Psychopathologie des accidents vasculaires cérébraux

Revue thématique
Psychopathologie
des accidents vasculaires cérébraux
ANTONIO CAROTA
SEBASTIAN DIEGUEZ
JULIEN BOGOUSSLAVSKY
Service de neurologie,
CHUV Lausanne, Suisse
<antonio.carota@chuv.ch>
Tirésàpart:
A. Carota
Résumé. La psychopathologie des accidents vasculaires cérébraux (AVC), fréquents dans la
population gériatrique, comprend divers troubles psychiatriques et comportementaux qui
réduisent l’autonomie du patient et alourdissent la prise en charge par les proches et
l’équipe de soins. Ils sont généralement associés à d’autres perturbations cognitives et
neurologiques. On peut parler de trouble neuropsychiatrique quand l’ensemble du tableau
est associé de manière convaincante à une dysfonction affectant spécifiquement une région
cérébrale ou un réseau neuronal. Cette clinique comprend des troubles de la perception de
soi et de l’environnement (anosognosie de l’hémiplégie, délires d’identification, confabula-
tions, hallucinations visuelles, delirium et état confusionnel aigu), des troubles de la moti-
vation (apathie, athymhormie), des troubles de la réactivité émotionnelle (labilité émotion-
nelle, irritabilité, réactions de catastrophe, rires et pleurs pathologiques), des troubles du
contrôle des pulsions (manie, comportements obsessionnels-compulsifs) et des change-
ments de personnalité. Le profil clinique émergeant de la démence vasculaire sous-
corticale suggère aussi une dysfonction cérébrale spécifique des circuits fronto-sous-
corticaux qui se manifeste par des symptômes comportementaux (dépression, labilité
émotionnelle, irritabilité) et cognitifs (ralentissement psychomoteur, troubles attentionnels
et mnésiques, dysfonction exécutive). En revanche, la dépression et l’anxiété post-AVC
semblent moins rigoureusement associées à des corrélats neuronaux.
Mots clés : neuropsychiatrie, accident vasculaire cérébral, anosognosie, délire, trouble de
la personnalité
Abstract. The psychopathology of stroke encompasses several psychiatric and behavioral
disorders that have high prevalence in the geriatric population, reduce the patient auto-
nomy and increase the caregiver’s burden. These disorders are usually associated with
other cognitive and neurological deficits, and are labelled as neuropsychiatric when the
whole clinical picture is consistent with the specific dysfunction of a neural system or brain
region. Thus the neuropsychiatry of stroke comprises disorders of the perception/
identification of the self and the environment (anosognosia of hemiplegia, misidentification
syndromes, confabulations, visual hallucinations, delirium and acute confusional state),
amotivational syndromes (apathy and athymhormia), disorders of emotional reactivity
(blunted affect, emotional incontinence, irritability, catastrophic reactions), poor impulse or
ideation control (mania) and personality changes. The clinical profile of the subcortical
vascular dementia also points to specific brain dysfunction (frontal-subcortical pathways)
that manifests with behavioral (depression, emotionalism, irritability) and cognitive symp-
toms (psychomotor retardation, attention, executive and memory deficits). However, post-
stroke depression and anxiety, which have a more variable clinical presentation and might
be assimilated, for several aspects, to post-traumatic or adaptive disorders, are disorders
less characterized in their neural correlates.
Key words:neuropsychiatry, stroke, anosognosia, delirium, personality disorder
L’ accident vasculaire cérébral (AVC) est une
des pathologies les plus fréquentes chez les
sujets âgés. Les déficits cognitifs qui se
manifestent dans la phase aiguë, et peuvent persister
dans la phase chronique de l’AVC, sont généralement
assez facilement reconnus et classifiés selon leurs
aspects cliniques et anatomiques. En revanche, les syn-
dromes neuropsychiatriques qui se manifestent après
un AVC sont souvent plus difficiles à caractériser, tant
dans leur phénoménologie clinique que dans leur lien
de causalité avec la localisation de la lésion vasculaire.
Pourtant, le risque de développer un trouble neuropsy-
chiatrique après un AVC est élevé, la prévalence pou-
vant aller de 20 à 60 % selon le type de symptomatolo-
gie [1]. De plus, leur répercussion sur l’autonomie
fonctionnelle et la qualité de vie est importante. Il est
dès lors capital d’être attentif à ce type de troubles qui
peuvent échapper à l’œil du clinicien pour de multiples
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raisons. En premier lieu, les troubles cognitifs, fré-
quents après un AVC, diminuent non seulement la vali-
dité des réponses des patients lors d’un entretien (par
exemple en cas d’aphasie), mais aussi leurs capacités
d’introspection. Deuxièmement, les troubles affectifs
post-AVC ne se manifestent parfois que dans des
contextes spécifiques et sont souvent sous-
diagnostiqués s’ils ne sont pas recherchés. Enfin, lors
d’un AVC, l’expérience subjective du patient et son
comportement peuvent être dissociés. Par exemple,
dans le cas de pleurs ou de rires pathologiques, le sujet
peut nier tout sentiment de tristesse ou de bonheur. Les
patients banalisent souvent leur irritabilité ou leur
agressivité.
D’autres limites à l’identification des troubles neuro-
psychiatriques proprement dits sont d’ordre méthodo-
logique. La neuropsychiatrie étudie les troubles psy-
chiatriques pour lesquels il existe des arguments clairs
en faveur d’une étiologie neurologique. Toutefois, cela
ne s’applique véritablement qu’à quelques syndromes
post-AVC. Il s’agit surtout des délires d’identification ou
de l’anosognosie de l’hémiplégie en cas de lésion
hémisphérique droite ou de l’apathie, l’irritabilité ou la
labilité émotionnelle en cas d’atteinte des circuits
fronto-sous-corticaux. Les arguments en faveur du rôle
de la lésion ischémique dans la genèse de ces syndro-
mes sont les suivants : caractère clinique stéréotypé,
survenue dans la phase aiguë de l’AVC dans laquelle
les déficits sont, en général, les plus florides, associa-
tion avec une lésion dans des régions cérébrales
spécifiques.
Par contre, le rôle d’une lésion cérébrale n’est pas
encore rigoureusement établi pour les troubles thymi-
ques et anxieux qui se manifestent surtout dans les
phases tardives de l’AVC (après les trois premiers mois)
et qui peuvent débuter, répondre au traitement et réci-
diver sans un profil temporel spécifique. Les facteurs
limitatifs dans l’étude de ces troubles sont l’absence de
marqueur biologique et l’impossibilité de définir avec
précision le rôle d’un syndrome post-traumatique ou
adaptatif d’origine psychologique ou psychosociale.
Il faut également noter que les troubles des émo-
tions, des affects ou du comportement ne sont
qu’exceptionnellement « purs », c’est-à-dire qu’ils sont
habituellement associés à d’autres symptômes neuro-
logiques ou cognitifs qui relèvent également d’un dys-
fonctionnement cérébral précis. Ces cas impliquent
souvent la présence additionnelle d’autres lésions
cérébrales (AVC multiples, état lacunaire, leukoaraïose,
atrophie cérébrale).
Nous traiterons ici principalement des syndromes
associés aux AVC d’origine ischémique car ils sont les
plus fréquents et produisent des tableaux cliniques sté-
réotypés. Nous présenterons les manifestations psy-
chiatriques selon quatre axes. Cette classification est
quelque peu empirique, mais son intérêt est de clarifier
l’exposé. Nous pensons qu’il y a un bénéfice pédagogi-
que et peut-être même théorique, à classer la psycho-
pathologie des AVC dans les axes suivants : 1) troubles
des affects et de la thymie ; 2) troubles du comporte-
ment ; 3) désintégration cognitive globale (état confu-
sionnel aigu) ; 4) troubles de la perception/
identification de soi, d’autrui, des lieux et du temps.
Psychopathologie
des affects/thymie
Dépression post-AVC
Les études sur les symptômes dépressifs post-AVC
rapportent une prévalence allant de 18 à 60 % [2]. Cette
variabilité est due aux différents questionnaires et critè-
res utilisés dans les études pour porter le diagnostic,
ainsi qu’aux différences entre les populations étudiées.
Précisons que les critères diagnostiques du DSM-IV
pour la dépression après AVC (dépression liée à une
maladie organique) sont superposables aux critères de
la dépression dite endogène ou fonctionnelle (sans
lésion cérébrale). Toutefois, il est clair que des différen-
ces existent entre ces deux diagnostics. Par rapport aux
patients souffrant d’une dépression dite fonctionnelle,
les patients victimes d’un AVC présentent des signes de
détérioration cognitive plus sévères, de plus grandes
fluctuations de l’humeur, un ralentissement psychomo-
teur plus important, une anxiété plus marquée et
davantage de symptômes somatiques et végétatifs [3].
Par contre, ils présentent moins souvent une anhédo-
nie ou un état mélancolique, souffrent moins de culpa-
bilité et formulent moins d’idéations suicidaires [3, 4].
Le risque suicidaire ne doit toutefois pas être négligé
après un AVC, en particulier chez les patients plus jeu-
nes [5, 6].
En l’absence de marqueurs diagnostiques biologi-
ques ou électrophysiologiques, le diagnostic de
dépression se base sur l’évaluation clinique ou l’utilisa-
tion de questionnaires, ce qui est souvent difficile en
présence de déficits cognitifs (aphasie, anosognosie)
ou comportementaux (apathie, fatigue) liés à l’AVC.
Actuellement, bien que le débat reste ouvert [7], la
corrélation entre la localisation lésionnelle (hémi-
sphère gauche ou droit, antérieur ou postérieur) et les
symptômes dépressifs est considérée comme faible
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[8, 9]. Ceci est peut-être dû à des biais de sélection, à la
difficulté d’examiner certaines catégories de patients et
à la diversité de méthodes utilisées dans les différentes
recherches. Bien que la latéralisation hémisphérique
reste incertaine, plusieurs travaux suggèrent l’implica-
tion d’une dysfonction des circuits fronto-sous-
corticaux et des noyaux gris de la base, au moins dans
les premiers mois qui suivent l’AVC [10].
L’étiologie de la dépression post-AVC est, en fait,
très vraisemblablement multifactorielle, ce qui expli-
que la difficulté de trouver un corrélat neuroanatomi-
que précis. Les patients ayant présenté un AVC font
l’expérience d’un événement traumatique qui mine
leur intégrité corporelle et mentale, leur autonomie et
leur estime personnelle ainsi que leur vie de couple et
professionnelle. Dès lors, des mécanismes psychologi-
ques d’adaptation ainsi que la personnalité prémorbide
du patient jouent certainement un rôle étiologique
important.
Dans les études de cohortes, la sévérité de l’atteinte
initiale est le facteur qui est le mieux corrélé avec le
développement d’une dépression [11-13]. Cette corré-
lation peut être le résultat de mécanismes psychologi-
ques (réaction affective d’autant plus importante que le
déficit est sévère) ou biologiques (une lésion plus éten-
due a plus de probabilité de perturber les régions céré-
brales impliquées dans le traitement des états affec-
tifs). Dans une étude prospective portant sur une
population de 273 patients [13], examinés dans les pre-
miers jours après un premier AVC, nous avons trouvé
que les comportements de pleurs, conjointement à la
sévérité initiale du déficit, étaient des facteurs prédic-
tifs plus importants que la localisation lésionnelle pour
la survenue d’une dépression.
Bien que la pathogenèse de la dépression post-AVC
reste un sujet de débat, il existe un consensus sur le fait
qu’une dépression non traitée a un impact négatif sur
la récupération fonctionnelle [14-16].
Dépression vasculaire
La découverte d’une association entre la survenue
d’un syndrome dépressif dans la population gériatri-
que et la présence de lésions de la substance blanche,
probablement d’origine vasculaire (surtout dans les
régions frontales) et des noyaux gris de la base [17, 18]
a permis de postuler l’existence d’une dépression d’ori-
gine vasculaire, liée à une micro-angiopathie. Clinique-
ment, ces patients présentent des facteurs de risque
cardiovasculaire, manifestent une détérioration cogni-
tive modérée (plus spécifiquement un ralentissement
psychomoteur et un syndrome dysexécutif), une apa-
thie et une réponse peu favorable aux antidépresseurs
[19, 20]. Bien que le concept de dépression vasculaire
ne se base que sur des critères descriptifs, qu’il soit
sujet à des biais importants et qu’il reste mal défini en
termes étiopathogéniques, son intérêt scientifique et
clinique reste élevé. En effet, l’association fréquente de
troubles cardiovasculaires, de lésions cérébrales, de
troubles cognitifs et de symptômes dépressifs laisse
entrevoir un tableau complexe où chacune de ces per-
turbations peut progressivement faire émerger les
autres, qui à leur tour exacerbent les signes préexis-
tants, dans une spirale délétère de causes et d’effets
[21]. L’apparition de troubles thymiques chez la per-
sonne âgée, surtout s’ils sont associés à des perturba-
tions motrices (trouble de la marche, dysarthrie) doit
motiver la recherche de lésions vasculaires de la subs-
tance blanche.
Affects et thymie chez les patients aphasiques
Plusieurs types de réactions émotionnelles peuvent
s’observer suite à une perturbation du langage d’ori-
gine cérébrale. Le modèle classique de la psychopatho-
logie de l’aphasie postule l’existence, au sein de
l’hémisphère gauche, d’un gradient anatomique-
lésionnel de type antérieur-postérieur [22, 23]. Selon ce
modèle, les patients présentant une lésion hémisphéri-
que gauche antérieure, associée le plus souvent à une
aphasie de type Broca (avec agrammatisme et une
compréhension relativement préservée) sont ceux qui
manifestent le plus fréquemment des symptômes
dépressifs. En revanche, les patients porteurs d’une
lésion postérieure gauche, associée à une aphasie de
type Wernicke (caractérisée par des paraphasies verba-
les, un jargon et une compréhension pauvre) manifes-
tent souvent des comportements d’euphorie, d’agita-
tion psychomotrice et d’agressivité, ainsi que des
comportements délirants. Ces derniers patients ont un
certain degré d’anosognosie du déficit linguistique, de
façon similaire aux patients présentant une anosogno-
sie de l’hémiplégie (voir plus bas).
Dans le cas des symptômes dépressifs, on peut
retenir le rôle d’une réaction psychologique due à la
perte du langage. Il va sans dire que les patients ayant
une aphasie sévère non fluente, qui sont conscients de
leur déficit et qui ont un trouble limité de la compréhen-
sion, vivent une expérience extrêmement cruelle et
stressante. De fait, l’aphasie non fluente est considérée
comme un facteur qui prédispose à la survenue d’une
dépression dans les phases tardives de l’AVC [24].
Les réactions de catastrophe représentent un degré
plus sévère de frustration [25]. Ce terme désigne, dans
le cas de patients aphasiques, une intense réaction
émotionnelle face à l’incapacité d’effectuer une tâche
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linguistique requise par l’examinateur. Le patient se
trouve impuissant devant la tâche à accomplir et mani-
feste son désarroi par des pleurs ainsi que des gestes
et des paroles de colère. À ce moment, il refuse généra-
lement de poursuivre l’examen ou même la simple
conversation. Nous avons observé une telle réaction
chez 12/326 (3,7 %) des patients au cours des premiers
jours suivant un premier AVC [26]. Ces 12 patients
avaient une aphasie non fluente sévère et une lésion de
l’hémisphère gauche incluant une région commune
operculo-insulaire ou pariéto-occipitale. La plupart des
patients présentant une réaction de catastrophe dans
notre cohorte ont développé dans les mois suivants
une labilité émotionnelle ou un syndrome dépressif, ce
qui suggère un lien entre ces symptômes.
L’évaluation de la thymie, des affects, des émotions,
de la personnalité et de la pensée peut être particulière-
ment difficile chez les patients aphasiques, même en
utilisant des échelles non verbales [27, 28]. Il est donc
nécessaire de se baser sur l’observation des comporte-
ments ou les indications des proches et de l’équipe de
soins. Ces difficultés d’évaluation expliquent probable-
ment le faible nombre d’études cliniques portant sur
les troubles neuropsychiatriques et comportementaux
associés à l’aphasie.
Anxiété
L’anxiété généralisée est un état émotionnel carac-
térisé par une préoccupation excessive et persistante
qui s’associe à une fatigue, une humeur irritable, des
troubles du sommeil et qui perturbe les activités de la
vie quotidienne ou le fonctionnement social [29]. Les
critères diagnostiques du DSM-IV pour l’anxiété géné-
ralisée après AVC, qui sont ceux de l’anxiété associée à
une maladie organique chronique, correspondent éga-
lement aux critères diagnostiques de l’anxiété chez les
sujets sans lésion cérébrale.
L’anxiété est un problème fréquent chez les victi-
mes d’un AVC. Entre 25 et 50 % des patients manifes-
tent une anxiété généralisée dans les premiers mois
qui suivent un AVC (associé ou non à une dépression),
la prévalence ne diminuant que légèrement après
2-3 ans [30]. La prévalence de symptômes d’anxiété
augmente considérablement dans le groupe des
patients présentant une dépression post-AVC, ce qui
suggère des mécanismes étiologiques communs entre
les deux troubles. Il faut encore noter que les échelles
ou questionnaires utilisés pour détecter la dépression
et l’anxiété chez les patients présentant un AVC peu-
vent être plus sensibles au niveau de stress qu’à la
dépression ou à l’anxiété proprement dites, ce qui peut
constituer un biais diagnostique [31].
La majorité des études chez les sujets présentant un
AVC n’ont exploré que la présence d’un trouble
d’anxiété généralisé. Il existe peu de données sur la
prévalence de sous-catégories plus spécifiques de
l’anxiété comme les attaques de panique, l’agorapho-
bie les phobies sélectives et le trouble obsessif-
compulsif.
L’anxiété généralisée dans le contexte d’un AVC se
rapproche par plusieurs aspects du syndrome de stress
post-traumatique, les deux survenant après un événe-
ment imprévisible ayant pu menacer la vie du patient.
Le syndrome de stress post-traumatique proprement
dit est rapporté chez 10 % des patients ayant survécu à
un AVC (la prévalence dans la population générale
étant de1à2%)[32].
L’anxiété post-AVC, comme la dépression, peut évi-
demment être liée à des facteurs psychologiques. La
préoccupation de ne pas pouvoir contrôler ses réac-
tions (motrices, perceptives, cognitives, émotionnelles)
dans divers environnements (hospitalier, familial,
social) est en effet particulièrement fréquente dans le
discours des patients dans les suites d’un AVC. En
revanche, les mécanismes neurobiologiques à la base
de l’anxiété sont encore mal connus. Les études qui ont
contrôlé l’association de l’anxiété avec un éventuel site
lésionnel n’ont pas permis de conclusion définitive. Les
régions cérébrales supposées jouer un rôle font partie
des circuits fronto-sous-corticaux (lobe frontal, thala-
mus, noyaux de la base), du système limbique et de
l’axe hypothalamo-hypophysaire. Certaines études
rapportent une association entre le syndrome anxio-
dépressif et une lésion hémisphérique gauche à locali-
sation corticale, alors que l’anxiété comme trouble de
l’humeur isolé semble plutôt associé à une localisation
sous-corticale dans l’hémisphère gauche [33]. Toute-
fois, le nombre limité de patients étudiés laisse des
doutes quant à la reproductibilité de ces résultats.
Manie
On parle d’épisode maniaque en présence des
symptômes suivants : augmentation de l’estime de soi,
insomnie, logorrhée, fuite des idées, distractibilité,
hyperactivité, impulsivité [29]. La survenue d’un épi-
sode maniaque dans le contexte d’un AVC est rare, on
l’observe chez moins de 1 % des patients [34, 35]. La
plupart de ces cas sont associés à une lésion située
dans l’hémisphère droit (lobe frontal ou temporal, tha-
lamus, noyau caudé) et ces patients présentent des
signes neurologiques ou cognitifs qui sont liés à la
localisation de la lésion (par exemple héminégligence,
syndrome dysexécutif). Chez 3 patients présentant des
lésions sous-corticales, le PET-scan a mis en évidence
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un hypométabolisme de la région temporale inférieure
droite [36]. Ces cas suggèrent, comme mécanisme de
la manie, une perturbation de la boucle fronto-striato-
capsulo-thalamo-corticale interconnectée au système
limbique et au lobe temporal, principalement du côté
droit.
Rires et pleurs pathologiques,
labilité émotionnelle
Dans des conditions normales, rire et pleurer sont
des comportements déclenchés par des contextes bien
spécifiques et sont habituellement considérés comme
appropriés à une situation donnée. Cependant, certai-
nes lésions cérébrales peuvent perturber ces manifes-
tations émotionnelles. Après un AVC, elles peuvent
augmenter en fréquence, se déclencher sans raison
apparente et échapper au contrôle que l’on parvient
normalement à assumer dans un contexte social. Les
rires et pleurs pathologiques (RPP), parfois qualifiés de
pseudobulbaires ou spasmodiques, se distinguent de
la labilité émotionnelle (emotionalism en anglais).
Les RPP s’associent habituellement à d’autres
signes de paralysie pseudobulbaire et ont une qualité
« réflexe » et spastique. Ils apparaissent rapidement
après des stimuli anodins ou en l’absence d’un
contexte affectif adéquat. Le patient ne ressent pas
l’émotion qu’il semble manifester et il perd le contrôle
de son expressivité faciale. En contraste, les patients
qui présentent une labilité émotionnelle n’ont pas ce
caractère forcé dans leurs comportements de rire et de
pleurs. Ceux-ci sont provoqués par des stimuli ayant
une composante émotionnelle et les sujets ressentent
l’émotion adéquate (joie ou tristesse) mais, comme les
sujets avec RPP, ils ne parviennent pas à contrôler
l’expression de l’émotion (incontinence émotionnelle).
Tous ces comportements pathologiques se distin-
guent des rires et pleurs normaux en ce qu’ils sont
excessifs dans leur expression et généralement fré-
quents, mais ils conservent leur composante sociale
puisqu’ils se déclenchent trop dans une situation
sociale et non quand le patient est seul [37].
On ne sait pas actuellement dans quelle mesure les
RPP et la labilité émotionnelle sont sous-tendus par des
corrélats neuronaux différents. Du reste, cette distinc-
tion s’avère souvent difficile à faire cliniquement,
d’autant plus qu’il n’y a pas de critère définitif pour
juger de l’adéquation émotionnelle ou d’une fréquence
excessive des pleurs et des rires dans les suites d’un
AVC [38, 39].
La prévalence a surtout été étudiée pour les com-
portements de pleurs pathologiques. Elle est de 7 %
dans les premiers jours qui suivent l’AVC [13], 18-34 %
à 2-4 mois [38, 40] et 25 % à 6 mois [41]. Ces données,
en tout cas en ce qui concerne les 6 premiers mois,
semblent indiquer que la prévalence augmente avec le
temps écoulé depuis l’accident vasculaire.
Le risque de présenter des troubles du contrôle
émotionnel pourrait être augmenté par certains fac-
teurs : accident ischémique, genre féminin, troubles
moteurs sévères et dysfonction cognitive [38]. Toute-
fois, les données sont encore trop fragmentaires pour
en faire des certitudes. La labilité émotionnelle pour-
rait, en outre, être un facteur prédisposant au dévelop-
pement d’une dépression [13].
Le substrat neuroanatomique semble mieux établi
pour les RPP que pour la labilité émotionnelle. Ainsi, le
rôle des structures pontiques ou du mésencéphale est
suggéré par les nombreux cas publiés dans lesquels
les lésions ischémiques avaient cette localisation, de
façon uni- ou bilatérale, et également par des cas de
tumeurs de la fosse postérieure dans lesquels un rire
pathologique était la principale manifestation, et dont
lasymptomatologies’estamendéeaprèsrésectionchirur-
gicale [42].
Le « fou-rire prodromique » [43] est, par contre, une
crise de rire incontrôlable qui précède, en général de
quelques minutes, un accident ischémique siégeant au
niveau du pont, du thalamus, de la capsule interne ou
des structures adjacentes du télencéphale basal,
incluant la substance noire et l’hypothalamus.
Une étude de cas unique a mis l’accent sur le rôle
du cervelet dans la régulation et l’ajustement du rire et
des pleurs à leurs composantes émotionnelles, cogniti-
ves et contextuelles [44]. Dans les cas de labilité émo-
tionnelle, la lésion ischémique a été associée à plu-
sieurs localisations (corticale antérieure, frontale
dorsolatérale, lenticulo-capsulaire, région dorsale du
pallidum) [9, 38, 41].
Il est important toutefois de prendre en compte les
facteurs psychologiques qui peuvent être liés à ces
troubles de l’expression émotionnelle. En effet, la labi-
lité émotionnelle a été considérée comme une manifes-
tation particulière du syndrome de stress post-
traumatique [45]. Elle génère un embarras social et une
profonde détresse qui peuvent pousser le patient à
éviter les interactions sociales.
Colère, irritabilité et agressivité
La colère, au sens large, est une émotion qui com-
porte des composantes cognitives (indignation, hosti-
lité) et comportementales (agressivité, violence verbale
ou physique). Le terme irritabilité renvoie plus spécifi-
quement au fait d’être facilement mis en colère.
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