
Plaidoyer pour une linguistique sans m´
etaphysique
mots tr`
es durs, mais qui est fond´
ee sur les mˆ
emes principes. On les retrouve
aussi chez d’autres auteurs, qui, par-del`
aleursdiff
´
erences, admettent tous que la
pens´
ee et le langage sont constitu´
es d’un petit nombre d’´
el´
ements, sans doute
universaux (mˆ
eme si on n’est pas parvenu `
a un accord sur une liste), qui s’associent
grˆ
ace `
aunm
´
etalangage combinatoire, que ce soit la MSN d’Anna Wierzbicka, les
transformations de Chomsky, les repr´
esentions graphiques de Culioli, de Talmy,
de Langacker, ou encore les ´
equations logico-alg´
ebriques de Pustejovsky ou des
grammairiens logicistes. Le travail du linguiste consiste alors `
afairedeshypoth
`
eses
de repr´
esentations dans le langage combinatoire postul´
e. Lorsqu’elles correspondent
aux faits linguistiques ´
etudi´
es, ces derniers sont alors r´
eput´
es expliqu´
es.
Mais avant de revenir `
a A. Wierzbicka, interrogeons-nous un instant sur des
th´
eories pour lesquelles des ph´
enom`
enes constat´
es, notre usage de la langue, sont
expliqu´
es par des entit´
es postul´
ees dont on ne sait rien d’autre que les effets
suppos´
es de leur pr´
esence. Cela serait acceptable par transition, comme le font
les physiciens, qui postulent des particules ou des forces pour leurs effets suppos´
es,
mais qui s’empressent ensuite de construire des acc´
el´
erateurs pour en montrer in
fine l’existence. En linguistique, rien de tout cela. Chaque auteur postule librement
toutes sortes d’entit´
es causales auxquelles il peut attribuer toutes les caract´
eristiques
souhaitables sans se pr´
eoccuper de leur existence r´
eelle. Comme il ne se pr´
eoccupe
pas non plus des postulats de ses concurrents, le paysage th´
eorique est rempli
d’entit´
es diverses et vari´
ees que les disciples des uns et des autres utilisent au sein
de leurs chapelles respectives, dont aucune ne s’int´
eresse aux autres. D’ailleurs
toute discussion un peu critique apparaˆ
ıt souvent comme inconvenante, comme
si elle contrevenait aux bonnes murs. En 1980 d´
ej`
a, G. Mounin ´
ecrivait dans
l’Encyclopaedia Universalis:‘On ne s’entre-lit plus gu`
ere, ou plus assez, sauf entre petits
groupes trop ferm´
es;onnediscuteplusassezd’ungroupe`
al’autre’. Il regrette aussi que
les concepts linguistiques soient les produits d’´
ecoles de pens´
ee avec des maˆ
ıtres et
des disciples, et conclut que tout cela devrait inqui´
eter.
C’est ainsi que le cognitivisme, par manque de confrontation des id´
ees, est une
survivance incongrue de la m´
etaphysique cart´
esienne dans la pens´
ee moderne, le
plus souvent `
a l’insu de ses protagonistes. La place nous manque ici pour en parler
en d´
etail, mais le lecteur int´
eress´
e peut se reporter entre autres `
aSearle(1997,1999),
ou bien encore `
aFrath(2007), qui d´
eveloppe une argumentation structur´
ee contre
le cognitivisme.1
Mais en quoi la MSN de Wierzbicka est-elle m´
etaphysique, se demande peut-
ˆ
etre le lecteur. Elle l’est d’une part par le caract`
ere enti`
erement hypoth´
etique de
ses composants. La m´
ethode wierzbickienne de collecte des universaux permet
certes de mettre en ´
evidence des ressemblances entre les langues, par exemple
qu’il existe un mot dans toutes les langues pour dire je ou penser,maisdel
`
a`
a
conclure `
a l’existence causale d’universaux, il y a un saut un peu rapide, et plus
1On lira aussi avec int´
erˆ
et le roman de l’´
ecrivain britannique David Lodge, Think,o`
u l’auteur
aborde le probl`
eme du cognitivisme en mettant plaisamment en sc`
ene un sp´
ecialiste des
sciences cognitives.
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