rentes et assez contrastées. La méthode naturelle,
tout d’abord, proposée par Hébert et influente
dans la première moitié du 20
e
, convoque des
êtres rapportés à ces entités générales, même si
elle s’y inscrit de façon originale. Cette gymnas-
tique a des caractéristiques qui la distinguent des
concurrentes, comme le rejet du positivisme, de la
sophistication technique au profit des « vérités
naturelles », des gestes « simples et fondamen-
taux » (Vigarello, 1978). Mais il reste que cette pro-
position trouve sa légitimité dans sa capacité à
monter en généralité. Cette gymnastique recom-
pose les références, les qualités et les exercices
qui doivent assurer le développement de la « race ».
La référence au « sauvage », la centration sur des
qualités physiques (« souplesse », « puissance »,
«force »…) et morales (« courage », « volonté »,
«effort »…) et les dispositifs inventés, inspirés des
exercices naturels du « primitif » ou du « paysan »
(franchissement d’obstacles, manipulation d’en-
gins…), forment une construction cohérente en
continuité avec un sens commun sur le rôle social
de l’exercice physique. Cet univers se présente
pour les hébertistes comme un passage obligé
pour redresser la nation et réussit à trouver des
alliés de plus en plus nombreux dans une société
gagnée en partie par un « mouvement naturel »
dont les catégories d’entendement conduisent à
dénoncer la vie citadine et la mécanisation du
travail.
Le cas de la gymnastique de Demeny, jouissant
d’une situation institutionnelle favorable à l’entrée
du 20
e
siècle, n’est pas moins explicite. À la diffé-
rence du précédent, la science et notamment la
mécanique, mais aussi les mathématiques, sont
une ressource savante essentielle que Demeny met
en pratique en collaborant aux travaux de Jules
Etienne Marey (médecin et physiologiste), et d’où
sera inventée la « biomécanique » (Pociello, 1981b).
Cette gymnastique s’appuie sur le monde universi-
taire et scientifique, positiviste, et prône un mouve-
ment « souple », « arrondi », « continu », « ample »
et « beau » dont témoigne « la machine animale »
(chat, oiseau…). Mais l’intérêt collectif de l’utilisa-
tion de ces exercices n’est pas loin : « dans une
société fortement organisée, chaque unité, tout en
satisfaisant à ses besoins et en recherchant son
bien-être, doit travailler aussi pour la collectivité.
Ceci sous-entend une activité partielle donnant à
l’ensemble une plus-value d’énergie, afin de résister
aux causes de désorganisation et de destruction,
une convergence des efforts vers le bien collectif,
en un mot. La grandeur d’un peuple coïncide tou-
jours avec le maximum d’efforts convergeant vers
un idéal de force et de beauté ». G. Demeny attache
ainsi des exercices physiques, des qualités phy-
siques, une société énergique et organisée, conçue
d’ailleurs comme un organisme vivant. À quoi
s’ajoute aussi une éducation morale centrée sur la
«volonté » et la « générosité »… (Collinet, 2000).
Force, beauté, sciences, bien commun et qualités
morales sont ainsi associés dans une « gymnas-
tique rationnelle ».
On pourrait ainsi présenter toutes les gymnas-
tiques concurrentes à domestiquer les corps et les
esprits – ce que ne permet pas les contraintes de
l’article. Toutes ont leurs spécificités, mais elles
clôturent nettement le monde pertinent au registre
civique. Toutes proposent selon des termes adé-
quats une chaîne de connexions entre la nation,
l’école, la race, la gymnastique, la santé et la morale.
Que ce soit Amoros, Demeny, Hébert, Tissié…, les
gymnastiques concurrentes pour leur inscription
dans l’école se rapportent essentiellement à l’inté-
rêt général. Ce qui n’exclut pas en revanche des
différences internes sur la façon de considérer dans
chacune d’elles la « race », le « patriote » ou le
«travailleur »…., les qualités à développer (« disci-
pline », « goût de l’effort », « énergie », « puis-
sance » ou « souplesse »…) et le recours plus ou
moins aux sciences (« anatomie », « physiologie »
ou « sociologie »…). Et ces différences expliquent
pour beaucoup la place qu’elles occupent dans
l’école. Mais les débats se placent de toute façon
dans la justice civique car le jeune et l’élève sont
rapportés nettement à la nation : les « gymnastes
sont les athlètes de la République » résume en une
formule forte Pierre Arnaud (1998b).
Ceci explique l’effort particulier des républicains
en faveur de l’EP qu’ils rendront obligatoire (1880)
dans tous les établissements scolaires dès qu’ils
seront au pouvoir. Les termes du rapport du séna-
teur M. Barthélémy Saint-Hilaire, chargé d’examiner
le projet de loi déposé par le sénateur Georges
visant à rendre obligatoire la gymnastique, sont
suggestifs : « Chacun de nous peut savoir, par son
expérience personnelle, de quelle importance est la
santé, non pas seulement pour le bonheur, qui
n’est, après tout, qu’une chose relative et secon-
daire dans la vie, mais pour l’accomplissement du
devoir sous toutes ses formes, et pour toutes les
applications de notre activité libre comme hommes
et comme citoyens. La science et la physiologie,
d’accord avec l’observation individuelle, nous
attestent que le meilleur moyen d’assurer la santé
L’éducation physique dans plusieurs mondes. Contribution à une histoire des disciplines scolaires 91