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avant J.-C. jusqu’à la n du premier millénaire après J.-C.), la période du capitalisme marchand
(vers l’an mil-vers l’an 1760), l’avènement du capitalisme industriel (1760-1830) et nalement l’ère
de développement du capitalisme nancier après 1830 3 . Il importe cependant d’intégrer la lecture
politique de l’évolution des livres de comptes des organisations étatiques.
Avant la reconnaissance des nations par les régimes de type parlementaire et l’avènement des
nances «publiques», les élites nobles d’une part, détentrices de la terre et donc des recettes directes,
et les hommes d’a aires d’autre part, nanciers de la guerre et de la trésorerie, ont géré les deniers
pour le compte des souverains européens. Peu d’entre eux ont échappé à la nécessité de recourir
aux intermédiaires nanciers, tant il est vrai que les ressources du domaine princier ne su saient
guère à nancer l’expansion de l’État. Que la souveraineté du prince fût complète, comme dans
la monarchie française, ou incomplète, comme dans les territoires des Habsbourg, le monarque
s’appuyait sur les corps constitués (assemblées provinciales, villes, clergé…) qui formaient avec lui
le royaume et administraient une partie des recettes ordinaires. Les compagnies de nances et les
banques privées furent sollicitées de leur côté pour nancer les dépenses extraordinaires. Dans tous
les cas, la gestion des deniers était dans les mains de receveurs et trésoriers dont les statuts, variables,
n’avaient rien de comparable à ceux des fonctionnaires d’aujourd’hui.
Qui veut comprendre les comptes d’autrefois doit garder à l’esprit le fait qu’avant le dévelop-
pement de la monnaie duciaire (du latin des, con ance), la rareté des espèces donnait lieu à des
pratiques de gestion particulières. Les avances d’abord: tous les souverains ont sollicité des avances,
non seulement des gens d’a aires qui signaient avec le roi des traités, des contrats de fournitures, des
contrats de prêts… pour nancer les besoins extraordinaires, mais aussi des receveurs et trésoriers de
leurs États au titre des recettes scales, directes ou indirectes. Les monarques ne maîtrisaient pas la
négociation du numéraire et conséquemment, leur trésorerie. La fraude ensuite: receveurs et tréso-
riers étaient d’autant plus tentés que la dé nition même de l’intérêt public était lâche. Où commen-
çait le service du prince, ou nissait le service du receveur ? Par ailleurs, quand bien même tous les
acteurs de cette histoire demeuraient sensibles aux préceptes de leurs Églises qui leur enjoignaient de
renoncer aux taux usuraires, le service d’avances avait un coût. Le secret en n: le mystère procédait
d’une économie morale. Il était encore fréquent au esiècle de jurer sur les Saints Évangiles de ne
rien révéler de ce qui se délibérait au sein des assemblées et des conseils. Le secret relevait aussi d’une
pratique absolue du pouvoir et de la raison d’État 4 .
Dès lors, on mesure en quoi consistait le contrôle comptable de cette époque. Il a fallu tout à
la fois dé nir les obligations des «gestionnaires» ou administrateurs des deniers du roi vis-à-vis
du souverain et solliciter une reddition des comptes – procédure qui caractérise le rapport du
comptable (c’est-à-dire, en français, le responsable du maniement de deniers) à l’organisation
publique et que l’on ne retrouve pas dans les obligations du comptable privé–, mobiliser des
«contrôleurs», «inspecteurs», «auditeurs», «réviseurs»…consacrés par les institutions et nale-
ment, non seulement améliorer les procédures judiciaires de contrôle, mais encore construire une
comptabilité administrative capable d’accompagner le développement des organisations étatiques et
de leurs dettes. Paradoxalement, l’encadrement bureaucratique de l’a airisme identi é au cœur de
l’État s’est aidé de l’expertise comptable marchande: Jean-Baptiste Colbert était ls de marchand,
comme l’Espagnol Pedro Luis de Torregrosa avant lui. Mais il a fallu aussi que les administrateurs
comprennent toutes les opérations comptables (la prévision, l’exécution, la véri cation) comme
un tout et les unissent en une même branche. Comme nous le fait comprendre Henry Roseveare
qui a travaillé sur le Trésor royal anglais: « e logic was only slowly perceived, the interdependence
only belatedly created 5 .» De fait, le mot «comptabilité» n’apparaît en France que dans la deuxième
moitié du esiècle. À la rencontre des deux mondes, on assiste à la formation d’une science
administrative sans que cette histoire soit linéaire ni progressive. L’histoire de la comptabilité
publique prétend donc à son tour étudier l’évolution de la pensée, des pratiques et des institutions
3. Edwards John R, A history of nancial Accounting, Londres, Routledge, 1989, p.9.
4. Étienne T, Raison d’État et pensée politique à l’époque de Richelieu, Paris, Albin Michel, 2000.
5. Henry R, e Treasury 1660-1870. e Foundations of Control, Londres, George Allen & Unwin Ltd, p.47.
[« Dictionnaire historique de la comptabilité publique », Marie-Laure Legay (dir.)]
[Presses universitaires de Rennes, 2010, www.pur-editions.fr]