Journal Identification = IPE Article Identification = 1173 Date: March 14, 2014 Time: 1:27 pm
D.G. Rossinelli, J.-C. Penochet
la place de bouc émissaire dans une logique de substitution
des responsabilités [4].
Pourtant, le prononcé de l’irresponsabilité pénale au
moment des faits criminels ou délictueux ne relève pas
directement de l’expert mais de la décision judiciaire
laissée à la libre appréciation du juge. Traduction de la
méfiance populaire entretenue politiquement à l’égard des
psychiatres comme de leurs malades, cette situation a
été renforcée par le passage désormais quasiment systé-
matique des situations d’abolition devant la chambre de
l’instruction. Il faut donc rappeler que le débat des experts
ne se situe pas au niveau de la question de l’irresponsabilité
sur laquelle ils n’ont pas à se prononcer, mais seulement
entre les notions d’abolition ou d’altération du discerne-
ment, d’abolition ou d’entrave au contrôle des actes.
La difficulté pour l’expert demeure néanmoins tout
entière car tandis qu’il ne saurait faire abstraction de la
responsabilité liée aux conséquences de ses déclarations,
les notions d’abolition ou d’altération du discernement
ne sont pas des concepts psychiatriques. Dans la plupart
des cas, il ne dispose pas d’outils cliniques lui permettant
d’inférer directement le degré d’altération ou d’abolition du
discernement.
Dès 1901, à ce congrès de Genève devenu embléma-
tique tellement toutes les questions que nous nous posons
aujourd’hui y étaient déjà soulevées, Gilbert Ballet esti-
mait que la responsabilité pénale ne saurait être le fait du
psychiatre, parce qu’elle était non pas d’ordre médicale
mais d’ordre moral. Entre l’évaluation de la pathologie
psychiatrique aboutissant au diagnostic et la traduction
de ce dernier en termes d’abolition ou d’altération, il
existe inéluctablement une zone d’indétermination dans
laquelle l’interprétation médicale atteint ses limites et se
trouve contaminée par des considérations philosophiques
ou morales quand ne s’y engouffrent pas des positions dog-
matiques ou idéologiques.
La question de l’abolition reste relativement simple
lorsque la pathologie est manifeste et que la personne
a agi en pleine déstructuration de la conscience, sous la
dépendance directe de productions mentales pathologiques
délirantes ou hallucinatoires ou l’effet de troubles majeurs
de l’humeur.
Mais les troubles psychotiques dont il s’agit sont souvent
plus complexes, et ne sauraient être considérés comme un
état permanent et totalement invalidant dans les capacités
d’adaptation du sujet à la réalité, sans pour autant pou-
voir exclure la fragilité et la dimension pathologique de ces
personnalités. L’expert devra prendre en compte un fais-
ceau complexe d’éléments tels que le lien entre le mobile,
la pathologie et la personnalité sous-jacente, l’évolutivité
de la maladie mentale, la reconnaissance d’épisode de
décompensation ou d’état psychotique aigu, mais aussi de
stabilisation et d’adaptation plus ou moins importante à la
réalité. S’ajoute le difficile problème des personnes ayant
commis les faits lors de décompensations provoquées par
l’arrêt du traitement : si le discernement était bien aboli
au moment de l’acte, en rendra-t-on néanmoins le psycho-
tique responsable pour avoir « volontairement » interrompu
sa thérapie, alors même qu’une des caractéristiques de la
maladie est de ne pas pouvoir la reconnaître ?
Hors le domaine de la psychose, les choses ne sont pas
plus faciles, bien que se situant cette fois le plus fréquem-
ment dans le champ de l’altération. Souvent bien au-delà
d’un simple trouble de la personnalité non pathologique,
le grave déséquilibre psychopathique, les états limites et
borderline et la grande perversion, dont un récent congrès
psychiatrique a relevé toute la complexité, soulèvent la
question de l’altération du discernement quand ce n’est
pas celle de la dissolution de la conscience dans l’acte
criminel.
Sauf cas finalement exceptionnels parce qu’extrêmes,
il n’existe donc pas de clinique de l’abolition ou de
l’altération, et la part de l’interprétation demeure très impor-
tante, expliquant qu’à partir d’un même diagnostic ou
de diagnostics très proches, les conclusions des experts
puissent diverger.
Les responsables pénaux
Parmi les personnes appelées à comparaître devant les
instances judiciaires, beaucoup d’entre-elles présentent des
troubles psychiques. Cependant, la grande majorité sera
considérée comme responsable des infractions commises.
L’abolition n’est retenue en moyenne que dans seule-
ment 0,4 % des expertises psychiatriques judiciaires. Mais
ces statistiques sont trompeuses, puisqu’elles masquent le
nombre beaucoup plus important des classements sans suite
décidés par le parquet, aboutissant pour les personnes souf-
frant de troubles mentaux à des soins sans consentement en
milieu hospitalier.
Dans le cas où l’altération du discernement est pronon-
cée, les statistiques démontrent clairement que les sanctions
pénales sont majorées. Pourtant, la circulaire Chaumié de
1905 à laquelle s’est finalement substitué le second alinéa
de l’article 122-1, introduisait déjà l’atténuation de res-
ponsabilité et un quantum de peine réduit pour ceux qui
présentaient des troubles mentaux.
Le législateur trop confiant ayant omis de préciser que
l’appréciation de la peine devait jouer à la diminution, c’est
à un processus inverse auquel on assiste actuellement, la
sur-aggravation s’appuyant sur le principe de précaution
et la crainte populaire de voir des malades mentaux vécus
comme dangereux et criminels circuler librement dans la
population.
Alertés par le nombre important de malades mentaux
incarcérés, des parlementaires comme le sénateur Lecerf ou
le député Raimbourg ont tenté d’introduire une atténuation
du quantum de la peine, des initiatives qu’il faut saluer mais
qui sont pour l’instant restées lettre morte.
174 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦3 - MARS 2014
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