3
mes professeurs, comme si l’occident, la société industrielle, bref, la société dominante, était
responsable de bien des maux culturels. Cela est sans doute vrai, mais ce qui me surprend
c’est que ceci revient fréquemment dans la bouche de mes professeurs, de façon directe ou
implicite. En vérité, je n’avais jusqu’alors jamais vu les choses ainsi, peut-être à tort !
Ce dernier point me donne l’impression que la sociologie, en tant que discipline
institutionnelle érigée par un grand corps d’État, ne sert pas uniquement la connaissance de
ses étudiants, mais qu’elle-même pourrait bien avoir une fonction sociale de réparation par
rapport au passé historique de nos pays industriels ; un peu comme en psychologie lorsqu’un
endommagement physique ou psychologique appelle une certaine forme de pardon.
Étrangement, je trouve la majorité de mes professeurs pris dans ce processus mental de
culpabilisation qui m’interpelle, mais que je ne ressens pas moi-même, me contentant de le
capter et de le comprendre.
Pour la première fois, je fais donc de « la sociologie de la sociologie »… sans doute prémisse
de mon penchant futur pour l’épistémologie, je me demande si cette discipline en l’état actuel
des choses n’est pas l’un des moyens que la conscience collective se donne pour réparer
quelque « faute » ancestrale entre Orient et Occident, entre pays développés et en voie de
développement, colonialisme et impérialisme, etc. Mes professeurs me donnent le vague
sentiment de demander pardon à d’autres cultures, cette information n’est pas mienne, mais je
l’entends et la prends, comme je prends d’ailleurs tout ce que cet enseignement veut bien me
donner. Pour vivre le présent, il faut être libre de son passé, éventuellement réparer, n’est-ce
pas en partie à cela que sert la sociologie succédant aux années 1968 ?
J’apprends que le terme « sociologie » a été créé par Auguste Comte au
XIXe, et qu’il signifie : science de la société. Plusieurs fois par semaine, il
nous est répété que la préoccupation du sociologue doit être de proposer
une démarche rigoureuse, aussi scientifique que possible, en vue de rendre
compte objectivement de la vie en société. Cette phrase en boucle, dite
d’une façon ou d’une autre, est en quelque sorte le mantra du sociologue
qu’il ne doit jamais oublier. Impossible d’écarter cette règle d’or faisant
partie du manuel du bon étudiant parce que, quel que soit l’exercice
(analyse de discours, lectures, références bibliographiques, façon
d’approcher un terrain, etc), cette information est omniprésente dans la
bouche de mes professeurs, au point que mon jeune cerveau en formation
ne peut l’occulter. De toute façon, ne pas tenir compte de cette règle de base, c’est la garantie
de ne pas avoir ses examens.
Je prends également acte des formes aliénantes et perverses qui habitent une société, qu’elles
soient économiques, politiques, religieuses ; je suis informée de ce qu’est un habitus, cette
matrice de comportements influençant tous les domaines de la vie sociale (alimentation, loisir,
éducation, etc.) et qui fut popularisée en France par le sociologue Pierre Bourdieu pour mettre
en évidence les mécanismes d'inégalité sociale. Cette sociologie que l’on est en train de
m’enseigner fait croître en moi un regard critique : le fait de prendre conscience des formes
aliénantes et des conditionnements sociaux influence ma vision des choses à deux niveaux.
D’une part, je comprends que nous sommes potentiellement conditionnés à voir ou
comprendre les choses de telle ou telle manière, même si j’ose espérer qu’un degré de liberté
subsiste, et je le crois volontiers. D’autre part, j’entrevois également combien l’influence de
ces matrices comportementales nous conduit à ériger des « mur de Berlin » entre les domaines,
entre les façons de penser, de conceptualiser, d’aimer ou de désaimer. Est-ce le fait de prendre
acte de tout cela qui me poussera plus tard à essayer de comprendre quelle aliénation
s’immisce au plus profond de nous, au point de nous faire opposer le « normal » au