Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, septembre 16, 2005. Fr 1.3
La monarchie absolue était entrée en crise à la fin des années 1770 : crise
de légitimité1 dans un pays marqué par le mouvement des Lumières, mais aussi
crise fiscale gravissime : ce fut pour la résoudre que Louis XVI convoqua les
États généraux, ce qui aboutit à la gravissime crise politique de mai-août 1789.
Cette crise mit fin au régime et posa les bases de la France moderne : l'abolition
des privilèges, c’est-à-dire le principe de l’égalité de tous devant la loi (le 4
août) ; le principe d'un gouvernement représentatif des citoyens, c'est-à-dire la
démocratie — en revanche, on conserva la monarchie.
Malheureusement, le nouveau régime ne put se stabiliser : l'incapacité du
personnel politique (divisé et inexpérimenté) à calmer les passions, la pression des
extrémistes et du peuple parisien et le refus du Roi et des anciens privilégiés
d'accepter les acquis révolutionnaires de 1789, débouchèrent, à partir de 1791,
sur trois ans de radicalisation et de fuite en avant marqués par une guerre
civile, par des émeutes spontanées ou plus ou moins manipulées (les "journées
révolutionnaires") et par une cascade de coups d'État. Les principales étapes en
furent la chute de la monarchie (le 10 août 1792) et à la proclamation de la
République (le 21 septembre), puis le procès du Roi et son exécution (le 21
janvier 1793) et l'établissement d'une dictature brutale et instable, la Terreur
(de juin 1793 à juillet 1794). Celle-ci fut finalement liquidée (le 9 thermidor an
II / 27 juillet 1794) au profit d'un régime sans dynamique ni perspectives, le
Directoire, lui-même renversé par un coup d'État fomenté par un général
glorieux, Napoléon Bonaparte (le 18 brumaire an VIII / 9 novembre 1799). De
l'été 1789 à l'automne 1799, la France, privée de chef d'État après août 1792,
fut gouvernée par des assemblées ou des fractions d'assemblée : cette absence
d'exécutif fort, due au rejet de la monarchie absolue, explique largement le
cours hasardeux des événements politiques.
En politique extérieure, les choses n'allèrent pas mieux. La France,
attaquée de toutes parts au printemps 1792 par une coalition de puissances
européennes hostiles à la Révolution, les arrêta à Valmy (le 20 septembre 1792)
1 Ce qu'on appelle la
légitimité
d'un régime, c'est l'ensemble des raisons qui font qu'on accepte de lui
obéir. Il y a des régimes dépourvus de légitimité : ils ne se maintiennent que par la force. D'autres ont une
légitimité militaire (les Mongols obéissaient à Gengis Khan parce qu'il les menait de conquête en conquête),
d'autres encore une légitimité religieuse (les Arabes de l'âge classique obéissaient au Calife parce qu'il était
le "successeur" sur Terre du Prophète) ou révolutionnaire (les régimes communistes du XXe siècle se
considéraient investis de la mission historique d'amener l'humanité au socialisme : ce rôle historique suffisait,
pour leurs partisans, à les rendre légitimes). Notre Ve République a une légitimité démocratique (nous lui
obéissons parce que nous nous accordons pour considérer qu'elle exprime la volonté du peuple, et parce que
nous considérons qu'un régime doit exprimer cette volonté) qui s'exprime par les élections (nous nous
accordons à considérer qu'elles sont à peu près honnêtes et qu'elles permettent plus ou moins de connaître
la volonté du peuple). Mais toute légitimité peut s'éroder : un conquérant qui ne fait plus de conquêtes, un
calife qui mène une vie dissolue peuvent être remerciés ou renversés ; dans les années 1980 personne ne
croyait plus à la possibilité d'une Révolution socialiste mondiale, ce qui rendait le discours officiel des
dirigeants communistes complètement irréel ; dans les années 1930, beaucoup de Français considéraient que
la IIIe République n'exprimait plus du tout la volonté du peuple…