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Les études de médecine et la musique
interne des étudiants
Christophe Luthy
Rev Med Suisse 2015; 1818-1819
Les études de médecine sont longues et parsemées de pièges. Il y a d’abord les premières
années où les étudiants sont soumis au difficile apprentissage de toutes sortes de matières.
Typiquement, les écueils se nomment physique, chimie et biochimie. Par la suite il convient
encore de parvenir à retenir des chapitres entiers d’anatomie, de pathologie et d’histologie, de
physiopathologie et d’épidémiologie tout en débutant les premiers stages.
Brièvement, ces initiations permettent aux futurs médecins de découvrir progressivement les
dérèglements de la biologie et les bases de la thérapeutique. L’imprégnation à ces différents
domaines se paie évidemment au prix de la fréquentation assidue des salles de cours et des
bibliothèques, même si l’informatique et les patients standardisés ont redessiné la façon
d’apprendre et de s’exercer. Ainsi, quels que soient l’université et les lieux d’immersion
professionnelle, les étudiants sont communément contraints de faire preuve d’importants
efforts intellectuels et d’une abnégation soutenue avant de parvenir à assumer le rôle du
médecin et à gérer leurs premières relations avec des malades.
Mes activités d’enseignant et de tuteur clinique me permettent de rencontrer de nombreux
étudiants. Quel que soit le stade de leurs études, j’apprécie toujours d’en apprendre un peu
plus sur leurs trajectoires et sur leurs vécus. En écoutant les mieux disposés d’entre eux, je
mesure souvent combien leurs voix rendent compte des forces magiques sans lesquelles la
médecine clinique serait orpheline de ses meilleurs serviteurs. Ces voix se manifestent parfois
par des dispositions qui apparaissent précocement : être curieux des malades autant que des
maladies, demeurer en quête de nouvelles connaissances, accepter que la rigueur scientifique
ne permette pas d’éviter l’atmosphère floue de la rencontre avec le malade, reconnaître que ce
dernier se dévoile de façon irrégulière et qu’il revient au médecin d’acquérir des stratégies de
communication adaptées. Pour ces étudiants-là, ni les périodes de doutes et d’errances, ni les
lourdes tâches qui leur incombent, n’entament leur volonté obstinée et passionnée de tenir le
fil d’un apprentissage au cours duquel il faut faire d’incessants allersretours entre la théorie et
la pratique, entre le malade et ce que celui-ci leur fait vivre à eux en tant qu’individus et futurs
médecins.
A travers ces modulations et ces variations d’accent, à travers ces métamorphoses subtiles,
une très sensible continuité de ton et une étonnante cohérence thématique se dégagent de
l’écoute de la musique interne de nos meilleurs étudiants exposés à la clinique. Il s’agit de la
description d’un monde à la fois complexe et violent, composé de faits vécus et de fantasmes,
de paysages entrevus et de visions d’arrière-mondes fabuleux. Il s’agit de situations extrêmes
et d’expériences limites qui invitent à débusquer les secrets clos dans chaque être et dans
chaque lieu. Parce que nos étudiants sont en train d’apprendre à repérer l’extraordinaire dans
le quotidien, ils sont souvent particulièrement sensibles à leurs oublis ainsi qu’aux jeux cruels
de leurs attentes et de leurs désirs. Avec leurs silences, avec des mots simples et raffinés, ils
montrent comment ils explorent la géologie de l’être humain. Ils montrent comment ils (se)
cherchent pour cerner les mystères des visages et des corps tout en acceptant leurs
insuffisances et leurs conflits intérieurs.
Evidemment, ma tentative d’écriture d’aujourd’hui n’est qu’une lecture personnelle de la
musique interne des étudiants en médecine. Mes perceptions sont notamment influencées par