introduction Dictionnaire historique de la comptabilité publique

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Introduction
Ce dictionnaire est le premier outil d’analyse des termes, techniques et réformes comptables
restitués dans leur contexte historique. Il est le fruit du travail d’une équipe composée non seu-
lement d’historiens, mais aussi de juristes et de spécialistes de sciences de gestion, et a fait l’objet
du soutien de l’Agence nationale de la recherche. Il ne constitue pas un dictionnaire des  nances
publiques et ne s’intéresse aux institutions et aux politiques  nancières que dans leur rapport à
l’histoire des comptes publics et de la science comptable.
L’histoire des comptes publics est en chantier, non que les historiens n’aient guère prêté attention
aux archives comptables, censiers, cherches de feux, «comptes», «états», «aperçus», «journaux»,
«livres de raison», «grands-livres», «registres», «prospectus», «brouillards», «manuels»…, mais
ces archives ont rarement été exploitées pour quali er le système comptable d’un État, organisation
publique qui se développe à partir du esiècle et impose, sur un territoire donné, son adminis-
tration militaire, judiciaire et  scale. Si les comptes qui ont subsisté, d’un fermier, d’un clerc, d’une
fabrique, d’un monastère, d’un hôpital, d’un gentilhomme, d’un marchand, d’un bourgeois, d’une
manufacture, d’un entrepreneur… sont exploités, décrits et analysés, ceux de l’État demeurent encore
mystérieux pour la plupart des chercheurs. La matière est ardue certes, encore que la comptabilité
des temps modernes soit d’une archaïque simplicité, si on la compare aux programmes informatisés
d’aujourd’hui. L’histoire des comptes publics peut cependant s’appuyer sur des précédents historiogra-
phiques. Les travaux de Pierre Jeannin, Jochen Hoock et Wolfgang Kaiser sur les manuels et traités à
l’usage des marchands ont non seulement identi é les contours socio-culturels d’un groupe d’acteurs,
les marchands, mais révélé un savoir, une géographie européenne et un discours sur la gouvernance de
l’économie 1 . L’État en construction, a exploité ce savoir bâti sur le capitalisme commercial, industriel,
puis  nancier. Il a aussi dé ni ses propres normes et pratiques comptables et  nalement produit ses
propres traités de «comptabilité».
Ce dictionnaire a été conçu dans un esprit résolument comparatiste. Ses auteurs se sont
e orcés de mettre en lumière les convergences dans la pratique et dans la conception du contrôle
comptable des États européens à l’époque moderne, convergences repérées dans les règles de tenue
des livres et le vocabulaire commun, même si l’on constate pour la  n de la période l’émergence
de modèles di érenciés.
Chronologie : les comptes de la gestion ancienne des États européens
L’ouvrage opte pour une chronologie resserrée 1500-1850. Le terminus a quo marque l’instal-
lation ou la consolidation de l’État moderne 2 , et le terminus ad quem inaugure les premiers règle-
ments codi és de comptabilité publique, celui du 18décembre 1824 en Prusse, du 31mai 1838 en
France, celui plus tardif du 7octobre 1848 en Russie, la Loi d’administration et de comptabilité du
20février 1850 en Espagne…, règlements où l’on peut encore lire la part des héritages de la comp-
tabilité ancienne. Le terme 1850 s’entend aussi comme écho à la périodisation dé nie avant nous
par les historiens de la comptabilité privée qui distinguent la période pré-capitaliste (depuis 4 000
1. H Jochen, J Pierre, K Wolfgang, Ars Mercatoria, Handbücher und Tracktate für den Gebrauch des
Kaufmanns, 1470-1820, t.III, Analysen 1470-1700, Schöningh, Paderborn, 2001.
2. Jean-Philippe G, «La genèse de l’État moderne. Les enjeux d’un programme de recherche», Actes de la recherche
en sciences sociales, n°118, juin1997, p.3-18.
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avant J.-C. jusqu’à la  n du premier millénaire après J.-C.), la période du capitalisme marchand
(vers l’an mil-vers l’an 1760), l’avènement du capitalisme industriel (1760-1830) et  nalement l’ère
de développement du capitalisme  nancier après 1830 3 . Il importe cependant d’intégrer la lecture
politique de l’évolution des livres de comptes des organisations étatiques.
Avant la reconnaissance des nations par les régimes de type parlementaire et l’avènement des
nances «publiques», les élites nobles d’une part, détentrices de la terre et donc des recettes directes,
et les hommes d’a aires d’autre part,  nanciers de la guerre et de la trésorerie, ont géré les deniers
pour le compte des souverains européens. Peu d’entre eux ont échappé à la nécessité de recourir
aux intermédiaires  nanciers, tant il est vrai que les ressources du domaine princier ne su saient
guère à  nancer l’expansion de l’État. Que la souveraineté du prince fût complète, comme dans
la monarchie française, ou incomplète, comme dans les territoires des Habsbourg, le monarque
s’appuyait sur les corps constitués (assemblées provinciales, villes, clergé…) qui formaient avec lui
le royaume et administraient une partie des recettes ordinaires. Les compagnies de  nances et les
banques privées furent sollicitées de leur côté pour  nancer les dépenses extraordinaires. Dans tous
les cas, la gestion des deniers était dans les mains de receveurs et trésoriers dont les statuts, variables,
n’avaient rien de comparable à ceux des fonctionnaires d’aujourd’hui.
Qui veut comprendre les comptes d’autrefois doit garder à l’esprit le fait qu’avant le dévelop-
pement de la monnaie  duciaire (du latin des, con ance), la rareté des espèces donnait lieu à des
pratiques de gestion particulières. Les avances d’abord: tous les souverains ont sollicité des avances,
non seulement des gens d’a aires qui signaient avec le roi des traités, des contrats de fournitures, des
contrats de prêts… pour  nancer les besoins extraordinaires, mais aussi des receveurs et trésoriers de
leurs États au titre des recettes  scales, directes ou indirectes. Les monarques ne maîtrisaient pas la
négociation du numéraire et conséquemment, leur trésorerie. La fraude ensuite: receveurs et tréso-
riers étaient d’autant plus tentés que la dé nition même de l’intérêt public était lâche. Où commen-
çait le service du prince, ou  nissait le service du receveur ? Par ailleurs, quand bien même tous les
acteurs de cette histoire demeuraient sensibles aux préceptes de leurs Églises qui leur enjoignaient de
renoncer aux taux usuraires, le service d’avances avait un coût. Le secret en n: le mystère procédait
d’une économie morale. Il était encore fréquent au esiècle de jurer sur les Saints Évangiles de ne
rien révéler de ce qui se délibérait au sein des assemblées et des conseils. Le secret relevait aussi d’une
pratique absolue du pouvoir et de la raison d’État 4 .
Dès lors, on mesure en quoi consistait le contrôle comptable de cette époque. Il a fallu tout à
la fois dé nir les obligations des «gestionnaires» ou administrateurs des deniers du roi vis-à-vis
du souverain et solliciter une reddition des comptes – procédure qui caractérise le rapport du
comptable (c’est-à-dire, en français, le responsable du maniement de deniers) à l’organisation
publique et que l’on ne retrouve pas dans les obligations du comptable privé–, mobiliser des
«contrôleurs», «inspecteurs», «auditeurs», «réviseurs»…consacrés par les institutions et  nale-
ment, non seulement améliorer les procédures judiciaires de contrôle, mais encore construire une
comptabilité administrative capable d’accompagner le développement des organisations étatiques et
de leurs dettes. Paradoxalement, l’encadrement bureaucratique de l’a airisme identi é au cœur de
l’État s’est aidé de l’expertise comptable marchande: Jean-Baptiste Colbert était  ls de marchand,
comme l’Espagnol Pedro Luis de Torregrosa avant lui. Mais il a fallu aussi que les administrateurs
comprennent toutes les opérations comptables (la prévision, l’exécution, la véri cation) comme
un tout et les unissent en une même branche. Comme nous le fait comprendre Henry Roseveare
qui a travaillé sur le Trésor royal anglais: « e logic was only slowly perceived, the interdependence
only belatedly created 5 .» De fait, le mot «comptabilité» n’apparaît en France que dans la deuxième
moitié du esiècle. À la rencontre des deux mondes, on assiste à la formation d’une science
administrative sans que cette histoire soit linéaire ni progressive. L’histoire de la comptabilité
publique prétend donc à son tour étudier l’évolution de la pensée, des pratiques et des institutions
3. Edwards John R, A history of  nancial Accounting, Londres, Routledge, 1989, p.9.
4. Étienne T, Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, Paris, Albin Michel, 2000.
5. Henry R, e Treasury 1660-1870.  e Foundations of Control, Londres, George Allen & Unwin Ltd, p.47.
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comptables en réponse aux changements de l’environnement et des besoins de la société, ainsi que
les e ets de cette évolution sur l’environnement 6 .
La prévision et l’exécution : le système des « états »
Le dictionnaire fait apparaître l’existence d’une prévision des recettes et des dépenses pour une
année. Pour comprendre les origines de la construction budgétaire, il faut partir du document
provisoire qu’un receveur dressait au Moyen Âge pour rendre compte de sa gestion et faciliter
le travail de correction du compte dé nitif à la chambre des comptes. La compilation des états
des receveurs permit progressivement d’établir un état général des recettes pour un territoire
donné. Cependant, la chronologie varie selon les États européens car il faut que la souveraineté
du prince sur les territoires concernés soit clairement établie avant de compiler les revenus qu’ils
rapportent. De ce point de vue, le contraste entre la monarchie des Valois et des Bourbons et
les monarchies multinationales des Habsbourg est saisissant. De même pour les dépenses, en
dresser la liste suppose une organisation de type ministériel (dépenses par «département») qui
fut parfois longue à mettre en œuvre, tant il est vrai que le mode de gouvernement par conseils
a caractérisé les États modernes, comme l’Espagne par exemple. On trouve souvent dès la  n
du Moyen Âge des «états» généraux de recettes établis sommairement et par estimation. Plus
délicate est l’apparition des «états» de dépenses car, outre la contrainte organisationnelle que
l’on vient de mentionner, le principe de l’assignation des dépenses sur les recettes amenait le plus
souvent les teneurs de livres à consigner les premières dans les états des secondes. L’historien a
donc le plus souvent a aire à un seul et même document: l’«état des recettes et dépenses»,
dénommé parfois «bilan» comme dans les États de Piémont-Savoie (dès le esiècle) ou dans
les États italiens, ce qui ne facilite pas la compréhension générale du processus comptable. Le
«bilan» ici évoqué est bien un état estimatif des recettes et des dépenses construit en vue d’en
tirer des extraits, par trimestres, par mois, pour faciliter l’exécution budgétaire. Dans certains
territoires allemands, comme celui du prince-électeur de Brandebourg, cet état estimatif semble
avoir existé dès l’époque d’Albrecht Achilles (1470-1486).
Quand l’état général est dressé, on a a aire à un outil budgétaire. L’exécution du «budget»
est alors organisée par le re-fractionnement de l’état général en états spécialisés par comptable,
ce dernier ayant en charge une branche de revenus ou un territoire. Le fait se constate partout
en Europe. Ce fractionnement permet de faire la répartition des fonds entre trésoriers actifs ; en
outre, il contraint les ordonnateurs secondaires à agir en respectant ces états, le prince gardant évi-
demment la possibilité d’en modi er l’exécution. Le système des états consistait donc en comptes
de synthèse dressés par les comptables publics pour rendre compte de leur gestion, comptes ou
états à partir desquels on projetait les recettes et dépenses pour l’exercice suivant, c’est-à-dire, car
le mot vient de là, pour la période de fonction de leurs successeurs.
La prévision budgétaire a connu ensuite quelques améliorations essentiellement liées à la sta-
bilisation des États modernes. Les postes «budgétaires» devinrent plus détaillés, la séparation
de l’ordinaire et de l’extraordinaire plus courante. On observe cette séparation entre assignations
«ordinaires» et assignations «extraordinaires» dès le début du esiècle dans le bilan général des
nances de Savoie par exemple ; en France, Colbert imposa de même le principe d’une telle distinc-
tion. En Prusse, Frédéric-Guillaume Ier renforça la «budgétisation» en faisant dresser deux états
généraux (un pour les revenus des domaines et un pour les revenus de la guerre) en troiscolonnes
pour chacun: les recettes ordinaires et extraordinaires, les dépenses ordinaires et extraordinaires
et la colonne pour le calcul du total des recettes et du total des dépenses ; l’état général pour les
domaines contenait par ailleurs un «Extraordinärer Bau- und Meliorations-etat» dit Extraordinarium
pour prévoir les dépenses d’aménagement. Mais ce qu’il faut surtout apprécier, c’est le moment où
une organisation étatique parvient à estimer non seulement les recettes et dépenses du Trésor du
prince, mais l’ensemble des recettes et dépenses d’un territoire, y compris celles des caisses qui ne
6. Parker Robert H., in Macmillan Dictionary of Accounting, Londres, Macmillan Press, 1984, p.5.
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dépendaient pas directement du Trésor mais se trouvaient sous l’autorité du souverain. On entre
ici dans l’étude de la centralisation politique et administrative qui aboutit, quant à la prévision, à la
formation de documents d’un genre nouveau dénommés selon les cas «aperçu», «compte-rendu»,
«résumé» ou encore «bilan», dans le sens de balance générale des recettes et des dépenses d’un
territoire pour une année. Ces documents ont un caractère tout à la fois récapitulatif et prévision-
nel: l’e ort de compilation rend la prévision plus précise. On peut aisément intégrer dans cette
liste l’«état» général des recettes et dépenses, mais pour les revenus du domaine seulement, formé
pour la première fois en Prusse en 1689 à la suite des e orts de Dodo von Knyphausen, le premier
«bilan» de Venise établi en 1736, l’«aperçu» présenté en 1755 par Patrice-François de Neny, tré-
sorier général des Pays-Bas autrichiens et dé ni comme un «apperçu de la recette et de la dépense
qui ont pu être évaluées d’avance et qui se trouvent expliquées dans la colonne d’observations», les
«balances générales des revenus et dépenses par année» de la Maison d’Autriche qui résultaient du
rapprochement entre l’aperçu pour l’année courante, qui tenait compte des arrérages de l’année pas-
sée, et le résultat des recettes et dépenses e ectives, le «compte-rendu» au roi de Necker de 1781…
Le lecteur familier de l’État moderne ne sera pas surpris de constater le caractère tardif de ces
«budgets» saisissant l’ensemble des caisses d’un territoire. Il importe encore de rappeler que les
administrateurs qui ont fourni cet e ort de compilation baignaient dans une culture économique
renouvelée au esiècle par le développement de la statistique descriptive. Cette science positive
se muait alors en une science de la comptabilité territoriale que les historiens de l’économie poli-
tique ont décrite 7 . Le dictionnaire n’a pas pris le parti de renseigner le lecteur dans le détail de cette
histoire intellectuelle car la comptabilité publique est d’abord née du contrôle des comptables. L’on
trouvera néanmoins dans plusieurs notices, comme «produit net, produit brut», «Lavoisier», les
éléments d’analyse qui permettent de comprendre comment les notions chères aux économistes
libéraux ont été ou non intégrées par les administrateurs des comptes publics, dès l’étape de la
prévision: le président de la Chambre des comptes de Vienne, Karl von Zinzendorf, signale à
Joseph II en 1786 que ses services ont réussi à tirer l’aperçu de la recette et de la dépense des Pays-
Bas autrichiens pour l’année 1782, le revenu brut étant distingué du revenu net.
Sur le plan politique en revanche, la gestation du «budget» tel que le conçoivent les contempo-
rains, c’est-à-dire un acte par lequel sont prévues et autorisées tant les recettes que les dépenses, fut
plus chaotique, encore qu’il convient de se demander si le principe d’autorisation n’était pas déjà
contenu en partie dans celui du consentement des impôts par les assemblées des régimes anciens
(diètes, cortès, états provinciaux, états généraux…) pour la partie recettes. Le cas anglais, longue-
ment détaillé dans ce dictionnaire qui reprend une historiographie peu connue en France, doit évi-
demment être souligné: à partir de 1688, le principe selon lequel nul impôt ne pouvait être levé ni
aucune dépense payée sans le consentement et l’autorisation préalables des contribuables représentés
par le parlement de Londres ne fut plus remis en cause. Cependant, les députés n’examinaient pas
chaque année l’ensemble des dépenses de l’État, mais seulement celles qui étaient «politiquement
sensibles», en particulier les dépenses militaires, les dépenses nouvelles ou les dépenses imprévues
de l’exercice précédent qui n’avaient pas de fonds a ectés à leur paiement. On retrouve là les débats
qui animeront un siècle plus tard l’assemblée issue de la Révolution française.
Le contrôle comptable et la question de la partie double
L’étude du contrôle comptable est sans doute la plus stimulante, pour trois raisons: d’abord,
elle met en évidence plusieurs modes, voire modèles de contrôle qui nous permettent de dif-
férencier les systèmes comptables, ce que l’analyse de la prévision et de l’exécution ne rend pas
possible. Elle amène l’historien à observer de l’intérieur comment l’État se construit en dictant
des règles de contrôle sur lui-même ; elle permet en n d’isoler des savoirs comptables, basés le
7. On peut se reporter à Jean-Claude P, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris,
EHESS, 1992 ; B Alain et F Gilbert (dir.), Nouvelle histoire de la pensée économique, Paris, Éditions
La Découverte, 1992.
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plus souvent sur la connaissance du fonctionnement des institutions concernées, et sur lesquels
d’est édi ée une science administrative aboutie.
Les enjeux du contrôle comptable sont de deux ordres: le repérage des «erreurs», «faux-
emplois», et plus généralement des «fraudes» et malversations des comptables d’une part, et le
suivi de la situation des recettes et dépenses d’autre part. L’un des apports de ce dictionnaire est
de mettre en lumière comment le suivi de la trésorerie devint un enjeu capital au moment où les
États modernes, pour  nancer les guerres, perpétuaient un niveau d’endettement élevé. Aux e
et esiècles, la dette des États européens commença de déterminer de nouvelles politiques
de gestion. Il importait notamment de suivre à intervalles plus réguliers, voire constamment, les
recettes et dépenses. Le facteur temps devint essentiel à l’analyse de la situation. Contrôle judiciaire
et contrôle administratif des comptes n’avaient donc pas tout à fait les mêmes objectifs.
Les magistrats des «chambres des comptes» ont dès le Moyen Âge eu pour mission de contrôler les
comptes des comptables, du domaine du prince d’abord, de tous leurs États ensuite. L’administration
du domaine était autrefois dans leurs attributions. Le contrôle judiciaire par les chambres est décrit
dans ce dictionnaire pour le cas français. Les procédures de «calcul», de «reddition», de «correc-
tion», d’«audition» et de «clôture» des comptes… étaient analogues dans les autres pays européens.
Quand la nécessité se  t sentir de renseigner plus fréquemment le gouvernement des  nances
sur la situation des comptables a n que celui-ci puisse ordonner des paiements sur des balances
de comptes encore positives, la question du contrôle administratif des comptes se posa pour uni-
formiser avec plus d’acuité. En charge de la clôture, les chambres des comptes étaient en mesure
de fournir de telles informations, mais les comptables devaient se conformer aux prescriptions
en transmettant des états de situation réguliers avec toutes les pièces justi catives pour permettre
une prompte clôture des comptes (une révision). De ce point de vue, les recherches des auteurs
du présent dictionnaire font émerger plusieurs interrogations. De toute évidence, les souverains
qui faisaient clore les comptes par trimestres, comme dans le cas de la Prusse ou du royaume de
Piémont-Sardaigne, béné ciaient d’une information plus régulièrement actualisée que ceux qui
laissaient les comptables présenter leurs comptes une fois l’exercice achevé. Le fait est d’impor-
tance car il permet de comprendre les maux de la comptabilité du royaume de France. Là est
sans doute la clef qui permet de saisir pourquoi le «contrôle général» s’est développé en dehors
des chambres des comptes dans ce royaume, tandis qu’ailleurs, comme dans les États allemands,
le rôle du contrôleur général à la tête des chambres des comptes se renforça. Cependant, si le
contrôle général des  nances français  t l’admiration de bien des administrateurs européens, il
semble que la mise en œuvre du contrôle par «états au vrai», que les comptables transmettaient
avec plusieurs années de retard, n’ait pas donné de grandes preuves d’e cacité.
Au-delà de ces interrogations, nous mettons également en avant les expériences d’adaptation
aux livres publics de la tenue des comptes en partie double héritée des savoirs marchands. Le
lecteur ne sera pas étonné de voir cette méthode adoptée très tôt dans les États italiens, le cas véni-
tien, longuement développé dans ce dictionnaire, se révélant être l’un des plus symptomatiques
de cette fusion organique entre la cité et la marchandise. La tentative espagnole de juillet1580,
suivie par celle de 1592, est peut-être moins connue. Les auteurs de ce dictionnaire ont mis en
avant les «passeurs» de ce savoir, qui ont permis l’hybridation culturelle entre la marchandise et
l’administration du prince, puis de l’État, depuis Pedro Luis de Torregrosa (1522-1607) jusqu’à
Nicolas Mollien (1758-1850), en passant par Simon Stevin (1548-1620), les frères Paris ou
Johann Matthias Puechberg (1708-1788). Tout aussi captivante a été l’analyse des obstacles qui
se sont élevés contre ces tentatives. La puissance  nancière des comptables se révèle ici au grand
jour, tant il est vrai que les receveurs et les trésoriers tiraient de substantiels béné ces grâce à la
rétention de recettes. Celle-ci était reconnue par tous dans les limites  exibles xées par la morale
et par conséquent il semble logique que la tenue des livres en recette, dépense et reprise n’ait pas
cherché à la rendre visible au moment où elle était commise.
Il importe en outre de préciser que la tenue des livres en partie double ne formait pas
nécessairement la réponse adaptée aux problèmes auxquels les organisations publiques étaient
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