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Web 15 Fiche 15.1
LOCALISATION SPÉCIFIQUE DE PROTÉINES
AUX PÔLES CELLULAIRES
A. LATIFI
Les pôles cellulaires des bactéries en forme de bacilles correspondent aux bouts arrondis aux
deux extrémités cellulaires générées à la suite de chaque division. Les composants des nouveaux
pôles issus des divisions cellulaires récentes et ceux des anciens pôles sont souvent différents.
Ceci fait de ces compartiments cellulaires des domaines fonctionnels distincts et permet
d’établir une identité polaire. Plusieurs composants cellulaires et/ou fonctions sont adressés aux
pôles cellulaires : flagelles, pili, transporteurs, machineries impliquées dans le chimiotactisme et
la réplication/ségrégation des chromosomes. Même si l’avantage d’une telle localisation
cellulaire n’est pas toujours évident à comprendre, les études du développement de certaines
bactéries ont néanmoins permis de démontrer l’importance d’une localisation polaire spécifique
pour un grand nombre de protéines. C’est par exemple le cas de Caulobacter crescentus, pour
qui la localisation polaire spécifique de plusieurs protéines est un déterminant essentiel du
développement (Chap. 15, § 15.1.1). Ces protéines ne sont que quelques exemples d’une famille
dont les membres deviennent de plus en plus nombreux avec les découvertes récentes.
L’utilisation de fusions traductionnelles avec des protéines fluorescentes telles que la GFP,
combinée aux extraordinaires avancées de la microscopie, ont largement contribué à l’évolution
de nos connaissances de la localisation cellulaire des protéines bactériennes, et de son
importance pour leur fonction. Les études du cycle de développement de C. crescentus ont
ouvert la voie dans ce domaine, mais très vite de nombreuses études d’autres bactéries ont
permis de généraliser le concept de l’organisation spatiale des cellules procaryotes et ont révélé
son importance pour la physiologie de ces organismes. De l’ensemble de ces études il est apparu
que les protéines à localisation spécifique aux pôles sont impliquées dans des processus
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cellulaires importants et variés : cycle cellulaire, différenciation, mobilité, chimiotactisme et
virulence (tab. F15.5-1).
Tableau F15.1-1. Exemples de protéines à localisation polaire, et leur rôle dans le cycle cellulaire.
Protéine(s)
Processus cellulaires
Organisme
DivK-PleC-ClpXP
HupB
PopZ
TipN
ParA-ParB
MipZ
Développement
Recrutement de protéines polaires
Division cellulaire - Réplication du
chromosome
Localisation du flagelle et de
protéines du chimiotactisme
Ségrégation et partition du
chromosome
Division cellulaire
Caulobacter crescentus
(Gram négatif)
ParA1-ParB1
FlhG
CheW-CheY
Réplication du chromosome
Synthèse du flagelle
Chimiotactisme
Vibrio cholerae
(Gram négatif)
FrzS-MlgA-MlgB
PilB-PilT
Motilité de type glissement
Energisation du mouvement des pili
Myxococcus xanthus
(Gram négatif)
IcsA(VirG)
Virulence (assemblage de la queue
d’actine)
Shigella flexneri
(Gram négatif)
DivVIA-MinCD
Division cellulaire
Bacillus subtilis
(Gram positif)
DivVIA
Croissance apicale
Streptomyces coelicolor
(Gram positif)
TraB
Conjugaison
Streptomyces lividans
(Gram positif)
Une question fondamentale pour comprendre la mise en place de l’identité polaire est de
savoir comment font ces protéines pour reconnaître les pôles cellulaires, et ce qui fait des pôles
des régions différentes du reste de la cellule.
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CARACTÉRISTIQUE INTRINSÈQUE DES PÔLES : UNE COURBURE
SPÉCIFIQUE
La géométrie de la cellule au niveau de ses pôles est caractérisée par une courbure de
l’enveloppe plus prononcée. Il a été postulé que certaines protéines polaires possèdent une
affinité pour les régions cellulaires la membrane est fortement courbée, ce qui est le cas des
pôles (fig. F15.1-1). Cette hypothèse a été confirmée dans le cas des protéines DivVIA de
Bacillus subtilis et de Streptomyces coelicolor.
Figure F15.1-1. Courbure (C) de l’enveloppe.
R, rayon d'une cellule bacillaire.
La composition et la maturation du peptidoglycane présentent des différences au niveau des
pôles par rapport au reste de la cellule. De plus, l’enveloppe y est enrichie en phospholipides
spécifiques tels que les cardiolipides. Cette caractéristique intrinsèque des pôles peut expliquer
la localisation polaire de certaines protéines suite à leur interaction directe avec ces lipides (fig.
F15.1-2). Une telle interaction a d’ailleurs été montrée pour le transporteur ProP d’Escherichia
coli.
HÉRITAGE DUNE LOCALISATION AU SITE DE DIVISION
Suite à la division cellulaire, les bactéries à morphologie bacillaires héritent toutes une d’un
ancien pôle de la cellule mère et d’un nouveau pôle formé au site de la division cellulaire. La
conséquence en est que toute protéine localisée au site de division avant la paration des
cellules filles se retrouve localisée aux nouveaux pôles. Le déterminant majeur du devenir de
ces protéines est donc leur interaction avec la machinerie de division cellulaire, qui aura pour
résultat leur localisation aux sites de division et donc plus tard aux nouveaux pôles. La protéine
TipN de C. crescentus illustre parfaitement cet adressage au pôle dépendant de la division
cellulaire (fig. F15.1-3). Lors de division cellulaire, TipN se localise au septum grâce à son
association avec des protéines impliquées dans le processus de septation. Il en résulte que
chaque cellule fille hérite de TipN localisée à son nouveau pôle.
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Figure F15.1-2. Composition du peptidoglycane au niveau des pôles et de la région médiane d'une
bactérie Gram-. (D’après G. Laloux et C. Jacobs-Wagner, 2014). E, extérieur ; P, paroi, C, cytoplasme
Figure F15.1-3. Protéines du septum localisées aux nouveaux pôles après division cellulaire. (D’après G.
Laloux et C. Jacobs-Wagner, 2014).
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EXCLUSION PAR OCCLUSION DU NUCLÉOÏDE
Plusieurs protéines polaires s’associent en d’importants complexes de haut poids moléculaire.
La localisation de tels complexes dans le cytoplasme de la cellule est structurellement et
dynamiquement non compatible avec le fait que ce compartiment est déjà occupé par des
polymères volumineux (ribosomes, nucléoïdes, etc.). Les pôles des cellules n’étant pas
encombrés par le nucléoïde, ils se trouvent presque par défaut être des sites privilégiés pour la
mise en place de ces complexes protéiques. Ce mécanisme, basé sur la notion d’encombrement
stérique, est connu sous le nom d’occlusion du nucléoïde (Chap. 5) (fig. F15.1-4). Ce
mécanisme est illustré par la protéine PopZ de C. crescentus. Celle-ci forme des oligomères,
étape indispensable à son positionnement aux pôles cellulaires.
Figure F15.1-4. Des complexes protéiques localisés aux nouveaux pôles suite à l’encombrement stérique
du cytoplasme par le nucléoïde. (D’après G. Laloux et C. Jacobs-Wagner, 2014).
INTERACTION PROTÉINES-PROTÉINES
La plupart des protéines à localisation polaire identifiées jusqu’à présent, dont certaines sont
présentées dans le Tableau F15.1-1, sont recrutées aux pôles suite à leur interaction avec des
protéines déjà adressées aux pôles par un des mécanismes cités ci-dessus. De telles protéines ou
complexes protéiques forment ainsi des plateformes de mise en place de structures polaires.
C’est le cas de la protéine DivVIA de B. subtilis, de PopZ de C. crescentus, et de HubP de
Vibrio cholerae. Il n’est par conséquent pas surprenant d’observer que l’absence de ces
protéines « plate-forme » impacte souvent un grand nombre de processus cellulaires.
La localisation de protéines aux pôles est souvent soumise à des régulations saptio-
temporelles importantes pour la viabilité et le développement bactérien. Cette notion est
illustrée par les protéines DivK, PleC et ClpXP de C. crescentus (Chap. 15, § 15.1.1). Elucider
les mécanismes moléculaires qui assurent cette dynamique régulée et robuste de la localisation
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