Charles Darwin, la religion, la sociologie, la science… et l`Homme

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Charles Darwin,
la religion,
la sociologie,
la science
et l’Homme
Jean-Pierre Rouzière,

Jacques Périé,
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Introduction par Jean-Pierre Rouzière
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Ce texte est extrait de l’Introduction à la psychanalyse [Freud, 1916, chap. 18, PB Payot,
1970 p 266] connu sous le nom des « trois blessures narcissiques »
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. Trois, parce que
Freud ajoute un 3e démenti qui 
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c’est la blessure psychologique qui vient donc s’ajouter à la blessure cosmique
et la blessure biologique.
Il est intéressant de noter que cette année 2009 est, en quelque sorte, un anniversaire
pour les deux premières blessures narcissiques. En effet 2009 a été consacrée « année de
l’astronomie » pour célébrer la découverte en 1609 - il y a donc 4 siècles - par Galilée de
la lunette astronomique qui porte son nom. 2009 est en même temps un double anniver-
saire pour Darwin : celui de sa naissance en 1809, et celui de la parution de 
en 1859.
Si la « blessure cosmique » infligée par Copernic et Galilée a valu à ce dernier un procès
retentissant et la disgrâce par l’Église car elle heurtait la vérité théologique, il nous est
apparu évident que « la blessure biologique » infligée par Darwin est beaucoup plus pro-
fonde et douloureuse. Ce que confirme Freud lorsqu’il écrit : 
 Ce qui est frappant, en effet, c’est
cette résistance aux idées de Darwin qui est encore présente aujourd’hui, c’est la mécon-
naissance de sa théorie et des ruptures qu’elle introduit dans notre rapport au monde et à
la vie. Sans doute chamboulait-elle trop les repères existants, car il faut bien réaliser que
la théorie de l’évolution, c’est l’histoire de la vie donc aussi celle du sens de la vie. Elle
touche directement ce que nous sommes dans notre chair et dans notre esprit.
Mais qui était donc ce Darwin capable de concevoir une théorie si nouvelle ?
Qui était Darwin ? par Jacques Périé
Darwin est en 1809, dans une famille de la bourgeoisie cultivée britannique plutôt
conventionnelle.
Son père médecin, l’ayant rapidement orienté vers cette discipline, le jeune Charles
Darwin entreprend à Edimbourg des études de médecine. Mais la vue du sang l’effraie et
il renonce vite. Son père l’oriente alors vers des études de pasteur. Charles devient ainsi
étudiant en théologie à Cambridge mais la discipline ne l’intéresse guère. Par contre,
il est très attiré par les cours de botanique et de géologie, ayant au préalable été initié
à cette discipline par les travaux de Charles Lyell. Grâce à l’intercession d’un parent,
Darwin obtient une place de biologiste à bord du Beagle, un bateau en charge du relevé
des côtes du continent sud-américain. Le voyage durera 5 ans et ne se limitera pas à ce

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continent puisque le Beagle naviguera également vers l’Australie, la Nouvelle-Zélande
et un certain nombre d’îles du Pacifique. Durant ce séjour, Darwin accumulera quantité
d’observations mais aussi de spécimens de plantes, de roches et aussi espèces animales,
insectes, reptiles, oiseaux etc.
Et Darwin est particulièrement frappé par les évolutions qu’il note chez certaines es-
pèces animales sur des distances nord-sud relativement courtes, en particulier dans les
îles Galápagos, au large des côtes péruviennes.
Revenu en Angleterre, se marie et s’installe, après un court séjour à Londres, dans une
grande maison à la campagne dans le Kent, son patrimoine familial lui évitant d’avoir
à occuper un emploi rémunérateur. Là, auprès d’une épouse aimante et dévouée qui lui
donnera dix enfants, il entreprend une œuvre qu’il poursuivra jusqu’à sa mort en 1882,
à 73 ans. Son œuvre traite bien entendu en premier lieu de l’évolution mais ne se limite
pas à cela. Toute sa vie Darwin travaillera en géologie, fasciné tout d’abord par l’action
des vers de terre capables de remodeler complètement la surface des sols, mais aussi
« par une tentative pour expliquer les changements anciens de la surface de la terre, en
référence à des causes en train d’opérer ». On peut noter que l’idée d’évolution est aussi
bien présente.
Ce que l’on sait par son autobiographie, c’est qu’il poursuit son œuvre avec beaucoup
d’assiduité ; il accumule les observations, rencontre d’autres chercheurs auxquels il a
confié certaines de ses collections, rencontre des éleveurs et des agriculteurs de la cam-
pagne environnante pour comprendre auprès d’eux les méthodes de sélection d’espèces
ou de plants. On y apprend aussi qu’il est en proie à des malaises physiques permanents,
qui demeureront inexpliqués. On a évoqué à leur sujet soit une fièvre ramenée de son
voyage, peut-être la maladie de Chaggas dont il montrera tous les symptômes, soit des
troubles psychosomatiques.
Il décide néanmoins de prendre son temps pour mettre en forme ses idées, d’autant qu’il
est déjà un naturaliste de renom international et aussi parce qu’il bute sur un point majeur,
note l’un de ses biographes, Jean-Claude Ameisen, celui de la question du moteur interne
de ce phénomène d’adaptation : pourquoi les espèces s’adaptent-elles plutôt que de dispa-
raître quand les conditions d’environnement changent ?
Mais les événements l’amènent à précipiter le cours des choses : en 1858 (il a alors 49
ans), il reçoit d’Indonésie d’un autre biologiste, Wallace, un texte que celui-ci lui confie
pour avis et qu’il a intitulé « Variations observées à partir d’un modèle initial chez les
vivants ». Darwin reconnaît là des idées si proches des siennes qu’il a un instant le sen-
timent d’avoir tout perdu ; puis il se ressaisit et rédige en quelques jours un texte d’une
dizaine de pages que l’un de ses parents publie à une société savante de Londres, conjoin-
tement à celui de Wallace. Aucun des deux auteurs n’assiste à la séance : Darwin vient de
perdre un enfant et Wallace est en Nouvelle Guinée. Il s’agit de 3 publications écrites en
septembre 1858, d’un total de 18 pages comportant des extraits d’un texte que Darwin a
rédigé 14 ans auparavant. Puis il s’attaque à la rédaction d’un texte plus complet, qu’il
publie en 1859, après 13 mois de travail. Un travail sans doute harassant puisqu’il en dit
la chose suivante : « mon abominable volume, qui m’a à moitié tué ».
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Darwin ne donne qu’une diffusion limitée à cette première édition, non par prudence mais
par réserve vis-à-vis des convictions de ceux qui l’entourent. « C’est comme confesser un
meurtre », confie-t-il à un ami (sous entendu, celui du Créateur dans une vision littérale
de la Genèse). Puis plusieurs rééditions suivront, Darwin continuant à chaque étape à y
préciser ses idées.
Parallèlement à cela, il poursuivra ses réflexions dans de nombreux autres domaines et
publiera des ouvrages, toujours en lien avec des questions d’évolution :
Sur l’origine des êtres humains,
Sur la généalogie de l’homme et la sélection liée au sexe,
Sur l’expression des émotions chez l’animal et l’homme (ou comment ce qui semble être
le propre de l’homme existe aussi chez d’autres espèces).
Sur les plantes, sur les mouvements des plantes grimpantes, l’effet de la fertilisation croi-
sée et de l’auto-fertilisation dans le domaine végétal. Sur les différentes formes de fleurs
et de feuilles dans les mêmes espèces. Sur les plantes insectivores. Sur la capacité des
plantes à se mouvoir. Sur les relations entre les plantes et les animaux. Sur les variations
induites chez les animaux et les plantes par l’effet de la domestication. Sur la fertilisation
des orchidées par les insectes ; et son dernier livre, paru l’année précédant sa mort, traitait
de la formation de l’humus végétal sous l’action des vers de terre.
Puisque nous parlons de l’homme Darwin, sans doute faut-il rajouter un autre trait de son
caractère : sa conception profondément respectueuse de toutes les races humaines entre
lesquelles il ne peut admettre de hiérarchie, convaincu qu’il est qu’il n’y a qu’une seule
espèce humaine. C’est ainsi par exemple qu’il rentre en vif conflit avec le Cdt du Beagle,
Fitz Roy lors de rencontres d’autres peuples, indiens en Amérique du Sud, mélanésiens
lors de la suite du voyage, à propos des jugements très négatifs de Fitz Roy sur les peuples
de couleur rencontrés. De sorte que lorsque certains de ses successeurs étendront l’idée
de sélection à une compétition entre humains pour « la survivance du plus apte » ils opé-
reront une véritable trahison morale, tout en se réclamant de Darwin.
Le cœur de la théorie de l’évolution
Ce que Darwin a conclu de toutes les observations accumulées qu’il a faites - et c’était
avant tout un fantastique observateur très méthodique - c’est bien cette loi naturelle
selon laquelle on peut rendre compte de l’extraordinaire diversité du monde vivant
à partir d’un seul ou de quelques ancêtres communs et y inscrire l’être humain. Sa
grande découverte est bien celle de la descendance avec modification, le fait que
toutes les espèces ont une histoire et sont apparentées, y compris l’espèce humaine.
Le processus en est le suivant : il apparaît chez tout individu de petites variations
qui, lorsqu’elles présentent un avantage dans la lutte pour une meilleure adaptation
au milieu, sont transmises aux descendants ; d’où il résulte, par sélection et accumu-
lation, une modification progressive des espèces.
Contrairement à ce que l’on pense souvent, Darwin n’a pas découvert que le vivant
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se transforme et évolue. D’autres l’avaient fait avant lui, Lamarck en particulier et bien
avant ce dernier, Démocrite ou Lucrèce, ce dernier dans son  Mais
Darwin a plus radicalement découvert une loi naturelle d’évolution qui rend compré-
hensible, explorable, l’idée d’une évolution du vivant à partir d’un début simple (que l’on
désignera plus tard par le concept de LUCA (ou ancêtre
commun à toute vie), par ce processus d’une descendance avec modification. A chaque
génération, explique-t-il, s’opèrent des variations minimes qui permettent aux es-
pèces d’évoluer et de se diversifier.
« N’y a-t-il pas une véritable grandeur dans cette manière d’envisager la vie, avec ses
puissances diverses insufflées primitivement à un petit nombre de formes et peut-être à
une seule ? » écrit-il dans l’Origine des espèces.
Fantastique intuition que les découvertes qui suivront viendront corroborer, en particulier
lorsque seront compris les mécanismes de ces variations minimes. Notons au passage que
le grand-père de Darwin, Erasmus également médecin, avait lui aussi émis cette hypo-
thèse d’évolution à partir d’un ancêtre commun.
Et de cette évolution continue avec modification, émergent les espèces les mieux adap-
tées aux changements environnementaux en fait du mieux adapté, concept dit aussi de la
sélection naturelle. Et Darwin montre bien que le rôle éliminateur de cette sélection doit
être complété par son aspect créateur, qu’il s’agit d’une sélection novatrice. Com-
plétons que la traduction de cette idée en termes de « survivance du plus apte » n’appar-
tient pas à Darwin, mais vient de Spencer, ingénieur et philosophe qui l’appliquera sans
nuance à l’ensemble des phénomènes sociaux. Par la suite, l’évolutionniste Stephen Jay
Gould précisera qu’il ne s’agit pas de la survie du plus puissant mais de celui qui, dans un
environnement donné, s’y reproduit le plus abondamment.
En effet, au sein d’une même population, les individus porteurs d’une variation trans-
missible, momentanément avantageuse dans les conditions du milieu se reproduiront da-
vantage. Si ces conditions se maintiennent suffisamment longtemps, le variant avantagé
finira par avoir une fréquence de 100 % dans la population. L’espèce aura alors changé.
Revenons un instant à Darwin et à son séjour aux Îles Galápagos pour donner un exemple
concret de la façon dont il mit à profit ses observations. Par exemple l’observation des
reptiles et des batraciens, d’abord sur le continent puis sur les îles. Les premiers sont
présents sur les îles, non les seconds. Darwin constate que seuls les œufs des premiers
résistent à l’eau de mer d’où leur transport sur les îles, alors que les œufs des batraciens
ne résistent pas. D’où un premier mécanisme de sélection, dans ce cas par élimination.
Puis, les nombreuses espèces de reptiles propres aux îles qu’il observe, résultent d’une
évolution qui s’est faite très localement et dont la présence sur un même site tient à des
conditions climatiques bien spécifiques. L’adaptation au milieu a créé, dans ce cas en
accéléré, de l’évolution et de la diversité.
Une autre observation de Darwin devenue historique est celle des pinsons. Darwin rame-
na de son passage aux Îles Galápagos une collection d’oiseaux entre lesquels il notait des
similitudes mais dont il pensait qu’ils appartenaient à des espèces différentes. A son re-
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