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De l’autre côté, comme si vous et nous étions infidèles à
cet âge d’or mythique et virtuel, dès qu’apparaissent entre
nous des problèmes ou des désaccords, ceux-ci sont drama-
tisés. Ce fut le cas à plusieurs reprises, sous de Gaulle mais
aussi avec Mitterrand à l’époque de la guerre froide et du
monde bipolaire. Cela semble se reproduire aujourd’hui dans
le monde unipolaire où s’affirme sans ambages la puissance
américaine.
On explique souvent l’ambivalence de la relation franco-
américaine par le fait que nos pays, toute question de puis-
sance mise à part, ont tous deux des approches universalistes
du monde, sans qu’elles coïncident toujours. C’est vrai.
Il y a peut-être une autre explication pour la difficulté que
nous avons parfois à nous comprendre : l’absence d’immi-
gration française aux États-Unis au
XIX
e
et au
XX
e
siècle. La
misère et l’oppression n’ont pas été telles chez nous qu’elles
aient conduit mes compatriotes à quitter massivement leur
pays. Les Anglais, les Irlandais, les Italiens, les Portugais, les
Nordiques, les Grecs, les Allemands, les Polonais et les
populations juives d’Europe de l’Est ont nourri les grands
courants migratoires venus aux États-Unis. Nous sommes
restés étrangers au melting-pot né de la grande migration.
Nous n’avons pas connu les États-Unis modernes de l’inté-
rieur. Vous-mêmes n’avez jamais eu pendant cette époque à
intégrer une vaste communauté française qui aurait été chez
vous comme un écho de ce que nous sommes.
Mais l’histoire nous livre un autre constat tout aussi sin-
gulier et que j’ai plaisir à rappeler : nous n’avons jamais été
ennemis. Vous avez été en guerre avec l’Angleterre, l’Es-
pagne, l’Allemagne, l’Italie, la Chine, le Japon et, d’une cer-
taine façon, avec la Russie. Jamais avec la France. Nous
sommes donc des amis, mais des amis qui trop souvent se
caricaturent l’un l’autre.
Pour nous défaire de ces caricatures, il nous faut refuser
l’anti-américanisme ; il vous faut ne pas céder à la francophobie.
L’anti-américanisme, culturel ou politique, participe depuis
longtemps à un certain imaginaire français. Au
XIX
e
siècle,
il a pris naissance, autour de la figure du Yankee, quand s’est
Lionel Jospin
La relation
franco-américaine
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