Edito page 3
Protection des animaux
Des hommes et des souris
Une initiative souhaite renforcer les droits des chiens et des chats.
Le but est louable mais l’interdiction de transporter porcs et veaux à travers le pays,
ainsi que la mise au ban de l’abattage rituel risquent d’attiser les polémiques.
Q
uel statut juridique pour l’animal?
La question divise les juristes
depuis des siècles. La conception
traditionnelle considérait que les
animaux étaient des «choses» par opposition
aux «personnes». Mais l’assimilation du
meilleur ami de l’homme à un objet montre
quelques limites. La législation en matière de
protection des animaux a évidemment comblé quelques lacunes et depuis 2002, le Code
civil suisse reconnaît le statut particulier des
animaux (cf. encadré).
Le sujet peut toujours enflammer le Parlement. Ainsi en va-t-il de l’initiative
«pour une conception moderne de la politique des animaux» que le Conseil national
examine cette session. Elle propose notamment d’inscrire à nouveau dans la Constitution l’interdiction de l’abattage sans
étourdissement pratiqué par certaines
communautés religieuses et de limiter de
manière assez drastique les expériences sur
les animaux dans les laboratoires scientifiques. Largement de quoi mettre le feu
aux poudres.
Parallèlement, le Parlement est saisi d’une
révision de la loi fédérale sur la protection
des animaux. Au départ conçu comme une
simple adaptation de la législation existante,
ce projet s’est transformé en contre-projet
indirect à l’initiative populaire. La nouvelle
loi vise notamment à améliorer l’exécution
parfois déficiente des cantons. Certaines
idées des initiants ont en outre trouvé une
concrétisation: le Conseil des Etats, qui en a
déjà débattu, a déjà amélioré la protection
des animaux de laboratoire.
Les défenseurs des bêtes
Autre proposition de l’initiative qui
pourrait être retenue : l’instauration dans
chaque canton d’un «avocat des animaux»
pour intervenir dans les procédures pénales où des animaux sont victimes. On se
demande toutefois si les associations de défense des animaux, auxquelles on pourrait
accorder des droits plus étendus, ne rempliraient pas mieux ce rôle qu’un fonctionnaire faisant double emploi avec le ministère public.
Kyrielle d’initiatives
Outre l’initiative actuellement pendante devant les Chambres fédérales, cinq
autres initiatives populaires ont été lancées ces dernières années pour renforcer la protection juridique des animaux.
Deux d’entre elles, déposées en 2000, demandaient que les animaux ne
soient plus traités comme des choses. Sous leur pression, le Parlement a
adopté le 4 octobre 2002 une révision législative qui a notamment modifié le
Code civil suisse dans le sens voulu par les initiants. En effet, selon le nouvel
article 641a du Code civil, «les animaux ne sont pas des choses». Les deux
comités d’initiative avaient retiré leurs propositions à la suite de ces modifications.
Plus récemment, deux initiatives ont échoué, faute d’avoir réuni les 100000 signatures nécessaires: l’une demandait l’interdiction totale de l’importation
des fourrures (échec en 2005) et l’autre exigeait une nouvelle fois à l’interdiction des abattages rituels (échec en 2003). Enfin, une initiative demandant
l’interdiction de la chasse est en cours de récolte de signatures.
2
Sur d’autres points, le texte de l’initiative
pose des problèmes majeurs. Ainsi, l’interdiction totale du transit d’animaux de boucherie vivants et les restrictions à l’importation pour les animaux moins bien traités
qu’en Suisse sont contraires aux engagements internationaux de notre pays. Enfin
et surtout, l’interdiction de l’abattage rituel
au niveau constitutionnel rallume des
foyers qui étaient un peu sous contrôle. Le
débat a de plus une portée essentiellement
symbolique puisque le projet de loi prévoit
de conserver une réglementation restrictive
de ces pratiques. Le groupe parlementaire
des Verts refuse d’ailleurs son soutien à
l’initiative en raison de cette violation de la
liberté religieuse.
Sans le soutien des Verts, l’initiative ne
paraît avoir qu’une faible chance de succès
devant le peuple et les cantons, si les modifications législatives à venir ne sont pas
suffisantes pour convaincre les initiants de
retirer leur texte. Mais il ne faut jamais
vendre la peau de l’ours avant de l’avoir
tué.
ad
Revenus colossaux des casinos
Avec une progression de 37 %, les casinos
suisses ont engrangé 770 millions de revenus
bruts durant les douze derniers mois. Comparé à celui des deux grandes loteries suisses,
leur chiffre d'affaires est quatre fois supérieur.
La Fédération suisse des casinos, qui se vante
d'avoir fait de la Suisse un «pays à casinos»,
ne cesse par ailleurs de pousser son avantage,
notamment en accusant les loteries d'utilité
publique d'aiguillonner la dépendance au jeu.
La Confédération, qui a donné le feu vert à
l'implantation des casinos, serait bien inspirée de revoir sa copie en les «déprivatisant» et
en les soumettant, eux aussi, au principe de
redistribution des bénéfices à des œuvres
d'utilité publique.
Culturenjeu, n° 6, mai 2005
www.enjeupublic.org
DOMAINE PUBLIC, N° 1649, 10 JUIN 2005
Constitution européenne
Le maniement délicat
du référendum
En France et aux Pays-Bas, la démocratie
directe a sanctionné un projet importé
de Bruxelles sans concertation entre
les acteurs politiques et sociaux de deux pays.
la suite du rejet français du
traité constitutionnel, on a entendu et lu, ici et là, le regret
que cette question ait fait l’objet
d’un référendum : celle-ci était trop
complexe pour être soumise au
peuple. Sur le fond, l’argument révèle la faible intensité des convictions démocratiques de celles et
ceux qui l’utilisent. Sur la forme par
contre, on peut discuter de la qualité
démocratique de l’exercice auquel
ont été conviés les électorats français
et néerlandais.
A
Objet et président confondus
Dans la Ve République, on le sait,
le président est seul maître du référendum. Il décide souverainement
de consulter le peuple lors d’une
modification constitutionnelle ou
de la faire avaliser par le seul Parlement. De ce fait, l’objet du référendum devient secondaire et la per-
IMPRESSUM
Rédacteur responsable:
Jacques Guyaz (jg)
Rédaction:
Marco Danesi (md)
Ont collaboré à ce numéro:
Anne Caldelari
Alex Dépraz (ad)
Jean-Daniel Delley (jd)
Carole Faes (cf)
Albert Tille (at)
Responsable administrative:
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Impression:
Imprimerie du Journal
de Sainte-Croix
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DOMAINE PUBLIC, N° 1649, 10 JUIN 2005
sonne du président première ; ou si
l’on préfère, l’objet et la personne se
confondent. Ainsi l’échec de la régionalisation en 1969 exprimait la
méfiance d’une majorité populaire à
l’égard du général de Gaulle. Ce dernier en a d’ailleurs tiré les conséquences en démissionnant. C’est le
danger du référendum plébiscitaire
qui, par nature, favorise cette confusion. Le 29 mai dernier, le camp du
non a exprimé un désaveu de la majorité au pouvoir tout autant, si ce
n’est plus, qu’une aversion pour le
projet de Constitution européenne.
Si les Français disposent d’une
certaine expérience référendaire dix consultations depuis 1959 - tel
n’est pas le cas des Hollandais, appelés aux urnes pour la première
fois sur un objet. Ce manque d’expérience s’est notamment traduit
pas un faible et tardif engagement
du gouvernement et des partis qui,
plutôt que de défendre le projet
constitutionnel, se sont limités à
corriger et dénoncer les affirmations des opposants.
Le référendum populaire est une
institution délicate qui ne tolère pas
l’improvisation. Il exige une information poussée du corps électoral et
un large débat public. Cette condition, présente en France, a manifestement fait défaut aux Pays-Bas.
Mais dans les deux cas, le projet
soumis au suffrage populaire n’a pas
fait l’objet d’une large concertation
préalable des principaux acteurs politiques et sociaux ; il n’a pas été
perçu par les opinions de ces deux
pays comme le résultat d’un compromis équilibré, mais comme une
proposition tombée du ciel européen. Dans ces conditions, il se présentait comme le bouc émissaire
idéal de toutes les insatisfactions, y
compris et surtout de celles qui
n’avaient aucun rapport avec la
question posée.
jd
Edito
Victoire d’étape
e qui est fauché est bas: Schengen-Dublin peut être
engrangé. Mais quelle leçon tirer de ce débat? Le
style et le graphisme des affiches de l’UDC sont critiqués dans les salons BCBG. Cette femme qui criait sa peur,
bouche grande ouverte, est condamnée comme trop «émotionnelle». En réalité, ce style fait penser à celui de l’extrême
droite française d’avant-guerre, les attaques personnelles
caricaturales en moins. La droite classique devrait en tirer
les conséquences. On est las de ces moues, de ces rejets distingués signifiant que, décidément, l’UDC n’est pas fréquentable. Si tel est le cas, il ne faut plus la fréquenter, ce qui veut
dire refuser toute alliance électorale avec elle.
Autre «émotion» de cette campagne, l’éloge historique
de la frontière par Christoph Blocher quand le peuple devait se prononcer sur l’abolition d’une forme de contrôle à
la frontière. Son discours, pont-levis levé et herse abaissée,
a de surcroît été diffusé en publicité rédactionnelle payante, probablement à ses frais, par les grands journaux du
pays. Certes, ce conseiller fédéral incontrôlable ne peut être
démis, mais il ne doit pas être réélu en 2007 et encore
moins bénéficier du tournus qui ferait de lui un président
de la Confédération!
Il y a le résultat, il y a le score. Il révèle une marge de sécurité très étroite pour la votation difficile du 25 septembre
sur l’extension de la libre circulation. Car elle ne sera pas
un Schengen bis. La peur de la concurrence salariale est
réelle; on ne retrouvera pas les mêmes majorités urbaines
et le souhait des milieux ruraux de pouvoir recourir à une
main d’œuvre bon marché ne compensera pas les réticences citadines. Le refus français pèsera du poids lourd
des arguments qui ont entraîné le «non», à savoir que la
libre circulation des travailleurs impliquerait une politique
sociale et des minima salariaux communs. Et la réponse
qui affirme que les travailleurs polonais, hongrois, lettons,
seront soumis aux conditions usuelles de la branche en
Suisse, que des contrôles et des mesures d’accompagnement seront mis en place, ne sera pas partout reçue comme
convaincante. Comment pourrait-il en être autrement à
voir la satisfaction anticipée qu’affichent des petits patrons
ou un Jean Fattebert?
L’enjeu, on le sait, est considérable. Une crise grave sera
ouverte avec l’Union européenne qui ne peut transiger sur
le principe de la libre circulation, une liberté européenne
fondamentale. Tout le bilatéralisme sera en question avec
ce qu’il représente de négociations, de recherches d’avantages réciproques.
La campagne devra donc être à la hauteur de cet enjeu.
L’engagement des partis et des médias, certes importants,
ne suffira pas. Elle devra impliquer les magistrats cantonaux et communaux. A la peur et à l’«émotion», opposer
la conviction calme et la prise de responsabilité.
ag
C
3
Livre de Simonetta Sommaruga et Rudolf Strahm
Par la grâce de la productivité
Le dernier volet de notre série consacrée à Für eine moderne Schweiz examine
l’analyse de la situation économique du pays proposée par les deux
socialistes bernois. Formation et concurrence sont au centre du débat.
a situation helvétique est paradoxale.
Notre pays, quelle que soit la
conjoncture, connaît un taux de
chômage inférieur à celui de la plupart des pays développés et une proportion
d’actifs plus élevée, quand bien même son
taux de croissance le situe régulièrement en
queue de classement. Pour Sommaruga et
Strahm, c’est d’abord au système de formation professionnelle que nous devons la
relative bonne forme de notre marché du
travail. Fondé sur un apprentissage dans les
secteurs d’activité où existe un besoin réel
de main-d'œuvre, ce système est le mieux à
même de faire correspondre l’offre et la
demande.
Cet avantage comparatif ne doit pas nous
dispenser pour autant de favoriser la création d’emplois. D’autant moins que l’économie moderne connaît de profonds changements. Aujourd’hui, ni le banquier dans
la force de l’âge, ni le manœuvre, ni la
jeune diplômée ne peuvent compter sur la
garantie de l’emploi. Seule une croissance
économique soutenue est à même d’offrir
en suffisance des places de travail.
L
Pas de solution miracle
Les deux auteurs constatent avec regret
que le débat sur la croissance est idéologiquement contaminé. A droite, on fustige le
poids de la fiscalité et les dépenses de l’Etat.
A gauche, on se lamente à propos des phénomènes de rationalisation et de délocalisation, ou l’on rêve d’un taux de croissance
durable de 3% sans jamais expliquer comment l’atteindre. Sans parler des économistes de l’école de Bâle, pourfendeurs des
droits populaires, accusés d’empêcher les
changements indispensables à une revitalisation de l’économie. Aucune de ces explications n’est satisfaisante, même si certaines contiennent une part de vérité.
Certes il est possible de stimuler la
conjoncture par le déficit budgétaire. Mais
la recette ne vaut que pour le court terme;
à longue échéance, l’endettement public ne
garantit pas la croissance. Quant à la poli-
4
tique monétaire, mal conduite, elle entrave
la croissance, comme ce fut le cas dans la
première moitié des années nonante; mais
elle ne peut la stimuler durablement.
Stimuler l’essor des PME
Le débat des années septante sur la croissance zéro n’est plus qu’un souvenir. Car,
rappellent les deux socialistes, la lutte contre
le chômage, la protection de l’environnement et le financement des dépenses sociales
exigent une croissance soutenue. Mais une
croissance qui ne se nourrit pas d’une
consommation accrue d’énergies non renouvelables et de matières premières.
Alors comment retrouver le chemin de la
croissance? A droite, on parie trop exclusivement sur la stimulation de l’offre. Et l’on revendique logiquement une fiscalité allégée,
des coûts salariaux plus bas, moins de protection de l’environnement et moins d’Etat.
La gauche insiste sur l’encouragement de la
demande, donc des salaires plus élevés et des
investissements publics accrus. Or les deux
camps oublient un facteur central de la
croissance, l’augmentation de la productivité. Il ne faut pas considérer seulement le
coût horaire du travail - en Suisse l’un des
plus élevés au monde -, mais aussi ce qui est
produit durant cette heure.
La productivité dépend bien sûr du capital investi, mais également des compétences
de la main-d’œuvre et de la stimulation de
la concurrence. Or ces deux mamelles de la
croissance - formation et concurrence sont insuffisamment développées en Suisse.
N’attendons pas des grandes sociétés multinationales qu’elles créent beaucoup d’emplois dans notre pays. La globalisation de
l’économie les conduit à se développer à
l’étranger, près des marchés en expansion.
Le véritable moteur de la croissance et de
l’emploi, ce sont les petites et moyennes
entreprises - 67% de l’emploi. C’est sur
elles que doit porter une politique de
croissance.
jd
Les propositions des auteurs
Sommaruga et Strahm indiquent
tout d’abord quatre conditions, nécessaires mais pas suffisantes, pour
une croissance économique:
■
Une politique monétaire de la
Banque nationale qui évite l’appréciation du franc par rapport à
l’euro et qui, si nécessaire, tolère
un taux d’inflation jusqu’à 2,5%,
afin de ne pas asphyxier la
conjoncture.
■
Une politique salariale qui garantit la pleine indexation, le refus de
la sous-enchère salariale par le
biais du recours à des travailleurs
étrangers peu payés ou des baisses
de salaire qui éroderaient le pouvoir d’achat.
■
Le maintien des dépenses pu-
bliques d’investissement. Si
quelques corrections peuvent se
révéler positives, une réduction
globale de la quote-part fiscale ne
constitue pas une mesure de stimulation de la croissance.
■
Une intégration plus poussée des
femmes dans le marché du travail,
en particulier des plus qualifiées.
Ces quatre conditions remplies, il est
alors possible de développer quatre
stratégies susceptibles de déployer
des effets durables et efficaces sur la
croissance:
■
Un renforcement de la concurrence. Tout d’abord en autorisant
les importations parallèles et en
continue en page 5
DOMAINE PUBLIC, N° 1649, 10 JUIN 2005
Croissance et emploi
La destruction
créative du seco
L’avis de DP
La formation professionnelle est un enjeu d’avenir. Cependant,
elle mérite une cure de jouvence. Accompagnée
de propositions alternatives pour le travail non qualifié.
analyse de Sommaruga et Strahm
repose sur une solide analyse économique et une bonne connaissance du terrain, ce qui n’est pas toujours le cas des propositions et positions développées par les partis, de
gauche comme de droite. L’importance
qu’ils accordent à la formation, en particulier à la formation en lien avec le
marché du travail, est justifiée.
Reste que plusieurs points de leur
programme méritent approfondissement. En particulier la formation professionnelle. Si cette spécificité helvétique mérite d’être sauvegardée, elle a
besoin d’une sérieuse réforme - formation scolaire des apprentis parfois inadaptée et encadrement insuffisant - et
de mesures incitatives nouvelles : comment convaincre les entreprises d’offrir
suffisamment de places d’apprentissage
et de ne pas se contenter de profiter de
la main-d’œuvre formée par d’autres ?
L’
■
■
■
interdisant les accords verticaux
entre fournisseurs et distributeurs. Puis sur le marché intérieur, encore trop cloisonné et
protégé, dans la mesure où le service public n’est pas mis en danger. Les auteurs préconisent par
exemple une uniformisation des
normes de construction.
Une augmentation de 30% des
dépenses de formation et de recherche durant la prochaine décennie. Il s’agit en particulier de
financer plus généreusement la
réforme de la formation professionnelle, les Hautes écoles spécialisées, ainsi que les nouvelles
technologies.
Un accès facilité au crédit pour les
PME et la création d’entreprise.
A plus long terme, une limitation
des cotisations au 2e pilier - par
DOMAINE PUBLIC, N° 1649, 10 JUIN 2005
Suite de la première page
S’il est vrai que la croissance de l’économie helvétique et sa position dans la
concurrence internationale exigent des
personnes de mieux en mieux formées,
l’ensemble de la population, pour diverses raisons, ne pourra répondre à
cette exigence. Pour ces emplois non
spécialisés, il faut imaginer des solutions : par exemple un salaire minimum
et dans les cas extrêmes un complément
de revenu par l’Etat (cf. DP 1648, Travailleurs auxiliaires).
Enfin si les auteurs ne veulent pas
mettre en péril le service public - limitation au principe de la concurrence encore faut-il préciser les critères qui
permettent de définir ce service. Entre
une droite grisée par le mirage du marché et une gauche crispée sur la défense
des acquis, il y a place pour une réflexion que nos deux réformateurs
n’entreprennent pas.
jd
exemple en fixant un plafond à
150 000 francs de salaire assuré qui érodent le pouvoir d’achat et
pèsent négativement sur la croissance interne par exportation du
capital. Parallèlement le premier
pilier de l’AVS doit être renforcé.
Ces conditions cadre et ces stratégies ne constituent pas un bouleversement politique. Elles pourraient
faire l’objet d’un pacte pour la
croissance entre les réformateurs
des partis bourgeois et les socialistes. Pour autant que chacun des
camps renonce à la guerre de tranchées stérile qui voit s’opposer,
d’une part, les partisans de la baisse
systématique de la fiscalité et des
dépenses publiques et, de l’autre, les
adversaires de la concurrence et tenants de programmes conjoncturels
■
financés par l’endettement.
Les entreprises n’ont pas,
semble-t-il, de difficulté sur le
marché de l’Union européenne. En revanche, la Suisse devrait unilatéralement éliminer
tous les obstacles à l’activité
des entreprises étrangères sur
son sol. Une concurrence accrue augmenterait l’efficacité
des secteurs encore trop orientée sur un marché intérieur
protégé. Le secteur des services
dont l’importance va croissante doit tout particulièrement
gagner en efficacité par l’ouverture à la concurrence et la
déréglementation étatique.
Pour le seco, aucun secteur ne
devrait échapper à ce vent libéral : l’agriculture et les services postaux bien sûr, mais
aussi la santé et l’éducation.
Cette liste, non exhaustive,
publiée sans commentaire sur
le site du seco est surprenante.
Elle est en parfaite contradiction avec les engagements pris
par Joseph Deiss et ses hauts
fonctionnaires qui excluent la
santé et l’enseignement public
des négociations sur la libéralisation des services à l’OMC.
Les interventions de l’Etat
pour le soutien aux régions
économiquement menacées ne
convainquent pas le seco. Les
effets de l’arrêté Bonny, que
Berne entend démanteler, seraient proches de zéro. Les efforts de promotion économique des cantons ne sont pas
épargnés, eux non plus, par ce
scepticisme. Les cantons menant une politique volontariste n’enregistrent pas de performances mesurables de leur
taux de croissance.
Pas de miracle donc. Mais
l’étude ne se demande pas quel
aurait été le recul de l’économie neuchâteloise si, réveillé
par la crise horlogère, le canton n’avait pas mené une vigoureuse politique de repeuplement industriel.
at
5
Ville de Genève
L'enthousiasme oui, le lobby non
La cité de Calvin se tient à l’écart d’OuestRail, même si l’association
assure la promotion de la ligne Cornavin/Eaux-Vives/Annemasse (CEVA).
onstituée en août 2004, l'association OuestRail est née
de la fusion de deux communautés d'intérêts, regroupant
l'une les défenseurs de la ligne
Simplon-Lötschberg (CISL) et
l'autre ceux des transports ferroviaires de l'Arc jurassien (CITAJ).
Selon ses statuts, «OuestRail s'engage en faveur de liaisons ferroviaires performantes en Suisse occidentale et vers les réseaux des
pays voisins». A la fois lobby et organe d'information, OuestRail finance des études de conception,
des analyses de marché, des campagnes de promotion.
Outre les six cantons de Suisse
occidentale qui en sont membres
de droit, OuestRail réunit des
membres collectifs (entreprises,
associations économiques et touristiques, toutes autres personnes
C
physiques ou morales intéressées)
ainsi que des villes et communes.
Ces dernières ont adhéré en
nombre, pour une modeste cotisation allant de 50 à 250 francs
selon le nombre d'habitants. Lausanne, Bienne ou La Chaux-deFonds payent autant que le canton
de Genève, soit 500 francs.
Seule collectivité à se tenir à
l'écart : la ville de Genève. Elle
explique son refus d'adhérer sous
la plume de son conseiller administratif Christian Ferrazino, élu
de l'Alliance de gauche. Le président du Département de l'aménagement, des constructions et
de la voirie (DACV) invoque
l'absence de compétence communale en matière de transports
ferroviaires, qui sont du ressort
exclusif de la République et canton. Comme si le Conseil admi-
nistratif de Genève n'avait pas
l'habitude de s'attribuer des missions aussi planétaires que
dépourvues de toute base légale.
Or il se trouve qu'OuestRail a
la mission de promouvoir la réalisation de la CEVA (ligne Cornavin/Eaux-Vives/Annemasse), qui
touche six communes dont
Genève, où se situent les deux
principales gares sur territoire
suisse. Et les travaux préparatoires pour l'aménagement de la
gare de Cornavin, qui devraient
démarrer cette année encore,
figurent au programme du Service d'urbanisme de la Ville, de
même que le plan d'aménagement prévoyant de valoriser les
six hectares de friches aux environs de la future gare souterraine
des Eaux-Vives. A noter aussi que
le site du DACV mentionne que
«le département s'engage avec
enthousiasme, avec le canton et
les CFF, en faveur de la ligne RER
CEVA». Un élan qui ne va toutefois pas jusqu'à pousser au vulgaire lobbyisme - un genre de
manœuvre locale et intéressée,
de toute évidence indigne de la
Genève internationale.
Heureusement, le gouvernement cantonal se montre plus réaliste. Entraîné par ses collègues de
Zurich et du Tessin, le conseiller
d'Etat genevois Robert Cramer,
élu des Verts, vient de cosigner,
avec la radicale Rita Führer et le
«leguiste» Marco Borradori, une
missive aux parlementaires fédéraux, les implorant de soutenir les
trois grands projets prioritaires de
la prochaine décennie en matière
d'infrastructures ferroviaires,
CEVA en tête.
jd
Convivialité
La société en fête
as besoin de regarder le thermomètre
pour s’assurer que l’été approche, il suffit
de voir s’épaissir le supplément weekend des journaux. L’engouement pour les
journées dédiées à un thème quelconque, pour
les festivals en tout genre mais aussi pour les
fêtes de quartiers et tout ce qui à trait au
«vivre ensemble» confirme leur importance.
Leur multiplication est impressionnante, pas
un jour sans offre d’attractions ludiques, pas le
moindre hameau qui n’ait son animation.
Alors que le pouvoir a longtemps eu comme
objectif de contenir les débordements des fêtes
populaires, les autorités locales favorisent aujourd’hui les festivités. Les fêtes religieuses
rythmaient le calendrier des sociétés préindustrielles, ce sont les événements «identitaires»
qui marquent celui de notre société du temps à
soi. Nous sortons d’une époque où il était légitime de dire que le temps de travail organisait
P
6
les sociétés. Aujourd’hui, la plupart des travailleurs capitalisent dix-huit ans de formation
pour moins de quarante ans de travail et passent plus de temps devant la télévision que sur
leur lieu de travail.
L’institution imaginaire de la société urbaine nécessite des mythes et des rituels qui actualisent les thèmes fondateurs et les représentations collectives de la société. Les événements sportifs et les fêtes urbaines jouent aujourd’hui en partie ce rôle.
Les réalisations éphémères, souvent artistiques, sont un des moyens de mobiliser les
gens autour de leur ville, de la leur faire aimer.
L’occupation de la rue en est une composante
fondamentale précisément parce qu’elle
donne à sentir la société à laquelle chacun appartient séparément et abstraitement. L’inhabituel, l’effet de surprise, les changements de
perspective, les retournements d’image et les
usages incongrus de l’espace permettent de
mettre en valeur les caractéristiques urbaines,
de rendre la ville sensible (palpable, visible,
audible, etc.) aux individus. Prendre
conscience de ce que l’on voit tous les jours
mais qu’on ne remarque pas ou découvrir le
charme et l’intérêt de lieux que l’on ne fréquente jamais est un moyen de faire connaissance avec sa ville. Les événements qui marquent le calendrier constituent aussi des repères temporels qui permettent de partager
une expérience commune avec les autres
membres de la collectivité.
Jalons sociétaux dans les calendriers personnels, leur prolifération essoufflerait le plus
sociable des fêtards. Las d’être soi-même seul
parmi tous les autres, d’aucun souhaite se retrouver, dans l’intimité, avec quelques autres.
Les barbecues ont encore de beaux jours devant eux.
cf
DOMAINE PUBLIC, N° 1649, 10 JUIN 2005
AOC
Les royaumes du terroir
Les marchés globalisés raffolent des produits enracinés.
Le combat sévit pour s’assurer les appellations d’origine contrôlée.
est la revanche des racines contre
la globalisation. L’appellation
d’origine contrôlée (AOC) ou
l’indication géographique protégée (IGP) dressent les barrières du vrai, de
l’original, face à la marée montante du faux et
des copies. Le nom propre fait la guerre au
générique. L’unique, façonné pièce par pièce,
mène la vie dure aux vins, fromages, viandes,
alcools, sortis des chaînes de montage, calibrés et standardisés.
C’
Le local et le global
La Bataille des AOC en Suisse, paru dans la
collection Le Savoir suisse, raconte quinze ans
de luttes et de controverses juridiques sur la
voie des appellations contrôlées. Stéphane Boisseaux et Dominique Barjolle renouent les fils
d’une législation, d’abord cantonale ensuite fédérale, issue de la crise des vignobles genevois et
valaisans des années huitante. A l’écart des «acquis communautaires», depuis le refus populai-
re d’adhérer à l’Espace économique européenne
(EEE), la Suisse doit se débrouiller seule pour
défendre ses spécialités. L’ordonnance du
28 mai 1997, entrée en vigueur le mois de juillet
de la même année, règle la procédure de reconnaissance pour tous les produits agricoles, à
l’exception des vins qui bénéficient déjà d’un
dispositif sur mesure (Ordonnance du 7 décembre 1998).
Malgré ce garde-fou et de nombreux accords
bilatéraux, voire multilatéraux, négociés au sein
de l’OMC, la promotion du terroir ravive inlassablement les conflits entre les pays pour obtenir l’exclusivité des dénominations. La France,
via l’Union européenne, conteste depuis 1998 à
la commune de Champagne le droit d’appeler
ainsi son vin blanc. Le cas s’éternise devant le
Tribunal de première instance des Communautés européennes à Luxembourg en raison d’un
recours présenté par les vignerons vaudois.
L’Emmental vit également des heures difficiles. Sa reconnaissance endure l’opposition de
Un conte de fée
L’Etivaz fait coup double en 2000. Il s’inscrit à la fois au Registre fédéral des AOC et à celui
des IGP. La reconnaissance officielle, avec certificat et cachet fédéraux, se coagule dans la vie
d’une petite communauté d’irréductibles fromagers, en quête autonomie depuis trois
quarts de siècle. Chaque été, trois cent cinquante tonnes de fromage quittent les chalets
vaudois pour atterrir dans les caves de l’Etivaz, petit village aligné sur les pentes septentrionales du col des Mosses, au-dessus de Château-d’Oex. Des règles strictes commandent la fabrication. Il faut chauffer le lait au feu de bois dans des chaudrons en cuivre. Les vaches
courent les alpages d’altitude, histoire de ruminer en quantité fleurs et herbes en tout genre.
Par contre, il est interdit de mélanger les laits, la ségrégation garantit la richesse des goûts.
Plutôt en verve jusqu’au début du siècle passé, les ventes d’Etivaz s’effondrent les années
suivantes. En 1932, les producteurs créent une association de défense de leurs intérêts et,
dans la foulée, ils construisent une cave commune en 1934. Au terme de la Deuxième Guerre mondiale, ils quittent l’Union suisse du commerce de fromages, confient la diffusion de
leurs meules à la Fédération laitière lémanique (aujourd’hui Orlait), avant de se rassembler
en une coopérative indépendante, depuis 1986, qui dépose une marque trois ans plus tard.
Avec l’appui du canton de Vaud, l’Etivaz monte à Berne et décroche l’appellation convoitée.
Septante familles gagnent ainsi leur vie, via une gestion très stricte de l’offre et de la demande pour six millions de chiffre d’affaires. Même si quelques paysans souhaitent écouler directement leur fromage sans se plier aux directives de la coopérative.
www.etivaz-aoc.ch
DOMAINE PUBLIC, N° 1649, 10 JUIN 2005
huit pays de l’Union, concurrents de la Suisse.
Inscrit dans le Codex alimentarius depuis
1967 - qui désigne à l’échelle mondiale ce que
l’on peut nommer beurre, yoghourt ou vin - le
fromage avec les trous échappe pour l’heure
aux vallées bernoises. Quiconque le fabrique à
l’image du Codex peut s’en réclamer, au même
titre qu’un générique, sort déjà réservé à l’eau
de Cologne ou aux boules de Berlin confectionnées dans toutes les boulangeries de la planète sans égard pour leur origine.
De leur côté, embrouillant davantage la situation, les Etats-Unis et l’Australie désavouent les AOC européennes, trop protectionnistes à leur goût. Et s’opposent à l’extension à tous les produits de l’accord sur les Aspects de droits de propriété intellectuelle qui
touchent au commerce (ADPIC), conclu en
1994 lors des négociations de l’Uruguay
Round (GATT), qui concerne seulement les
vins et les spiritueux.
Protéger, monopoliser
Comme les marques, les AOC et les IPG
bravent la concurrence. Elles balisent le terroir
et le défendent coûte que coûte. La survie de
l’agriculture passe par de petits monopoles,
inaliénables. La paysannerie d’Etat, subventionnée, s’efface au profit du produit labellisé,
protégé, consigné. Les barrières douanières se
transforment en enclos du goût. Face à libéralisation qui poursuit son chemin aussi en Suisse - circulation sans entraves de tous les produits européens à partir de 2007 et suppression des aides aux exportations - une qualité
supérieure, inimitable, irréprochable, appelle
sans discussion le porte-monnaie du consommateur, désorienté et sollicité de toute part, et
offre une chance de survie aux paysans. md
Stéphane Boisseaux, Dominique Barjolle,
La Bataille des AOC en Suisse,
Collection Le Savoir suisse, PPUR, 2005, Lausanne.
Association suisse pour la promotion des AOC et IGP,
www.aoc-igp.ch
Sur l’ADPIC:
www.wto.org/french/tratop_f/trips_f/trips_f.htm
www.unesco.org/culture/industries/trade/html_fr/
question14.shtml
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Littérature
Ecrire ou agir
La responsabilité de l’auteur alimente toujours les débats. Si l’on désespère
de changer le monde, les écrivains ne cessent d’en dénoncer l’état.
l’occasion d’un colloque
international à l’Université de Lausanne, des
chercheurs se sont interrogés sur la notion d’engagement dans la littérature francophone. Après une journée
consacrée aux textes d’auteurs
contemporains, une série d’exposés s’est intéressée à l’histoire
de cette notion dans la première
moitié du XXe siècle.
A
Contre-engagement
C’est à partir de la figure incarnée par Jean-Paul Sartre que
la position d’«écrivain engagé»
s’est cristallisée dans la définition que nous connaissons aujourd’hui. Pour Sartre, écriture
et action sont liées: la littérature doit changer le monde, «la
parole est action». Benoît
Denis, de l’Université de Liège,
confronte la position de Sartre
à celle de Roland Barthes qu’il
qualifie de «contre-engagement». Tous deux considèrent
que la littérature est en rapport
avec le monde, mais ils s’opposent quant à la nature de ce
lien. Pour Sartre, l’écrivain doit
d’abord choisir son public, puis
un sujet. La littérature se réduit
à un moyen de communication, efficace lorsqu’elle atteint
son lecteur. La question esthétique est reléguée au second
plan. Pour Barthes, au contraire, un écrivain est engagé s’il
s’interroge sur son rapport au
langage. En tension entre l’art
pour l’art et le roman à thèse, il
cherche une «morale de la
forme», une écriture qui véhicule des valeurs et les transforme par son style singulier. Mais
cet engagement est par essence
manqué, impossible. Il reste
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virtuel, se fige en intention. La
responsabilité de l’écrivain n’est
donc pas de changer le monde,
mais d’assumer cet échec.
Echecs
Ces deux positions théoriques se réalisent-elles dans les
œuvres littéraires ? Romain
Gary, en contemporain de
Sartre, s’est lui aussi débattu
avec la question de la responsabilité de l’écrivain. Luc Rasson,
de l’Université d’Anvers, parcourt son œuvre et décrit les
dispositifs que l’écrivain met en
place pour répondre à cette
question. Au début de son
œuvre (Education européenne,
Les Racines du ciel), ses personnages sont des héros qui parviennent à triompher du mal.
Dans les romans suivants, il
tourne la question en dérision
au moyen de la satire. L’engagement transforme l’ennemi de
l’intérieur, et non plus par la
confrontation. Les places ne
sont plus définitives. Finalement, miné par le soupçon
qu’une œuvre individuelle ne
peut changer le monde, il
donne la parole aux faibles, aux
marginaux (Gros-Calin, La Vie
devant soi). Mais lorsque le
point de vue échoue dans les
marges de la société, la langue
devient maladroite, décalée, incapable de communiquer. Le
sens est perdu.
En suivant l’analyse de Franc
Schuerewegen, des Universités
d’Anvers et Nimègue, Marcel
Proust livre le même combat.
Entre A l’ombre des jeunes filles
en fleurs et Le Temps retrouvé, le
narrateur a trouvé sa vocation:
écrire pour révéler le sens caché
sous la matière, sous la sensation.
C’est par son style que l’écrivain
mesure la profondeur de son engagement. Plus sa langue lui est
propre, plus elle se distancie de
la norme, plus la révélation est
vraie. La véritable littérature doit
faire peur. L’écrivain est un «lutteur», «un samouraï».
Au tour du lecteur
Ainsi, entre deux siècles, les
auteurs qui se sont essayés à
changer le monde par l’écriture
ont échoué et se sont réfugiés
dans la langue. Qu’advient-il
dans le siècle suivant ? Aujourd’hui, les écrivains ne se reconnaissent plus comme auteurs engagés à la manière de Sartre. Ils
acceptent la responsabilité de décrire le monde, de dénoncer son
état, mais ne cherchent plus à le
changer. Leurs textes ne sont pas
soumis à une idéologie, ils sont
critiques, à distance. Ils laissent
leur lecteur libre de son interprétation. A lui d’agir.
Anne Caldelari
L'assemblée générale ordinaire de Domaine Public est convoquée le mercredi 15 juin 2005,
à 18 heures à l’Hôtel de la Navigation, Place de la Navigation à Lausanne-Ouchy.
Ordre du jour
1. Approbation du PV de l'Assemblée générale du 16 juin 2004
2. Rapport de gestion 2004
3. Rapport du réviseur, approbation des comptes et du bilan, et décharge aux administrateurs
4. Divers
Les discussions pourront se poursuivre pour ceux et celles qui le désirent pendant le repas qui suivra.
Informations supplémentaires
Conformément à l'art. 14 des statuts, les actionnaires peuvent se faire représenter à l'assemblée générale par un autre actionnaire en lui remettant une procuration écrite, le cas échéant en mentionnant
leurs instructions de vote. Les membres en exercice du conseil d'administration reçoivent fréquemment des procurations. Ils ne peuvent cependant pas prendre part à certains votes (approbation des
comptes et décharge au conseil). Il est donc préférable de donner procuration à un autre actionnaire
ou à Jean-Pierre Bossy, qui a accepté d'agir comme représentant indépendant des actionnaires. La procuration écrite peut être communiquée directement au secrétariat de Domaine public.
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