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La Lettre du Gynécologue - n° 298-299 - janvier-février 2005
analyse découle la position d’une certaine tradition juive qui désigne
l’avortement comme un meurtre à part entière.
Toutefois, pour la majorité des commentateurs et décisionnaires de la
tradition juive, l’embryon fait partie intégrante de la mère. C’est une
vie en puissance alors que la mère est une vie en acte. La vie de la
mère prime sur celle de l’enfant non parce qu’elle est supérieure mais
parce qu’elle occupe, dans le monde, une position radicalement diffé-
rente. L’embryon comme le fœtus n’est pas encore de ce monde, la
mère, elle, est déjà de ce monde. Et lorsqu’il faut trancher, seul l’inté-
rêt de l’individu advenu à l’existence et qui porte l’individu en puis-
sance est invoqué, c’est celui-là qui prime. C’est la prévalence de la
vie existante par rapport à la vie potentielle.
Le courant matérialiste
Au sein même des courants se définissant par rapport à une “morale
de conviction”, l’influence du courant de la philosophie matérialiste
peut aboutir à des positions extrêmes comme celle suggérée par
Watson, pourtant prix Nobel en 1962 avec Crick et Wilkins pour
leur découverte de la structure de l’ADN : “Un enfant né ne doit être
admis à la vie, à la perpétuation de la vie que s’il est confirmé qu’il est
tout à fait normal.” Position qui, si elle est poussée à son extrême,
aboutit à des impasses allant jusqu’au rejet des individus qui ne corres-
pondraient plus aux normes établies (vieillards, inconscients,
débiles…), ne serait-ce pas là, à nouveau, une dérive eugénique que
nous connaissons et redoutons tous ?…
L’ÉTHIQUE DE RESPONSABILITÉ
C’est assurément celle la plus proche de la responsabilité médicale
actuelle (6), elle a pour rôle la protection de la vie et de la santé de la
mère que ce soit dans le cadre de la grossesse extra utérine, de l’inter-
ruption volontaire de grossesse ou de la contraception. C’est elle aussi
qui préside ou devrait présider aux réflexions, aux décisions et aux
actes qui animent les acteurs de la procréation médicalement assistée,
de la recherche ou encore dans le domaine du diagnostic anténatal.
Les interrogations actuelles viennent d’une situation paradoxale
comme le soulignait Jean Hamburger (cité par Claude Sureau dans
sa synthèse de la journée) : “Les données scientifiques contemporaines
se révèlent impropres à obéir à une morale qui est née sans les
connaître.” De la même façon, la législation reste en deçà des avan-
cées scientifiques et le “vide juridique” que nous connaissons en
regard du statut de l’embryon et du fœtus autorise de nombreuses dis-
cussions. À défaut de statut, le législateur a donné plusieurs définitions
qui permettent, dans le cadre de la pratique médicale, d’avoir des
points de repères :
•La personnalité juridique se définit comme l’aptitude à être titu-
laire de droits et à les exercer par soi-même ou par l’intermédiaire
d’un représentant. Tout être humain a donc une personnalité juridique
de sa naissance à son décès. Cette convention amène à définir juridi-
quement la naissance comme la venue au monde d’un être humain,
quelle que soit la durée de sa gestation définie par les critères de
l’OMS (22 semaines ou 500 g) à condition qu’il soit vivant et viable.
Le corps médical reste libre de l’appréciation des éléments nécessaires
à la personnalité juridique (terme, poids, cri à la naissance…).
•Le fait que la personnalité juridique ne commence qu’à la naissance
ne signifie pas pour autant que l’embryon ou le fœtus ne soit ni vivant
ni humain, mais renvoie à la définition de la “personne potentielle”.
Le droit prend en compte le fait que l’embryon puis le fœtus a pour
vocation première de donner naissance à une personne. Les disposi-
tions prises pour protéger l’embryon et le fœtus ont pour but de proté-
ger cette personne “en devenir”, cette “potentialité de personne”.
•À ce titre et au nom du respect de la dignité de la personne humaine,
les recherches sur l’embryon restent interdites dans le cadre général
de la loi et seules sont autorisées les études à caractères exceptionnels
qui ne portent pas atteintes à son développement futur puisque doit
être conservée sa vocation à être transféré en vue d’une grossesse (7).
•S’il est une potentialité de personne, le fœtus n’a pas pour autant des
droits à naître. Ainsi dans certaines situations comme les interruptions
de grossesses, qu’elles soient volontaires ou médicales, c’est avant tout
la liberté de la femme dans le premier cas et sa santé morale ou phy-
sique dans le second cas qui sont évaluées. En revanche, lorsqu’inter-
viennent des critères évaluant la qualité de vie de l’enfant à naître, la loi
a opté pour un parti éthique quelquefois contesté. Dans tous les cas, la
loi a essayé de réaliser un compromis entre la protection de l’embryon
ou du fœtus et d’autres intérêts comme la liberté et la santé de la
femme, la recherche et la qualité de vie de l’enfant à naître.
L’absence de statut juridique de l’embryon et du fœtus est criante dans
le domaine de la responsabilité médicale tant civile que pénale et donne
lieu à toutes les interprétations dont certaines jurisprudences récentes ont
été la traduction. Ces décisions rapidement contestées par le Conseil
d’État ou la Cour de cassation permettent de dire qu’actuellement :
•Sur le plan de la responsabilité civile, l’enfant à naître ne peut être le
destinataire d’une indemnité pécuniaire : s’il ne naît pas, ses parents
pourront réclamer une indemnité si la responsabilité médicale est
patente ; s’il naît, il pourra dans les mêmes conditions, être titulaire
d’un droit à indemnisation.
•Sur le plan de la responsabilité pénale, seules les blessures involontaires
sur la femme enceinte sont une incrimination recevable. Le droit pénal
protège les individus vivants en société, c’est le cas de la femme mais pas
encore celui du fœtus. En revanche, si un fœtus dont la mère a été victime
d’un accident, naît vivant puis décède, alors le responsable pourra être
poursuivi pour homicide involontaire sur la personne du bébé.
Le rôle du droit est de protéger les êtres humains accomplis et en
devenir. Il est aussi de concilier les intérêts particuliers des différents
acteurs de la vie sociale sans porter atteinte à l’intérêt général. À ce
titre, il semble essentiel de protéger le fragile équilibre qui existe entre
la protection de l’embryon et du fœtus, l’intérêt des mères, la
recherche médicale et la responsabilité médicale.
Devant les positions exposées tout au long de cette journée, il est clai-
rement apparu que si la diversité se devait d’être respectée, l’intérêt de
chacun également, et qu’il était de la responsabilité de tous les acteurs
autour de la procréation de garder à l’esprit que légiférer sur le permis
et l’interdit est la base même de l’évolution de notre discipline. Ainsi
“entre le bien à faire et le devoir à accomplir, la conscience morale ne
peut trouver le repos” (8).■
NOTE
1. Il existe alors deux écoles de philosophie morale : l’une absolutiste (relevant
de l’impératif catégorique de Kant) qui considère que les impératifs moraux
sont absolus et inconditionnels ; l’autre conséquencialiste qui considère, elle,
qu’entre deux maux résultant de deux décisions alternatives, il faut choisir la
moindre (futur courant pragmatique et utilitariste).
2. Premier à avoir envisagé le concept d’“animation”.
3. À l’origine, pour ces religions, il y avait un œuf cosmique dont la moitié supérieure
correspond à des étages célestes et la moitié inférieure à des régions souterraines.
4. www.eleves.ens.fr/home/nray/Rapports/ DEA/Cours/Sciences/reproduction-dvt.doc.
5. Donum Vitae, I-1, Cerf, 1987:17.
6. On peut la dire pragmatique ou conséquencialiste (voir note 2).
7. La loi du 8 juillet 2004 rappelle que “la recherche sur l'embryon humain est inter-
dite” mais l'autorise “à titre exceptionnel”, pour une durée de 5 ans, sur des
embryons surnuméraires sans projet parental. L’embryon et la recherche sur
l’embryon, www.genethique.org/doss_theme/dossiers/embryon/acc_embryon.htm.
8. Suzanne Rameix, Fondements philosophiques de l’Ethique médicale, Ellipes, 1996.
GYNÉCOLOGIE ET SOCIÉTÉ