présente simplement les plantes que nous rencontrons et lui explique ce que nous pourrions en
faire. Voici par exemple l’odorante tanaisie (Tanacetum vulgare), au parfum camphré, son
cousin l’achillée millefeuille (Achillea millefolium), la cataire (Nepeta cataria), amie des
félins qui adorent son odeur puissante de menthe sauvage, et le mélilot (Melilotus officinalis)
aux fleurs jaunes, qui dégage une fois séché un arôme de vanille.
Un véritable garde-manger
Nous nous engageons bientôt sur un chemin ombragé bordé d’un arbuste épineux aux feuilles
composées comme celles du frêne, mais odorantes lorsqu’on les froisse. Il porte de petites
boules qui rappellent par la vue comme au goût le poivre du Sze-Chuan. C’est bien un cousin
de cette épice exotique, le prickly ash (Zanthoxylum americanum) que nous allons
certainement essayer d’utiliser. Entre les ornières des roues, le sol est couvert de plantain
américain (Plantago rugellii), au goût de champignon moins marqué que chez les plantains
européens. Le long du chemin j’observe divers petits fruits : ronce (Rubus occidentalis),
groseillier (Ribes glandulosum) et merisiers (Prunus virginiana et serotina). Mais ils ne sont
pas encore mûrs et nous ne pourrons pas les goûter. Nous nous rattraperons sur les fleurs. Les
routes de l’île offrent un superbe spectacle : un peu partout, les bas-côtés sont couverts
d’hémérocalles fauves, de roses trémières bigarrées et d’asclépiades aux gros pompons roses.
Les hémérocalles (Hemerocallis fulva) sont originaires d’Extrême-Orient où l’on consomme
fréquemment leurs racines, leurs pousses, leurs boutons et leurs fleurs. La rose trémière
(Alcea rosea), née au Proche-Orient, présente de larges feuilles rondes et de grandes fleurs
roses, rouges, orangées, jaunes, blanches ou violacées - feuilles et fleurs sont comestibles.
Quant à l’asclépiade (Asclepias syriaca), l’américaine du lot malgré l’épithète de son nom
latin, elle a de larges feuilles duveteuses et de petites fleurs d’odeur chocolatée, groupées en
grosses boules, qui donnent des fruits emplis de graines à aigrette qui s’envolent au vent. On
en mange les toutes jeunes pousses et les fleurs riches en un nectar sucré.
La ferme biologique que fait cultiver le riche patron de Sébastien est un véritable garde-
manger. Un truisme ? Pas vraiment : je veux, bien sûr, parler de toutes les plantes qui
viennent seules et qu’arrachent habituellement, en toute inconscience, les jardiniers
"normaux". Ici abondent, entre autres, le chénopode blanc (Chenopodium album), l’amaranthe
réfléchie (Amaranthus retroflexus), le rumex crépu (Rumex crispus) et la moutarde noire
(Brassica nigra). Je les ferai goûter à Sébastien qui apprécie sans préjugés leur délicate
saveur… Mais l’approche ne sera pas aussi simple avec les maraîchers, des jeunes pourtant,
déjà pétris des idées néolithiques qui consistent à penser que pour vivre, l’Homme doit
imposer sa loi à la nature, plutôt que d’en accepter les cadeaux.
Manger à la carte… "sauvage"
Avec Sébastien, la pratique est quotidienne. Nous rentrons tôt chaque soir afin de concocter
de savoureuses recettes à partir de notre récolte : il doit préparer la carte "sauvage" de son
futur restaurant. En voici un extrait :
Fleurs d’hémérocalle farcies d’une mousse de poisson du lac Ontario
Carpaccio de betterave rouge, sauce aux fleurs de moutarde
Crustini de pesto de plantain américain
Soupe de patate douce à l’oxalis corniculée
Beignets de fleurs d’asclépiade
Foie gras au miel de prickly ash