Herbart
Johann Friedrich Herbart
(1776-1841)
Nous renvoyons à trois ouvrages fondamentaux et récents pour l’établissement de la bibliographie et son analyse : R.
Koschnitzke, Herbart und Herbartschule, Aalen, Scientia Verlag, 1988 et R. Pettoello, Idealismo e realismo : la formazione
filosofica di J.F. Herbart, Firenze, Nova Italia Editrice, 1986, pp. 253-288 ; Introduzione a Herbart, Bari, Editori Laterza, 1988, pp.
129-184.
Herbart et son école : aperçu historique
Biographie
L'école herbartienne
Œuvre d'Herbart
Editions complètes
Editions partielles
Traductions
L'école herbartienne
Littérature critique
Herbart et son école : aperçu historique
Biographie
Johann Friedrich Herbart naît le 4 Mai 1776 à Oldenburg. Il est le fils unique de Thomas Gerhardt Herbart et de Lucie
Margarete Schütte. Il montre des dispositions peu communes pour l’étude dès son plus jeune âge. Pendant sa scolarité au
Gymnasium de Oldenburg, il fréquente déjà les philosophies de Wolff et de Kant. Il manifeste aussi un réel talent pour la musique (il
a étudié quatre instruments différents) qui sera cultivé toute sa vie et influencera sa philosophie esthétique et sa psychologie.
En 1794, il quitte Oldenburg pour l’université de Iéna. A cette époque, Iéna est le grand centre de diffusion de la pensée
kantienne. K.L. Reinhold vient de quitter l’université quand arrive Herbart, mais son remplaçant n’est pas des moindres : il s’agit de
J.G. Fichte. Herbart devient vite son premier élève. S’il renonce à une carrière dans le droit au profit de la philosophie, il reste que
cette première préoccupation se retrouvera dans ses études sur le droit naturel et la doctrine de l’Etat. La rencontre avec Fichte est
déterminante, notamment en ce qui concerne la conception du Je chez Herbart, mais se solde en 1796 par une rupture difficile, de
même qu’avec Schelling. D’autres influences s’établissent pendant cette période : Herbart lit les œuvres de Jacobi, des Eléates, de
Parménide et de Platon. Son parcours intellectuel ne se fait pas sans heurts et il souffre alors de troubles dépressifs. Il est membre de
la Société des Hommes Libres (Gesellschaft der freien Männer), cercle littéraire, auquel appartient Fichte aussi, qui s’intéresse tout
autant à la poésie de Schiller et de Goethe qu’à la révolution française et à la philosophie kantienne.
Au début de 1797, il part en Suisse, dans la famille du Landvogt d’Interlaken, K.F. Steiger, comme précepteur. Ces années sont
très riches pour Herbart, qui rencontre J.H. Pestalozzi dans l’été. Il travaille donc beaucoup la pédagogie, comme le montre la
publication de sa Pédagogie générale (Allgemeine Pädagogik) mais ne néglige pas la philosophie, comme le montre la rédaction d’un
texte sur la doctrine du savoir en 1798 (Erste problematische Entwurf der Wissenlehre). Il est obligé de quitter la Suisse en janvier
1800 et rentre en Allemagne.
Pendant deux ans, il va habiter chez un ami à Brême. C’est une période il développe ses activités de pédagogue, en
Herbart
particulier lors de la rénovation du lycée de la ville, pour laquelle il fait ses propositions ( Ideen zu einem pädagogischen Lehrplan
für hohere Studien). Il discute les œuvres de Pestalozzi.
En Mai 1802, il part à l’université de Göttingen, où à l’automne il soutient ses deux thèses (Promotion et Habilitation). Il publie
aussi Pestalozzi’s Idee eines ABC der Anschauung. Il complète son travail dans la réédition de 1804 par un texte important Über die
ästhetische Darstellung der Welt, als das Hauptgeschäft der Erziehung. Enfin, il publie son Allgemeine Pädagogik en 1806. Son
activité philosophique est intense, comme le montrent ses recherches sur la morale et la constitution du concept fondamental de
jugement esthétique. En 1808, parait donc son Allgemeine praktische Philosophie. A partir de cette date, il se consacre plus
particulièrement à la métaphysique, et publie ses Hauptpunkte der Metaphysik et ses Hauptpunkte der Logik. Il fait ses premiers
cours sur la psychologie et se convainc de l’importance des mathématiques. Il connaît un grand succès dans son enseignement. Il est
appelé en 1805 à l’université de Heidelberg, comme professeur titulaire (ordentlicher Professor). Il refuse et reste à Göttingen, où il
est nommé professeur extraordinaire (ausserordentlicher Professor), nomination pour laquelle il écrit son De Platonici systematis
fundamento commentatio. Il refuse aussi une nomination à l’université de Landshut, proposée par Jacobi. Les conditions historiques
difficiles de l’époque, après la paix de Tilsit, l’encouragent à accepter la chaire de Philosophie qui se libère à Königsberg, en 1808.
Herbart arrive à Königsberg en 1809. L’Etat prussien de l’époque cherchant à réformer l’école, il élargit le champ de son activité
pédagogique et organise même un séminaire de pédagogie. Il est alors au sommet de sa production philosophique, comme le montre la
succession rapide de ses écrits les plus significatifs, dont nous retiendrons surtout le Lehrbuch zu Psychologie en 1816, sa Psychologie
als Wissenschaft, neu gegründet auf Erfahrung, Metaphysik und Mathematik en 1824-1825, sans oublier son Lehrbuch zur
Einleitung in die Philosophie, qui paraît pour la première fois en 1813 mais est remanié maintes fois. Il se marie en 1811 avec la fille
d’un marchand anglais, Mary Jane Drake (1791-1876). Quand J.F. Hegel meurt en 1831, il aurait aimé obtenir sa chaire à l’université
de Berlin, mais il échoue.
En 1833, il accepte de retourner à l’université de Göttingen. Il publie alors ses dernières recherches en psychologie,
Psychologische Untersuchungen, et quelques textes concernant la philosophie pratique. Il meurt le 14 Août 1841.
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L'école herbatienne
En Allemagne
- Les disciples de Herbart
L'école herbartienne s'est notamment organisée en Allemagne autour de revues, et notamment, la plus significative, Zeitschrift
für exacte Philosophie im Sinne des neuern philosophischen Realismus. Il apparaît évident que cette école ne se limite pas à la
première moitié du siècle mais déborde au-delà, jusqu'à la fin du dix-neuvième siècle. Les grands représentants meurent quasiment
tous à la fin des années 1890 (c'est le cas de Drobisch, Hartenstein, Strümpell, Allihn, Flügel mais aussi Lazarus et Steinthal). Dans la
mesure la philosophie d'Herbart s'est d'abord développée dans un contexte hostile, il est clair que l'école a une importance
considérable. Elle permet aussi l'amplification du succès, une fois l'intérêt pour Herbart sur la seconde moitié du dix-neuvième siècle
établi. La philosophie de Herbart s'enracine pleinement dans le dix-neuvième siècle : les premiers écrits de l'auteur datent des années
1800 et la dernière parution de la revue herbartienne, fondée par ses disciples, se situe en 1896. L'époque dans laquelle Herbart
s'inscrit, n'était pas favorable à l'épanouissement de sa philosophie. Face aux grands systèmes spéculatifs, de Schelling et surtout de
Hegel, il ne s'est pas imposé. C'est donc juste après la mort de Hegel et la chute de son école que se développe réellement
l'herbartisme [1]. C'est pourquoi nous sommes confrontés à un certain décalage entre le rayonnement de Herbart en tant que
professeur, respecté et sollicité par les grandes universités, et en tant que philosophe dont les thèses marquent son temps. Il est alors
d'autant plus intéressant de s'arrêter sur ceux qui seront les artisans de la diffusion de sa philosophie, soit en la défendant et en
l'expliquant, soit en la prolongeant.
Les premiers herbartiens [2] sont au nombre de trois principalement : il s'agit de Moritz Wilhelm Drobisch, Ludwig Strümpell et
Gustav Hartenstein. La grande caractéristique de ce début est sa localisation : ils sont tous trois à l'université de Leipzig, celle-ci
devenant donc le grand foyer de l'herbartisme.
M.W. Drobisch (1802-1896): il a été professeur de mathématiques et de philosophie. Sa rencontre avec Herbart date de sa
jeunesse, à vingt ans, et son admiration ne faiblira pas. Il écrit, cherchant à défendre Herbart, des Beiträge zur Orientierung über
Herbarts System der Philosophie (1834). Il a aussi tenté de prolonger la psychologie de Herbart à travers des oeuvres personnelles,
notamment Empirische Psychologie nach naturwissenschaftlicher Methode (1842), il expose une analyse des matériaux
psychiques à partir de la seule observation, sans métaphysique ni mathématiques, afin, selon lui, de préparer et d'asseoir la
"Psychologie comme science", et il a écrit aussi Erste Grundlinien der mathematischen Psychologie (1850). Il publie bien sûr toute
une série d'articles (Rezensionen) sur les œuvres et la philosophie de Herbart qui sont cités dans la bibliographie.
L. Strümpell (1812-1899) : de même que Drobisch, il publie de nombreux comptes-rendus sur les œuvres de Herbart, voire des
ouvrages de défense comme Erlaüterungen zu Herbarts Philosophie (1834). Il a une position critique face à sa métaphysique, ce que
veulent expliquer les Hauptpunkte der herbartschen Metaphysik, kritisch beleuchtet (1840), qui cherchent des moyens pour
améliorer le système. Ce point de vue critique se retrouve encore en psychologie et en philosophie de la religion (Gedanken über
Religion und religiöse Probleme, 1888).
G. Hartenstein (1808-1890) : d'après Weiss [3], ses textes explicatifs sont très pertinents sur Herbart, notamment Die
Problemen und Grundlehre der allgemeinen Metaphysik (1836) et Die Grundbegriffe der ethischen Wissenschaften (1844). Il
s'est attaché comme il se doit à défendre Herbart : über die neuesten Darstellungen und Beurteilungen der Herbartschen
Philosophie (1837). Nous lui devons la publication des Sämtliche Werke de Herbart en treize volumes, avec une présentation
historique de chacun et des rééditions à la fin du dix-neuvième siècle qui seront l'occasion de publier des textes inédits.
D'autres auteurs ont accompli un travail essentiel de diffusion de l'herbartisme :
Otto Flügel (1842-1914) : très prolixe, il a écrit de nombreux articles de défense de Herbart, cités en bibliographie, mais il est
surtout connu pour l'édition chronologique des œuvres complètes, établie avec le concours de Karl Kehrbach (1846-1905). Weiss le
Herbart
cite surtout pour son intérêt envers la philosophie religieuse [4].
Theodor Waitz (1821-1864) : il s'attache surtout à la psychologie, et veut dépasser le point de vue de Herbart et de Drobisch.
Il trouve dans Herbart ses inspirations premières mais se rapproche ensuite de la physiologie de Johannes Müller, qui, d'après lui,
permet de fonder la psychologie sur des faits incontestables parce que physiologiques. Il a écrit une Grundlegung der Psychologie
(1846) et un Lehrbuch der Psychologie als Naturwissenschaft (1849). Il s'est aussi penché sur la sociologie, en écrivant un ouvrage
fondateur selon Weiss [5], Anthropologie der Naturvölker (1859), qui prolonge le vœu herbartien d'une psychologie dépassant
l'individu. Enfin, en ce qui concerne la pédagogie, Waitz est fidèle à ses autres recherches, s'attachant à découvrir de quoi prolonger
le travail de Herbart (Allgemeinen Pädagogik, 1852), c'est-à-dire à fonder la pédagogie sur le psychologie. Il développe l'influence de
Herbart sur un autre lieu, à Marburg.
Tuisco Ziller (1817-1882) : il s'est consacré essentiellement à la pédagogie et a exercé dans ce domaine une influence
considérable, sans toutefois négliger le domaine théorique, participant, nous allons le voir ensuite, à la création d'une revue d'étude
sur Herbart. Il en reprend fidèlement la pensée. Il faut citer entre autres Einleitung in die allgemeine Pädagogik (1856) et
Vorlesungen über allgemeine Pädagogik (1876). Il a créé enfin une association, le Verein für wissenschaftliche Pädagogik en 1868
qui fonctionnera jusqu'à sa mort.
La liste des auteurs jusqu'ici déroulée n'est pas encore exhaustive (si elle peut l'être), nous renvoyons à notre bibliographie pour
les autres disciples. Nous ne revenons pas sur le contexte autrichien auquel nous avons consacré un chapitre.
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- Les revues
Nous voulons juste mettre en évidence quelques revues qui témoignent de la diffusion de l'herbartisme à travers des outils
collectifs, où s'expriment les auteurs les plus connus comme les plus effacés, outils qui permettent tout à la fois une large diffusion et
un travail approfondi concernant la pensée de Herbart.
Friedrich Heinrich Theodor Allihn (1811-1885) : s'il a écrit quelques articles sur Herbart, il est surtout important pour son activité
de directeur de revue. Il fonde en effet avec Ziller le Zeitschrift für exacte Philosophie im Sinne des neuen philosophischen
Realismus. En 1873, Ziller quitte la direction, remplacé par Flügel. La revue parait de 1861 à 1875 à Leipzig, puis de 1883 à 1896 à
Langensalza. Il est à noter que Flügel fusionnera les préoccupations philosophiques et pédagogiques en 1894 en une seule revue, la
Zeitschrift für Philosophie und Pädagogik, Langensalza 1894-1914.
Il est instructif de consulter le premier numéro de la revue, où les deux fondateurs exposent leur projet [6], limpide quant à
leurs intentions théoriques. Le regard porté sur l'état de la philosophie de leur époque, confuse et prête selon eux à tous les excès, les
incite à proposer un travail de réélaboration des concepts, idée directement inspirée de Herbart: "La philosophie au sens strict n'est
rien d'autre que l'élaboration des concepts en vue d'un progrès futur de la connaissance par les concepts" [7]. En 1875, Allihn et
Flügel jugent le travail de la revue et affirment avoir atteint leur objectif premier: donner les orientations de la philosophie actuelle et
commenter les nouvelles recherches inspirées de Herbart au sein de la philosophie. Selon eux, l'ensemble des travaux témoignent
d'un esprit fidèle [8]. Même après la mort de Allihn en 1885, la revue continue à prospérer, ce dont témoigne indirectement la
publication par Kehrbach et Flügel des éditions complètes de Herbart.
Moritz Lazarus (1824-1903) et Heymann Steinthal (1823-1899) fondent en 1860 la Zeitschrift für Völkerpsychologie und
Sprachwissenschaft [9]. La revue parait d'abord à Berlin, de 1860 à 1886, puis à Leipzig de 1887-1889, puis retourne à Berlin en
1890. Il faut préciser qu'elle est poursuivie sous un autre titre, Zeitschrift des Vereins für Volkskunde, qui reste à Berlin de 1891 à
1928, sous la direction de K. Weinhold, J. Bolte, H. Michel et F. Boehm. Nous renvoyons à notre chapitre qui leur est consacré.
Un certain nombre d'autres revues existent, pour la plupart concernant plus spécifiquement la pédagogie [10]: Jahrbuch des
Vereins für wissenschaftliche Pädagogik, Leipzig 1869-1874, 1883-1887, Langensalza 1875-1882, Dresde 1888-1917. Ziller, Rein et
Vogt l'ont dirigée.
Aus dem Pädagogischen Universitäts-Seminar zu Iena, Langensalza 1888-1918. Rein semble l'avoir dirigée seul.
Vierteljahresschrift für philosophisches Pädagogik, Oesterwieck 1917-1927. encore, c'est un travail de Rein, puis de George
Weiss.
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Dans l'empire austro-hongrois
Contrairement aux apparences, il n'y a rien d'étonnant à rapprocher Herbart de la philosophie autrichienne : les historiens de
cette philosophie considèrent Herbart et son contemporain B. Bolzano, comme des précurseurs ayant créé un climat intellectuel
propice à son épanouissement. Par-delà les dates, ils sont fréquemment cités dans les œuvres des philosophes autrichiens, tels E.
Mach, F. Brentano, E. Husserl, formant ainsi une sorte de bagage culturel commun de l'époque ; et, de façon plus fondamentale, leur
influence philosophique est évidente.
Qu'entendons-nous par philosophie autrichienne, étant entendu que l'on cherche à qualifier une différence avec la philosophie
allemande ? La notion est problématique. R. Haller avoue qu'elle est même un objet quasiment impossible à définir vu sa subtilité [11].
Il place néanmoins sa naissance en 1874, année paraît Die Psychologie vom empirischen Standtpunkt et F. Brentano est
nommé à l'université de Vienne [12]. Traditionnellement, sa fin est située en 1936, date de l'assassinat de Schlick ou encore en 1938,
date de l'Anschluss. La première caractéristique de cette tradition est sa "résistance à Kant". Haller voit une définition à la fois
négative et une position philosophiquement forte [13]. Neurath a même pu dire qu'il n'y avait pas eu "d'interlude kantien" dans
l'Empire [14]. Il explique que l'occasion d'asseoir la popularité de Leibniz est venue du rejet de Kant par la cour et l'église
austro-hongroises, Kant étant jugé trop proche des Lumières et de la révolution française, et cela dans une volonté de se démarquer
de la Prusse [15]. A Prague et à Vienne, il est interdit en 1804 de l'enseigner [16]. Zimmermann fait pourtant parfois référence à
l'importance du dogmatisme transcendantal kantien à son époque. Ne faut-il pas alors tempérer le propos de Neurath sur l'absence
Herbart
d'interlude kantien ? Quoi qu'il en soit, cette philosophie est bien anti-kantienne et opposée à la révolution copernicienne en deux
sens : d'une part, par son refus de distinguer entre choses en soi et apparences et, d'autre part, par son rejet des jugements
synthétiques a priori. Haller invite à se souvenir de la situation de Kant dans la classification de la philosophie de Brentano : il
s'inscrit dans la phase de dégénérescence [17].
Le versant positif de cette définition réside dans son réalisme et son désir de fonder empiriquement toutes nos connaissances
synthétiques [18]. Selon Haller, ce réalisme était en place avant la psychologie descriptive de Brentano, dans les écoles de la
monarchie, et cela grâce à l'herbartisme et au réalisme bolzanien [19], tous deux ayant formé des élèves et influencé durablement
l'esprit autrichien.
La philosophie autrichienne recherche l'unité de la méthode de la philosophie et des autres sciences. Ce qui guide ses
recherches, c'est la méthode inductive des sciences de la nature (Naturwissenschaften), qui ne se sépare pas d'une analyse et d'une
étude critique du langage [20]. Selon Winter, l'exactitude qui la caractérise manifeste, précisément, l'adéquation possible de la
philosophie herbartienne à l'esprit autrichien [21]. Enfin, alors que Kant semble ignorer le problème du langage, la tradition
autrichienne le met en avant, suivant ainsi l'inspiration de la philosophie empiriste anglaise, notamment de John Stuart Mill. La
réflexion sur le langage comme tel engage celle sur le langage de la philosophie en particulier. Il faudra se demander si la conception
du langage de Herbart peut en quelque façon être compatible avec l'analyse sémantique. Nous avons vu par ailleurs précédemment
combien l'ambition de Herbart s'attache à la Naturwissenschaft. Finalement, selon Haller, une double fondation de cette philosophie
autrichienne est perceptible : elle est à la fois un rameau caché de l'empirisme anglais, ce qui entraîne la réduction de la philosophie à
l'une de ses disciplines, la Wissenschaftstheorie (théorie de la science), et un prolongement caché de Leibniz, s'épanouit le
renouveau de la logique [22]. Les deux branches se sont réunies en un mouvement, celui de la recherche des sciences de la nature. La
philosophie autrichienne, du fait de son opposition à Kant, devient en quelque sorte à la fois empiriste et leibnizienne [23], empiriste
et logique [24]. Nous ne pouvons nous empêcher de rappeler l'objectif de Herbart, inscrit dans la PAW, de vouloir réunir Leibniz et
Locke, contre Kant : "J'affirme bien plus que Locke et Leibniz avaient tous deux raison sur le point de leur désaccord. Et ils avaient
tort dans la mesure où ils ne savaient pas unifier leurs pensées [25]" ! Enfin, Haller signale que l'origine de l'expression se trouve chez
Bolzano en personne, dans une lettre écrite à Fesl [26].
Haller conçoit plus précisément le rapport de Herbart au réalisme autrichien comme fondé sur deux positions essentielles [27].
La première est la monadologie. La seconde stipule que ce sont les concepts qui sont les objets propres de la connaissance, qui est alors
analyse de concepts, dont la genèse est retracée en la distinguant bien des contenus qu'elle recouvre. En un mot, il fait référence ici à
la distinction entre l'analyse logique du contenu des concepts et des représentations et l'analyse psychologique de leur émergence,
comme nous l'avons vu plus haut. La psychologie relevant des sciences de la nature, elle reprend le raisonnement expérimental (ce en
quoi Haller est trop imprécis, car Herbart ne rentre pas directement dans ce cadre). C'est bien cette tâche accordée à la philosophie
qui aurait fait son succès [28].
Nous devons préciser toutefois que notre propos ne doit pas tendre à confondre la lecture de Herbart et la manière dont sa
philosophie a été diffusée par son école. Les disciples de Herbart sont accusés bien souvent d'avoir caricaturé les positions du maître
et d'être responsables pour partie de son discrédit. Ces divergences internes à l'herbartisme demandent à être précisées. Il faut donc
faire une différence entre la lecture de Herbart par un auteur, ce qui est le cas de Bolzano, et la diffusion de Herbart par des manuels
scolaires, dans lesquels le filtre de l'école se fait plus sentir. A cette réserve près, qui demande des analyses plus approfondies que les
nôtres ici, il reste que la diffusion de l'herbartisme dans la philosophie autrichienne est patente et à étudier. Nous avons remarqué, à
cet égard, que la littérature critique qui en fait état, est une littérature critique d'abord consacrée à Bolzano, à Husserl ou à la
philosophie autrichienne en général [29]. Nous souhaitons mener le travail à partir de Herbart et de l'herbartisme, sans les confondre,
mais en les prenant comme points de départ de no analyses.
L'influence herbartienne dans l'Empire peut se mesurer à l'aune de son "leibnizianisme". Comme le souligne Sebestik, c'est bien
parce qu'il apparaît comme "le plus leibnizien des philosophes allemands" que Herbart a autant de succès. L'intérêt de cette étude
concerne donc la manière dont Leibniz sert de rempart face à Kant.
Il n'est ni inintéressant, ni fortuit, de constater que parallèlement à la diffusion de la philosophie de Herbart, il se produit dans
les années 1840-1850 un regain d'intérêt pour Leibniz dans l'Empire. Dans son étude sur Bolzano, Sebestik cite ainsi les ouvrages de
Franz Exner Sur la science universelle de Leibniz (1845), de Robert Zimmermann Leibniz Monadologie mit einer Abhandlung über
Leibnizens und Herbarts Theorien des wirklichens Geschehens (1847), Leibniz und Herbart. Eine Vergleichung ihre
Monadologien (1849), enfin de Franz Kvet La logique de Leibniz (1857), premier ouvrage à ce sujet. Il est frappant que les deux
premiers auteurs soient des herbartiens. De même, Winter estime que l'esprit de Leibniz flotte au-dessus des Paradoxes de l'infini, le
dernier ouvrage de Bolzano [30]. Enfin, Röd par exemple, juge Herbart bien plus proche de Leibniz que de Kant [31]. Nous nous
doutons bien que l'héritage leibnizien n'est pas univoque, mais nous n'avons pas trouvé d'étude consacrée exclusivement à ce sujet
dans la littérature critique. Il faudrait commencer d'ailleurs par s'entendre sur ce que peut être cet héritage.
Il fut courant de dire que la philosophie de Herbart était devenue"officielle" [32]. Mais, si nous nous en tenons pour l'instant à
Bolzano, la chronologie du développement de sa philosophie présentée par Haller [33], dégage trois grandes périodes intéressantes
pour notre propos : la première est contemporaine de Bolzano et concerne aussi ses disciples. Cette phase s'achève dans les années
1860. Elle est marquée par des oppositions politiques fortes puisque Bolzano sera destitué de sa chaire de philosophie, et que Michael
Fesl, un de ses disciples, sera obligé de s'exiler. Tout cela se retrouve dans Doctor Bolzano und seine Gegner. La seconde période
commence avec Franz Exner et sa réforme des lycées, accompagnée de l'enseignement de Zimmermann, et plus tard de Brentano.
Pour Haller en effet, l'école brentanienne conserve un parfum bolzanien (A. Marty, A. Meinong, K. Twardowski, C. Kreibig, C. Stumpf,
E. Husserl). Cette seconde période s'étend donc sur la deuxième moitié du dix-neuvième et le début du vingtième siècles. La dernière
phase ne se joue plus en Autriche, mais à Berlin et en Tchécoslovaquie durant les années 1920. Il est frappant de constater que les
deux premières périodes ne peuvent faire l'économie du rapport à Herbart. L'histoire de l'herbartisme autrichien en retour ne peut
méconnaître son rapport direct avec la philosophie de Bolzano.
Concernant l'influence de Herbart en Bohème, l'article de Durdík [34] semble doublement intéressant : d'une part évidemment
par son appartenance à la revue herbartienne, ce qui témoigne d'une prise de conscience réelle de ce sujet par l'école de Herbart, et
d'autre part par le regard qu'il jette cent ans en arrière sur la littérature philosophique de Bohème. Il explique son renouveau dans les
années 1830 par les courants bolzaniens et herbartiens ! En offrant un panorama de ceux qui ont contribué à cette résurgence,
Durdík explique que Bolzano a en quelque sorte préparé le renouveau herbartien en inspirant Zimmermann [35]. Curieusement
l'auteur regarde Bolzano comme un penseur exclusivement religieux, ne parlant pas du tout de son apport en logique et en
mathématiques. Peut-être est-ce parce que le succès des cours de Bolzano de 1805 à 1819 concernait des cours de science de la
Herbart
religion ? Parallèlement au courant bolzanien, il expose la force du courant herbartien. Exner est cité comme professeur à l'université
de Prague (1832-1848), et reconnu pour son rôle d'initiateur et de propagateur de cette philosophie. A son apogée, l'herbartisme est
illustré selon lui par Zimmermann, accompagné de Dastich et Durdík lui-même (über die Bedeutung der Lehre Herbarts, Prague,
1876). Tout ce qui s'est fait d'important en Bohème est selon lui d'inspiration herbartienne. L'auteur rappelle la fécondité de cette
pensée. Il mentionne K.F. Hyna, F. Cupr, F. Kvet, J. Dastich, J. Durdik, U. Kramar, O. Hostinský, J. Slavik, J. Lepar, E. Schulz, J.
Kapras, P. Durdik et Nahlowsky. Les titres des ouvrages sont cités en tchèque et traduits en allemand. Ils illustrent des domaines
variés d'étude, outre l'explicitation de la pensée même de son instigateur : la pédagogie, l'histoire des peuples (Cupr a écrit sur la
religion des indiens), l'esthétique (dont la musique), la psychophysique, mais aussi le rôle du sommeil et du rêve. La vivacité du
courant semble incontestable et surtout témoigne d'une volonté de prolonger sa pensée. Durdík accorde ainsi beaucoup d'importance
à la qualification de "système", au moment où la fin des systèmes idéalistes conduit selon lui à d'autres extrémités, à savoir nier l'esprit
lui-même, glorifier le néant et l'inconscient. Herbart est un "phare dans la tempête" ! L'influence immense de Herbart en Bohème
s'expliquerait par deux facteurs : la puissance de vérité de cette philosophie et l'esprit particulier des Tchèques, enclins à la pensée
exacte, aux mathématiques.
L'enjeu des combats philosophiques de l'époque est très prégnant dans ce texte de Durdik, nous retrouvons la même verve que
chez E. Winter lorsqu'il les décrit. Il insiste lui aussi sur l'importance de la Bohème, expliquant que, chez les Tchèques, Bolzano reçoit
l'appui de Havlicek, qui perd la partie face aux herbartiens, tel Cupr [36]. Il conclut en parlant de la perte du "combat" (Kampf) par
Bolzano en 1847, aussi bien sur le plan philosophique que territorial [37].
On en saurait parler de l'influence de l'herbatisme en Autriche-Hongrie sans parler de la Philosophische Propädeutik de Robert
Zimmermann. Appuyons nous pour commencer sur la présentation de E. Winter [38]. Tout d'abord, il faut prendre en compte les
liens affectifs très forts entre Bolzano et Zimmermann. Bolzano a marié ses parents, fréquenté sa famille, et fait de Robert son héritier
spirituel. Il dirige notamment son mémoire de 1844 sur la théorie des parallèles, et le félicite de sa comparaison des monadologies de
Herbart et de Leibniz. Comme le souligne Winter, Zimmermann a comme "bu dans le lait maternel" son amour pour Bolzano [39]. En
1849, il écrit une défense de Bolzano, über Bolzanos wissenschaftlichen Charakter und philosophische Bedeutung. Le discours que
prononce Zimmermann en 1852, lors de son investiture au poste de professeur de philosophie à l'université de Prague, intitulé "Was
erwarten wir von der Philosophie ?", est l'occasion de reconnaître sa dette à l'égard de Bolzano et d'Exner.
Selon Freuler, ce texte s'inscrit aussi dans la "crise" de la philosophie que connaît le dix-neuvième siècle après la mort des
systèmes spéculatifs [40] . Zimmermann développe une critique de la subjectivité, responsable du discrédit dans lequel est tombée la
philosophie. Il s'inscrit ainsi parfaitement dans le mouvement d'inquiétude qui parcourt la période, mouvement qui regrette la perte
de crédibilité qui touche la philosophie. Dans une optique maintenant connue, il exige la clarification des concepts (Verdeutlichung
unserer Begriffe, une science pure seule capable de lutter contre le relativisme qu'induisent les philosophies du sujet. La logique
semble donc l'antidote à la spéculation. Freuler voit à juste titre dans ce souci la double influence de Herbart et de Bolzano [41] , mais
ne semble pas prendre en compte la spécificité du contexte autrichien, et non allemand dans lequel s'inscrit ce texte. En revanche, il
est frappant de voir qu'il met en parallèle les positions d'Allihn et de Ziller dans son premier numéro et celles de Zimmermann. La
critique du "moi" est un thème commun.
Les manuels de la réforme scolaire des années 1850 seront un "mixte" des pensées de Bolzano en logique, notamment de la
Wissenschaftslehre et de la psychologie de Herbart [42]. Ainsi le livre que Zimmermann publie en 1849 devient à la fois le premier
manuel de la huitième classe de lycée et une vulgarisation de la pensée de Bolzano. Il connaîtra trois éditions allemandes (1853, 1860,
1867), une édition hongroise (dès 1864), une italienne (1864) [43], et des adaptations variées... Winter estime que l'esprit autrichien
sera donc imprégné de ces deux philosophies, sans être passé par des lectures de première main [44]. Zimmermann modifiera
substantiellement la deuxième édition en 1860 de sa Propédeutique. Il explique en effet dans son texte de 1855 Bericht über ein
bisher unbekanntes rechtsphilosophisches Manuscript eines österreisches Verfassers que son état est lamentable [45]. Zimmermann
remet ainsi en cause un enseignement jésuitique sclérosé et une censure affichée, ce pourquoi la réforme scolaire de 1848 apparaît
bien comme la volonté de mettre fin à cette période philosophiquement stérile. Ce témoignage est significatif tant il inclut Herbart
dans le renouveau de la philosophie autrichienne. Surtout il révèle l'absence d'histoire de la philosophie autrichienne en tant que telle
et le désir de la mettre au jour. Ce sujet lui tient à cœur puisque, à la fin du siècle, il le reprend, en 1889, en écrivant un article intitulé
"Philosophie und Philosophen in österreich [46]". Il reste cependant tout à fait difficile de dégager ce que Zimmermann garde de
Bolzano et ce qu'il reprend de Herbart. Mais ce personnage nous semble prouver si besoin est encore, que l'herbartisme est partie
intégrante de l'histoire de la philosophie autrichienne, dès ses débuts.
L'imbrication intellectuelle et institutionnelle de ces philosophies se remarque dans les rapports entre Robert Zimmermann et
Franz von Brentano (1838-1917). Zimmermann a accueilli avec plaisir la nomination de Brentano à l'université de Vienne en 1874,
s'est réjoui de son habilitation en 1880 et a déploré son départ en 1896. Zimmermann sera le seul professeur ordinaire pendant seize
ans, alors que justement Brentano a été obligé de refuser l'Ordinariat pour se marier, et attendra sa réintégration sans jamais l'obtenir.
Si Zimmermann ne pouvait se consacrer à ses recherches, il a eu une influence énorme sur ses élèves, et aurait même obligé Brentano
à supporter ainsi des références constantes de la part des élèves à Bolzano, ce que Brentano n'appréciait pas[47]. Meinong et Höffler
ont, par exemple, suivi la réforme scolaire et étudié dans le manuel de Zimmermann. Brentano a-t-il lu Herbart ? La question trouve
sa réponse dans sa Handbibliothek[48] : s'y trouvent Allgemeine praktische Philosophie (édition de 1808) et Allgemeine Metaphysik
(édition de 1828). Une bonne piste pour juger de la position de Herbart face à Brentano se trouve dans les écrits d'histoire de la
philosophie de Brentano. Nous en voulons pour preuve Geschichte der Philosophie der Neuzeitécrit vers 1870. Herbart y est cité à
plusieurs reprises, de manière peu flatteuse. Les pages 74-75 lui sont consacrées : Herbart est stigmatisé comme un héritier
"taumelig", titubant, délirant, chancelant. Il appartient lui aussi à la troisième phase de déclin de la philosophie, avec Kant, Hegel,
Fichte, Jacobi, Schelling, Schopenhauer.
Alois Riehl (1844-1924) est, comme le dit le titre de l'article de Pettoello, parti de Herbart pour aller à Kant… Riehl a suivi les
cours de Zimmermann à Vienne en 1862 –1863[49]. Entre ses Realistische Grundzüge (1870) et über Begriff und Form der
Philosophie (1872), Riehl change d'avis sur Herbart et passe de l'adhésion à la critique. Il semble que Riehl oscille entre des
interprétations subtantialistes ou fonctionnalistes de Herbart, les premières venant de son école [50]. Or il semble bien que ce soit la
deuxième branche de l'alternative qui soit la bonne, si nous voulons rester fidèles à Herbart. Riehl semble donc influencé par le
positivisme de son époque. L'intérêt de ce philosophe réside ainsi dans la manière dont il dessine un autre néokantisme que celui de
l'école de Marburg [51]. Il faut noter cependant, que l'installation en Allemagne de Riehl, notamment à Berlin en 1905 il fut
professeur, ne lui permit pas d'influencer de manière considérable la philosophie autrichienne [52].
Par ailleurs, Herbart est cité à plusieurs reprises dans les œuvres d'Ernst Mach [53]. Bien plus, Herbart est cité lors de
déclarations stratégiques, où Mach explique la genèse de sa pensée [54]. Nous lisons ainsi dans l'Analyse des sensations [55] : "Avec
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