La Lettre du Pneumologue - Vol. IX - n° 4 - juillet-août 2006
Vie professionnelle
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La réunion de concertation
pluridisciplinaire
# A. Depierre*
* Président de la Délégation à la recherche clinique ;
centre hospitalier universitaire de Besançon, université de Franche-Comté.
APERÇU HISTORIQUE
La réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) a un his-
torique difficile à établir, car elle a longtemps vécu sous des
vocables et des formes différents. Dans les années 1960 fonc-
tionnaient déjà, à l’institut Gustave-Roussy, ce qui s’appelait les
comités”. Il y avait le comité sein, le comité ORL, etc. Cétait
en général des comités bipartites, chirurgiens, radiothérapeu-
tes. Les oncologues n’existaient pas alors et cette discipline était
représentée par les hématologistes, tous issus de la pédiatrie,
et par les pneumologues. Particularité importante, ces comités
se réunissaient en présence du malade, qui était examiné et à
qui on pouvait directement expliquer la stratégie qui allait être
retenue à son égard, voire demander son avis. Cétait en quelque
sorte aussi une consultation d’annonce. Quelques esprits cha-
grins, disciples de Freud, y voyaient alors un système de défense
permettant d’aborder à plusieurs le patient et son cancer.
CONTROVERSE SUR LA PLURIDISCIPLINARITÉ
Dans la dénomination RCP, le mot important est “concerta-
tion” et non “pluridisciplinaire”. Or, souvent, cest l’inverse qui
a été mis en avant. La pluridisciplinarité, tout le monde en fait
depuis que la spécialité de barbier a commencé. Tout le monde
fait opérer ses patients par un chirurgien, irradier par un radio-
thérapeute, radiographier par un radiologue. En plus, les uns
discutent avec les autres. Le chirurgien parle des patients avec
le pneumologue. Il en est de même du radiothérapeute et du
radiologue. Puisque tout fonctionne sur un mode pluridisci-
plinaire dans notre exercice, pourquoi irions-nous perdre du
temps en “réunion” ? Nous narrêtons pas de courir d’une réu-
nion à l’autre... Mais cette réunion se justifie par la notion de
concertation, sur laquelle nous reviendrons.
NORMALISATION DU SYSTÈME
Malheureusement, entre temps, l’esprit centralisateur hexago-
nal qui nous caractérise a frappé. La “concertation” est rentrée
dans un cadre qui aura bientôt valeur juridique au sein du Plan
cancer. Elle y est abordée via une fusée à plusieurs étages qui va
de la 29e à la 35e mesure. La 29e concerne la création d’un ré-
seau régional, la région devenant la cellule de base de l’organi-
sation. Le réseau est un centre coordinateur dont le but est que
tout patient sur le territoire de sa région bénéficie de la même
qualité de prise en charge. Le réseau se structure par la créa-
tion d’un certain nombre d’organismes. Le premier est un pôle
régional de cancérologie (mesure 30), qui doit offrir une straté-
gie coordonnée d’utilisation des moyens techniques dédiés au
traitement du cancer. À l’étape suivante sont créés les centres
de coordination de cancérologie, dits “3C” (mesure 32). Ils ont
en charge, à l’échelon local, les RCP. Il faut remarquer que, à ce
niveau, dans la mesure 32, les RCP sont devenues multidisci-
plinaires. Au diable l’avarice : dans la mesure 31, elles nétaient
que pluridisciplinaires... Autre rôle important des “3C, ils sont
chargés de l’audit des pratiques.
La mesure 31 définit la réunion pluridisciplinaire. Elle im-
pose que 100 % (pas un de moins) des patients en bénéficient.
Il semblerait, aux yeux de l’administratif créateur, que le seul
moment stratégique dans la prise en charge d’un patient soit
le premier traitement mis en route, et que le thérapeute puisse
ensuite faire n’importe quoi (administrativement parlant, bien
sûr) ! Or, il nous semble que, dans le déroulement des événe-
ments de la vie d’un patient, celui (ou ceux) qui légitimera le
plus de concertations nest pas fatalement le premier.
Cette mesure 31 impose en outre que soit remis au patient lui-
même la stratégie thérapeutique envisagée, appelée “program-
me personnalisé de soins”. Ce programme doit être compréhen-
sible par le patient et lui être expliqué. Cette injonction impose
donc un compte-rendu très élaboré dans son expression, afin
de rendre compte à la fois de la technicité du problème clinique
et des solutions proposées, et de demeurer compréhensible par
le patient. Une possibilité serait que le médecin chargé de la
consultation d’annonce fournisse au patient un compte-rendu
explicatif complémentaire de celui de la RCP. Il est clair que le
temps dont disposent les médecins dans l’exercice de leur mé-
tier ne s’apparente pas tout à fait aux 35 heures du législateur,
mais ce nest pas la première fois qu’on nous demande de ré-
soudre la quadrature du cercle, dont nous sommes d’éminents
spécialistes, sauf aux yeux des tribunaux. Ce compte-rendu
comporte en outre quelques éléments administratifs comme
le nom du réseau auquel se rattache la RCP, celui du médecin
traitant et les coordonnées d’un représentant des patients dans
l’hôpital. Il est intéressant de remarquer que, à l’intérieur d’un
Plan cancer voulu par les oncologues, le nom du référent en
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cancérologie (quelle que soit sa spécialité) nait pas à apparaître
dans le compte-rendu de RCP
SIGNIFICATION DE LA CONCERTATION
La concertation est le nœud profond de cette partie de la ré-
forme, qui ne l’a pas inventée puisque, comme nous l’avons si-
gnalé, elle date des années 1960. Le réformateur, en revanche,
a porté un jugement positif sur ce mode de fonctionnement
vieux de 40 ans et son projet est d’en faire bénéficier tous les
patients porteurs de cancer en France, sans exception.
Mais quel est le bénéfice d’une concertation par rapport au
mode ancestral ? Chaque spécialiste a, dans son domaine de
compétences, une certaine vision de la prise en charge d’un
patient, et elle varie beaucoup d’un exercice à l’autre, médical,
chirurgical, radiothérapique ou oncologique. Au fur et à mesure
que se complexifie la décision, il est difficile d’imaginer qu’on
puisse en prendre seul la responsabilité, sans avoir, simultané-
ment, l’avis des représentants des autres disciplines. Prenons, à
titre d’exemple, une tumeur pulmonaire T3N2 du tronc inter-
médiaire droit, dont l’atteinte ganglionnaire touche la région
sous-carénale et la base de la région paratrachéale droite. Suis-
je sûr des possibilités chirurgicales ? Suis-je capable de savoir
si sa position par rapport au cœur ou par rapport aux vertè-
bres permet une radiothérapie à doses curatives ? Ne serait-il
pas intéressant, si la sanction est une pneumonectomie droite
chez un patient ayant quelques arriérés cardiovasculaires, de
se mettre à plusieurs pour faire une évaluation du rapport ef-
ficacité-risques de plusieurs options thérapeutiques : chimio-
thérapie préopératoire + chirurgie, chirurgie + chimiothérapie
adjuvante, chirurgie seule, radiothérapie et chimiothérapie
concomitante ou peut-être, en raison des risques, chimiothéra-
pie-radiothérapie séquentielle, voire même radiothérapie seule
si les risques liés à la comorbidité sont trop importants ? Com-
ment puis-je prétendre connaître tous les problèmes liés à des
cas si difficiles et prendre de ce fait la décision adéquate seul ?
RETOUR À LA RÈGLE DU 100 %
La mesure 31 dit “faire bénéficier 100 % des nouveaux pa-
tients...” Je suis devant une tumeur T1N0 de 2 cm de diamètre
chez un sujet jeune sans antécédent. Je dispose d’un référen-
tiel national ou régional me disant qu’un tel cas doit bénéfi-
cier de la chirurgie seule sans chimiothérapie, sauf si l’exa-
men anatomopathologique de la pièce opératoire apporte des
éléments nouveaux reclassant la tumeur. Avons-nous besoin
de nous mettre à 5 ou 6 pour l’envoyer se faire opérer ? Il y
a effectivement un problème à ce niveau. Nous allons essayer
d’y réfléchir. Tout d’abord, nous sommes bien d’accord : nous
nous sommes préalablement réunis pour adopter un référen-
tiel commun (d’où qu’il vienne) et nous l’actualisons tous les
ans. Il y a 30 000 nouveaux cas de cancer du poumon par an en
France ; chaque dossier de patient passe entre trois et cinq fois
en RCP (les récidives posent parfois des problèmes de prise en
charge plus difficiles que la première atteinte). Cela représente
120000 RCP mobilisant, à chaque séance, entre 4 et 8 de-
cins, soit 720000 équivalents consultations par an pour le seul
fonctionnement de la RCP pulmonaire (approximativement
14 millions d’euros par an pour cette seule activité, sans comp-
ter les frais de déplacements et les salaires de secrétaires, car
ce document doit être envoyé à beaucoup de médecins : le mé-
decin traitant, les différents spécialistes impliqués, et archivé
après avoir été relu puis corrigé le lendemain matin). On doit
approcher les 15 millions d’euros par an pour le seul cancer
bronchique. Si l’on fait le même raisonnement pour l’ensemble
des cancers, le coût en ETP (équivalent temps plein médical)
pour “faire tourner” cette seule mesure 31 est bien au-dessus
de ce que l’on peut produire comme médecins sur le marché
du travail. Il va bien falloir être pragmatique pour donner une
réalité au libellé un peu trop enthousiaste de cette mesure...
Faut-il faire passer 100 % de nos dossiers en RCP ? Sincère-
ment, je ne le crois pas, mais cela nengage que moi. J’ai vu des
RCP où le temps imparti à un dossier ne devait pas dépasser
les 5 minutes pour tenir la cadence. Cela fait bien sur les orga-
nigrammes du réseau, mais ce nest médicalement pas sérieux.
Si l’on désire que 5 personnes se penchent effectivement sur
un dossier, et qu’elles le fassent sérieusement, en réfléchissant
à chaque fois à la meilleure solution pour le patient, en fai-
sant une relecture du scanner, en prenant en compte tous les
antécédents qui peuvent influer sur le choix de la thérapeuti-
que – et tout cela au milieu de gens qui, se voyant une fois par
semaine, ont des tas de choses à se raconter indépendamment
du patient en cours de discussion –, un dossier ne peut pas être
réglé en moins de 15 à 20 minutes. Il faut donc choisir. Cela
ne me paraît pas incompatible avec la philosophie des RCP, à
la condition première que le médecin participe régulièrement
à l’une d’elles, qu’il ait l’habitude de son fonctionnement et
que, deuxièmement, il note par écrit dans le dossier du patient
que, se référant à tel arbre décisionnel admis dans sa région, et
compte tenu des caractéristiques de son patient, il appliquera
telle décision, et que, enfin il en informe la RCP par mail.
LA DISPARITÉ GÉOGRAPHIQUE
Il est clair que la pensée du concepteur fut la suivante : il y a
une disparité géographique entre :
– le patient qui habite à proximité d’un grand centre hospita-
lier privé ou public comprenant un service de radiothérapie
suréquipé capable de faire de la radiothérapie conformation-
nelle de haut niveau, un service de chirurgie thoracique, un
centre dimagerie performant avec tomodensitométrie, IRM,
PET scan (le tout bien sûr accessible en moins d’une semaine),
un service d’oncologie médicale ;
– et celui qui habite dans une région montagneuse, aux routes
tortueuses, dans un petit village, à environ 50 kilomètres du
premier centre hospitalier, lequel ne possède ni service de ra-
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diothérapie, ni service de chirurgie thoracique, ni service de
médecine nucléaire, mais seulement un service d’imagerie qui
pleure pour avoir une IRM et ne sait pas, en plus, comment il
pourra recruter un radiologue compétent pour le faire tour-
ner. Le premier CHU est à 150 km et il n’y a pas d’autoroute
pour relier les deux centres.
Cette disparité ayant été constatée – et elle existe de manière
très évidente –, comment s’organiser pour qu’elle naboutisse
pas à une disparité de la prise en charge : d’un côté des méde-
cins référents, qui peuvent consacrer du temps à travailler sur
les dossiers des patients tous ensemble, et de l’autre des méde-
cins tout aussi dévoués, mais isolés ? Il est évident que, pour
le médecin de CHU vivant douillettement dans un environne-
ment privilégié, cette nécessité d’apporter à chaque patient du
territoire la même qualité de soins est une contrainte supplé-
mentaire, et ce d’autant plus qu’il ne s’agit pas de ses patients.
Pour celui qui avait pris l’habitude de vivre isolé, il trouvait à
cela quelques avantages, dont celui de ne jamais être contredit
et de navoir jamais à redouter le regard d’un pair sur son ac-
tivité. Cest, quoi qu’on en dise, finalement assez confortable.
Il va falloir travailler en réseau, unir nos efforts, accepter le
regard des autres sur nos dossiers. Il va falloir accepter que le
malade ne soit pas “ma chose dont je dispose selon mon bon
vouloir”, mais que la décision qui sera prise le concernant soit
le fruit d’une réflexion commune.
Pour réussir cette gageure, il nous faut deux éléments différents.
Le premier est une réelle implication administrative per-
mettant que les moyens matériels efficaces nous soient ap-
portés dans des délais suffisamment courts pour que nous
nayons pas psychologiquement mis la RCP au rayon des
réformes sans suite, et Dieu sait que ce rayon est pléthori-
que. Par “moyens matériels”, j’entends : des salles de réunions
dignes de ce nom ; des systèmes de visioconférence de haut
niveau permettant de voir de manière satisfaisante non seu-
lement l’imagerie, mais aussi le présentateur, cela de manière
simultanée et sur des écrans muraux dont la taille soit telle
qu’une dizaine de personnes puisse analyser ces images de
manière concomitante ; des réseaux entre tous les centres de
soins d’une région, suffisament performants pour transmet-
tre des images de qualité en temps réel, avec la possibilité de
visionner simultanément deux, voire trois scanners de dates
différentes pour les comparer ; enfin, des secrétaires présen-
tes pendant les réunions.
Le deuxième élément est plus difficile à obtenir, car il se
heurte à des réticences psychologiques. Il nous faut nous
convaincre que notre rôle nest plus individuel, consacré au
seul malade qui a frappé à notre porte, mais que nous som-
mes redevables, comme dans beaucoup dautres activités que
celles de la cancérologie, de la dimension populationnelle des
prises en charge thérapeutique. Ce travail collectif fait partie
de nos missions. En effet, l’isolement d’un groupe le conduit à
organiser une RCP avec les moyens du bord. Il lui faut, pour
travailler, établir un réseau de recours lui offrant les pres-
tations dont il a besoin. On revient à la mesure 30 du plan
créant les pôles régionaux de compétences.
LA DISPARITÉ DES DISCIPLINES
Face aux nécéssités qu’impose une telle réforme, les difficultés
ne sont vraisemblablement pas identiques selon les discipli-
nes. Certaines, comme l’ORL, sont des disciplines chirurgica-
les qui, très rapidement, ont été confrontées aux échecs des
actes accomplis et ont ainsi pris l’habitude de travailler avec
les radiothérapeutes, qui leur offraient des alternatives inté-
ressantes ; les RCP d’ORL sont donc parmi les plus anciennes
dans beaucoup de centres. D’autres disciplines chirurgica-
les comme l’urologie navaient pas, telle l’ORL, un pendant
médical et, longtemps, la radiothérapie na pas constitué une
alternative thérapeutique. Ces spécialistes ont longtemps tra-
vaillé en solitaires et il leur est certainement plus difficile de
mettre en place des strutures de concertation. On conçoit, à
partir de ces deux exemples, que le problème des RCP sera
vécu de manière très différente selon les acteurs en jeu.
PETIT POINT DE VUE JURIDIQUE
Je naborderai que succintement le problème juridique de la
décision prise par la RCP : le médecin responsable du patient
peut-il se retrancher derrière elle et se dégager de sa propre
responsabilité ? Quelle est la responsabilité de chacun des
membres présents lors de la réunion ? Sauf pour quelques
confrères très isolés, notre décision à l’égard d’un patient est
toujours soumise à l’influence des multiples avis que nous
avons sollicités : le radiologue avec son interprétation, le car-
diologue qui évalue les risques d’une intervention, et l’anes-
thésiste ceux de son acte. Quelle différence avec une RCP
sinon que, pour une fois, on va essayer de discuter ensemble,
et surtout simultanément, d’un patient ? Il me semble que la
RCP fournit, dans sa conclusion, un avis et non un ordre. Le
patient, au cours d’un dialogue qui a toujours son importan-
ce, avec son médecin, essaiera de prendre la solution qui lui
est la plus adaptée, et il importe de nouveau que le médecin
inscrive noir sur blanc dans le dossier du patient les raisons
qui ont conduit ce dernier et lui-même à ne pas suivre l’avis
de la RCP ou au contraire à le suivre.
CONCLUSION
L’introduction de la RCP comme moyen collectif de prendre
les décisions en cancérologie me paraît une excellente me-
sure. Je ne peux pas dire le contraire, ayant créé celle d’onco-
pneumologie à Besançon en 1978. La concevoir comme un
acte unique, au moment de la consultation d’annonce, ne me
paraît pas avoir de sens. Cest rarement la première décision
qui est difficile en cancérologie. Limposer à 100 % des pa-
tients est aussi une erreur ou, sinon, cela diminue considé-
rablement l’impact des référentiels et risque de faire tourner
en dérision l’une des mesures les plus importantes du Plan
Cancer. N
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