Ossiculoplasties

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Ossiculoplasties
● C. Dubreuil*
es premières tympanoplasties ont été décrites par
H. Wullstein en 1952 (1) et F. Zollner en 1954 (2),
qui en distinguaient cinq types :
1. lésion tympanique à chaîne intacte ;
2. lésion de chaîne à étrier intact ;
3. lésion de chaîne à étrier absent ;
4. protection de la fenêtre ronde sur platine mobile ;
5. fenestration du canal latéral.
Actuellement, seuls les trois premiers types sont utilisés.
La reconstruction de la chaîne ossiculaire (3) serait souhaitable
dans 40 à 90 % des tympanoplasties. On distingue dans le mode
de réparation de la chaîne des osselets :
– les petites columelles avec étrier intact (prothèse PORP ou partial ossicular replacement prosthesis) ;
– les grandes columelles reposant sur la platine de l’étrier (TORP
ou total ossicular replacement prosthesis).
Qu’attendre des résultats auditifs postchirurgicaux après traitement de l’otite chronique ? Si l’éradication de la maladie causale
est possible dans 80 à 90 % des cas (4), en revanche, les résultats
auditifs restent plus aléatoires. Si l’on considère le pourcentage
de bons résultats avec Rinne inférieur à 20 décibels, sur les grandes
séries, Merchant et al. (5) rapportent les résultats suivants :
– Goldenberg (1992) : 57 % des fermetures du Rinne avec des
prothèses partielles (P) et 58 % avec des prothèses totales (T) ;
– Gantz et Mc Cabe (1987) : 52 % (P), 37 % (T) ;
– Sheehy (1987) : 73 % (P), 55 % (T) ;
– Jackson et Glasscok (1983) : 64 % (P), 43 % (T).
Ces chiffres montrent combien l’ossiculoplastie reste une chirurgie fonctionnelle difficile, avec des résultats parfois décevants.
Une meilleure connaissance de la biomécanique de l’oreille
moyenne et de la biologie ainsi que les nouveaux biomatériaux
permettront certainement d’adapter, d’ajuster l’indication et le
geste opératoire en fonction de chaque patient.
L
melle des oiseaux et des amphibiens, qui ne comporte qu’un seul
osselet. La chaîne oscille “en bloc” grâce aux articulations qui
restent fixes durant la transmission acoustique. Chaque mouvement à l’intérieur de la chaîne a donc pour conséquence une perte
dans la transmission des petites vibrations.
Quel est donc le rôle des articulations ? D’une part, l’oreille
moyenne est exposée aux variations de pression statique de l’environnement (coup de vent dans l’oreille, mouchage, déglutition,
altitude, plongée, etc.). D’autre part, l’oreille est sensible aux
variations de pression acoustique de l’ordre de 1 mm d’eau au
seuil de l’audition. En comparaison, les variations de pression
statique que supporte l’oreille moyenne sont considérables, sans
trop de danger pour l’oreille interne. Par exemple, une variation
de hauteur de 2 mm correspond à une augmentation de pression
statique de 2 mm d’eau. La même variation de 2 mm d’eau en
pression acoustique correspondrait à 120 décibels !
Que se passe-t-il lors d’un changement
de pression statique ?
Le tympan et le marteau (figure 1) sont déplacés vers l’intérieur
ou l’extérieur, déclenchant un glissement dans l’articulation entre
le marteau et l’enclume. L’enclume se déplace vers le haut ou le
BIOMÉCANIQUE DE L’OREILLE MOYENNE
Des notions récentes (6) apportent un éclairage certain sur la
façon de concevoir la réparation de la chaîne ossiculaire.
Pour la transmission des sons, la chaîne complète oscille comme
une seule unité en forme de piston entre le tympan et la platine,
pour transmettre l’énergie acoustique vers l’oreille interne. Cet
assemblage direct, en un seul bloc, est aussi efficace que la colu* Service ORL, CHU Pierre-Bénite, chemin du Grand-Revoyet, 69310 Lyon
Cedex 10.
Figure 1. Le mouvement du marteau lors de changements de la pression
atmosphérique déclenche un glissement dans l’articulation marteauenclume, l’enclume se déplace principalement vers le haut et le bas, sans
mobiliser l’étrier.
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Figures 2a et b. Une columelle verticale (a) est plus efficace qu’un système incliné en porte-à-faux entre étrier et marteau (b).
bas : l’articulation incudo-stapédienne peut alors glisser sur
l’étrier, l’oreille interne est mise à l’écart des mouvements excessifs du tympan lors des variations de pression statique. En cas
d’arthrose ou d’ankylose de ces articulations, les pressions peuvent atteindre l’oreille interne et être responsables des phénomènes de Tullio.
D’où vient le mouvement des articulations ossiculaires ?
Celles-ci sont fixées pendant l’audition. Les muscles servent à
faire bouger les articulations nécessaires pour la circulation du
liquide synovial.
Le muscle ne se contracte qu’une fois que le bruit est déclenché,
alors que l’oreille interne est déjà atteinte. La contraction entraîne
un raidissement de la chaîne, amortissant certes les fréquences
basses, mais améliorant les fréquences aiguës (2, 3 kHz) de
quelques décibels, en modifiant la fréquence de résonance de la
chaîne. De plus, la contraction du muscle du marteau (Tensor
tympani) n’est pas engendrée par une stimulation acoustique. Les
muscles de l’oreille moyenne pourraient être des amortisseurs
des sons générés par le corps lui-même (7). Ces deux muscles
antagonistes ne fonctionnent pas en synergie, ils ont une orientation anatomique différente, perpendiculaire l’un par rapport à
l’autre, fonction du mouvement de l’articulation marteauenclume : une contraction du muscle du marteau étire le muscle
de l’étrier et vice versa.
Conséquences sur la réalisation d’une ossiculoplastie (6)
Pour reconstruire la chaîne, il faut interposer une columelle rigide
entre le tympan et la platine. Il n’est pas nécessaire de reconstruire
les articulations (rôle d’amortissement). La columelle doit vibrer
sans frottement (pas d’attache fibreuse, ni de fixation osseuse).
Le poids de l’implant ne joue pas un rôle important dans la transmission : un poids huit fois supérieur engendre une perte de seulement 4 dB. La chaîne reconstruite doit vibrer d’un seul tenant
pour ne pas perdre d’énergie. Une columelle verticale jusqu’à la
platine est plus efficace qu’un système incliné en porte-à-faux
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entre l’étrier et le marteau (figures 2a et b), surtout si ce dernier
est rétracté ou basculé vers l’avant. Le positionnement d’une prothèse TORP sur la platine ne rend le résultat plus aléatoire que
lorsque la prothèse ou l’osselet est mis en place sur la tête de
l’étrier. Les prothèses n’adhèrent aux restes ossiculaires que par
une surface liquidienne : du tissu conjonctif peut s’interposer entre
ces deux pièces, jouant un rôle d’amortisseur. La transmission est
atténuée. De même, en cas de TORP, il ne faut pas interposer de
conjonctif sur la platine pour éviter une éventuelle fracture : ce
conjonctif amortit la transmission sonore. Une platine intacte est
d’ailleurs assez résistante aux changements de pression atmosphérique (8). Il ne faut pas oublier que la membrane tympanique
subit des déplacements médiaux et latéraux permanents (variations pressionnelles) pouvant entraîner une perte de contact avec
la prothèse. La longueur d’une prothèse TORP doit être suffisante,
ajustée par un fragment de cartilage, toujours indispensable. Pour
les prothèses PORP, les ossiculoplasties sur le bouton de l’étrier,
il faut que l’emboîtement ne se fasse pas seulement sur la tête de
l’étrier, mais également sur les branches, venant les recouvrir. La
stabilité et la rigidité sont ainsi assurées (figure 3).
BIOLOGIE DE L’OREILLE MOYENNE
La plupart des ossiculoplasties (hormis les cas post-traumatiques)
s’adressent à des séquelles d’otite chronique ou à des otites chroniques traitées (cholestéatome). Si l’oreille est sèche, elle n’est
pas forcément saine dans son fonctionnement biologique.
Dans l’absolu, l’oreille opérée devrait avoir une capacité d’aération et une capacité de cicatrisation normale. Toute atélectasie,
fibrose, poche de rétraction, granulation ou tympanosclérose
risque de compromettre le résultat auditif. V. Coletti et al. (9) ont
montré une dégradation des résultats à cinq ans lorsque persiste
une telle pathologie.
La pathologie évolutive agit sur la fixation platinaire, le déplacement du fût columellaire, l’extrusion de la prothèse, la rigidification de la membrane tympanique, la production de réactions
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Figure 3. L’emboîtement sur le bouton de l’étrier doit être suffisamment
profond.
Figure 4. Prothèses en titane.
à des corps étrangers (Silastic, téflon, Curaspon) qui sont englobés dans du tissu fibreux. Un des éléments essentiels à la réussite d’une tympanoplastie de type II est l’aération de l’oreille
moyenne : toute dysfonction tubaire, toute perturbation des
échanges gazeux explique les rétractions tympaniques, particulièrement postérieures, où se situe le montage ossiculaire. L’évaluation de la fonction tubaire, le traitement de tout dysfonctionnement sont un préalable indispensable avant la réalisation d’une
ossiculoplastie.
Matériaux utilisés
• Le titane : il peut être utilisé seul, avec de l’or ou avec du téflon
(figure 4), rigide ou à mémoire de forme.
• Les prothèses en biocéramiques bioactives : hydroxyapatite
ceravital.
• L’hydroxyapatite composite avec du polycel, du plastipore, du
fluoroplastic, du flex-hydroxyapatite (avec métal).
• Les autogreffes : d’enclume, de marteau, de corticale mastoïdienne retaillée, de cartilage de conque ou de tragus.
CHOIX DE LA PROTHÈSE OSSICULAIRE
FACTEURS PRONOSTIQUES INFLUENÇANT
LE RÉSULTAT DES OSSICULOPLASTIES
Un certain nombre de critères doivent être retenus. Certains sont
respectés par les fabricants, d’autres non (prothèses insuffisamment évaluées sur de grandes cohortes avec un recul d’au moins
cinq ans).
Ces critères sont :
– la biocompatibilité : l’hydroxyapatite (HA) et le titane sont parfaitement biocompatibles ;
– la biostabilité, qui évite la désagrégation ou la fixation de la
prothèse ;
– la rigidité, dont on a vu l’intérêt en biomécanique ;
– la légèreté, car plus le poids de la prothèse augmente, plus la
transmission sonore des fréquences graves est favorisée, les prothèses légères favorisant le passage des fréquences aiguës ;
– la densité : la transmission sonore des prothèses plus denses
est meilleure dans les fréquences graves et moyennes (Gersdorff, 2000) ;
– la facilité d’emploi : une prothèse est d’autant plus facilement
employée qu’il n’est pas nécessaire d’utiliser un matériel ancillaire compliqué pour la préparer et la mesurer ;
– des surfaces de contact favorables (hydrophilie) ;
– le design.
Il ne faut pas oublier que les habitudes d’utilisation des prothèses ne tiennent pas toujours compte de ces différents critères,
et se font même, dans certains cas, à leur détriment.
Sont de mauvais pronostic :
– les antécédents chirurgicaux : oreille multi-opérée, large perte
ossiculaire et tympanique ;
– les lésions ossiculaires : l’absence de manche du marteau (M–),
d’étrier (E–), et un Rinne supérieur à 50 décibels ;
– les pathologies infectieuses évolutives avec otorrhée et/ou
myringite ;
– une pathologie tubaire évolutive avec épanchement rétrotympanique, rétraction ou, pire, atélectasie ;
– l’atteinte du conduit auditif externe : conduit auditif très étroit,
présence d’eczéma ou d’infection du conduit auditif externe
(contre-indication temporaire).
TECHNIQUES CHIRURGICALES
Elles sont fonction de l’état de l’étrier.
Si l’étrier est complet et mobile :
tympanoplastie de type II (E+)
Si le marteau est présent : pontage entre la tête de l’étrier, le marteau et/ou le tympan. Les matériaux utilisés sont le corps de
l’enclume, la tête du marteau, une prothèse PORP et de la corticale mastoïdienne sculptée.
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Si le marteau est absent (M–), il faut recréer une membrane tympanique, de préférence avec du cartilage et son périchondre, en
le calant sous le sulcus et le bourrelet de Gerlach. On peut utiliser comme montage ossiculaire le corps de l’enclume, la tête du
marteau, une prothèse PORP ou la corticale osseuse.
Lyse de l’étrier (tympanoplastie de type III) (E–)
Si le marteau est présent (M+), le montage se fera de la platine
au marteau et/ou au tympan, en utilisant une enclume entière, une
prothèse TORP en hydroxyapatite ou en titane.
Si le marteau est absent (M–), il faut recréer une membrane tympanique, de préférence avec du cartilage, et réaliser un montage
platine-tympan avec une prothèse TORP, une enclume entière,
ou de l’os mastoïdien façonné.
Blocage de l’étrier :
seule une platinectomie ou platinotomie sur caisse fermée
est possible. La fermeture tympanique
est donc un préalable indispensable
Si le marteau est présent et non antériorisé, on peut utiliser un
piston malleus en téflon.
Si le marteau est très antériorisé, ou absent (M–), il faut s’abstenir d’opérer ou réaliser une platinotomie avec un greffon veineux
ou périchondral et utiliser une TORP qui sera calée entre le
greffon de la fosse ovale et le tympan.
INDICATIONS
Otite chronique simple (oreille asséchée) et atteinte post-traumatique : intervention sans préparation dès lors que la trompe
d’Eustache est perméable.
Après traitement pour cholestéatome premier ou deuxième temps,
à condition d’avoir une muqueuse de caisse saine :
– si l’atrium est sain, sans inflammation, ni épiderme, il est possible de réaliser une myringoplastie et une ossiculoplastie dès le
premier temps opératoire ;
– si l’atrium est inflammatoire, le contrôle du cholestéatome
imparfait dans les fenêtres ou le Sinus tympani : il faut réaliser
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une myringoplastie ; l’ossiculoplastie sera différée au deuxième
temps, 12 à 18 mois plus tard.
Lorsque la muqueuse de caisse est inflammatoire, l’étrier noyé
dans l’inflammation, en cas d’otite chronique simple, l’ossiculoplastie doit être impérativement différée.
S’il existe un dysfonctionnement tubaire évident (otite séreuse,
poche de rétraction), l’ossiculoplastie peut être tentée en même
temps que le renforcement tympanique, en sachant que le résultat peut se dégrader avec le temps si l’insuffisance tubaire
persiste.
En cas d’échec de l’ossiculoplastie, s’il s’agit de patients
multi-opérés qui refusent de nouvelles interventions, ou s’il
existe une pathologie évolutive du conduit : eczéma, psoriasis,
sténose, ou bien même une contre-indication opératoire d’ordre
général (hémopathie, cardiopathie, etc.), il faut tenir compte du
désir que le patient a d’entendre. Dès lors que la conduction
osseuse est d’un bon niveau, que la pathologie est bilatérale et
plus ou moins symétrique, la prothèse à ancrage osseuse BAHA
est probablement la meilleure indication, sans risque pour
l’oreille interne.
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9. Coletti V, Fiorino FG, Sittoni V. Minisculptured ossicle grafts versus
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Les articles publiés dans “La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale”
le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
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